Phèdre, épouse de Thésée et belle-mère d'Hippolyte Illustre victime d'une obscure passion

Phèdre, la version grecque de la séductrice qui devient calomniatrice

Le mythe de Phèdre apparaît comme la version grecque d’une histoire que l’on retrouve en Inde, en Chine, en Égypte : celle de la séductrice, incestueuse ou non, qui accuse de son crime celui qu’elle a voulu tenter. Cette histoire est également présente dans d’autres légendes occidentales : Joseph et la femme de Putiphar dans la Genèse, Pélée et Hippolytè (ou Akastos ou Astydameia selon les versions), Sthénébée et Bellerophon.

Phèdre et son histoire avec Hippolyte : une source d’inspiration pour les auteurs antiques

Après Euripide et ses imitateurs d’Alexandrie, l’histoire de Phèdre et d’Hippolyte est reprise par Ovide dans sa quatrième Héroïde et par Sénèque dans sa tragédie Phèdre. Le triste sort d’Hippolyte est également évoqué dans les Métamorphoses (XV, v. 487 sq.) et dans les Fastes (III, v. 265 sq.) d’Ovide, dans l’Énéide (VII, v. 764 sq.) de Virgile ou encore dans les Silves (III, 1, 55) de Stace.

Phèdre ou le tragique de la parole

Dans l’Athènes du Ve siècle avant J.-C., la parole et plus précisément le logos, (le discours) tiennent une place essentielle dans la vie de la cité. Ainsi, il n’est pas étonnant qu’Euripide qui avait un goût prononcé pour le discours sophistique fasse du langage le fondement de sa tragédie Hippolyte. C’est le passage du silence à la parole qui engendre l’intrigue. Aveu, accusation, malédiction, récit et description du monstre : les temps forts des pièces d’Euripide, de Sénèque puis de Racine reposent sur la parole et le rapport de chaque personnage à cette dernière. Avec le vers « Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue », Racine fait entrer dans la postérité l’aveu de Phèdre qui révèle son amour pour Hippolyte à sa nourrice Œnone (Phèdre, I, 3).

Le « motif de Phèdre » : une source d’inspiration pour les artistes antiques

Du IVe siècle avant J.-C. jusqu’à l’Empire romain, plusieurs œuvres artistiques sont inspirées de l’histoire de Phèdre et d’Hippolyte. Des peintures murales de Rome, de Pompéi ou d’Herculanum représentent la souffrance amoureuse de Phèdre et la scène des aveux à Hippolyte. La femme de Thésée est également présente dans la céramique. Nous pouvons, en outre, dénombrer aujourd’hui soixante-dix sarcophages ou fragments qui mettent en avant Hippolyte et sa belle-mère, devenant l’emblème de la douleur féminine.

Phèdre et ses homonymes

Il ne faut pas confondre Phèdre, la jeune princesse crétoise, fille de Minos et de Pasiphaé, épouse de Thésée, avec Phèdre, un jeune Athénien, riche et brillant (V– IVe siècles avant J.-C.), qui est l’un des interlocuteurs de l’œuvre philosophique de Platon, Le Banquet. Il apparaît notamment dans un autre dialogue de Platon qui porte son nom, Phèdre. Phèdre est encore le nom d’un philosophe grec qui aurait enseigné l’épicurisme à Cicéron. Phèdre désigne également un célèbre auteur de fables latines du Ier siècle. Phèdre, enfin, serait le nom d’une des nombreuses épouses d’Hérode Ier le Grand, roi de Judée (Ier siècle avant J.-C.).

Une ascendance divine et maudite

Phèdre est la fille de Minos, le roi de Crète, et de Pasiphaé, « celle qui brille pour tous ». Princesse de sang royal, elle a des origines divines : son père Minos, en effet, est lui-même fils de Zeus et de la princesse phénicienne Europe. Sa mère est la fille d’Hélios, le Soleil, ainsi que la sœur d’Aiétès et de la magicienne Circé. Phèdre est la sœur d’Ariane, la cousine de Médée et la demi-sœur du Minotaure.

Comme sa mère Pasiphaé et sa sœur Ariane, elle appartient à la famille des amoureuses maudites : sa mère, victime d’une vengeance de Poséidon, succombe à sa folle passion pour un superbe taureau et donne naissance, après son union avec lui, au Minotaure. C’est cette créature mi-homme mi-taureau, caché dans le labyrinthe, que Thésée entreprend de tuer avec l’aide d’Ariane. Cette dernière, tombée amoureuse du héros athénien et partie avec lui, est abandonnée par ce dernier sur une île.

