Les temples de Volupté Régime de l'image et de la signification dans Adonis, Le Songe de Vaux et Les Amours de Psyché

« Les temples de Volupté. Régime de l’image et de la signification dans AdonisLe Songe de vaux et Les Amours de Psyché », Littératures classiques, n° 29, 1997, p. 181-210.

Ces plaisirs leur eurent bientôt donné un doux gage de leur amour, une fille qui attira les dieux et les hommes dès qu'on la vit. On lui a bâti des temples sous le nom de Volupté.

Les Amours de Psyché et de Cupidon, II

Un hymne à [la] Volupté, imité de Lucrèce, conclut le roman des Amours de Psyché, publié en 1669 par La Fontaine. L'édition était assortie de la première version imprimée d'Adonis, autre pièce d'inspiration mythologique, offerte onze ans plus tôt à Fouquet. Pour fournir de cadre à son roman imité d'Apulée, La Fontaine avait dû mettre à contribution le modèle et certains passages inédits du Songe de Vaux, demeuré inachevé depuis la chute du surintendant : le public n'en connaissait alors qu'un fragment, le poème des « Amours de Mars et de Vénus » paru parmi les Contes et Nouvelles de 1665. La signature épicurienne de l'hymne démarqué du De Rerum natura invite à se demander si la philosophie du Jardin constitue (et épuise) la signification cachée des Amours de Psyché ainsi que des deux autres ouvrages galants qui constituent avec celui-ci un « cycle de Vénus » entrepris par le poète au temps de Vaux. Ce qui revient à s'interroger sur la leçon que veulent professer ces textes, et même sur leur intention d'en délivrer une. Car l'attitude de La Fontaine envers la portée morale et philosophique de ses œuvres diffère selon les genres : auteur des Fables, il affirme qu'« en ces sortes de feinte il faut instruire et plaire,/ Et conter pour conter me semble peu d'affaire »1. Mais auteur des Contes, il tient que « ce n'est ni le vrai ni le vraisemblable qui font la beauté et la grâce de ces choses-ci ; c'est seulement la manière de les conter »2. Qu'en est-il donc pour les ouvrages d'inspiration « galante » ?

 

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« Le sens de la devise…»

Et l'on verra le sens de la devise
Qu'aucun mortel n'aura jamais su voir
Le Songe de Vaux, Avertissement I

 

Voici trois œuvres saturées de mythologie ou de féerie, autrement dit de ce merveilleux païen qu'on nomme alors la Fable — la « grande »… Or la tradition poétique ancienne prête au récit de Fable un double sens : dans l'épaisseur de ses images topiques travaille le dédoublement entre une signification apparente et une portée cachée offerte au « décryptage »3 des esprits éclairés. L'interprétation allégorique y constitue le prolongement attendu et la clef indispensable de la fiction. Selon le P. Le Bossu, en 1675,

la Fable est un discours inventé pour former les mœurs par des instructions déguisées sous les allégories d'une action4.

C'est pourquoi, selon Jean Baudouin qui en traitait cinquante ans plus tôt dans les mêmes termes,

les Fables ne se doivent lire superficiellement, mais avec attention et sérieuse recherche. […] Ceux qui n'éplucheront de près le sens moral des Fables, et qui ne s'attachant par manière de dire qu'à la première écorce, ne penseront pas qu'il y ait rien de plus divin caché là-dessous, ne pourront en recevoir cette utilité. Car ceux-ci se séant auprès du feu, comme font les enfants en hiver, se repaissent de contes de vieilles, et de je ne sais quelles fables des poètes, ne se souciant au reste du principal sens, et de la plus profitable doctrine qu'il en faut extraire5.

 

L'Avertissement du Songe de Vaux invite dans une certaine mesure à cet élargissement de l'optique. Certes, l'écrin mystérieux confié par le mage Zirzimir à quelque « Druide de nos provinces » droit sorti de L'Astrée, la devise énigmatique « Je suis constant quoique j'en aime deux » et le débat des fées figurant chacune un des arts majeurs illustrés par le chantier de Vaux6 — tout cet attirail féerique, symbolique, emblématique, mythologique et hiéroglyphique n'évoque que de fort loin l'allusion de Baudouin au décryptage sacré du « sens divin » tapi dans les vieux mythes, secrètement abreuvés aux sources des saintes Écritures dont ils auraient miraculeusement anticipé la Révélation. Quand La Fontaine parle d'allégorie, c'est en des termes plus profanes. Mais du moins en parle-t-il, et l'on ne saurait négliger l'indice :

Le lecteur, si bon lui semble, peut croire que l'Aminte dont j'y parle représente une personne particulière, si bon lui semble, que c'est la beauté des femmes en général, s'il lui plaît même, que c'est celle de toutes sortes d'objets. Ces trois explications sont libres. Ceux qui cherchent en tout du mystère, et qui veulent que cette sorte de Poème ait un sens allégorique, ne manqueront pas de recourir aux deux dernières. Quant à moi, je ne trouverai pas mauvais qu'on s'imagine que cette Aminte est telle ou telle personne ; cela rend la chose plus passionnée, et ne la rend pas moins héroïque7.

Le poète s'entend à laisser planer l'ambiguïté : est-ce ici invite à rechercher quelque signification morale, esthétique, voire philosophique, discrètement celée dans les replis de l'hommage que rend à la beauté, à la rêverie et au plaisir la promenade enchantée dans le domaine de Vaux recréé en imagination ? est-ce pas plutôt plaisante nasarde envers les amateurs d'énigmes, de clefs et de rébus, leur suggérant de prendre à distance d'humour ce projet fantasmagorique et un peu laborieux ? On ne croira pas courir trop de risques à prendre ce parti-ci plutôt que celui-là, dès lors qu'il est question de Vaux, de ses fées et de l'improbable Aminte. Mais que devient cette présomption quand on la transpose d'Aminte à Adonis et surtout à Psyché ?

Car pour le coup, un écran d'interprétations allégoriques bien attestées s'interpose entre le tour d'esprit badin de La Fontaine et les récits légendaires dont il entend faire son profit. Ainsi pour Les Amours de Psyché8. On ne fera que passer sur l'évidente référence du récit rapporté par Apulée à la philosophie platonicienne et à la mystique isiaque : décryptage trop « moderne » sans doute pour les habitudes intellectuelles du XVIIe siècle9. On rappellera néanmoins l'interprétation néoplatonicienne de Plotin : l'Âme exilée sur terre s'affranchit par ses tribulations de son incarnation en s'unissant avec Dieu qui est tout Amour. On citera surtout l'exégèse chrétienne de Fulgence, appelée à faire école jusqu'au siècle même de La Fontaine :

Ils [les conteurs] ont mis une ville pour signifier le monde, où ils ont placé un roi et une reine, comme Dieu et la matière. Ils leur attribuent trois filles, c'est-à-dire la Chair, la Volonté, que nous appelons le Libre Arbitre, et l'Âme. Psyché en effet signifie l'âme en grec ; et ils ont voulu qu'elle soit la plus jeune, parce qu'ils voulaient dire que l'âme ne pénètre dans le corps que lorsque celui-ci a déjà été formé ; et ils l'ont faite plus belle pour la raison que l'âme est supérieure à la liberté et plus noble que la chair. Vénus lui est hostile, en tant que représentant la Concupiscence ; et pour la perdre, elle lui envoie le Désir ; mais comme il y a un désir du Mal, il y en a un du Bien : la Concupiscence chérit l'Âme et s'unit à elle ; elle tente de lui persuader de ne pas chercher à voir son visage, c'est-à-dire de ne pas apprendre à connaître les délices de la concupiscence — c'est pour cela qu'Adam, bien qu'il soit tout nu, ne se voit pas tel aussi longtemps qu'il n'a pas mangé le fruit de l'arbre de la concupiscence — et aussi de ne pas céder à ses sœurs, c'est-à-dire à la Chair et à la Liberté, qui lui enseignent la curiosité et le désir de voir. Mais Psyché, entraînée par leur contrainte, sort la lampe de sous le boisseau, c'est-à-dire révèle la flamme qui brûle dans sa poitrine et , quand elle l'a vue, la trouve douce et la chérit. On dit qu'elle a brûlé Concupiscence de l'huile de sa lampe parce que toute concupiscence, plus elle est aimée, plus elle est ardente et inflige à la chair la marque du péché. Donc, une fois la concupiscence révélée, elle perd sa grande fortune, court des dangers et est chassée de la demeure royale10.

Allégoriser, c'est depuis l'Antiquité tardive extraire le sens moral et religieux des légendes païennes — pour les autoriser en terre désormais chrétienne. Le pli perdure jusqu'au XVIIe siècle, disions-nous : et de fait, on sait que par Boccace11, cette interprétation de la fable de Psyché passe jusqu'à Calderon12 ou Marino, dont le chant IV de l'Adone consacré au récit des amours de Cupidon et Psyché s'orne en exergue d'une traduction condensée de Fulgence13. Et la référence à Marino, peut-être inspirateur de l'Adonis lafontainien, n'est pas pour nous éloigner de notre poète14. La célèbre préface de Chapelain au poème de Marino confirme de surcroît l'actualité persistante de cette herméneutique :

L'allégorie, dans la commune opinion des bons esprits, fait partie de l'idée du poème, et c'est le second fruit que l'on en peut tirer15.

Le propos ne surprend pas chez l'auteur de La Pucelle, qui décryptera tout aussi scrupuleusement le sens allégorique de son épopée en 1656 :

Je disposai toute sa matière de telle sorte que la France devait représenter l'âme de l'homme en guerre avec elle-même, et travaillée par les plus violentes de toutes les émotions ; le roi Charles : la volonté, maîtresse absolue, et portée au bien par sa nature, mais facile à porter au mal, sous l'apparence du bien ; l'Anglais et le Bourguignon, sujets et ennemis de Charles : les divers transports de l'appétit irascible qui altèrent l'empire légitime de la volonté ; Amauri et Agnès, l'un favori et l'autre amante du prince : les différents mouvements de l'appétit concupiscible qui corrompent l'innocence de la volonté, par leurs inductions et par leurs charmes [etc.]16

Allégorisme moral plus que mystique, en l'occurrence ; mais le processus intellectuel demeure le même.

Et puisque l'interprétation du conte de Psyché dans le poème de Marino nous a suggéré un détour du côté d'Adonis, nous ajouterons à la liste des ouvrages et des passages cités un texte qui entretient des rapports sinon de paternité, de parrainage du moins ou d'influence diffuse avec les trois œuvres de La Fontaine dont nous traitons : Le Songe de Poliphile (1546), traduction française de l'Hypneromachia Poliphili attribué à Francesco Colonna (1499)17. On y découvre les pérégrinations du héros parti en songe à la recherche de Polia dans un paysage semé de ruines, de décors et de jardins qui le conduisaient vers le temple de Vénus et le jardin d'Adonis, où lui et sa belle retrouvée se conteront leurs « étranges aventures et divers succès de leurs amours »18. Ce récit initiatique d'un cheminement qui conduit au dévoilement des mystères d'amour emprunte la forme du songe énigmatique que La Fontaine imitera dans Le Songe de Vaux. Il décalque avant Les Amours de Psyché l'alternance de bonheur et de tribulations qu'avait connue l'héroïne d'Apulée, entre le locus amœnus figuré par le palais de Cupidon et le locus terribilis où la conduit la fureur de Vénus : Poliphile de même traverse successivement des lieux de délices et d'épreuves. Enfin, modulation de cette alternance de lieux heureux et terribles, sa conversation amoureuse avec Polia a pour cadre un jardin qui sert de sépulture au malheureux Adonis, dont le tombeau retrace les scènes du destin contrasté et prématurément brisé. Le caractère allégorique de l'ouvrage, que La Fontaine put admirer tout orné de ses illustrations sur bois élégantes et mystérieuses, confirme quel climat initiatique propice à une herméneutique raffinée enveloppait les thèmes et les formes choisis par notre poète pour ses ouvrages galants. Quel qu'ait été le parti tiré par lui de cet arrière-plan, rien ne permet de croire qu'il ait ignoré l'interprétation mythographique des amours de Vénus et Adonis comme emblème de l'impossible alliance entre le corps mortel et l'âme éternelle19, le décryptage des amours de Psyché et Cupidon comme allégorie des tribulations de l'âme en quête de l'immortalité, la signification du songe énigmatique comme modèle d'initiation à la contemplation de l'Amour mystique.

