Néron, empereur romain Une personnalité complexe : artiste aux passions meurtrières

Néron et son image

Néron est une figure complexe dont on cherche encore aujourd’hui à élucider les zones d’ombre : les historiens sont partagés entre la tradition, qui condamne ses excès et ses crimes, et une forme de réhabilitation, qui tient compte de sa personnalité et de ses réalisations.


Empereur à 17 ans, après une enfance privée d’attention et d’amour, Néron était hors normes, extravagant et exubérant. Il apprit l’art de feindre et de tromper, allant jusqu’à des actes d’une effroyable cruauté quand il se sentait menacé. Ses crimes furent innombrables : on lui attribua la mort de Britannicus, son frère par adoption, de sa mère Agrippine, de ses épouses Octavie et Poppée.


Pour Néron, le monde était une scène de théâtre. Il voulut réformer l’ancien système de valeurs de la société romaine et il adopta une politique absolutiste, dictée par un idéal esthétique inspiré du monde hellénistique. Empereur citharède, poète raffiné, amateur de concours de poésie, de musique et de courses de chars au point d’y participer en personne, il est l’antithèse du Romain traditionnel, qui incarne la retenue, l’austérité et la virtus.


Après sa mort en 68, une terrible guerre civile déchira Rome sous les règnes successifs de Galba, Othon et Vitellius. L’année suivante, Vespasien rétablit la paix. Une nouvelle dynastie s’installa, celle des Flaviens.

Dernier membre de la dynastie Julio-claudienne, fondée par Auguste, Néron a régné 14 ans, de 54 à 68 après J.-C.

Origines et naissance

Lucius Domitius Ahenobarbus naît à Antium dans le Latium (Anzio, à 60 km environ au Sud de Rome) le 15 décembre 37 dans une famille illustre, tant du côté de son père que de celui de sa mère.

Le père de Néron est membre de la gens Domitia, une très ancienne famille aristocratique qui faisait remonter ses origines à la fondation de Rome. Les Domitii portent le cognomen (surnom) d’Ahenobarbus, « à la barbe d’airain », la barbe rousse devenant une marque de famille à laquelle Néron ne faisait pas exception. Ils ont laissé dans la mémoire des Romains le souvenir d’hommes cruels, brutaux et non conventionnels. Le père de l’enfant, Lucius Domitius, n’échappe pas à la règle ; en 28, à l’âge de 45 ans, il se remarie avec Agrippine la Jeune (âgée de 13 ans), sœur de Caligula.

Le petit Lucius a été confié à des nourrices grecques et il semble que le Grec ait été son premier mode d’expression, ce qui pourrait expliquer son penchant pour l’hellénisme. Après la mort de son père, il est confié à sa tante paternelle Domitia Lepida. La maison de Domitia Lepida est fréquentée par la superbe Messaline, qui vient de se marier avec Claude et qui a donné naissance à Octavie.

Mais Agrippine mène ses intrigues et organise l’élimination de Caligula, son frère. Celui-ci découvre la conjuration ourdie contre lui et fait exiler Agrippine. En 41, Caligula est assassiné et le Sénat désigne le vieux Claude comme nouvel empereur.

Enfance et adolescence

Lors de cette période (de 41 à 54), alors que son père est mort très tôt et que sa mère est préoccupée par ses succès mondains et politiques, Lucius est privé d’affection et de tendresse. Seules ses nourrices gréco-orientales ont manifesté une certaine affection pour lui. Ses précepteurs, gréco-orientaux eux aussi, Anicetus et Beryllus, lui ont donné très tôt le goût de la littérature, des langues, des sciences et des mathématiques. On note aussi l’influence d’un certain Chaerémon, prêtre égyptien, savant remarquable et professeur, qui initia l’enfant à la culture hellénistique de l’époque et aux principes du despotisme théocratique.

En 49, Agrippine rappelle d’exil un sénateur philosophe, qui devient le maître de grammaire puis de rhétorique de son fils : Sénèque. Burrus, un militaire, nommé préfet du prétoire en 51, est chargé de l’éducation physique et morale du jeune prince.

La personnalité de Néron

Néron a reçu une formation littéraire et artistique très vaste et raffinée, ce qui ne l’empêche pas de se passionner pour les jeux du cirque, les courses de chars en particulier. Il a très tôt appris l’art du mensonge, de la duplicité et de la défiance. Selon Suétone, qui a dressé une longue liste des tares de Néron, apparaît l’image d’un homme faible, lascif, jouisseur et dissipé, d’un artiste capricieux et cabotin, d’un souverain cédant à la paranoïa, capable de faire massacrer son entourage dès qu’il se sentait menacé.