Premier épisode : son union avec Thésée

De retour à Athènes sans Ariane, Thésée succède alors à son père Égée qui s’est suicidé de désespoir et il dirige la cité. Par la suite, il affronte les Amazones, un peuple de femmes guerrières. Dans sa Vie de Thésée, Plutarque rapporte deux traditions à ce sujet. Dans la première, Thésée accompagne Héraclès dans son expédition navale chez les Amazones et conquiert pour son ami la ceinture de leur reine, l’aidant ainsi à réaliser l’un de ses douze travaux. L’Amazone Antiope aurait alors été « donnée » comme récompense à Thésée par Héraclès. Dans la seconde, majoritaire, Thésée se rend de son propre chef chez les Amazones et enlève leur reine. Il aurait eu de cette dernière, nommée Antiope ou Hippolytè selon les versions, un fils que l’on connaît sous le nom d’Hippolyte. L’enlèvement de la reine serait à l’origine de l’invasion de l’Attique par les Amazones et de la guerre dont Thésée sort victorieux (l’amazonomachie). Combattant près du héros athénien, Antiope y aurait trouvé la mort de la main d’une Amazone, une certaine Molpadia.

C’est après ce décès d’Antiope que Thésée aurait épousé Phèdre. Diodore de Sicile raconte que Deucalion, frère d’Ariane et de Phèdre, devenu roi de Crète, aurait donné sa sœur en mariage à Thésée (Histoire universelle, IV, 62), sans doute pour consolider leur alliance. Plutarque évoque enfin une autre version : pour l’auteur de la Théséide, l’invasion des Amazones serait liée à leur volonté de venger leur reine, répudiée par Thésée pour épouser Phèdre; Plutarque, quant à lui, accorde peu de crédit à ce récit.

Après Ariane et Antiope, Phèdre s’unit donc à Thésée dont elle a deux fils : Acamas et Démophon.

Deuxième épisode : la rencontre de Phèdre et d’Hippolyte, ou la vengeance d’Aphrodite

Dans l’œuvre d’Euripide, Hippolyte porte-couronne, la déesse Aphrodite évoque dès le prologue la rencontre de Phèdre et de son beau-fils Hippolyte. Elle a lieu près d’Athènes : l’éphèbe (jeune garçon arrivé à l’âge de la puberté) a quitté Trézène (dans le Péloponnèse, sur la côte nord de l’Argolide) pour assister aux mystères d’Éleusis. C’est là que Phèdre le voit et succombe à un coup de foudre…

Aphrodite, qui hait la descendance d’Hélios, se sert d’elle pour se venger d’Hippolyte. Elle fait tomber la jeune femme amoureuse de son beau-fils, ce jeune homme chaste qui, selon le dramaturge, ose ne rendre aucun hommage à la déesse de l’amour et ne jure que par la déesse Artémis !

Dès lors, en reine d’Athènes, Phèdre fait construire sur l’Acropole, à côté du temple de Pallas Athéna, un autre temple consacré à Aphrodite. Le monument est tourné vers Trézène au loin. La déesse de l’amour précise que la jeune femme cherche à se consoler de l’absence d’Hippolyte tout autant qu’elle souhaite laisser à la postérité une trace de son amour pour lui.

L’amour de Phèdre la consume quand elle suit son époux à Trézène. Thésée doit, en effet, expier le crime des Pallantides : lorsqu’il est devenu roi d’Athènes, il a fait exécuter tous les prétendants au trône, en l’occurrence son oncle Pallas, qui cherchait à étendre sa domination sur l’Attique, et les enfants de celui-ci (ses cousins). Si Apollon acquitte Thésée pour ce crime consanguin, il doit se purifier et il retourne pour un an dans sa ville natale où se trouve son fils Hippolyte. C’est en ce lieu que se déroule la tragédie créée par Euripide. Dans d’autres versions, le drame éclate à Athènes même.

Troisième épisode : une passion fatale

Comme Pasiphaé, Ariane et sa cousine Médée, Phèdre nourrit une passion fatale. Euripide et l’auteur romain Sénèque la montrent éperdument amoureuse.

