Les oreilles du roi Midas d'après H.S. Brès, Mes beaux contes mythologiques, 1921

Voici l’histoire que les roseaux racontaient jadis aux Vents, quand ceux-ci, faisant éclater leurs outres, s’échappaient à travers le monde...

Un jour, comme Gordius, le laboureur phrygien, arrivait à la ville dans son char à bœufs blancs, une foule courut au-devant de lui en criant : «Le roi est mort... Règne à sa place, car l’Oracle a dit : «Mettez sur le trône le premier homme qui se présentera aux portes dans un chariot tiré par des bœufs blancs. » Plein de reconnaissance, Gordius aussitôt se rendit au temple de Zeus ; il détela son char, et, afin de le consacrer aux Dieux pour toujours, il l’attacha à l’autel avec des nœuds si habilement enlacés qu’on ne voyait aucun bout. Alors l’Oracle décida : « Voici le nœud gordien ; jamais aucun ne lui fut pareil. Ô toi qui sauras délier ce nœud, tu feras la conquête de l’Asie ». Vainement beaucoup de princes s’y essayèrent... Longtemps plus tard, Alexandre le Grand, en route pour la conquête du monde, devait trancher les courroies d’un coup d’épée.

Alexandre

Alexandre tranchant le noeud gordien, Jean-Simon Berthélemy, 1767
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Mais Midas, fils de Gordius, ne se souciait guère de l’oracle ; il aimait la vie tranquille et se fit construire un magnifique palais au bord du fleuve Pactole, où Pan, dieu des bergers, venait volontiers couper des roseaux pour sa flûte aux sept tiges inégales. Quand il soufflait dedans, il faisait entendre des airs si charmants, que chevreaux et agneaux bondissaient de plaisir. Le dieu lui-même dansait quelquefois. Tout cela réjouissait le roi Midas qui se promenait souvent dans ces riants pâturages. Un jour, Apollon se moqua de Pan qui répondit : « Ma flûte vaut bien ta lyre. — Donnons un concert et prenons des juges, répliqua Apollon. »

Alors, le roi Midas invita les musiciens dans son palais en promettant d’offrir au vainqueur une couronne, de laurier d’or fin. Il était très riche, très riche, car il avait obtenu de Zeus que tout ce qu’il toucherait fût changé en or. D’abord, tout alla bien : ainsi, en se promenant dans son jardin, il cueillit une branche de laurier pour chasser un moucheron, tout l’arbre devint d’or; — et de même son trône, dès qu’il s’y fut assis. Mais hélas! pour déjeuner, comment faire? Tous les aliments et les boissons, depuis le pain jusqu’à l’eau, devenaient d’or sitôt qu’il les touchait,.., il ne pouvait rien, rien manger, et quand il embrassa sa petite fille, elle fut changée en statue d’or ! Alors, il supplia Zeus d’oublier son souhait, et Zeus répondit : « Puisque tu reconnais ta folie, va te baigner dans le Pactole, au bout de ton jardin ; après quoi, tu verseras de l’eau sur les hommes et les choses changés en or, et tout redeviendra comme avant. »

Midas court donc se plonger dans le fleuve qui, depuis ce moment, roula du sable d’or; puis il rapporta une grande cruche pleine d’eau dont il aspergea d’abord la chère petite princesse, puis son jardin et son palais : il oublia seulement le trône et le laurier, qui restèrent en or.

Au jour du concours, la foule accourut. Apollon, croyant gagner la belle couronne, avait invité ses neuf sœurs, les Muses ; elles quittèrent donc la haute montagne du Parnasse où elles habitaient d’ordinaire et arrivèrent l’une après l’autre, ainsi qu’Apollon, sur les ailes argentées d’un merveilleux cheval, nommé Pégase, qui volait aussi vite que l’éclair. Quand le roi Midas eut pris place sur son trône, on fit un grand cercle autour des musiciens et Pan commença. Il imita d’abord l’appel mélodieux des merles, puis le gazouillement joyeux des hirondelles, enfin les roulades du rossignol... Midas aimait beaucoup le chant des oiseaux; il applaudit de toutes ses forces et donna la couronne au dieu des Bergers, sans attendre le tour d’Apollon. Celui-ci parut fort vexé, ainsi que les Muses, et, au moment où il enfourchait Pégase, il murmura quelques mots dont on entendit seulement le premier et le dernier:  « Midas... âne. » Mais personne n’y prit garde.

Le peuple se dispersa et le roi, resté seul avec son barbier qui ne le quittait jamais, sortit sur la terrasse devant son palais pour saluer le soleil couchant, puis il se détourna pour rentrer... et il poussa un cri... Là, devant lui, sur le mur, il voit son ombre majestueuse... mais qu’y a-t-il de changé sur sa tête ?... à droite et à gauche... Il y porte la main : ce sont des oreilles immenses, allongées, pointues, à poils gris... « Est- ce un rêve?... Qui est là?... Est-ce moi?... Oui! et j’ai des oreilles d’âne!... Viens icqibarbier, et coupe vite... » Le barbier prend le rasoir; mais déjà le roi l’arrête, songeant que, sans doute, Apollon fera repousser ses oreilles d’âne, en sorte que ce sera toujours à recommencer, et il s’écrie:

« J’ai tort ! j’allais oublier que les ânes et les chevaux sont parents. Si je suis cousin de Pégase, le cheval divin! oh! oh! ce n’est pas déjà si mal !
— Certes! dit le barbier.
— Cependant, les gens sans réflexion pourraient rire ; tu prendras donc une belle étoffe de pourpre et tu m’en feras une gracieuse coiffure à pointe recourbée en avant.... Mais, ajouta Midas, un doigt sur ses lèvres, sois muet sur tout cela, sinon, au premier mot, je te coupe les oreilles. »

Midas

 

Tremblant, l’homme au rasoir promit et personne ne s’aperçut de rien, grâce à la nouvelle coiffure royale qui fut bientôt à la mode dans tout le peuple sous le nom de Bonnet phrygien. Quant au barbier, il pensait sans cesse au grand secret qu’il possédait ; et comme une pie bavarde, il étouffait de n’en pouvoir parler sans un danger terrible... Peu à peu, il en perdit le sommeil et l’appétit et se sentit près de mourir s’il se taisait plus longtemps. Il courut donc dans un champ et fit dans la terre un trou profond ; puis, se mettant à plat ventre, il cria dans le trou : « Midas, le roi Midas, a des oreilles d’âne. »

Alors, ayant comblé le trou, il retourna chez lui, soulagé. L’année suivante, comme il passait dans ce même endroit, il y aperçut une touffe de roseaux, qui, au

moindre vent, disaient : « Midas, le roi Midas, a des oreilles d’âne. » Quelle surprise ! quelle frayeur ! Le pauvre barbier en tomba raide mort ! Cependant son indiscrétion restait : un enfant, passant par là, entendit les mêmes paroles, il les répéta ; chacun rendit visite aux roseaux, et bientôt tout tout le monde connut le secret du roi Midas.

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