Agrippine : rôle familial et politique

Pendant la période de formation du jeune Néron, Agrippine n’a cessé d’ourdir des intrigues pour occuper un rôle de premier plan dans la société impériale. Rappelée d’exil par Claude, elle a tout d’abord comme rivale et ennemie la jeune et très belle épouse du vieux Claude, Messaline — elle avait 14 ans alors que Claude 50 ans —, qui vers 41 donne naissance à son second fils, surnommé Britannicus.

Messaline se distingue par sa conduite licencieuse, capricieuse et débauchée. Les deux femmes rivalisent dans la propagation de rumeurs infâmantes, jusqu’à l’assassinat de Messaline en 48. Agrippe profite alors de la faiblesse de caractère de Claude — qui est son oncle — pour se marier avec lui en janvier 49.

La marche d’Agrippine vers le pouvoir

Agrippine va travailler à promouvoir son fils pour accéder au pouvoir à travers lui, en le poussant en avant au détriment des enfants de Claude et Messaline, en particulier Britannicus. Elle se fait attribuer de nombreux titres honorifiques, dont celui d’Augusta. Elle persuade Claude de faire entrer Lucius, qui a adopté le cognomen Nero ("sage et hardi" en langue sabine), dans le cercle impérial.

En 53, Néron épouse Octavie, qui est devenue sa sœur par adoption. En 54, le 13 octobre, l’empereur Claude meurt à 64 ans, dans des circonstances obscures. Lors de cette journée capitale, le jeune Néron devient empereur, à presque 17 ans.

Néron empereur

Un lustre bénéfique

Les débuts du règne de Néron, un quinquennium (espace de 5 ans ou lustre) de 55 à 59, sont généralement reconnus comme bénéfiques. L’empereur est sous l’influence de Sénèque et de Burrus, deux personnalités vraiment différentes – le philosophe et le vieux militaire – qui exercent sur le jeune homme une influence modératrice. Ce que n’avait pas prévu Agrippine, qui voit son emprise sur son fils s’affaiblir.

Sur le plan intérieur, les premières années du règne de Néron sont caractérisées par des mesures généreuses, équilibrées et bien acceptées en général, en particulier par le peuple.

À l’extérieur des frontières, à l’Est, les Parthes (correspondant aux Perses) menacent toujours l’Empire. Ils envahissent et pillent l’Arménie et placent à la tête de ce royaume un certain Tiridate. À la tête des troupes d’Orient, le général Corbulon réorganise l’armée et chasse les Parthes d’Arménie. La Germanie, malgré quelques incursions, ne pose pas de problèmes majeurs, mais la Bretagne se soulève en 61 : la révolte est menée par la reine Boudicca. L’Égypte, possession de l’Empereur, a toujours été comme la Grèce une terre de prédilection (sous l’influence de Chaeremon certainement). En fait le règne de Néron s’est caractérisé par une politique extérieure non offensive et le maintien des frontières existantes.

Un beau jeune homme

Au début de son règne, Néron est un beau jeune homme (17 ans) que les excès n’ont pas encore bouffi : taille moyenne, bien proportionné et musclé. Cheveux blond vénitien, yeux pers, entre vert et bleu (le fameux glaukopis en grec, qui caractérise la déesse Athéna) qui déconcertent parfois ses proches. Il est aussi très myope, dit-on.

Il se consacre avec sérieux à ses fonctions de souverain, sans oublier bien sûr ses passions naturelles : chant, écriture de poèmes, conduite de chars et de chevaux de course.

Néron affirme sa personnalité

Néron tombe éperdument amoureux d’une jeune affranchie, Claudia Acte, belle et intelligente. Il tend à prendre ses distances vis-à-vis de sa mère, qui ne recule devant aucun stratagème pour affermir son emprise sur son fils, instrument de son pouvoir.

Britannicus, fils de Claude et Messaline, reste un problème : avant sa mort, Claude s’était rapproché du jeune prince, longtemps laissé dans l’ombre de Néron. Selon le droit le plus strict, Britannicus est l’héritier direct de Claude : Agrippine organisa son empoisonnement lors des Saturnales de décembre 54.

Agrippine perd son emprise

Agrippine sent son fils lui échapper. Elle multiplie les intrigues, à tel point que Néron prend peur, croyant qu’elle fomente un complot contre lui. En effet, les projets de complots se succèdent (Julia Siliana, Paetus) et Néron, affolé, est persuadé que sa mère cherche à l’éliminer.

Après une période de modération et de sagesse relatives, sous l’influence de Sénèque (Voir le traité De clementia, « De la clémence ») et de Burrus, Néron s’engage dans la voie de la démesure.

