Voici l’histoire que chaque automne, autrefois, les vieux pommiers racontaient aux pommes mûrissantes suspendues à leurs rameaux…
C’était un matin de printemps. Tout souriait, le ciel pur, la terre fleurissante et la mer bleue bercée par le zéphyr. Alors, une douce vague, couronnée d’une jolie écume blanche, posa sur la plage une large coquille nacrée où dormait la déesse Aphrodite. Elle s’éveilla, et s’assit sur le sable tiède en secouant sa longue chevelure dorée, semée de gouttes d’eau, et qui, flottante au vent, semblait un manteau de soie. Elle était si belle que Zeus lui fit dire aussitôt : « Viens dans l’Olympe pour être la déesse de la Beauté. » En même temps, pour l’emporter, il envoya deux colombes tramant un char léger où Aphrodite s’assit joyeusement. Bientôt après son arrivée dans l’Olympe, plusieurs dieux la demandèrent en mariage. Arès, toujours impétueux, s’avança le premier, et de sa voix retentissante cria : « Pour conquérir la blonde Aphrodite, je suis prêt à faire la guerre aux dieux et aux hommes ! » Apollon dit d’une voix mélodieuse : « Si elle consent à venir dans mon palais de lumière, je lui offrirai toute la splendeur du soleil et des concerts magnifiques. » Hermès allait parler pour se mettre sur les rangs, et peut-être aussi Dionysos, quoiqu’il eût l’air appesanti par de trop nombreuses libations. Mais, à ce moment, Héphaïstos arriva clopin-clopant, pour annoncer à son père qu’il lui avait préparé des tonnerres et des éclairs plus terribles que jamais. « Voilà celui qui mérite Aphrodite et qui sera son époux »! s’écria Zeus s reconnaissant. Sur-le-champ on fit les fêtes du mariage, et la déesse de la Beauté suivit le divin boiteux dans le sombre palais souterrain qu’il habitait auprès de ses forges.
Or, Aprhodite ne tarda pas à se plaindre de la fumée qui ternissait son admirable teint rose et blanc, du bruit des marteaux sur les enclumes, qui l’assourdissait, et enfin les Cyclopes étaient si laids, avec leur œil unique au milieu du front, qu’ils l’effrayaient. Elle prit donc l’habitude de faire de longs séjours sur l’Olympe, et Zeus lui donna un splendide palais pour y habiter à son gré avec ses nombreux enfants. Tous étaient très beaux, surtout son fils Éros, dieu de l’Amour, que ses ailes portaient sans cesse à travers le ciel et la terre, où il se jouait à lancer de tous côtés des flèches rapides, qui éveillaient l’amour dans les cœurs. Ses filles, la brillante Aglaé, la joyeuse Euphrosine, l’aimable Thalie étaient si charmantes qu’on les nommait les trois Grâces. Parées de fleurs, elles réjouissaient tous les yeux en passant la plus grande partie de leur temps à danser et à jouer en chantant, afin de plaire à leur mère, qui aimait les fêtes par-dessus tout. En outre, très occupée à sa toilette et à son miroir, Aphrodite répétait sans cesse : « C’est moi qui suis la reine de la Beauté » et cela irritait les autres déesses, qui méprisaient sa frivolité et son oisiveté. Alors l’épouse d’Héphaïstos chercha le moyen de les humilier en se faisant donner solennellement le prix de beauté par les dieux et les hommes.
Justement, quelque temps plus tard, la Renommée, qui court le monde en sonnant de la trompette, vint convier tous les dieux aux noces du roi Pélée avec la jolie Nymphe Thétis. Il devait y avoir un somptueux festin avec des porcs et des bœufs rôtis tout entiers, ainsi qu’il plaît aux Immortels et aux princes de la terre. Les déesses préparèrent leurs parures: Héra, son éventail d’or et de plumes de paon ; Athéna, son casque étincelant ; Aphrodite, sa plus brillante ceinture. En outre, chacun apprêta un riche cadeau de noce.
Afin que la fête ne fût pas troublée, on n’avait pas invité la Discorde, haïssable déesse dont la tête est toute hérissée de serpents. Mais, la veille de la noce, Aphrodite alla lui rendre visite en secret, un panier à la main, et arrivant, elle dit : « Veux-tu te venger du roi qui t’a oubliée? — Certainement, sifflèrent joyeusement les serpents! — Eh bien, voici une Pomme d’or que j’ai commandée pour toi à mon mari; viens la jeter demain parmi les convives, chacun la voudra, on se querellera et tu seras contente… » La Discorde battit des mains. Le lendemain donc, au moment où Dionysos versait la dernière coupe de vin, on entendit près de la salle du festin des cris de fureur et on vit paraître une tête pâle où sifflaient des serpents. C’était la Discorde qui cria: « Ah! ah! on ne m’attend pas ici, mais je viens tout de même, et voilà aussi mon présent de noce... » En même temps elle jeta sur la table une Pomme d’or, où étaient gravés ces mots : « à la plus belle! »
Les noces de Thétis et de Pélée (détail), A. Bloemaert, 1638
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Aussitôt, chacune des déesses se regarda dans son miroir et cria : « C’est moi ! c’est moi ! », sauf Artémis, qui, rajustant son arc sur son épaule s’éloigna, aussi belle que les autres; mais point vaniteuse. Héra, Athéna et Aphrodite, au contraire, se lançaient des regards jaloux et courroucés. La jeune mariée hocha sa jolie tête couronnée des roses blanches des fiançailles ; elle aurait voulu voir toutes les déesses satisfaites et murmura tristement :
« Hélas ! il n’y a qu’une pomme
— Oui ! repartit Jupiter, il faut faire un choix. Quels seront les juges ? »
Mais personne ne se présenta, chacun craignant la colère des deux déesses qui ne seraient pas choisies. Alors Hermès proposa :
« Consultons le prince Pâris, fils du roi Priam, car il est le plus beau parmi les hommes.
— Tu parles sagement, dit Zeus ; ce qu’il jugera sera bien jugé sur terre et dans l’Olympe. Prends donc la pomme de la Discorde et conduis les déesses vers Pâris. »
Un blanc nuage déposa les quatre voyageurs sur le mont Ida où Pâris jouait de la flûte en gardant ses troupeaux. Aussitôt Hermès expliqua au berger les ordres de Zeus; puis chacune des déesses à son tour s’avança :
« Regarde-moi, dit Héra d’un ton impérieux. Donne-moi le prix et je ferai de toi un roi puissant. »
Sans répondre, Pâris courba la tête, plein de respect et de crainte....
Athéna dit d’une voix fière et harmonieuse :
« L’intelligence s’ajoute à ma beauté ; donne-moi le prix et je ferai de toi un sage roi, chéri de ses peuples ».
Pâris baissa les yeux, intimidé par l’air grave de la déesse. Alors, souriante et gracieuse, Aphrodite murmura d’une voix douce : « Vois mes colliers, mes bracelets ; je suis la Reine de Beauté et je t’accorderai pour femme la princesse Hélène, belle entre toutes.»
Pâris la regarda avec ravissement, puis, se jetant à genoux, il plaça la Pomme d’or dans la main d’Aphrodite triomphante.