Reste la désinvolture aimable avec laquelle il ravale l'allégorie au rang d'énigme amoureuse sur l'identité d'Aminte. Reste la préférence accordée dans Adonis comme dans Psyché à l'évocation des plaisirs sensuels ou des souffrances amoureuses au détriment des méditations sur les tribulations et les extases mystiques de l'âme incarnée : ce qui nous suggérerait d'y lire plus volontiers un adieu allégorique à l'allégorisme qu'une allégeance dévote.

 

Le bouclier d'Achille

Ut pictura poesis erit
Horace, Art poétique, v. 361

 

D'autant qu'il existe d'autres témoignages de telle mécréance en son temps. Perrault, à la fin du siècle il est vrai, formulera sans ambages son refus d'allégoriser la fable de Psyché :

À l'égard de la morale cachée dans la fable de Psyché, fable en elle-même très agréable et très ingénieuse, je la comparerai avec celle de Peau d'Âne quand je la saurai, mais jusqu'ici je n'ai pu la deviner. Je sais bien que Psyché signifie l'âme ; mais je ne comprends point ce qu'il faut entendre par l'Amour qui est amoureux de Psyché, c'est-à-dire de l'Âme, et encore moins ce qu'on ajoute, que Psyché devait être heureuse, tant qu'elle ne connaîtrait point celui dont elle était aimée, qui était l'Amour, mais qu'elle serait très malheureuse dès le moment qu'elle viendrait à le connaître : voilà pour moi une énigme impénétrable. Tout ce qu'on peut dire, c'est que cette Fable de même que la plupart de celles qui nous restent des Anciens n'ont été faites que pour plaire sans égards aux bonnes mœurs qu'ils négligeaient beaucoup20.

Ce radicalisme s'éclaire dans le contexte de la querelle entre Anciens et Modernes, et particulièrement si l'on rapproche ce texte de la promenade versaillaise qui sert de cadre, sous la plume du même auteur, au second Dialogue du Parallèle des anciens et des modernes, intitulé « En ce qui concerne l'Architecture, la Sculpture et le décor »21. Perrault n'y refuse pas le parti allégorique retenu pour l'ornementation des salles du Grand Appartement, vouées chacune à une divinité de l'Olympe ; il en décrypte volontiers le sens transparent, et s'en accommode fort bien. Il accepte en somme que l'on use des acteurs et des scènes de la Fable comme d'un alphabet iconologique, mais nie la leçon sacrée que l'on prétend tirer de leur cohérence restituée au mépris de l'évidence et de la raison22. Il veut bien considérer les fables antiques comme des images ; non comme des icônes. Ornementales, certes ; nullement sapientiales.

Pour les Modernes comme lui, le vieux répertoire de ces légendes plaisantes, de ces mythes pittoresques et décoratifs, saura plaire au goût moderne pourvu seulement qu'on les y adapte quelque peu : optique tout esthétique. Et c'est en effet un souci esthétique, seulement esthétique, que manifeste La Fontaine dans sa préface aux Amours de Psyché qu'il livre au public de 1669 en souhaitant, dit-il, avoir trouvé le ton juste pour en faire agréer le récit renouvelé par lui. C'est la même préoccupation qu'il avoue dans l'Avertissement d'Adonis : préoccupation de poète et de poéticien, nullement de moraliste ou d'herméneute. Mais quoi, rien de plus profond, de plus consistant, de plus solide, dira-t-on ? Que si. Mais lorsqu'il en est question, voici à quoi se résume cette « solidité » :

Assez d'autres fautes me seront reprochées sans doute ; j'en demeurerai d'accord, et ne prétends pas que mon ouvrage soit accompli : j'ai tâché seulement de faire en sorte qu'il plût, et que même on y trouvât du solide aussi bien que de l'agréable. C'est pour cela que j'y ai enchâssé des vers en beaucoup d'endroits, et quelques autres enrichissements, comme le voyage des quatre amis, leur dialogue touchant la compassion et le rire, la description des enfers, celle d'une partie de Versailles23.

Le solide ? L'ornementation poétique du récit par le prosimètre, les réflexions poéticiennes des devisants sur l'effet esthétique de l'ouvrage, l'évocation des enfers en style soutenu, voire noble, et la description de Versailles, contrepoint « réaliste » aux fantasmagories du palais de Cupidon. Rien de moral, rien de philosophique, rien de symbolique, rien de métaphysique. Point de vue tout « formaliste », dirions-nous aujourd'hui.

C'est qu'à dire vrai le ver du soupçon était dans le fruit allégorique dès l'origine. Non dans le principe du décryptage herméneutique, ni même dans le parti pris réducteur et anachronique de lire toute la Fable à la lumière seule de la Bible. La faiblesse de l'allégorisme nous semble bien plutôt tenir à son commerce étroit avec l'image qui lui sert de matière, de support et de ressort : l'image, que la raison classique juge incertaine, ambiguë, inquiétante — car séduisante. De fait, la virtuosité et le charme de la représentation menacent toujours d'annihiler le mouvement de plongée vers le fond obscur des choses, en retenant et fixant l'attention fascinée sur le seuil coloré de la fiction. Le pacte conclu à mainte reprise par la Fable avec l'ecphrase des rhéteurs pour donner chair et couleur à la fable mythologique accroît le risque de cet abandon du mécanisme herméneutique au profit de la seule délectation par l'image. Or l'on constate que les trois ouvrages de La Fontaine dont nous traitons s'inscrivent par leur date, leur forme et leur objet dans le contexte d'une réflexion effervescente sur les relations entre la peinture et la poésie, sur « les puissances de l'image »24 : le paragone des fées réunies à Vaux traite d'ailleurs le sujet à son tour et à sa façon. Qui plus est, les trois fragments principaux du Songe de Vaux publiés par le poète de son vivant paraissent la même année que le recueil des Poésies diverses. Dédié à M. le Prince de Conti (1671) où La Fontaine fait aussi figurer deux autres poèmes consacrés aux rapports entre peinture et poésie : La Peinture poétique des tableaux de miniature de M. Quinot faits par Joseph de Werner et les Descriptions des différentes divinités tirées du Poème de la Peinture de M. Perrault25. Quinot et Perrault sont tous deux des relations plus ou moins amicales de notre poète.

C'est le texte du second qui retiendra notre attention. La Peinture était parue d'original en 1668, l'année où fut aussi publié le De Arte graphica de Dufresnoy, ainsi que la traduction du même par Roger de Piles26. Un an plus tard, Molière répliquait à Perrault par son éloge de La Gloire du Val-de-Grâce27. Bref, l'évocation en vers des « tableaux de plate peinture » appartient à l'actualité de la période durant laquelle La Fontaine achève et publie Psyché et la nouvelle version d'Adonis. Qui plus est, La Peinture de Perrault constitue le premier manifeste de ses ardeurs modernes et de sa défiance envers l'allégorisation de la Fable. Il y esquisse la position et la posture développées dans le passage du Parallèle déjà évoqué par nous : la Fable sert au poème de cadre, d'ornement et d'occasion pour une diatribe contre l'usage « sérieux » que l'allégorisme traditionnel prétend en faire. Ainsi Perrault conseille-t-il à Le Brun de traiter les hauts faits du règne sans recourir à la médiation des dieux et des héros de la mythologie ni même de l'histoire antique : la Fable n'est que fiction, et l'Histoire détour28. Cette restriction radicale, appuyée de l'autorité de la Petite Académie mue elle-même par le Conseil secret du roi conduira Le Brun, comme on le sait, à abandonner dix ans plus tard le projet bien avancé de figurer Louis XIV en Hercule gaulois sur la voûte de la Galerie des glaces pour lui substituer les actuelles peintures de batailles et de scènes illustres du règne, peintes sans détour de fiction29. Voici la Fable reléguée dans l'espace de l'ornementation et du pur plaisir de la belle représentation, sans incidence sur la réalité « sérieuse ». Et pourtant ce conseil est inclus par Perrault au sein d'une œuvre littéraire saturée de mythologie. Son poème conte la naissance, sur l'Olympe après la fin du Chaos, de Poésie et de Peinture sa cadette, nymphe visitée par Apollon à qui elle présente les « neuf jeunes beautés » qui figurent les « neuf genres de la peinture ». L'ouvrage continue par une évocation prophétique de Versailles, de sa ménagerie, de ses fontaines et de la grotte de Thétis30. Cet éloge des splendeurs du palais et du jardin, postérieur au Songe de Vaux mais antérieur aux Amours de Psyché, précède aussi d'un an La Promenade de Versailles de Mlle de Scudéry31. Il annonce le Songe de Philomate de Félibien (1683) où les deux arts rivaliseront d'arguments, comme les fées de Vaux, au sein d'un songe qui aura pour cadre le jardin de Versailles, comme le débat des quatre amis dans Psyché : c'est d'ailleurs l'Amour qui viendra résoudre leur querelle. Ces rencontres nous offrent l'occasion de rappeler au passage le Songe énigmatique sur la peinture universelle publié par Hilaire Pader en 1658, au moment où la Fontaine va recevoir la commande de louer Vaux et choisira la même forme « onirique » et allégorique pour y pourvoir.

Ajoutons à cet ensemble de convergences que le poème de Perrault décrit, d'après leurs cartons sans doute, les dix tapisseries de « l'Histoire du roi », dont deux ne seront jamais tissées34. C'est un autre point commun avec les trois œuvres de La Fontaine : Adonis dont la scène centrale grouille d'acteurs et de scènes comme une tenture de chasse ; Les Amours de Psyché où sont décrites les six pièces d'une série consacrée à Cupidon dans son palais enchanté ; et les huit panneaux des « Amours de Mars et de Vénus », premier fragment publié du Songe de Vaux, où la mythologie est traitée dans un registre badin sinon familier, aux confins du burlesque et sur le mode enlevé d'une gaillardise digne des Contes. Ces diverses rencontres nous suggèrent qu'à concurrence de la Fable, les ouvrages galants de La Fontaine ont subi l'influence d'une autre tradition littéraire, esthétique et morale, moins illustre mais bien attestée : celle des galeries et cabinets d'œuvres d'art imaginaires, tissés de mots et façonnés de figures. S'y associent deux veines distinctes. L'une, d'origine sophistique, remonte à Philostrate et à ses Images traduites et annotées par Blaise de Vigenère à la fin du XVIe siècle35, source d'une tradition rhétorique, morale et esthétique illustrée par la « galeria » de Marino et le « cabinet » de Scudéry, par l'évocation de la tapisserie du déluge dans Moyse sauvé de Saint-Amant, par les Tableaux sacrés puis les Peintures spirituelles du P. Richeome ou les Peintures morales du P. Le Moyne36: dans cette même veine a été taillé le modèle de la promenade parmi les œuvres d'art d'un palais ou d'un jardin, depuis celle de Poliphile jusqu'au Songe de Vaux. L'autre veine, d'origine poétique, remonte aux célèbres descriptions d'objets imaginaires incisées dans l'épopée antique. Ainsi les armes parlantes ciselées pour quelque héros fameux par un dieu industrieux, habile à y figurer le monde en miniature : le bouclier d'Achille chez Homère, celui d'Héraklès chez le pseudo-Hésiode, celui d'Énée chez Virgile37. L'une et l'autre tradition fusionnent dans le creuset de l'ecphrase38, figure emblématique de la confusion entre le verbe et l'image.