Le néronisme : la cour et les micro-unités sociales

Néron a dû gouverner en tenant compte de nombreux groupes sociaux, des sénateurs, aristocrates toujours prêts à se révolter si leurs privilèges étaient remis en cause, à la plèbe qu’il a toujours ménagée, étant sensible aux difficultés des citoyens de Rome les plus démunis. En fait, il a réalisé beaucoup d’innovations pour le bien-être de ses sujets : rappelons que Rome comptait alors un million d’habitants. Afin d’améliorer l’approvisionnement de la capitale, Néron a fait achever la construction du port artificiel d’Ostie, commencée sous Claude.

Dès 55, Néron a constitué autour de lui l’Aula Neroniana, une académie culturelle qui rassemble des poètes, des philosophes, des musiciens. On note la présence du poète Lucain (La Pharsale) et de Pétrone, épicurien, auteur du fameux Satiricon. Dès son accession au pouvoir, Néron n’a eu de cesse d’organiser des jeux (les Romains en étaient friands), des spectacles (chant, danse, théâtre, courses de chars, combats de gladiateurs), auxquels il participe en personne à partir de 58, encouragé par un corps particulier, les Augustiani, composé de 500 chevaliers, sans compter une claque de plusieurs milliers de plébéiens (les Neroneioi). Ces jeux et spectacles rivalisent d’imagination, d’un luxe et d’un raffinement inouïs.

L’élimination d’Agrippine

Bouleversement dans la vie de Néron : en 58, il rencontre Poppée (Sabina Poppaea), issue d’une éminente famille de Pompéi. Plus âgée que Néron, cette belle blonde est d’une exceptionnelle beauté et l’empereur en tombe éperdument amoureux. Rappelons que Néron était marié avec la malheureuse Octavie, qu’il délaissait. Néron veut Poppée à tout prix, il réussit à éloigner l’encombrant Othon. Mais que faire d’Octavie ? Sans compter avec les récriminations d’Agrippine, principale ennemie de Poppée, qui sent son fils lui échapper pour une rivale bien plus dangereuse qu’Acté. Aussi Néron en arrive à la conclusion qu’il lui faut éliminer cette « mère castratrice ». C’est ainsi que la mort d’agrippina a été minutieusement organisée (Voir le récit par Tacite de ce crime, véritable tragédie en trois actes).

Après une tentative d’assassinat (par le biais d’une galère truquée) dont Agrippine a réchappé, des soldats se rendent chez elle, dans sa villa près de Baïes (sur la côte campanienne), et l’assassinent le 23 mars 59.

Les « vices » de Néron

Néron peut désormais donner libre cours à ses passions. La période suivant le meurtre d’Agrippine (59-66) marque un changement dans l’attitude du princeps. Suétone a recensé cinq vices qui caractérisent sa personnalité : petulantia (goût de la provocation), libido (lubricité), luxuria (goût du luxe), avaritia (cupidité) et crudelitas (cruauté).

La « plaintive Octavie » reste bien encombrante pour Poppée et Néron. L’empereur la répudie pour stérilité en 62 puis ordonne à Anicetus de l’exécuter. Poppée et Néron peuvent enfin se marier, en 62. En janvier 63 naît une petite fille, Claudia Augusta, qui meurt malheureusement quatre mois plus tard, au grand désespoir de son père.

Le mariage de Néron et de Poppée connaît une fin tragique : lors de l’été 65, Poppée meurt d’une fausse couche, peut-être à cause d’un coup de pied dans le ventre que lui aurait décoché Néron. Celui-ci épouse alors une de ses anciennes maîtresses, Statia Messalina.

Néron n’a plus ses deux conseillers, Burrus et Sénèque, qui contribuaient à tempérer quelque peu son comportement. Burrus meurt de maladie en 62, il est aussitôt remplacé par Ofonius Tigellin, ambitieux, cruel et sans scrupules. Il a fait régner la terreur dans Rome, ses espions étaient partout et il a été le premier à soutenir la politique dictatoriale de Néron. Sénèque tombe en disgrâce en 62. Âgé (65 ans environ) et malade, il se retire dans ses propriétés pour se consacrer à ses études philosophiques. Tigellin lui enjoindra de se suicider en 65.

L’incendie de Rome et la Domus aurea

Dans la nuit du 18 au 19 juillet 64, Rome prend feu. Le terrible incendie dure en tout dix jours, ravageant les collines du Palatin, de l’Esquilin et du Caelius. Néron, qui n’est pas alors à Rome mais à Antium, apprend la catastrophe : il se montre l’homme de la situation en apportant un maximum de secours, avec grande efficacité, aux malheureux Romains. Aujourd’hui, la plupart des historiens refusent la vision d’un Néron pyromane.

Rome est à reconstruire. Les deux demeures impériales du Palatin et la Domus Transitoria ont été détruites, toute l’histoire de la ville a disparu dans les flammes, quatre mille maisons ont brûlé, cent trente deux hôtels particuliers et dix mille insulae (les HLM de l’époque). 200 000 Romains ont tout perdu, les victimes se comptent par milliers (aucune estimation fiable n’a été établie).

