• Le titre original en latin du "roman" d’Apulée est Metamorphoseon libri XI ("Onze livres de métamorphoses"). Pour ses contemporains, il ne manquait pas de rappeler la célèbre œuvre du même nom, les Métamorphoses du poète Ovide (18 après J.-C.). Le titre Asinus aureus ("L’Âne dor") est attesté plus tard par saint Augustin (mort en 430) : l’auteur chrétien évoque les pratiques démoniaques de "sorcières" en Italie qui, grâce à un fromage ensorcelé, « transforment des voyageurs en bêtes de somme sans affecter leur raison d’homme, sicut Apuleius in libris, quos asini aurei titulo inscripsit (comme dans les livres où Apulée a inscrit le titre de l’âne d’or) », La Cité de Dieu, livre XVIII, 18.
Comment comprendre ce titre ? Est-ce un âne « qui vaut de l’or » ?
C’est l’interprétation de Jean-Louis Bory dans sa préface d’une édition de l’œuvre : « Dans Asinus aureus, l’épithète aureus, si l’on en croit les grammairiens, s’applique à l’"âne" en tant qu’ouvrage d’Apulée, non en tant qu’animal. C’est une épithète pour catalogue de libraires ; cela signifie que cet âne-là est "extra", qu’Apulée y parle d’or. » (Apulée, L'Âne d’or ou les Métamorphoses, Paris, Gallimard Folio, 1975).
Ou bien s’agit-il d’une référence plus ésotérique, comme le propose René Martin (Paris 3) ? « Dans ce sous-titre mystérieux Asinus aureus, j’ai suggéré de voir une traduction à double sens de l’expression grecque Onos pyrrhos, "l’âne roux", utilisée par Plutarque pour désigner l’animal maudit qui était dans la religion égyptienne l’incarnation de Seth, le méchant frère d’Osiris symbolisant l’immoralité et la lubricité. » (« D'Apulée à Umberto Eco ou les métamorphoses d’un âne », in Bulletin de l’Association Guillaume Budé, n°2, juin1993, disponible sur Internet).
• Le roman d’Apulée est l’héritier des "Fables milésiennes", contes érotiques grecs dont s’inspire aussi Pétrone dans le Satiricon (Ier siècle). Le roman en tant que genre littéraire n’existe pas dans l'Antiquité. Il naît au Moyen Âge pour désigner une œuvre écrite en langue "vulgaire", le roman, et non pas en latin. Les Métamorphoses et le Satiricon, longs récits de fiction écrits en prose, en sont les précurseurs et sont couramment nommés "romans latins".
• Le conte (fabula) de Cupidon et Psychè est raconté par une vieille femme, complice des brigands. Psychè, jeune femme d’une beauté exceptionnelle, jalousée par la déesse Vénus elle-même, aurait dû périr selon l’oracle d’Apollon. Elle est miraculeusement sauvée et mariée à un époux qu’elle sent et entend mais ne peut voir. Les sœurs de Psychè, mues par la jalousie, poussent la jeune femme à lever le secret de son mystérieux mari et à briser leur bonheur. Car Cupidon, l’époux dont l’identité a été découverte, fuit Psychè, qui erre sur la terre à sa recherche, maltraitée par Vénus. La portée symbolique du conte se dévoile : Psyché (l’âme) est sous la puissance de Cupidon (le désir), torturée par Vénus (l’amour). De leur union naît un enfant, la Volupté.
• Aujourd’hui, un certain nombre d’auteurs de culture berbère revendiquent Apulée comme un "amazigh" (le mot est utilisé par les Berbères pour se désigner eux-mêmes), devenu un véritable "métis culturel" : comme le dit Mourad Yellès (enseignant-chercheur en Algérie et en France), « on sait qu’Apulée était lui-même ce que l’on peut appeler un "métis culturel". D’origine berbère, il était le produit de la synthèse des cultures numide, latine et grecque. » (« De l’écrit métis et autres "macaqueries" », in Littérature, n°117, 2000, « La mise à distance », disponible sur Internet).
Hassan Banhakeia (enseignant-chercheur au Maroc, poète et romancier) pointe dans les Métamorphoses de nombreux éléments culturels berbères et voit dans le célèbre "conte" d’Amour et Psychè la trame d’un conte traditionnel amazigh du nom de "Tinaxda" (l’histoire d’une jeune mariée qui n’a jamais vu le visage de son mystérieux époux nommé Tinaxda).
Apulée naît dans une famille aisée de citoyens romains d’origine berbère à Madaure, une colonie romaine en Afrique du Nord, aux confins de la Numidie (près de l’actuelle Constantine en Algérie), vers 125 après J.-C., sous le règne d’Hadrien ; il vit sous les Antonins, une période considérée comme l’apogée de l’Empire romain. Il meurt sans doute en 180, la même année que l’empereur Marc Aurèle.
À Carthage, centre culturel de l’Afrique romaine, Apulée étudie l’éloquence latine et entreprend des études d’avocat. Comme tout bon lettré, il se rend ensuite à Rome et à Athènes pour parfaire son éducation. Il apprend le grec, se forme à la philosophie néoplatonicienne et se fait initier aux cultes à mystères.
De retour dans son pays, il mène une vie publique d’avocat (il occupe même un temps la fonction de prêtre du culte impérial), à la fois rhéteur et brillant conférencier : parlant berbère, latin et grec, il voyage dans diverses villes d’Afrique en donnant des conférences. Son savoir encyclopédique lui permet de parler sur n’importe quel sujet : de la philosophie jusqu’à la magie, en passant par la médecine, l’astronomie, les sciences naturelles et la musique. Lui-même se définit comme un philosophe néoplatonicien, épris de spiritualité et de magie. Séduit par les cultes orientaux dont les pratiques se répandent dans le monde romain, Apulée est initié aux mystères d’Éleusis, de Mithra et d’Isis pour ne citer que les plus célèbres.