Exemple illustre et prototype de la seconde veine, le bouclier d'Achille offre conjointement le spectacle de la fabrique artisanale de l'objet héroïque par Héphaïstos et l'évocation poétique du monde vivant par Homère : la duplicité de l'ecphrase s'y trouve ainsi explicitée, déployée dans sa double nature, mécanicienne et magicienne, laborieuse et illusionniste39. Circonscrit dans le cercle frontalier du fleuve Océan qui le borde, le monde du bouclier, à la fois réel et figuré, totalité et miniature, suppose que le contemplateur s'absente du monde pour saisir cet objet qui ne peut y avoir sa place, puisqu'à la fois il est le monde et en fait partie — position intenable, aporistique, quand on la rapporte à la réalité, mais emblématique de l'activité de l'artiste. Nous y lisons que le détour par la fabrique, la miniature et l'artifice fictionnel offre au lecteur le monde, le monde réel, sa genèse et son achèvement, son principe et sa diversité, pour prix de cette traverse par la fiction. Et c'est ce retrait provisoire hors de toute réalité contextuelle, cette suspension, cette époché esthétique, qui permet au lecteur de participer sur le mode du plaisir et de la vérité à la réalité universelle, tout entière saisie et circonscrite. Devant un tel spectacle, reste-t-il à l'esprit, tout entier sollicité par la virtuosité de l'exacte superposition des deux représentations, assez de liberté et de vigueur pour requérir le surplus d'un sens allégorique caché sous l'artifice ? On en doute… Ainsi se définit un autre régime d'accès au sens que celui de l'allégorie, de son cryptage et de son décryptage : un régime de la jouissance et de la participation par le biais du détour et de l'absence. Autant dire par le biais de la fascination ou du songe, du « charme qui rend l'âme captive »40 — et en même temps par l'entremise de la facticité avouée, de l'artifice ostensible. Revenons à La Fontaine : la scène qui ouvre Le Songe de Vaux participe à l'évidence de ce modèle. Les Songes y agissent en artisans, au sein du palais du Sommeil, pour composer en toute facticité avouée des images qui, dans la suite du texte, offriront avec une évidence, une énargeïa « immédiates », le spectacle de Vaux achevé, ou plutôt l'équivalent émotionnel de la jouissance que devrait un jour procurer son édification accomplie41.

La concurrence exercée par ce modèle esthétique sur le régime de l'interprétation allégorique des Fables nous paraît en mesure d'expliquer une tendance persistante à la déviation et même, au XVIIe siècle, à l'exténuation de l'ambition herméneutique, épuisée par la consommation immédiate, sensorielle et sensuelle de l'image, qu'illustre avec une particulière acuité le cas de l'ecphrase. Par pente naturelle, le lecteur tend à substituer au décryptage initiatique et psychagogique du mythe la pure jouissance de la représentation, à se contenter de savourer la virtuosité avec laquelle la feinte réussit à se faire accréditer pour vérité. Il n'est que de revenir au Poliphile : superbement illustré, tissé d'images offertes à la rêverie du lecteur, n'épuise-t-il pas l'essentiel de l'intérêt et de l'attention par leur profusion et leur effusion, au détriment de leur portée symbolique et philosophique ? Nous paraît en témoigner, en tout cas, le champ de son influence qui s'exerça si fortement sur les arts d'ornement, sur l'architecture paysagère, sur l'estampe et la gravure, et par ce biais sur l'histoire de la sensibilité42, plus sans doute que par sa signification ésotérique, dégradée peu à peu et disséminée dans la fragmentation d'une grammaire décorative43. Un exemple significatif : la descente du héros aux enfers, motif attendu d'une initiation, s'y effectue par la médiation figurée d'une vaste fresque de mosaïques44. Comment une telle ostentation de la figuration plastique n'inviterait-elle pas à reléguer le décryptage symbolique et allégorique au profit de sa consommation immédiate dans un plaisir esthétique et sensible ? L'usage d'un tel procédé y incite : on croirait volontiers d'une suggestion (parmi bien d'autres incisées dans le livre) sur le mode de lecture et de délectation qu'il recommande — autrement dit une démonstration figurée de l'efficacité que possède l'ecphrase parfaitement accomplie. Le narrateur, en effet, souligne l'intensité de la frayeur suscitée par ce détour imagé :

Ce tourment excessif, et ce malencontreux Enfer, était tant bien représenté en peinture, que ceux qui s'amusaient à le contempler, tombaient en horreur merveilleuse45.

Comme si la médiation affichée de l'artifice esthétique, au lieu de modérer l'intensité de l'émotion, précipitait paradoxalement l'imprudent contemplateur dans une horreur d'autant plus totale, car sans repère ni recours possible à l'action ou la fuite : c'est proprement l'effet du cauchemar, qui amplifie les frayeurs et les souffrances comme le rêve heureux les jouissances. Vertu én[a]rgique du songe — et illustration du principe de l'« époché esthétique » dont nous parlions…

Pour comprendre la parenté de ce régime original de l'image poétique avec celui de l'allégorie, plus traditionnel ; pour concevoir comment de l'une a pu se dégager l'autre par déviation et subversion, il n'est que de lire sous la plume de l'abbé d'Aubignac, en 1659, cette définition, toute traditionnelle au demeurant, de l'allégorie comme un art « qui sait peindre la raison, et philosopher par signes, qui rend les pensées corporelles et contraint les plus spirituelles d'entrer en commerce avec les sens »46: à tant vouloir incarner l'esprit, comment s'étonner qu'il ait fini par succomber aux tentations du sensible ?

 

Des marbres pitoyables

Ce piteux cas était si vivement représenté de sculpture,
qu'en le regardant force fut que les grosses larmes tombassent de mes yeux.
Le Songe de Poliphile, I, XXIV

 

La terreur que suscite un enfer de mosaïque nous préserve d'être autrement surpris par les larmes que peut faire couler un deuil de marbre : c'est le même régime de l'émotion. Devant le bas-relief sculpté figurant la mort d'Adonis, Poliphile s'avoue bouleversé :

Ce piteux cas était si vivement représenté de sculpture, qu'en le regardant force fut que les grosses larmes tombassent de mes yeux47.

Quel raffinement, de nouveau, dans cette technologie de l'émotion, dans cet usage du détour par l'imitation sculpturale et ecphrastique ! À n'en pas douter, l'affect déclenché dans la sensibilité du personnage par l'illusion artistique invite le lecteur à transposer sur sa propre perception du texte cette efficace de la médiation. Sous la juridiction d'une esthétique de la reproduction et de la transposition s'esquisse, au service apparemment de la logique allégorique, mais aussi en rivalité sourde avec elle, le principe d'une consommation immédiate des affects par l'interposition avouée de l'image, médiatrice de volupté grâce à sa fictivité ostensible. N'est-ce pas l'effet de l'entour critique et affectif dont la fiction des quatre amis déambulant dans Versailles enveloppe le récit de Psyché pour le ponctuer de leurs réactions émotionnelles immédiates et de leurs commentaires distancés ? L'acte d'écriture et, en l'occurrence, de lecture publique s'y présente comme une transposition nécessaire dans l'artifice esthétique et technique pour déclencher une émotion plus immédiate et plus profonde : l'ostentation de l'artifice provoque l'intensification des affects, telle semble être la règle implicite de ces emblèmes.

Comme si l'énergie conférée à l'image concurrençait le mécanisme de l'allégorie au sein même de son processus. La conception allégorique de l'œuvre d'art supposait l'accès à une signification secrète par le détour et en transparence de la fiction illusionniste. Mais que devient-elle lorsque le poète, comme La Fontaine, cède à l'enchantement de l'image, à l'enchantement dans l'image ? Dès lors, le phénomène s'inverse : la volupté que sécrète la représentation figurée fait sourdre de toute réalité transmuée en image une jouissance des sens et de l'esprit qui constitue peut-être le plus haut sens accessible à l'humaine nature. Conception moins abstraite et intellectuelle que celle de l'idéalisme allégorique : le plaisir des sens fait ici part égale avec l'esprit dans la délivrance du Sens. On comprend le choix du songe pour creuset de cette fusion : non pas le songe mystique, prophétique ou philosophique, mais le songe poétique qui s'entend à muer la réalité en images ectoplasmatiques dont jaillissent, plus vives et mordantes que du réel, les émotions suscitées par cette transmutation. Vaux brille de tous les feux de cette alchimie dans la vision qu'en propose La Fontaine enchanté par l'industrie des acolytes zélés du Sommeil :

Des merveilles de Vaux ils m'offrirent l'image48.

On entendrait volontiers que le détour par l'image garantit à la réalité de Vaux l'éclat du merveilleux et la vertu d'émerveiller. Ce détour, analogue ou pour mieux dire homologue de celui que la poésie impose à l'œuvre des architectes, des peintres et des jardiniers de Fouquet, rapporte en somme le plaisir suscité chez ses visiteurs par le domaine de Vaux, le vrai, à la jouissance que provoque, pour le lecteur de l'éloge poétique tressé par La Fontaine, sa transmutation en féerie onirique. Rien là que de commun, d'ailleurs. La Poétique d'Aristote avait de longtemps reconnu et légitimé le détour par l'imitation pour source majeure de la jouissance esthétique49. Et Perrault, refusant la lecture allégorique de la fable de Psyché, substituait pertinemment à cette légitimation celle du plaisir : « cette fable, de même que la plupart de celles qui nous restent des Anciens, n'ont été faites que pour plaire… »50

Mais encore ajoutait-il : « …plaire, sans égard aux bonnes mœurs qu'ils négligeaient beaucoup. » Il n'est pas certain que le principe de la délectation ecphrastique exclue par nature le souci d'instruire spontanément associé (depuis Horace, cette fois) à celui de plaire. Entre l'orthodoxie allégorique de Fulgence et le radicalisme iconoclaste de Perrault, Chapelain avait suggéré une posture intermédiaire, et l'avait fait en l'appuyant sur l'exemple hautement significatif pour nous des apologues ésopiques.

L'allégorie donc de la commune opinion des bons esprits fait partie de l'idée du poème et est le second fruit que l'on peut en retirer. Or, comme il arrive qu'elle soit le plus souvent incompatible avec le véritable succès des choses, les poètes obligés à l'y faire entrer se résoudront toujours plutôt à fausser la vérité laquelle n'est en leurs ouvrages que par accident qu'à laisser l'allégorie, qui y doit être par nature. De quoi nous avons une notable preuve dans les fables qu'Ésope a données à son pays. Ont-elles aucune vraisemblance, non pas seulement vérité, pour ce qui est des arraisonnements, paroles, subtilités, prévoyances et autres choses qu'il attribue à ses animaux ? et néanmoins elles ont passé jusqu'à nous avec un applaudissement général du monde, qui lisant la fable va soudain à son sens, c'est-à-dire à l'autre espèce désignée, appliquant utilement ce qu'il a dit d'une impossible à une possible, sans s'amuser à en examiner la possibilité, comme pour nous avertir plus clairement qu'aux autres fables (j'entends poésies ordonnées et plus proches de nous que celles-là) laissant l'examen de la vérité comme chose indifférente, il importe seulement de regarder si le profit recherché s'y rencontre51.

La « petite fable » vient ici au secours d'une évaluation de la grande — de la « Fable ». Pour Chapelain, toute œuvre d'art est « par nature » allégorique. Si bien que l'invraisemblance de la fiction nécessaire à en esquisser le profitable enseignement est légitimée par la vérité au service de laquelle est enrôlée son imagerie parfois incroyable. Ainsi des fables d'Ésope, invraisemblables mais crédibles, car véritables. La Fontaine n'eût pas contredit à cette analyse. Nous avons longuement tenté, naguère, de montrer comment il approfondit et renouvela la vérité morale des Fables, en faisant jaillir de leur invraisemblance une énergie et un effet de réalité supérieurs à ceux d'une fiction plus crédible52. Au sein de l'écart, du « jeu » un peu schématique entre la vérité de fond et l'invraisemblance d'aspect qui caractérisait l'apologue ésopique, la fable lafontainienne dégage désormais sa signification, pour partie inédite, de l'effet de réalité produit, paradoxe de l'image, par les hybrides mi-humains mi-animaux, ni humains ni animaux, qui en peuplent la scène onirique. Le décalage induit par ces mufles parlants confère aux comportements et aux sentiments qu'ils figurent, à la faveur de ce détour par une improbable « réalité » digne seulement du rêve ou du cauchemar, une véracité incisive et révélatrice comme celle des songes. Enveloppant les préceptes naïfs et souvent contradictoires de la sagesse des nations récitée par le bon Ésope, une vision morale nouvelle, moins prescriptive que descriptive, se déduit de cette traverse par la fiction, de cet échappée rêveuse. Quel en est le propos et quelle en est l'assise ? Oscillant entre l'acuité de l'observation et la dérive enchanteresse du songe, cette philosophie poétique épanouie au cœur d'une délectation par les images d'un rêve éveillé, propose pour leçon la plus utile à l'humaine condition une sagesse de la délectation : cette délectation même que procure le songe au rêveur vigilant, capable de contempler, de connaître et de conjurer dans la distance apaisée de ces fictions instructives le cauchemar de la réalité. Songe vigilant, la fable déduit sa sagesse morale du parti esthétique requis par son récit. Le régime allégorique de la signification qui œuvrait dans l'apologue ésopique a laissé place ici au processus inédit d'une émergence du sens au cœur et à la faveur de l'infusion délectable des images dans l'âme songeuse.