Tigellin a dû souffler à l’oreille du prince que les chrétiens (à l’époque considérés comme une secte d’origine juive), isolés de la population romaine car refusant de reconnaître le panthéon national, pouvaient être des boucs émissaires tout trouvés. Les persécutions contre les chrétiens ont aussitôt commencé, dans des mises en scène où le sadisme le dispute au spectaculaire.

Néron fait en priorité reconstruire le centre de Rome, qui a le plus souffert de l’incendie, sur un modèle plus rationnel. Les sinistrés bénéficient aussi d’une aide alimentaire. À la fin de l’été 64, il décide de se faire bâtir un palais mirifique, la fameuse Domus Aurea ("Maison dorée").

La conjuration de Pison

La révolte gronde. La conjuration de Pison se développe, en avril 65, dans les milieux proches de l’empereur. L’aristocrate Pison a fédéré tous ceux qui avaient des griefs et de la haine contre cet empereur histrion : des sénateurs, des chevaliers, des militaires, et même un préfet du prétoire (responsable de la sécurité de l’empereur). Les conjurés ont pour but d’assassiner Néron. Mais une maladresse permet de révéler le complot. Néron est mis au courant de tout, sa répression est impitoyable et aveugle. Pison se suicide. Le vieux Sénèque est impliqué dans la conjuration, probablement accusé par Tigellin et Poppée, malgré les affirmations répétées de Tacite. Il reçoit l’ordre de se suicider : il s’ouvre les veines, avec sa jeune épouse, Pompeia Paulina.

Un autre grand philosophe disparaît aussi : Thrasea Paetus, opposant à Néron depuis 59, qui dirigeait un cercle important de philosophes stoïciens. Il se suicide en 66, dans des circonstances rappelant la mort de Socrate. Enfin, en 67, Pétrone, « l’arbitre des élégances », se serait également suicidé, victime de la jalousie de Tigellin.

Fin de règne

En 66, Néron s’embarque pour la Grèce, dans un pays où, pense-t-il, il pourra être apprécié à sa juste valeur artistique. Il s’arrête à Corinthe et parcourt tout le pays pour participer aux jeux Panhelléniques.

Cependant, les provinces romaines sont soumises à des impôts écrasants pour financer tout ce luxe : elles ne veulent plus d’un empereur histrion. La Gaule se soulève (conjuration de Vindex), la révolte de la Judée est réprimée par Vespasien et son fils Titus. Puis Galba, gouverneur de l’Espagne Tarraconaise, fait défection. Tout l’empire entre en dissidence et veut la perte de l’empereur.

Néron est seul, abandonné par tous. Toutes ses armées ont fait sécession, sa garde prétorienne, ses esclaves l’ont abandonné, le Sénat l’a déclaré ennemi public qui doit subir un châtiment infâmant. Prononçant la célèbre phrase — quais attifes perd - « Quel artiste périt avec moi » —, il se décide à mourir : un de ses affranchis, Épaphrodite, l’aide à accomplir le geste fatal le 9 juin 68.

Ce qu'écrit Suétone :

Destinaverat et Romam Neropolim nuncupare.

« Il avait décidé d’appeler Rome Néropolis. »

Suétone, Vie de Néron, 55

Néron et son image

Néron est une figure complexe dont on cherche encore aujourd’hui à élucider les zones d’ombre : les historiens sont partagés entre la tradition, qui condamne ses excès et ses crimes, et une forme de réhabilitation, qui tient compte de sa personnalité et de ses réalisations.


Empereur à 17 ans, après une enfance privée d’attention et d’amour, Néron était hors normes, extravagant et exubérant. Il apprit l’art de feindre et de tromper, allant jusqu’à des actes d’une effroyable cruauté quand il se sentait menacé. Ses crimes furent innombrables : on lui attribua la mort de Britannicus, son frère par adoption, de sa mère Agrippine, de ses épouses Octavie et Poppée.


Pour Néron, le monde était une scène de théâtre. Il voulut réformer l’ancien système de valeurs de la société romaine et il adopta une politique absolutiste, dictée par un idéal esthétique inspiré du monde hellénistique. Empereur citharède, poète raffiné, amateur de concours de poésie, de musique et de courses de chars au point d’y participer en personne, il est l’antithèse du Romain traditionnel, qui incarne la retenue, l’austérité et la virtus.


Après sa mort en 68, une terrible guerre civile déchira Rome sous les règnes successifs de Galba, Othon et Vitellius. L’année suivante, Vespasien rétablit la paix. Une nouvelle dynastie s’installa, celle des Flaviens.

Repères bibliographiques

Eugen Cisek, Néron, 1982

Jean-Michel Croisille, Néron a tué Agrippine, 1994

Catherine Salles, Néron, 2019

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