Lors d’un voyage à Alexandrie, il tombe malade : ne pouvant faire face aux dépenses (il a dilapidé sa fortune), il est soigné par une riche veuve, mère de l’un de ses condisciples, qu’il épouse. Mais il est poursuivi en justice par des proches de la mariée, qui l’accusent d’avoir utilisé des charmes magiques pour la séduire. Il se défend en composant un plaidoyer, appelé "L’Apologie" ou "De la magie". Il est acquitté.
Apulée a écrit en latin des ouvrages de philosophie, de rhétorique et de poésie, dont beaucoup sont aujourd’hui perdus. Quatre traités nous sont parvenus : "Du dieu de Socrate", "De Platon et son enseignement", "Du monde" et "De l'expression" ou "Du jugement". Le "Florilège" est un recueil de discours et conférences d’Apulée, rassemblés par l’un de ses élèves sur des sujets variés, en quatre livres : on n’en a conservé qu’une version très résumée, sans doute par un auteur du IVe siècle.
L’œuvre majeure d’Apulée est une sorte de grand roman picaresque en onze livres, connu sous le titre Les Métamorphoses ou L’Âne d’or, sans doute inspiré d’une œuvre grecque aujourd’hui perdue. Lucius, le narrateur, est un jeune grec de Corinthe passionné et curieux ; il voyage en Thessalie, région réputée pour ses sorcières. Il est accueilli chez la magicienne Pamphilé qu’il surprend lorsqu’elle se métamorphose en hibou. Avec la complicité de la servante Photis, il espère alors se changer en oiseau et voler à son tour. Or Photis confond les onguents magiques et voilà Lucius métamorphosé en âne. Un seul remède pour recouvrer forme humaine : manger des roses. Par un malheureux concours de circonstances, Lucius, devenu bête de somme avec la conscience d’un homme, est emmené par des brigands et vit aventure sur aventure, toutes plus rocambolesques les unes que les autres. Maltraité, il risque sa vie et les roses lui échappent.
Apulée ne se contente pas de raconter les tribulations et les expériences d’un naïf trop curieux. Le récit principal s’interrompt pour développer de multiples épisodes annexes où de nouveaux personnages sont mis en scène : histoires cruelles et érotiques, récits de voleurs, de femmes adultères, de jeunes amants séparés... Le plus fameux est le conte de Cupidon et Psyché, longuement développé (Livres IV, 28, 1 – VI, 24, 4).
Puisant dans tous les styles, mêlant le réalisme et le merveilleux, le fantastique et l’érotisme, la trame narrative propose une sorte de comédie humaine parodique, dressant un tableau bigarré, jovial et drôle, du monde romain et des hommes qui composent sa société. Son dénouement est assuré par l’intervention d’Isis-Reine : le dernier livre des Métamorphoses, en effet, tranche par sa tonalité plus spirituelle et le calvaire de l’âne Lucius prend fin grâce aux bienfaits de la déesse égyptienne.
Ce "roman" éclectique, si tel est bien son genre, trace à la première personne le parcours initiatique d’un jeune homme, descendu au rang de bête, mais sauvé par le culte rendu à une déesse omnipotente et protectrice.
Apulée consacre à la déesse Isis toute la dernière partie de ses Métamorphoses : il se montre si enthousiaste que certains commentateurs ont suggéré que lui-même avait été initié aux mystères d’Isis.
Voici comment Isis, "mère universelle", se présente au jeune Lucius :
« Je n’avais pas encore bien fermé les yeux, et voici que du milieu de la mer émerge une figure divine portant sur son visage des traits dignes de susciter la vénération des dieux mêmes ; puis peu à peu une apparition qui rayonne de lumière par tout son corps sembla s’être arrêtée devant moi, une fois sortie de la mer. […] Elle tenait dans sa main droite un sistre en bronze, dont la lame étroite et recourbée en forme de baudrier était traversée en son milieu de petites baguettes, qui, sous l’impulsion du bras frappant trois coups, rendaient un son aigu et strident. […] La divine apparition me jugea digne d’écouter sa voix :
- Me voici, Lucius, émue par tes prières, mère des choses de la nature, maîtresse de tous les éléments, source primordiale des générations, somme des volontés divines, reine des Mânes, la première parmi les habitants du ciel, figure universelle des dieux et des déesses, moi qui d’un signe de tête gouverne les hauteurs lumineuse du ciel, les vents favorables de la mer, les espaces silencieux et désolés des Enfers : moi dont le globe terrestre tout entier a révéré la puissance divine unique sous des aspects aux formes multiples, avec des rites variés, sous des noms divers. […] Riches de leur science très ancienne, les Égyptiens, qui m’honorent selon les cérémonies qui me sont personnellement réservées, m’appellent de mon vrai nom reine Isis. Me voici, pleine de pitié pour tes malheurs, me voici, prête à t’aider, bienveillante. »
Les Métamorphoses, Livre XI, 3-5 (Trad. A. C.)
Ce qu'écrit Apulée :
Jam facies enormis et os prolixum et nares hiantes et labiae pendulae ;
sic et aures inmodicis horripulant auctibus.
Me voici déjà avec un visage énorme, une bouche allongée, des narines béantes et des lèvres pendantes ; de même mes oreilles, d’une taille démesurée, se hérissent de poils.
Les Métamorphoses, Livre III, XXIV, 5