Revenons aux ouvrages de la période « galante ». Entre l'interprétation allégorique des mythes qui les fondent et la réduction de ces récits fabuleux à une pure fonction ornementale et pittoresque, entre l'herméneutique généreuse de Fulgence et la déréliction narquoise de Perrault, La Fontaine n'aurait-il pas dans ces textes aussi assigné à l'image onirique, mythique ou féerique un régime de signification « immanent », analogue à celui de ses apologues ? La question revient en somme à se demander si le plaisir de l'image s'y conjugue avec la constitution du sens dans un rapport aussi étroit que l'avers et le revers d'une médaille ; bref, si la signification morale y procède du parti esthétique, et réciproquement.

 

Le peuple des songes

Tout ce peuple obéit sans tarder davantage :
Des merveilles de Vaux ils m'offrirent l'image.
Le Songe de Vaux, I

 

Les trois œuvres dont nous traitons sont en tout cas marquées par une effervescence de l'image, une constance de sa médiation et des effets combinés d'écart, de détour et d'artifice que son usage y provoque. La scène imitée d'Ovide par laquelle s'ouvre Le Songe de Vaux, déjà évoquée plus haut, constitue un emblème de cette esthétique : l'action des Songes fabriquant pour le dormeur (et pour son lecteur) une version onirique de Vaux, représente en même temps qu'elle le réalise en acte cet accès médiat aux choses par l'interposition de l'image. S'y accomplit ainsi le détournement fondamental qu'opère La Fontaine par rapport au projet banal de composer une simple description et un éloge attendu du domaine de Fouquet : le poète choisit de produire un équivalent fictif et poétique, fragmenté en tableaux oniriques, de l'émerveillement suscité par la féerie des lieux, plutôt qu'un décalque de leur réalité. Il évite ainsi de tomber dans le piège de la plate copie et du dithyrambe enflé. Dans le panneau aussi de l'évocation éphémère :

Comme les jardins de Vaux étaient tout nouveau plantés, je ne les pouvais décrire en cet état, à moins que je n'en donnasse une idée peu agréable, et qui, au bout de vingt ans, aurait été sans doute peu ressemblante. Il fallait donc prévenir le temps53.

Bref, armé des dessins préparatoires à l'édification du domaine (« lesquels Silvestre m'avait montrés », précise-t-il54), il en vieillit l'état et l'apparence d'une décennie ou deux. On ne saurait mieux contourner la réalité du présent à la faveur d'une image (d'architecte) et au profit d'une autre (de prophète — c'est-à-dire de poète). Ajoutons que toute la fiction féerique qui aurait cousu ces tableautins si l'ouvrage avait été achevé, devait pivoter autour d'un écrin clos orné du portrait d'Alcandre — autour d'une image, donc55. C'est cette image qui eût constitué le prix du paragone des fées, combat d'images, verbales et picturales, entre les arts de l'image, Architecture monumentale et paysagiste, Peinture et Poésie, dans le but de déterminer laquelle de ces ingénieries imagières procure le plaisir le plus intense :

En est-il de plus grande, étant tout bien pesé,
Que celle par qui l'œil est sans cesse abusé ?56 

plaide de façon significative Apellanire. On ne saurait mieux proclamer le génie de l'artifice57.

Antérieur au Songe de quelques années, le poème d'Adonis laisse deviner dans le tissage de son propos contrasté la transition entre une herméneutique encore allégorique et ce nouveau régime de l'image savourée pour elle-même, épuisant en elle-même, dans la seule délectation de l'illusion, la signification du poème58. Épique, la chasse au sanglier qui en occupe la partie centrale invite au décryptage symbolique : le monstre mortifère et fangeux y fait un double assez clairement allégorique du héros pur et lumineux dont il menace de ravager et de souiller la retraite idyllique et édénique59. Vénus certes n'a croqué nulle pomme pour que les amants méritent cela. Mais son immortalité l'a requise sur l'Olympe, tandis que son mortel amant s'exposait pour défendre le bucolique séjour de leurs amours : sans doute, la valeur symbolique de la trame fabuleuse invite à une « moralisation » du récit. Et La Fontaine semble y avoir en un premier temps consenti et acquiescé. Il a ménagé alors des contrepoints si appuyés entre les deux domaines, entre les deux acteurs, l'un hybride de bête et de démon, l'autre d'homme et de dieu, qu'on peut avec quelque justification prêter une intention herméneutique à sa version initiale du mythe.

Reste qu'une autre économie de l'image s'esquisse dans l'entour idyllique puis élégiaque qui fait un cadre galant à la tuerie héroïque : les scènes d'amour se déploient dans une esthétique de l'image peinte, de l'ecphrase enchantée et fascinante, sans autre finalité que sa propre saveur, invitant l'œil à en épouser la délicate représentation plutôt qu'à en perforer la toile pour en extraire une signification latente. Elle semble décrire un tableau, une gravure, un dessin, cette image d'Adonis « près des bords d'un ruisseau, couché sur des gazons, rêv[ant] au bruit de l'eau »60. Croirait-on pas de Narcisse peint par Poussin ? Et le portrait de Vénus, à qui ne manque « ni les lis, ni les roses », source d'un « charme secret dont l'œil est enchanté », ne semble-t-il pas l'effet du pinceau autant que de la plume61? Il nous paraît en tout cas emblématique que Vénus succombe à l'image qu'on lui trace du jeune homme, avant même de l'avoir jamais vu. Cet amour surgi par médiation de la Renommée, on en fait certes la fréquente rencontre dans la pastorale et le roman ; mais du moins n'appartient-il pas au modèle ovidien. Il témoigne par la manière personnelle dont le poète le traite, d'une confiance faite à l'image pour fasciner à distance et par détour de parole, autant et plus sensiblement encore que ne l'eût fait la présence de l'être aimé. Voici donc la déesse séduite par le « charmant récit » qu'on lui fait : « charme » mêle ici le souvenir de son étymologie (carmina — le poème versifié) et de son acception ésotérique (l'enchantement magicien). La voici surtout ravie par une image sensible qui vaut toute présence réelle :

L'image du héros, qu'elle a toujours présente,
Verse au fond de son âme une ardeur violente62.

Image particulièrement « én[a]rgique », celle d'un être que l'on n'a jamais vu et dont l'évocation verbale suffit à vous rendre malade d'amour. La rencontre effective avec Adonis ne sera donc pas pour la déesse la cause immédiate de sa passion, mais la suite seulement et la conséquence de celle qu'a allumée dans son cœur l'énergie d'un récit charmeur, d'une image toute-puissante.

Au lieu d'une méditation sur l'impossible alliance du corps et de l'âme, sur la nécessaire séparation entre la dépouille mortelle et le principe éternel qu'elle avait accueilli pour l'éphémère durée du séjour terrestre, la déploration de Vénus sur le cadavre de son amant, à l'autre extrémité de l'œuvre, prend pour sa part le tour d'une scène pathétique et galante, ornée de cette forme de détour verbal que constitue le concetto : Vénus se plaint d'être immortelle pour ne pouvoir suivre dans la tombe le mortel objet de sa flamme ; elle lui reproche la cruauté de l'avoir quittée, de ne pas ouvrir ses yeux à jamais fermés pour voir « de quelles douleurs son amante est atteinte » ; les rochers en quittent leur dureté pour répandre des larmes…63 Sans atteindre au burlesque léger, à l'enjouement désinvolte et délicieusement irrévérencieux qui fera le charme de Psyché, le poème use ici de traits qui, à l'instar de l'image, dévient la parole de son sens immédiat et banal pour suggérer par détour au lecteur la signification souhaitée, pour susciter l'émotion par la traverse du jeu d'esprit et de mots. Le concettisme constitue la première forme encore malhabile d'une économie du décalage intérieur à la trame verbale, propice à l'épanouissement de l'émotion par le truchement ostensible de la parole ornée avouant sa facticité. La conversion de La Fontaine à l'esthétique « galante » parachèvera cette évolution esthétique,et rejaillira sur la conception nouvelle qu'en 1669 il se fera de son poème. Nous voulons pour signe de ce changement d'optiqueune variante des tout premiers vers. En 1658, le poème était encore présenté à Fouquet comme une pièce héroïque, une épopée cynégétique inscrite dans un simple sertissage idyllique :

Que l'on n'attende pas que je chante en ces vers
Rome ni ses enfants vainqueurs de l'Univers,
Ni les fameuses tours qu'Hector ne put défendre,
Ni ses membres épars sur les bords du Scamandre.
Ce sujets sont trop hauts, et je manque de voix :
Je n'ai jamais chanté que l'ombrage des bois,
Flore, Écho, les Zéphyrs, et leurs molles haleines,
Le vers tapis des prés et l'argent des fontaines.
Cependant aujourd'hui ma voix veut s'élever :
Dans un plus noble champ je me vais éprouver ;
D'ornements précieux ma Muse s'est parée ;
J'entreprends de chanter l'amant de Cythérée,
Adonis, dont la vie eut des charmes si courts…64

Dans cette version, la restriction modeste sur les talents seulement bucoliques du poète prélude à une palinodie : le chantre des bois et des zéphyrs abandonne sa flûte pour la lyre épique — le combat d'Adonis contre les monstres vaut bien celui des enfants de Troie et de Rome. Et l'épopée appelle naturellement une interprétation allégorique : elle est de tous les genres littéraires le plus propice à cette herméneutique. Mais en 1669, quand Adonis pour la première fois imprimé fait belle escorte aux Amours de Psyché, une variante discrète métamorphose la portée des mêmes vers :

Je n'ai pas entrepris de chanter en ces vers
Rome ni ses enfants vainqueurs de l'Univers,
Ni les fameuses tours qu'Hector ne put défendre,
Ni les combats de dieux aux rives du Scamandre.
Ce sujets sont trop hauts, et je manque de voix :
Je n'ai jamais chanté que l'ombrage des bois,
Flore, Écho, les Zéphyrs, et leurs molles haleines,
Le vers tapis des prés et l'argent des fontaines.
C'est parmi les forêts qu'a vécu mon héros,
C'est dans les bois qu'Amour à troublé son repos.
Ma Muse en sa faveur de myrte s'est parée ;
J'ai voulu célébrer
l'amant de Cythérée,
Adonis, dont la vie eut des termes si courts…65

Le myrte, emblème de Vénus, remplace le laurier épique : c'est dans la veine bucolique de son talent que La Fontaine inscrit désormais ce récit d'amours pastorales. En conséquence, la chasse au sanglier n'apparaît plus comme l'intrusion inopinée du chant épique dans le concert champêtre que constitue l'œuvre antérieur du poète. Mais comme le prolongement des évocations bocagères et forestières propres à cette inspiration. Ce glissement retire beaucoup de crédit à l'hypothèse d'une interprétation allégorique du texte, en opérant de manière liminaire et emblématique l'entrée d'Adonis dans la sphère galante du cycle vénusien, régi par l'esthétique du décalage et du détour tempérés, par le régime de l'image enchanteresse, délicatement factice et habile à jouer de cette facticité pour aiguiser son charme, exciter l'imagination et susciter l'émotion sensible et sensuelle.