Dans la tragédie grecque, le dramaturge met tout d’abord l’accent sur les manifestations physiques de cet amour. Il insiste sur son état alarmant : Phèdre est décrite comme « épuisée sur son lit de douleur » et « enfermée dans la maison » (première antistrophe du parodos, Hippolyte). Affaiblie, elle a besoin de ses servantes pour se tenir droite (vers 198-202). Elle en perd jusqu’à l’envie de manger : la nourrice nous précise qu’elle est à jeun depuis deux jours (v. 274)…

À cette souffrance physique s’ajoute une souffrance psychique. Dans le premier épisode, elle apparaît agitée et rêve tout haut : sa nourrice tente de comprendre son désir de chasse et de domestication des chevaux, deux centres d’intérêt qui renvoient bien entendu à Hippolyte. Elle est également déconnectée du réel et son repli sur elle-même s’accompagne d’une certaine surdité, ce qui exaspère sa nourrice : « Femmes, nous prenons là peine inutile et nous restons aussi loin du but. Auparavant les paroles la laissaient insensible ; maintenant elle est sourde à la persuasion »(vers 301-303).

Elle souffre du combat intérieur qui se livre en elle entre la vertu et l’amour. Chez Euripide, elle lutte pour rester une bonne épouse, une bonne mère : elle a choisi au départ de ne pas trahir son époux et dit chercher à assurer l’avenir de ses enfants légitimes en préservant sa réputation. Chez Sénèque, Phèdre semble déjà vaincue par l’amour dès le début. Elle est consumée par cette passion et l’image du feu revient à plusieurs reprises.

L’aveu de cet amour précipite le drame. Chez Euripide, il est arraché par la nourrice qui se charge, de sa propre initiative, d’aller parler à Hippolyte. Chez Sénèque, Phèdre avoue elle-même à son beau-fils le sentiment qui la submerge.

Quatrième épisode : destruction et auto-destruction

Dans différentes versions de cette tragique passion amoureuse, Phèdre est repoussée sans ménagement par Hippolyte, notamment dans la première version d’Euripide (non celle que nous connaissons aujourd’hui) où la femme de Thésée se serait elle-même déclarée à son beau-fils. C’est également le cas chez Diodore de Sicile (Bibliothèque historique, IV, 62) et chez Apollodore : « Phèdre […] lui demanda de coucher avec elle. Mais il détestait toutes les femmes et il refusa d’avoir des rapports avec elle. Phèdre […] eut peur qu’il ne l’accusât auprès de son père : elle fendit les portes de sa chambre, déchira ses vêtements et accusa faussement Hippolyte de lui avoir fait violence » (Bibliothèque, Épitomé, I, 18).

Ce refus catégorique d’Hippolyte qui rejette violemment sa belle-mère et la honte qu’éprouve alors cette dernière entraînent sa perte et celle de son beau-fils. Dans la deuxième version d’Euripide, Hippolyte porte-couronne, Phèdre décide de se suicider lorsqu’elle entend Hippolyte l’éconduire. Ce suicide s’accompagne de sa vengeance à l’encontre de son beau-fils qui a fait preuve d’excès dans sa réaction. Elle se pend mais elle laisse à Thésée, de retour, des tablettes qui accusent faussement de viol Hippolyte. Thésée condamne alors son fils et le maudit : il demande à Poséidon d’exaucer un de ses trois vœux en faisant périr son propre enfant. Il ne découvre son innocence que tardivement par l’entremise de la déesse Artémis. Chez Sénèque, Phèdre calomnie le jeune homme devant son époux, revenu des enfers, et met en avant l’épée d’Hippolyte comme preuve. Après l’annonce de la mort du jeune homme trainé par ses propres chevaux, une fois sortie de son état de furor (« folie » meurtrière et vengeresse), elle confesse son mensonge à Thésée puis se suicide avec l’épée d’Hippolyte.

Dans les deux tragédies, c’est une sorte de taureau qui est à l’origine de la mort atroce d’Hippolyte. Cet animal nous renvoie à la vengeance de Phèdre dont la famille et notamment ses parents lui sont associés : son père a refusé d’en sacrifier un tandis que sa mère a donné naissance au Minotaure après son union avec l’animal.

Ce qu’Euripide fait dire à Phèdre :

 

« Ἐγὼ δὲ Κύπριν, ἥπερ ἐξόλλυσί με,
ψυχῆς ἀπαλλαχθεῖσα τῇδ' ἐν ἡμέρᾳ
τέρψω,·πικροῦ δ' ἔρωτος ἡσσηθήσομαι.
Ἀτὰρ κακόν γε χἀτέρῳ γενήσομαι
θανοῦσ', ἵν' εἰδῇ μὴ 'πὶ τοῖς ἐμοῖς κακοῖς
ὑψηλὸς εἶναι··τῆς νόσου δὲ τῆσδέ μοι
κοινῇ μετασχὼν σωφρονεῖν μαθήσεται.

