Deux hommes pour une succession
Le maître de la situation est alors Marc Antoine : second de César dont il entend assumer l’héritage politique, consul, il jouit d’une grande réputation dans l’armée. Dès les funérailles de César, il contraint les républicains à l’exil. Mais surgit alors une nouvelle figure : un jeune homme de 18 ans, Caius Octavius, petit-neveu de César, dont le testament faisait l’héritier et le fils adoptif de l’imperator. Il semble ne pouvoir rivaliser avec Antoine : une famille peu illustre, une constitution fragile, aucune expérience politique ou militaire… Mais il fait montre d’un grand à-propos politique : il visite les vétérans de son père adoptif qui l’accueillent comme le successeur de César. En outre, Cicéron lui accorde son soutien afin de tenter une restauration sénatoriale. La tentative aboutit à la guerre de Modène, dont Antoine sort vaincu : il se retire en Provence.
Le triumvirat, une alliance de pure circonstance
Le partage du monde entre les trois hommes est alors revu au détriment de Lépide : ne conservant pour lui que l’Afrique, il cède la Narbonnaise à Antoine, désormais maître de toute la Gaule ; il remet l’Espagne à Octave qui dirige également la Sicile et la Sardaigne. L’Italie reste indivise. Les trois hommes se répartissent également les missions :
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charge à Antoine de constituer en Orient le trésor de guerre et de constituer une nouvelle force militaire pour reprendre la guerre contre les Parthes, qui sera un échec : cela lui permet de s’implanter en Orient ;
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à Octave la charge de combattre Sextus Pompée, fils de Pompée, qui depuis 44 avant J.-C. occupe la Sicile et doit lotir les vétérans de Philippes : la tâche est délicate mais permet à Octave de demeurer à Rome ;
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Lépide, lui, se retire en Afrique.
César assassiné lors des Ides de Mars (15 mars 44 avant J.-C.), la République est de nouveau menacée par les guerres civiles.
Octave, propréteur malgré son jeune âge, est salué imperator et marche avec ses huit légions sur Rome où il s’empare du trésor de l’État, organise des élections et se fait élire consul. Par pur calcul politique, il s’attache à se réconcilier avec Marc Antoine, avec l’entremise de Lépide : c’est l’accord du second triumvirat, c’est-à-dire une magistrature à trois instituée pour cinq ans (elle sera renouvelée en 37). Elle entraîne une nouvelle proscription dont furent victimes 150 sénateurs (dont Cicéron) et 150 chevaliers, et la guerre contre les Césaricides avec la victoire de Philippes en octobre 42 avant J.-C. (suivie du suicide de Cassius puis de Brutus).
Le second triumvirat est reconduit en 37 avant J.-C. ; mais les propagandes de part et d’autre, et le refus d’Octave d’envoyer les renforts demandés par Antoine pour reprendre son combat contre les Parthes aboutissent à la rupture le 1er janvier 33 avant J.-C.
Dans cette guerre qui débute, Antoine dispose de plus de troupes et de navires qu’Octave. Il a réuni autour de lui des césariens, des pompéiens ralliés et jusqu’à des républicains optimates ; se sont aussi ralliés à lui les sénateurs et les consuls de 32 avant J.-C.
De son côté, Octave compte dans son armée d’excellents généraux (Agrippa notamment) ; il a également préparé le moral de ses troupes par une propagande intensive qui fait de lui le combattant de la romanité contre la barbarie orientale. Tous les chevaliers sont quasiment avec lui.
Octave déchoit Antoine du consulat pour l’année 31 avant J.-C. et se l’arroge ; il fait prêter à ses troupes un serment de fidélité qui lui confie le commandement de toute la guerre, et déclare la guerre à l’Égypte ptolémaïque de Cléopâtre VII, et à elle seule : l’absence de mention d’Antoine est évidemment une offense. C’est le début de la dernière guerre civile de la République romaine.
Antoine, qui a abandonné le projet d’attaquer l’Italie, a implanté ses forces terrestres à Athènes et positionné ses forces navales dans le golfe d’Ambracie.
Mais, à force de harceler les navires ennemis, Agrippa parvient à couper le lien de ravitaillement entre la force principale d’Antoine et l’Égypte et la Syrie : il permet ainsi à l’armée d’Octave de débarquer sur la côte de l’Épire.
Antoine rejoint tardivement le théâtre des opérations ; Agrippa parvient à l’isoler de ses arrières, l’enferme dans le golfe d’Ambracie où il le soumet à un blocus maritime.
Antoine essaie en vain d’engager une bataille terrestre : Octave résiste à son appel.
Le choc des deux armées se produit en mer Adriatique, le 2 septembre 31 avant J.-C., au Sud de l’Épire, à l’entrée du golfe d’Ambracie, sous un promontoire dominé par un temple d’Apollon.
Forces en présence
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L’armée antonienne compte 500 navires, 300 navires romains lourds équipés de catapultes et 200 égyptiens plus légers ; 100 000 soldats et 12 000 cavaliers.
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L’armée octavienne compte 350 navires assez légers, 80 000 soldats et 12 000 cavaliers.
La bataille
Les récits de la bataille sont imprécis et controversés : pour les uns, il n’y eut pas de véritable combat ; selon les autres, l’engagement fut rude.
Devançant les tentatives d’Antoine de concentrer ses forces, Agrippa attaque sur le golfe d’Ambracie. Lorsque la flotte d’Antoine tente de sortir du golfe, elle est défaite devant le promontoire d’Actium.
Devant la tournure que prend la bataille, Antoine et Cléopâtre parviennent à enfoncer le front ennemi avec leurs vaisseaux équipés de proues et prennent la fuite sur le vaisseau amiral qui contient le trésor de guerre ; ils rejoignent Alexandrie. Abandonnées par leur chef, les troupes d’Antoine capitulent. Plutarque avance le nombre de 5 000 tués et de 6 000 blessés.
D’un point de vue politique, la victoire d’Octave est incontestable : les poètes augustéens l’ont célébrée comme une grande victoire militaire, terra marique et considérèrent Apollon comme l’auteur de la victoire. Auguste en pérennisa le souvenir en fondant, près du site, la cité de Nicopolis, la ville de la victoire.
Le dernier acte de la guerre civile ne se joua que l’été suivant, en Égypte. Mais dès Actium, le monde romain ne comptait plus qu’un seul maître, Octave, futur Auguste.
Ce que chante Virgile :
Una omnes ruere, ac totum spumare reductis
convolsum remis rostrisque tridentibus aequor.
Alta petunt : pelago credas innare revolsas
Cycladas aut montis concurrere montibus altos,
tanta mole viri turritis puppibus instant.
Stuppea flamma manu telisque volatile ferrum
spargitur, arva nova Neptunia caede rubescunt.
Tous les combattants se ruent ensemble, et la mer entière se couvre d’écume, battue par les rames en mouvement et les triples pointes des rostres. Ils gagnent le large ; on croirait les Cyclades arrachées de leur base et flottant sur la mer, ou de hautes montagnes heurtant des montagnes, tant est grande la charge des guerriers pressant les bateaux garnis de tours. Les mains et les armes lancent de l’étoupe enflammée, des traits qui volent ; les champs de Neptune rougissent pendant ce massacre d'un genre nouveau.
Virgile, Énéide, VIII, v. 689-695 - Traduction d’André Bellessort