Au reste, le lien entretenu par les trois ouvrages avec l'illustration et d'une façon générale avec l'esthétique « iconographique », pour le dire ainsi, confirme cette inflexion. Ces textes surgissent d'un musée imaginaire auquel ils ajoutent une salle nouvelle ornée de tableaux, de fontaines, de tapisseries, de sculptures, œuvres d'art réelles ou vraisemblables — dans les deux cas, « imitées ». Suscités par l'image, celle des illustrations, estampes, gravures ou plans d'architecte redoublant les domaines de Vaux ou de Versailles, celle aussi des œuvres figuratives rencontrées au cours de la déambulation dans les salons, les galeries et les allées de ces vivants musées, ils mêlent avec la suprême désinvolture de la fiction la représentation de la réalité présente, passée ou à venir, les tableaux chimériques du songe et les inventions du conte. Le livre même se fait objet et support d'images : la calligraphie ornée d'Adonis, celle qui eût honoré Le Songe de Vaux achevé, le manuscrit (fictif) de Psyché lu par Poliphile à ses amis, s'ajoutent au mouvement des variantes éditoriales, à la redondance de l'illustration, à la dynamique de la fragmentation et de l'inachèvement, pour brouiller plus encore l'étagement des strates, engager la lecture dans la vibration sensorielle d'un émerveillement par l'image se donnant pour telle, et d'autant plus merveilleuse et touchante. Le caractère onirique que le modèle latent ou patent du « songe poétique » confère aux trois œuvres ajoute à ces effets et renchérit de manière particulièrement heureuse sur les formes complémentaires d'enchantement de l'image, de délectation par l'image que nous avons déjà signalées : la fascination de l'illusion et la distance de l'artifice, composantes contradictoires associées par l'ecphrase, garantes du plaisir et de l'émotion que figuraient les « grosses larmes » de Poliphile attendri par la mort d'un Adonis de marbre.

Les médiations multiples et croisées qu'introduit cette « esthétique de l'iconographie » se répercutent dans l'écriture proprement dite de ces textes ; une écriture caractérisée par une véritable stratégie du décalage et du détour favorisant l'ostentation de l'artifice littéraire :

— décalages génétiques : sources et modèles affleurent à la surface du texte comme autant d'allusions à sa facture composite et dérivée, depuis le nom de Poliphile emprunté à Colonna jusqu'à l'allusion (le Saumon et l'Esturgeon de Vaux66 évoquent la Carpe et le Brochet de Voiture67) et au pastiche (Arma virumque cano Trojæ qui primus ab oris/ Italiam fato profugus Laviniaque venit Litora…68 Je n'ai pas entrepris de chanter dans ces vers Rome ni ses enfants vainqueurs de l'univers/ Ni les fameuses tours qu'Hector ne put défendre…) ;

— décalages génériques : le conte mythologique ou féerique, le songe, l'énigme, l'entretien académique et la promenade dans un palais ou un jardin constituent autant de genres « ostensibles », interposant leur convention indiscrète entre la parole jaillissante et sa réception, favorisant les intrusions du narrateur propices à maintenir sans cesse la distance avec le récit ;

— décalages structurels : la composition par encadrement (Adonis, Psyché), l'inclusion d'un discours critique dans le texte poétique, au seuil de la fiction (le proème d'Adonis), à son pourtour (le débat des quatre amis de Psyché) ou en son sein (le paragone du Songe de Vaux), la mise en scène de la fabrique (fragment I du Songe de Vaux) ou de la réception (lecture de Psyché par Poliphile), la médiation d'un manuscrit fictif lui-même dérivé d'un original ancien (d'Apulée à La Fontaine par le truchement du personnage fictif de Poliphile et ses amis) constituent autant d'ostentations de la forme au détriment de l'illusion naïve ;

— décalages stylistiques, enfin, dont nous retiendrons trois modalités exemplaires : le concettisme, qui interpose entre le mot et la chose la délectation du contournement ; le burlesque tempéré, qui superpose au détour imagé de l'allégorie mythologique le décalage contrôlé de la dérision familière ; et le prosimètre qui par l'alternance concertée des modes d'écriture attire l'attention sur les règles convenues du contrat de fiction afin de varier les modes de jouissance tirés du verbe pris pour lui-même. Ces trois techniques concourent, à la faveur de l'artifice qu'elles révèlent, à une même forme de délectation : grâce à elles, le verbe poétique, ordinairement chargé d'extraire des choses leur potentiel de jouissance, se révèle à son tour et par lui-même réceptacle et cause de plaisir, fontaine de musicalité, de couleurs et de sensualité que l'habile sourcier s'entend à faire jaillir des mots.

 

Le réveil de Montaigne

À celle fin que le dormir même ne m'échappât ainsi stupidement,
j'ai autrefois trouvé bon qu'on me le troublât pour que je l'entrevisse.
Montaigne, Essais, III, XIII

 

Dans Les Amours de Psyché, la conversation des quatre amis, composée sans doute postérieurement à la rédaction du conte imité d'Apulée69, propose au lecteur une méditation suivie sur les effets et les affects provoqués par la suavité d'un récit qui invite le lecteur à des jeux constants d'accommodation entre distance et proximité immédiate. C'est très consciemment donc que l'ouvrage, organisant l'alternance entre la fascination rêveuse et la réflexion lucide, se donne pour songe éveillé, « songe vigilant »70. L'hymne à la Volupté qui le conclut parachève en alliance cette ambivalence : la volupté des choses s'y offrant à travers celle des mots, il nous suggère que le plaisir des images induit celui des réalités, que la saveur de l'objet procède de la suavité du verbe qui l'exprime. La poésie ici, avant Saint John Perse et Francis Ponge, se donne pour éloge au sens où l'entend le premier et pour change à la façon du second : le décalage et le détour par la carnation et la pulpe des mots, comme chez Ponge, nous offre avec les choses de plus étroites épousailles ; car la pellicule verbale du poème révélée dans son artifice et interposée entre l'œil et la réalité, sait envelopper de la plus attentive des caresses la surface capricieuse des objets, révélés au toucher, plus sensuel que la vue. Dès lors, le sens ambitieux de la Fable interprétée comme emblème allégorique des relations ambiguës entre l'Idée (Vénus ou Cupidon) et sa forme matérielle (Adonis ou Psyché) se métamorphose en participation immanente à l'effusion voluptueuse de deux êtres, image sensible et sensuelle d'un hédonisme rare et intense, tout-puissant et fragile, élaboré jusqu'à la sophistication et pourtant cueilli à ras de sensation.

On sait quel heureux pendant fait à l'éloge de Volupté l'évocation du soleil couchant qui le suit immédiatement dans le texte, par la bouche et l'œil d'Acante :

« Ce que vous dites est fort vrai, repartit Acante. ; mais je vous prie de considérer ce gris de lin, ce couleur d'aurore, cet orangé, et surtout ce pourpre, qui environnent le roi des astres. » En effet, il y avait très longtemps que le soir ne s'était pas trouvé si beau. Le Soleil avait pris son char le plus éclatant et ses habits les plus magnifiques.

Il semblait qu'il se fût paré
Pour plaire aux filles de Nérée ;
Dans un nuage bigarré
Il se coucha cette soirée.
L'air était peint de cent couleurs :
Jamais parterre plein de fleurs
N'eut tant de sortes de muances.
Aucune vapeur ne gâtait,
Par ses malignes influences,
Le plaisir qu'Acante goûtait.71

Ce soleil paré comme par artifice de cent couleurs aux muances bigarrées, source d'un plaisir sans mélange par le mélange magnifiquement assorti de ses teintes, fait emblème de ce que nous a appris l'école de Volupté à laquelle La Fontaine nous a conviés. L'ouvrage enseigne en effet à jouir des beautés du monde dans leur immédiate perfection, à la faveur d'un détour favorable à l'exercice contrôlé du regard et de l'oreille : celui de l'écriture. L'évocation du couchant se fait leçon de style. Ce tour tempéré combinant les muances de l'héroïque et du badin, cette alchimie d'écriture galante qui revêt de son vernis les disparates marquetées d'un texte à multiples strates et d'essences variées, voilà ce à quoi se réduisait tout le souci de La Fontaine dans la Préface du volume, voilà ce qu'à son terme figure le couchant. N'allons pas chercher la signification de cet embrasement céleste, non plus que celle des images générées par le conte, dans l'empyrée des allégories ; mais au ras du texte, dans la texture du récit. Trouver le ton juste et l'image parfaite représente l'enjeu de sagesse et d'instruction assigné par le poète à son entreprise : il s'agit d'initier son lecteur à la jouissance de la vie, des choses, par le détour de celle des mots et des images. Comme l'hymne à la Volupté dont il projette la leçon sur cette image particulièrement propre à conclure une promenade littéraire, l'éloge du couchant, prélude au sommeil pourvoyeur de rêves, suggère que la poésie est une initiation à la saveur de la réalité par le détour et l'infusion de sa représentation — comme dans le songe.

Emblème majeur de cette science savoureuse : l'image des beaux et belles endormis qui jalonnent nos trois ouvrages de leurs alanguissements propices au songe. C'est Adonis rêvant au bord de l'eau, c'est le Sommeil endormi dans son antre, environné des Songes, c'est la Nuit de Le Brun tout ensommeillée au plafond d'un salon de Vaux, c'est Aminte assoupie sous un arbre du parc, et par-dessus tout c'est le spectacle célèbre et si souvent représenté de Cupidon dormant :

Il dormait à la manière d'un dieu, c'est-à-dire profondément, penché nonchalamment sur un oreiller, un bras sur sa tête, l'autre bras tombant sur les bords du lit, couvert à demi d'un voile de gaze.72

Démarquée d'une image — dessin, gravure ou tableau, — qui féconde l'imagination sensuelle du poète, la description avoue presque cet artifice originel pour mieux susciter l'émotion : celle qui nous saisirait à la vue d'une figure peinte saisie par la vie, d'une sculpture qui respirerait. Nous proposons d'y voir le signe d'une esthétique régie par l'intuition que la facticité avouée constitue le meilleur éperon de l'émotion sensible et la forme de psychagogie la plus propre à instiller dans les âmes le culte de la Volupté. Cette esthétique suggère que l'écriture poétique tire son charme envoûtant du caractère avoué de sa nature artificielle ; le récit de Fable, de l'invraisemblance de ses actions et de leurs acteurs ; et la vérité morale, des conditions fictionnelles de son émergence. L'artifice du détour favorise l'adhésion parce qu'il dégage dans leur pureté nue la beauté et la force émotionnelle des choses : comme le rêve. La poésie offre ainsi une équivalence à cet idéal inaccessible d'un songe qui conserverait toutes les qualités de vigilance et de conscience de la veille, mises au service de l'intensité émotionnelle propre à la seule imagination nocturne, propre à l'exacerbation sensible du rêve. Montaigne qui avait entrevu et dégagé cette saveur sensuelle, cette puissance de révélation voluptueuse et hédoniste du sommeil, commandait qu'on le lui interrompît pour mieux en savourer le retour :

Les autres sentent la douceur d'un contentement et de la prospérité ; je la sens ainsi qu'eux, mais ce n'est pas en passant et glissant. Si la faut-il étudier, savourer et ruminer, pour en rendre grâces condignes à celui qui nous l'octroie. Ils jouissent les autres plaisirs comme ils font celui du sommeil, sans le connaître. À celle fin que le dormir même ne m'échappât ainsi stupidement, j'ai autrefois trouvé bon qu'on me le troublât pour que je l'entrevisse.73

Technologie encore grossière et pourtant si délicate, en quête d'un plaisir sensuel et intellectuel introuvable car sis au seuil entre deux états exclusifs l'un de l'autre, que la poésie offre le moyen de superposer, voire d'associer. C'est pourquoi elle emprunte la forme et la métaphore du songe. Comme le songe, elle est mémoire au sein de l'oubli, image colorée au sein de la nuit, présence du monde au sein de l'absence au monde, habile à extraire de tout ce qu'elle touche la saveur, le plaisir et la conscience savoureuse du plaisir. Ce que résume magnifiquement le nom de « Poliphile ».