 

Je vais réjouir Vénus, auteur de ma ruine, en me délivrant aujourd'hui de la vie : je succombe sous les traits cruels de l'amour. Mais ma mort deviendra aussi funeste à un autre : qu'il apprenne à ne pas s'enorgueillir de mes maux ; en partageant à son tour ma souffrance, qu'il s'instruise à la modestie.»

 

Euripide, Hippolyte, v. 725-731, Tragédies d’Euripide traduites du grec par M. Artaud, Paris, Charpentier, libraire-éditeur, 1842

Phèdre, la version grecque de la séductrice qui devient calomniatrice

Le mythe de Phèdre apparaît comme la version grecque d’une histoire que l’on retrouve en Inde, en Chine, en Égypte : celle de la séductrice, incestueuse ou non, qui accuse de son crime celui qu’elle a voulu tenter. Cette histoire est également présente dans d’autres légendes occidentales : Joseph et la femme de Putiphar dans la Genèse, Pélée et Hippolytè (ou Akastos ou Astydameia selon les versions), Sthénébée et Bellerophon.

Phèdre et son histoire avec Hippolyte : une source d’inspiration pour les auteurs antiques

Après Euripide et ses imitateurs d’Alexandrie, l’histoire de Phèdre et d’Hippolyte est reprise par Ovide dans sa quatrième Héroïde et par Sénèque dans sa tragédie Phèdre. Le triste sort d’Hippolyte est également évoqué dans les Métamorphoses (XV, v. 487 sq.) et dans les Fastes (III, v. 265 sq.) d’Ovide, dans l’Énéide (VII, v. 764 sq.) de Virgile ou encore dans les Silves (III, 1, 55) de Stace.

Phèdre ou le tragique de la parole

Dans l’Athènes du Ve siècle avant J.-C., la parole et plus précisément le logos, (le discours) tiennent une place essentielle dans la vie de la cité. Ainsi, il n’est pas étonnant qu’Euripide qui avait un goût prononcé pour le discours sophistique fasse du langage le fondement de sa tragédie Hippolyte. C’est le passage du silence à la parole qui engendre l’intrigue. Aveu, accusation, malédiction, récit et description du monstre : les temps forts des pièces d’Euripide, de Sénèque puis de Racine reposent sur la parole et le rapport de chaque personnage à cette dernière. Avec le vers « Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue », Racine fait entrer dans la postérité l’aveu de Phèdre qui révèle son amour pour Hippolyte à sa nourrice Œnone (Phèdre, I, 3).

Le « motif de Phèdre » : une source d’inspiration pour les artistes antiques

Du IVe siècle avant J.-C. jusqu’à l’Empire romain, plusieurs œuvres artistiques sont inspirées de l’histoire de Phèdre et d’Hippolyte. Des peintures murales de Rome, de Pompéi ou d’Herculanum représentent la souffrance amoureuse de Phèdre et la scène des aveux à Hippolyte. La femme de Thésée est également présente dans la céramique. Nous pouvons, en outre, dénombrer aujourd’hui soixante-dix sarcophages ou fragments qui mettent en avant Hippolyte et sa belle-mère, devenant l’emblème de la douleur féminine.

Phèdre et ses homonymes

Il ne faut pas confondre Phèdre, la jeune princesse crétoise, fille de Minos et de Pasiphaé, épouse de Thésée, avec Phèdre, un jeune Athénien, riche et brillant (V– IVe siècles avant J.-C.), qui est l’un des interlocuteurs de l’œuvre philosophique de Platon, Le Banquet. Il apparaît notamment dans un autre dialogue de Platon qui porte son nom, Phèdre. Phèdre est encore le nom d’un philosophe grec qui aurait enseigné l’épicurisme à Cicéron. Phèdre désigne également un célèbre auteur de fables latines du Ier siècle. Phèdre, enfin, serait le nom d’une des nombreuses épouses d’Hérode Ier le Grand, roi de Judée (Ier siècle avant J.-C.).

Pistes d’étude ou de réflexion :

  • Les femmes célèbres dans l’Antiquité
  • Les Amazones
  • Les amours tragiques
  • La condition féminine dans la Grèce antique
  • L’inceste dans l’Antiquité

En deux livres :

  • Euripide, Hippolyte, in Tragédies complètes, tome I, Édition et traduction du grec ancien par Marie Delcourt-Curvers, Collection Folio classique (n° 2104), Gallimard, 1989.
  • Paulette Ghiron-Bistagne, Femmes fatales, « Phèdre ou l’amour maudit », CGITA, cahier n°8, 1994-1995, p. 21-52.
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