 

Le nom de Poliphile

…On peut dire que celui-ci aimait toutes choses.
Les Amours de Psyché et de Cupidon, I

 

Cette leçon que délivre le texte dans le mouvement même de son écriture, au sein de ses images avouées dans leur artifice, à la faveur de ses décalages délicieux et subtils, sous la forme d'une délectation de lecture qui associe sans distinction ni préséance l'esthétique et l'éthique, la forme et le sens — comment en dégager, en formuler l'enseignement ? Peut-être en interrogeant le narrateur de Psyché qu'en un décalage fondateur La Fontaine a pris pour son substitut. Connoté des souvenirs oniriques et initiatiques que lui confère son homonymie avec le héros du Songe de Poliphile de Colonna, le patronyme du personnage auquel La Fontaine délègue sa parole est par lui explicité en ces termes :

Acante… aimait extrêmement les jardins, les fleurs, les ombrages. Poliphile lui ressemblait en cela ; mais on peut dire que celui-ci aimait toutes choses.74

L'hymne à la Volupté constitue donc un fidèle portrait de Poliphile par lui-même :

J'aime le jeu, l'amour, les livres, la musique,
La ville et la campagne, enfin tout ; il n'est rien
Qui ne me soit souverain bien,
Jusqu'au sombre plaisir d'un cœur mélancolique.75

Ces deux citations nous en disent assez. Le premier enseignement que délivre le personnage, c'est au décryptage de son nom qu'on le doit, ce nom qui proclame le plaisir pris aux choses, à toute chose : Poliphile ou le voluptueux, ce pourrait être un caractère à la façon de La Bruyère, et c'est la forme que revêt pour La Fontaine le « parti pris des choses ». Quant à l'adhésion personnelle et touchante du personnage au culte de la déesse Volupté, formulée dans le second passage, elle fait indice, pour sa part, de l'autre aile composant l'édifice de sagesse imaginé par le poète : l'affirmation, l'attestation, l'implication personnelles du moi de Poliphile, qui est aussi le moi de son auteur, dans cette profession de foi hédoniste, suggère que l'œuvre poétique constitue (en même temps qu'elle le figure) un modèle de subjectivation des leçons universelles et intemporelles édictées par la sagesse des nations, un guide sûr pour une édification du moi, pour une maîtrise de soi, pour une identification de soi par un mode d'adhésion personnel à la loi générale de volupté. Un guide sûr, en somme, pour une « esthétique de soi » : morale bien digne d'un poète.

Les aventures de Psyché contées par La Fontaine et Poliphile décrivent en effet une quête de soi jalonnée d'allusions et de références à des lieux communs de sagesse universelle, moins pour les révérer une fois encore que pour montrer et suggérer comment s'en emparer, les infléchir et s'infléchir à leur contact fécondant. L'apologie de la retraite, le goût pour les lieux de délectation protégés, la conscience voluptueuse des moments heureux, l'éphémérité du bonheur, le danger de la curiosité, le péril d'épuiser tous les désirs, les fureurs de l'envie, ces vieilles leçons sont rajeunies par les modulations qu'y apporte le récit, mais surtout par l'inflexion d'une adhésion personnelle, douloureuse parfois et parfois délicieuse, qu'évoque la narration fictive. Le texte ne se contente pas de transmettre une morale topique et convenue ; il ne prétend pas non plus à crypter une signification allégorique dans les replis du récit fabuleux ; il propose les modalités agréables d'une adaptation personnelle et intime à la sagesse de la volupté — « agréables », c'est-à-dire dignes d'agréer le lecteur par le plaisir d'un récit imagé et propre à faire agréer l'instruction profitable de son propos. C'est bien le rôle que jouent les quatre amis dans cette infusion conjointe du plaisir et de la sagesse : l'essentiel n'est pas qu'ils débattent des leçons suggérées par la fable, mais qu'ils illustrent et attestent par leurs réactions affectives et intellectuelles la subjectivation des effets provoqués par le récit, une fois encore narré, d'un mythe universel à la portée morale très générale. Loin de se soucier de décrypter le sens de la fable, ils en modulent et en authentifient les répercussions sur leur sensibilité propre : voilà la leçon originale que La Fontaine invite à dégager de cette réitération de lieux communs. La volupté de laisser en soi infuser la sagesse à la faveur d'un « conte de bonne femme », le plaisir d'analyser les méandres par lesquels passe notre adhésion à ces expériences intimes en parallèle avec l'expérience qu'en fait l'héroïne au cours de ses tribulations, la saveur de transfigurer le cadre de ces expériences, domaine de Versailles ou, ailleurs, domaine de Vaux, sous la forme merveilleuse du palais de l'Amour dans un cas, du royaume des Songes hanté par les Fées dans l'autre, voilà l'expérience de descente au fond de soi, aux enfers délicieux ou périlleux de la conscience de soi, que propose la poésie.

C'est ainsi que le songe constitue une figure privilégiée pour la mise en forme de ces entreprises : parce que rien n'est plus intime que le songe, la rêverie, et l'imagination leur compagne. Choisir d'évoquer Vaux enveloppé dans un rêve, c'est aussi affirmer la subjectivité du tableau que l'on en tracera : voici ma vision de Vaux, semble dire La Fontaine, conscient qu'un grand peintre ne doit pas se contenter de fournir des relevés d'architecture. De même, la leçon convenue sur l'éphémérité de l'amour qui se dégage d'Adonis tient-elle moins à la réitération des lieux communs attendus sur ce sujet qu'à la capacité par la musique des vers, l'ondulation des phrases, la tonalité élégiaque de la déploration, par son contraste brutal avec l'ardeur tonitruante du récit de chasse tumultueux et grouillant, d'esquisser la silhouette d'une douleur démunie, d'une émotion personnelle qui fait sourdre de l'immortelle et altière Vénus le lyrisme d'une confidence. Lamartine s'en souviendra, jusqu'au seuil de la citation presque, dans une œuvre aussi personnelle que « Le Lac »76. C'est de la même façon, enfin, que le ton inimitable dans lequel est formulé le récit de Psyché, à la faveur d'une esthétique du décalage, de la dissonance, de la facticité raffinée, constitue une subjectivation du mythe, une manière de le rendre plus universel encore par la touche d'intimité que le tour adopté lui confère. L'école de l'amour qui fait de Psyché, enfant gâtée un peu étourdie, une femme digne d'enfanter Volupté, ce rôle de nouvelle Agnès qui lui est attribué par la version lafontainienne du conte, en constitue la leçon originale par rapport à ses modèles77. Et l'on ne serait pas loin d'attribuer au ton de badinage affectueux adopté par le narrateur le mérite de cette vivacité, de cette vérité d'âme, de cette couleur personnelle, subjective, sensible et palpitante qui donne son prix à l'œuvre, lui confère sa dimension morale essentielle : celle d'une peinture nuancée et raffinée d'une invention de soi, d'un enfantement de soi, d'une édification de soi, dont le critère consiste dans la plus ou moins grande plénitude d'émotion, la capacité plus ou moins profonde de tirer sensation et profit voluptueux de la vie. Profond sujet de méditation que le bon usage des plaisirs… C'est une conclusion originale pour un roman d'éducation. Aussi émane-t-elle du plaisir d'écriture et de lecture que dégage le récit, qui constitue le récit.

Ainsi se conjoignent dans le personnage de Poliphile la morale voluptueuse du récit, que décrypte son nom, et la conduite du récit vers la Volupté, dont il assume la responsabilité fictive. Cette superposition fait emblème de la façon dont se constitue et émerge le sens dans l'écriture galante de La Fontaine : comme la sagesse consiste à tirer de la vie la volupté qu'elle promet, par le détour d'un apprentissage et d'une maîtrise de soi, la poésie en parallèle s'entend comme art d'extraire de toute chose, de toute expérience, la part de plaisir qu'elle recèle, par le détour de la transposition imagée que supposent la fiction narrative et l'écriture ornée. L'hymne à la Volupté qui manifeste la convergence des deux ordres, la superposition des visées esthétique et éthique de l'ouvrage, désigne les créations des poètes comme autant de ces temples que les hommes bâtirent et bâtissent à la gloire de Volupté. Le récit de Psyché conte ainsi la naissance de la jouissance poétique, la genèse de l'écriture poétique comme transposition ludique et hédoniste de la réalité et comme leçon morale et immoraliste, au delà et en deçà de toute doctrine, même épicurienne, sur l'usage des plaisirs, l'usage du monde comme source profuse de délectation, jusqu'en ses demi-teintes et ses zones d'ombre — jusqu'aux sombres plaisirs des cœurs mélancoliques. Car, de la souffrance même, la poésie prouve que l'on peut tirer jouissance et délectation : ce que s'attache à montrer et expliquer le plaidoyer d'Ariste en faveur des larmes, ce qu'illustre la seconde partie du roman consacrée aux tribulations de l'héroïne, ce qu'illustre la lamentable histoire d'Adonis. Bref, « il n'est rien qui ne [nous] soit souverain bien », à la condition d'avoir appris à en extraire le plaisir parfois — souvent — amer.

 

*     *

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Ainsi l'esthétique de l'enchantement par l'image, perturbant le mécanisme attendu du décryptage allégorique, de la quête du sens par delà les apparences séductrices de la fiction, induit-elle une forme toute particulière d'accès à la signification de l'œuvre littéraire. Modelée sur l'analyse des effets de l'ecphrase, la « révélation » attendue de la poésie prend la forme d'une participation voluptueuse à la réalité par le détour de l'image constitutive des récits de la Fable. La délectation procurée par la lecture de ces textes offre un exemple et suggère un apprentissage de cet hédonisme dont le songe fournit un équivalent assez exact : puissance de la sensation, intimité de sa manifestation, il ne manque au songe que d'être conscient et maîtrisable pour figurer parfaitement cette sagesse de l'enchantement contrôlé. La fiction littéraire y pourvoit, qui édifie comme les zélés serviteurs du dieu Sommeil dans Le Songe de Vaux des palais de rêverie à volonté, des temples dédiés à une Volupté apprivoisée et docile, qui participe à l'édification esthétique du moi. Le régime d'émergence du sens dans les poèmes dérivés de la « grande Fable », mythologique ou féerique, calque donc en l'occurrence le modèle des « petites », le modèle des apologues ésopiques revêtus par La Fontaine de la livrée des Muses78. Le « gai savoir » que l'apologue suggère pour sagesse universelle par delà les moralités explicites et disparates propres à chaque récit ; cette sagesse souriante, distancée et voluptueuse qui procède de l'expérience esthétique du charme lucide, du songe vigilant induit par le décalage animalier, les ouvrages galants la professent aussi : elle revêt l'aspect d'une esthétique et d'une éthique de la volupté, effet d'une transmutation du monde en objet de délectation à la faveur du décalage mythologique, de la forme onirique et du ton de dérision modérée qui caractérisent la mise en œuvre poétique de ces récits.

La référence à Lucrèce que représente l'hymne à la Volupté concluant Les Amours de Psyché, pourrait donc être prolongée par le rappel des vers célèbres qui ouvrent le second chant du De Rerum natura :

Suave mari magno turbantibus æquora ventis,
E terra magnum alterius spectare laborem ;
Non quia vexari quemquam est jucunda voluptas,
Sed quibus ipse malis careas quia cernere suave est.
79

La morale de ces vers conviendrait aussi bien à l'expérience de l'enchantement par l'image dont nous avons traité tout au long de notre analyse : cultiver la sensation dans le décalage, voilà une règle commune à ces deux sagesses de poètes, morale épicurienne selon Lucrèce et esthétique de la volupté selon La Fontaine. Celui-ci semble emprunter à l'épicurisme de celui-là cette intuition d'une maîtrise de l'imaginaire qui réconcilie l'homme avec la réalité — car tel est bien le secret de la délectation : trouver par le détour de l'image une forme d'harmonie avec le réel. De cette union parachevée peut naître alors l'enfant Volupté, fille de la sensualité (Cupidon) et de l'âme (Psyché) rendue sensible à elle-même, consciente d'elle-même, des limites et des pouvoirs du plaisir. Mais voici qu'à notre tour nous courons le risque de céder au démon de l'allégorie : les frêles colonnes du temple de Volupté ciselées par La Fontaine ne sauraient supporter si lourde charge.

« Les temples de Volupté. Régime de l’image et de la signification dans AdonisLe Songe de vaux et Les Amours de Psyché », Littératures classiques, n° 29, 1997, p. 181-210.

Notes 

  1. Fables choisies mises envers, éd. p. p. Jean-Pierre Collinet des Œuvres complètes, I (Fables et contes), Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1991, « Le Pâtre et le Lion, Le Lion et le Chasseur », VI, 1 & 2, v. 5-6, p. 209.
  2. Préface des Contes et Nouvelles, Première Partie (1665), éd. cit. des Œuvres complètes, p. 557.
  3. L'usage tend aujourd'hui à faire prévaloir le néologisme « décryptage » sur le vocable seul reconnu de « décryptement ». Nous ne contreviendrons pas à l'usage. Quant à déterminer si c'est une manière de « bel usage », est-il encore des Vaugelas pour en juger ?
  4. René Le Bossu, Traité du poème épique, Paris, Le Petit, 1675, 2 parties en un vol., I, ch. VI, p. 35.
  5. Jean Baudouin, Mythologie ou explication des fables. Édition nouvelle [[ avec une augmentation de plusieurs belles recherches accommodées au sujet…, Paris, P. Chevalier et S. Thiboust, 1627, p. 5. Il s'agit d'une révision de la traduction des Mythologiæ sive explicationis fabularum libri decem de Natale Conti (1568) par J. de Monlyard (1597). Voir Georges Couton, Écritures codées. Essais sur l'allégorie au XVIIe siècle, Paris, Klincksieck, « Théorie et critique à l'Âge classique », 1991, ch. IX, p. 157-159. Et Aurélia Gaillard, Fables, mythes, contes : l'esthétique de la fable et du fabuleux (1660-1724), Paris, Champion, « Lumière classique », I, ch. I, p. 53-55.
  6. Le Songe de Vaux, « Avertissement » de 1671 (dans les Fables nouvelles…). Éd. ill. p. p. Eleanor Titcomb, Genève, Droz, « Textes littéraires français », 1967 (reconstitution d'après les extraits publiés séparément : en 1665 pour le fragment IX actuel ; en 1671 pour les fragments I à III ; et en 1729 pour les autres), p. 54-55.
  7. Op. cit., second « Avertissement », éd. cit., p. 60. Sur le goût pour l'allégorie dans le milieu intellectuel et esthétique de Vaux, voir l'Introduction de cette même édition, p. 12-13.
  8. Les Amours de Psyché et de Cupidon (1669), éd. crit. p. p. Michel Jeanneret et Stephan Schœttke, Paris, LGF, « Le Livre de Poche classique », 1991.
  9. Voir l'Introduction des auteurs de l'édition citée ci-dessus, p. 15.
  10. Traduction ancienne (1734) du texte des Enarrationes allegoricæ fabularum de Fulgence (Ve-VIe s.), citée par Yves Giraud, « Un mythe lafontainien : Psyché », (Studi di leteratura francese, 1990), [in] Patrick Dandrey, La Fontaine/Œuvres galantes, Paris, Klincksieck, « Parcours critique », 1996, p. 190. Texte original des Enarrationes : éd. de Milan, V. Scinzeneler, 1498, in‑f°, III, 6.
  11. Giovanni Boccacio, Genealogia deorum gentilium, 1371. Rééd. de Venise, 1472, in‑f°, V, 22.
  12. Pedro Calderon de La Barca, Psiquis y Cupido, auto sacramentale, versions de Madrid et de Tolède (post 1653).
  13. Giambattista Marino, Adone, Paris, O. de Varenne, 1623. Chant IV, « La Noveletta », sommaire allégorisé par Lorenzo Scotto. Éd. crit. de Tutte le Opere di — p. p. Giovanni Pozzi, Milan, A. Mondadori, 1976, vol. II, 1 et 2 (II, 1, p. 187).
  14. Voir Marc Fumaroli, « Politique et poétique de Vénus : l'Adone de Marino et l'Adonis de La Fontaine » (Le Fablier, 1993), [in] Patrick Dandrey, La Fontaine/Œuvres galantes, p. 64-74. Et Françoise Grazziani Giacobbi, « La Fontaine lecteur de Marino : Les Amours de Psiché, œuvre hybride », Revue de Littérature Comparée, 1984-4, p. 389-397
  15. Cité par Bernard Beugnot, « Pour une poétique de l'allégorie classique », [in] Critique et création littéraires en France au XVIIe siècle, Colloque du CNRS, Paris, 4-6 juin 1974 [p. p. Marc Fumaroli], Paris, éd. du CNRS, 1977, p. 413.
  16. Jean Chapelain, La Pucelle ou la France délivrée, poème héroïque en douze chants, Paris, A. Courbé, 1656. Éd. crit. p. p. Émile de Molènes, Paris, Flammarion, « Collection des épopées nationales », s. d., 2 vol. I, p. LVIII.
  17. Francesco Colonna (attr. à), Hypneromachia Poliphili, Venise, Alde Manuce, 1499. Éd. crit. et commentaire p. p. Giovanni Pozzi et L. Ciapponi, Padoue, Antenore, 1964, 2 vol. Jean Martin, Discours du Songe de Poliphile déduisant comme amour le combat à l'occasion de Polia, trad. de —, Paris, Kerver, 1546. Éd. crit. p. p. Gilles Polizzi, Paris, Imprimerie Nationale, « La Salamandre », 1994.
  18. « Le Second livre de l'Hypneromachia de Poliphile. Auquel Polia et lui, l'un après l'autre, racontent les étranges aventures et divers succès de leurs amours », éd. cit., p. 343.
  19. C'est l'hypothèse (teintée d'ésotérisme) d'Emanuela Kretzulesco-Quaranta, Les Jardins du songe. Poliphile et la mystique de la Renaissance, Rome, Magma, « Il Labirinto » et Paris, Les Belles Lettres (1976), 1986, p. 45.
  20. Charles Perrault, Préface des Contes en vers (Grisélidis, nouvelle, avec le Conte de Peau d'âne et celui des Souhaits ridicules, Paris, J.‑B. Coignard, 4e éd., 1695) réunis aux Histoires ou Contes du temps passé (1697). Éd. crit. p. p. Roger Zuber, Paris, Imprimerie Nationale, « Lettres françaises », 1987, p. 81-82.
  21. Parallèle des anciens et des modernes, en ce qui regarde les arts et les sciences. Dialogues, Paris, J.‑B. Coignard, 1688.
  22. Cette interprétation herméneutique, conservée quoique réduite à un rôle subalterne, s'applique, notons-le, à la décoration d'un palais. Ce choix confirme que la fable allégorique ou ornementale, mythologique en tout cas, tend désormais à jouer un rôle plus important dans les arts visuels qu'en littérature — sauf sur la scène des enchantements machinés de l'opéra, forme visuelle de poésie. Voir Jean-Pierre Néraudau, L'Olympe du Roi-Soleil. Mythologie et idéologie royale au Grand Siècle, Paris, Les Belles Lettres, « Nouveaux Confluents », 1986.
  23. Préface des Amours de Psyché, éd. cit., p. 56-57.
  24. Pour reprendre le titre de René Huyghe (1965). Voir sur cette période l'édition critique par Jean‑Luc Gautier‑Gentés de La Peinture, poème de Charles Perrault (Genève, Droz, 1992). Et l'Hommage à Élizabeth-Sophie Chéron. Texte et peinture à l'Âge classique, sous la direction de René Démoris, Prospect, 1 (1992) : « Ces quelques années voient foisonner des textes capitaux : en 1662, l'Idée de la perfection de la peinture de Freart de Chambray, en 1663 les Reines de Perse et le Portrait du Roi de Félibien ; en 1666, du même, les deux premiers Entretiens ; en 1668, le poème de Perrault sur La Peinture, le De Arte graphica de Dufresnoy, publié par Mignard, et sa traduction accompagnée de « remarques amples et très nécessaires » par Roger de Piles, les Conférences de l'Académie recueillies et préfacées par Félibien ; en 1669, la Lettre du sieur Leblond de la Tour, et de Molière, La Gloire du Val-de-Grâce. » René Démoris, « Le Peintre et le Roi : le point de vue de Molière en 1669 », p. 56. Le même volume publie le manuscrit d'Élizabeth-Sophie Chéron : La Coupe du Val-de-Grâce (1669 ?), établi et annoté par Jean-Marc Poiron.
  25. *** Recueil de poésies [chrétiennes et] diverses. Dédié à M. le Prince de Conti, Paris, P. Le Petit, 1671, 3 vol. T. II, p. 374 pour le premier texte, œuvre du P. J. Bahier, de l'Oratoire, féal de Fouquet et auteur d'un Fuquetus in vinculis. Et p. 355-360 pour le second : « Descriptions des différentes divinités tirées du Poème de la Peinture de M. Perrault ». Voir l'éd. p. p. par Pierre Clarac des Œuvres diverses de La Fontaine, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1948, p. 929-936.
  26. Charles Perrault, La Peinture. Poème, Paris, F. Léonard, 1668. Éd. Gautier-Gentès citée. Charles-Alphonse Dufresnoy, De Arte graphica liber, Paris, Barbin, 1667-1668. Id., L'art de peinture traduit en français avec des remarques [par Roger de Piles], Paris, N. L'Anglois, 1668. Trad. moderne : Du Graphe, par Philippe J. Salazar, L'Alphée, 1 (1989), p. 98-121. Voir du même, sur le rapport entre peinture et parole : « Rhétorique de la peinture : Charmes Alphonse Du Fresnoy », Prospect, I, p. 87-94.
  27. Paris, J. Ribou, 1669. Éd. crit. p. p. Georges Couton, Œuvres complètes de Molière, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1971, 2 vol. II, p. 1186-1195.
  28. Éd. cit., p. 123, v. 445-456. Voir Bernard Teyssèdre, Roger de Piles et les débats sur le coloris au siècle de Louis XIV, Paris, Bibliothèque des Arts, 1965, p. 95. Jean-Marie Apostolidès, Le Roi-Machine. Spectacle et politique au temps de Louis XIV, Paris, Minuit, « Arguments «, 1981, p. 116-119.
  29. « Toutes les études nécessaires étaient faites pour l'exécution de ce beau sujet qui était agréé ; mais le conseil secret de Sa Majesté trouva à propos et résolut que son histoire sur les conquêtes devait y être représentée. […] La résolution étant prise pour ce changement, M. Le Brun se renferma deux jours dans l'ancien Hôtel de Grammont et produisit le premier dessein de ce grand ouvrage qui est le tableau du milieu qui fait le nœud principal de tout, sur lequel lui fut ordonné d'en continuer la suite sur ces mêmes principes et ces belles lumières avec cette prudente restriction de la part de M. Colbert de n'y rien faire entrer qui ne fût conforme à la vérité, ni de trop onéreux aux puissances étrangères que cela pouvait toucher… » Claude Nivelon, Vie de Charles Le Brun, BNF, ms fr. 12987, f° 309. Sur la représentation de Louis XIV en son temps, voir Louis Marin, Le Portrait du Roi, Paris, Minuit, « Le Sens commun », 1981, p. 251-260.
  30. La Peinture, v. 257-277.
  31. Madeleine de Scudéry, La Promenade de Versailles, Paris, C. Barbin, 1669. La Promenade de Saint-Cloud de Gabriel Guéret (1669) se limite pour sa part à un « dialogue sur les auteurs », comme le signale son titre. Elle sacrifie cependant à la même mode de l'entretien dans un parc, version de « plein air » de la géographie allégorique dont La Carte de la Cour du même auteur avait constitué six ans plus tôt un exemple parmi bien d'autres.
  32. André Félibien, Le Songe de Philomate, Paris, S. Mabre-Cramoisy, 1683.
  33. Hilaire Pader, Songe énigmatique sur la peinture universelle, Toulouse, A. Colomiez, 1658. Le genre évoque les « tableaux énigmatiques » des Jésuites. Voir Jennifer Montagu, « The Painted Enigma in French Seventeenth Century Art », Journal of the Warburg and Courtault Institut, XXXI (1968), p. 307-335. Et Georges Couton, « Une Peinture à lire : les tableaux énigmatiques », Écritures codées, ch. VIII, p. 147-153.
  34. Op. cit., v. 319 sq.
  35. Philostrate de Lemnos, Les Images ou Tableaux de plate peinture… mis en français[par Blaise de Vigenère], Paris, N. Chesneau, 1578. Multiples éd. anciennes. Éd. moderne : trad. A. Bougot (1881) révisée par François Lissarague, Paris, Les Belles Lettres, 1991.
  36. Giambattista Marino, La Galeria, Venise, 1619. Éd. crit. G. Pozzi citée. Georges de Scudéry, Le Cabinet de —, Paris, A. Courbé, 1646. Éd. crit. p. p. Christian Biet et Dominique Moncond'huy, Paris, Klincksieck, « Théorie et critique à l'Âge classique », 1991. Antoine de Saint-Amant, Moyse sauvé, Paris, 1653. Éd. crit. p. p. Jean Lagny et Jacques Bailbé, Paris, STFM, 1967-1979, 5 vol. Louis Richeome, S. J., Tableaux sacrés des figures mystiques du très auguste Saint-Sacrement, Paris, Sonnius, 1601. Et La Peinture spirituelle ou l'art d'admirer, aimer et louer Dieu, Lyon, P. Rigaud, 1611. Pierre Le Moyne, S. J., Les Peintures morales, Paris, S. Cramoisy, 1644-1646. Voir Marc Fumaroli, L'Âge de l'éloquence. Rhétorique et « res literaria » de la Renaissance au seuil de l'époque classique (1980), Paris, A. Michel, « Évolution de l'Humanité », 1994, p. 262.
  37. Homère, Iliade, XVIII, 478-608. Pseudo-Hésiode, Le Bouclier. Virgile, Énéide, VIII, 608-731.
  38. L'ecphrase, l'ekphrasis des sophistes grecs, est la description rhétorique d'une œuvre d'art. Son principe esthétique consiste à rivaliser de virtuosité, d'ornement et d'énergie avec son modèle lui-même déjà fictif, au point que, seconde représentation greffée sur une première, artifice mis au service d'un artifice, elle parvienne à faire pour ainsi dire « oublier » son caractère factice en produisant une impression et une émotion « immédiates », l'illusion d'un relief et d'une présence que désignent le terme d'énargeïa et son équivalent latin d'evidentia. Marc Fumaroli parle d'une « rhétorique des peintures » à propos de l'usage que firent de l'ecphrase à valeur « én[a]rgique » les prédicateurs jésuites de la première moitié du XVIIe siècle (op. cit., p. 677).
  39. Voir Jackie Pigeaud, « La Création du monde ou le bouclier d'Achille », ch. I de L'Art et le vivant, Paris, Gallimard, « NRF/Essais », 1995, p. 21-28.
  40. Définition de l'effet de la fable (la « petite » fable, l'apologue) par La Fontaine : « À Mme de Montespan », v. 6, en tête du second Recueil des Fables (actuel l. VII), 1678. Éd. cit., p. 247.
  41. Le Songe de Vaux, fragment I, p. 69 (v. 38 sq.)
  42. Anthony Blunt, La Théorie des arts en Italie de 1450 à 1600, trad. J. Debouzy, Paris, Gallimard, 1956. Et « The Hypneromachia Poliphili in 17th Century France », Journal of Warburg and Courtault Institute, I, 1937-1938, p. 117-139.
  43. Ainsi pour la conception et l'évolution du projet de Versailles : « Il y avait eu un programme allégorique extrêmement rigoureux, pour le premier château de Le Vau, celui qui enveloppait le château de Louis XIII. Mais lorsque Louis XIV décida de prolonger ce petit château par deux immenses ailes, d'agrandir le parc, de créer la Galerie des Glaces, on abandonna totalement tout système allégorique. Et Versailles, du point de vue allégorique, se présente à nous, non comme un microcosme exemplaire mais comme un effroyable exemple de manie allégorique, pour peu qu'on se donne la peine de suivre les interprétations qui ont été faites. » Jacques Vanuxem,[in] Critique et création littéraires, p. 424.
  44. Le Songe de Poliphile, éd. G. Polizzi, I, ch. XIX, p; 235 sq. « Les couleurs de ce tableau étaient si artistement mises, et les affections tant parfaitement exprimées, qu'il est (ce crois-je) impossible de mieux faire. » (p. 237).
  45. Id., p. 238.
  46. François Hédelin d'Aubignac, Lettre d'Ariste à Cléonte contenant l'apologie du temps, ou la défense du royaume de Coquetterie, Paris, 1659, p. 14.
  47. Le Songe de Poliphile, I, ch. XXIV, p. 335.
  48. Le Songe de Vaux, fragment I, p. 69 (v. 38).
  49. « Imiter est naturel aux hommes et se manifeste dès leur enfance (l'homme diffère des autres animaux en ce qu'il est très apte à l'imitation et c'est au moyen de celle-ci qu'il acquiert ses premières connaissances) et, en second lieu, tous les hommes prennent plaisir aux imitations. » Poétique, 1448b 4-9. Texte établi et traduit par J. Hardy, Paris, Les Belles Lettres, (1932) 1977, p. 33.
  50. Préface des Contes citée supra.
  51. Préface de l'Adone, éd. G. Pozzi, p. 25-26.
  52. Dans La Fabrique des fables. Poétique de La Fontaine (1991), Paris, PUF, « Quadrige », 1996.
  53. Premier Avertissement, p. 52-53.
  54. Fragment I, p. 66. Il s'agit d'Israël Silvestre, qui avait dessiné plusieurs perspectives de la maison et de jardins de Fouquet. Le Catalogue raisonné de toutes les estampes qui forment l'œuvre d'Israël Silvestre en dénombre quatorze (p. p. L. E. Faucheux, Paris, Vve Jules Renouard, 1857, p; 292-294.
  55. Premier Avertissement, p. 54-55.
  56. Fragment II, p. 96, v. 23-24.
  57. Voir Jean Rousset, « Psyché ou le génie de l'artificiel » (1972), [in] Patrick Dandrey, La Fontaine/Œuvres galantes, p. 181-188.
  58. Adonis, ms calligraphié par N. Jarry, Paris, 1658. Repr. introd. par Jean Cordey, Paris, Société des Bibliophiles français, 1931. Impression originale (version remaniée) : Paris, 1659, en suite des Amours de Psyché et de Cupidon. Éd. citée des Œuvres diverses, p. 1-17.
  59. D'après Jules Brody, « D'Ovide à La Fontaine : en lisant l'Adonis » (Le Fablier, 1989), [in] Patrick Dandrey, La Fontaine/Œuvres galantes, p. 45-63. Pour une autre interprétation de ce « monstre » polymorphe, voir ci-après l'étude de Boris Donné.
  60. Adonis, p. 4.
  61. Ibid.
  62. Ibid.
  63. Id., p. 16-17.
  64. Incipit d'Adonis dans la version manuscrite de 1658. Éd. cit., p. 794.
  65. Incipit de la version imprimée de 1669. Éd. cit. , p. 3.
  66. Fragment III du Songe de Vaux.
  67. Vincent Voiture, Lettre au duc d'Enghein (novembre 1643). Éd. crit. des Œuvres. Lettres et poésies, p. p. M.‑A. Ubicini, Paris, Charpentier, 1855, 2 vol. (Genève, Slatkine, 1967). I, p. 401-404.
  68. Il s'agit bien sûr de l'incipit de l'Énéide.
  69. L'encadrement versaillais évoque les traces d'une fête récemment donnée dans le parc du château, celle vraisemblablement de L'Amour et de Bacchus qui s'y est déroulée à la mi-juillet 1668 pour fêter la paix d'Aix-la-Chapelle (éd. cit., p. 132-133). L'allusion aux « personnes [qui] en ont fait la description avec beaucoup d'élégance et d'exactitude » désigne sans doute Montigny, dont on possède un compte rendu manuscrit, et plus probablement Félibien dont le récit ne put être imprimé qu'en août, à la faveur d'un privilège pris le 5 de ce mois. Le débat des quatre amis prend pour exemple de tragédie une Andromaque(p. 123), sans aucun doute celle de Racine, représentée en novembre 1667 et éditée en janvier au plus tôt (privilège du 28 décembre). Sauf à imaginer des repeints destinés à rajeunir une vieille matière, mais sans qu'on en voie vraiment la raison, il est probable que l'encadrement fut rédigé entre juillet 1668 et les derniers mois de cette même année, pour une publication en janvier 1669. Le privilège pris le 2 mai laisse supposer pourtant qu'à cette date l'ouvrage était presque terminé. C'est donc entre la conclusion du premier recueil des Fables paru en juin 1667 (« Retournons à Psyché : Damon vous m'exhortez / À peindre ses malheurs et ses félicités », Épilogue, v. 11-12) et la prise du privilège en mai 1668 pour ce nouveau livre, que la narration mythologique fut sinon conçue, du moins reprise et parachevée d'après une version antérieure plus ou moins avancée — mais déjà entamée, si l'on prend au sérieux le verbe : « retourner ». En revanche, et en dépit de l'autorité de Jean-Pierre Collinet (éd. cit. p. 1163, note 5), on ne déduira pas nécessairement de l'antéposion des « malheurs » sur les « félicités » que l'expression évoque seulement la seconde partie de l'ouvrage : il peut s'agir d'une allusion à son plan d'ensemble, évoqué sous la forme élégante de l'hystéron-protéron. Enfin, les interruptions des trois amis durant la lecture de Poliphile sont rares et demeurent situées surtout aux extrémités du récit. Et le ton du récitant ne signale aucune particulière attention à ses trois auditeurs privilégiés : il s'adresse comme dans tout conte à une communauté de lecteurs anonymes. Il est identifié comme Poliphile, mais ce pourrait être n'importe quelle voix de convention assumant le mode d'énonciation propre au genre et au ton choisis par le poète. Cela induit à penser que ce récit pourrait (et qu'il a pu ?) se dispenser de son encadrement dont la rédaction serait postérieure à son achèvement. Dans ce cas, le « dialogisme » de l'ouvrage ne lui est pas constitutif.
  70. Nous avons forgé l'expression pour désigner l'esthétique de l'apologue dans notre Fabrique des fables (ch. V).
  71. Op. cit., p. 220-221.
  72. Id., p. 115-116.
  73. Montaigne, Essais, éd. crit. p. p. Pierre Villey et Verdun‑L. Saulnier, Paris, PUF, 1965, 2 vol. pag. suiv. (repr. « Quadrige », 3 vol.), p. 1112.
  74. Op. cit., p. 60.
  75. Id., p. 220.
  76. Premières méditations poétiques, XIV.
  77. Voir Boris Donné, La Fontaine et la poétique du songe. Récit, rêverie et allégorie dans Les Amours de Psyché, Paris, Champion, « Lumière classique », 1995, p. 218-224.

Confrontation : littératures et cultures antiques/littératures et cultures française et étrangère.

"L’ouverture vers le monde moderne et contemporain constitue l’un des principes essentiels des programmes de langues et cultures de l’Antiquité, dont l’étude, constitutive d’une solide et indispensable culture générale, n’est pas réservée aux seuls élèves qui se destinent à des études littéraires." 

"Travailler de manière méthodique sur les différences et les analogies de civilisation, confronter des œuvres de la littérature grecque ou latine avec des œuvres modernes ou contemporaines, françaises ou étrangères, conduit à développer une conscience humaniste ouverte à la fois aux constantes et aux variables culturelles.

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