Alige Magistro. Programmes 3e / 1re En cours de latin avec Alix

La bande dessinée est un support original qui offre de multiples pistes pour renouveler l’approche des langues et cultures de l’Antiquité comme le préconisent les Programmes de collège et de lycée.

Quelques-unes de ces pistes sont développées dans ce dossier à partir du tome 1 de la série Alix Senator, intitulé Les Aigles de sang (2012), et de sa traduction en latin. La série Alix Senator a été créée par Valérie Mangin (scénario) et Thierry Démarez (dessin) en 2012 d’après l’œuvre de Jacques Martin. Le volume 1 a été traduit en latin par Annie Collognat sous le titre Aquilae cruoris (2018).

Créé par Jacques Martin en 1949, le jeune Gaulois Alix, adopté par un riche Romain à l’époque de Jules César, a vieilli : devenu sénateur, il est l’ami de l’empereur Auguste à la fin du Ier siècle avant J.-C.

Objectifs

Il s’agit d’aborder divers points de langue et de culture dans une approche comparée sollicitant le texte et l’image, en lien avec les programmes.

  • Au collège, en troisième :

    • De la République au Principat : les crises et la fin de la République, la naissance du principat, Auguste.
  • Au lycée en classe de première :

    • Enseignement optionnel 

      • Objet d’étude : « Les dieux dans la cité », Le politique et le sacré (sacrifices, pratiques divinatoires et oraculaires, culte impérial).
    • Enseignement de spécialité 

      • Objet d’étude : « La cité entre réalités et utopies », Gouverner : du mythe à l’histoire, quel « prince » idéal ? (Thésée, Romulus, Denys de Syracuse, Alexandre le Grand, Auguste, etc.).

Le dossier suggère des pistes d’apprentissage ou de révision pour la langue, mais aussi une réflexion sur la pratique de la traduction, sur la dimension historique et culturelle développée par la bande dessinée, sur les mots et notions clés qui caractérisent une civilisation.

En préambule, quelques principes généraux

Dans l’élaboration de la traduction, les choix linguistiques sont liés à deux impératifs fondamentaux :

  • le respect de la version originale dans un cadre imposé : le texte latin doit être fidèle au texte français et s’adapter au format des « bulles » (ou « phylactères », selon le terme savant).
  • le texte latin doit refléter les habitudes de la langue écrite et parlée à l’époque mise en scène par l’album : ici, en l’occurrence, la fin du Ier siècle avant J.-C.

On sait que dans ce domaine, les auteurs qu’on qualifie de « classiques » (Ier siècle avant - Ier siècle après J.-C.) constituent les références traditionnelles : souvent cités au premier rang, les textes de Cicéron fournissent de très nombreux exemples en matière de vocabulaire et de constructions, en particulier sa correspondance car elle permet de trouver des tournures adaptées aux échanges dans la conversation.

Une mention également pour le théâtre comique : bien qu’il relève d’un état plus ancien (et parfois archaïque) de la langue (IIe siècle avant J.-C.), il offre des tournures « vivantes » du latin parlé encore à l’époque d’Auguste. Ainsi, par exemple, les formes syncopées du type « si id verum 'st » (pour « verum est »), « si c’est vrai » (Plaute, Le Soldat fanfaron, vers 298), que l’on peut rapprocher de l’anglais « isn’t it ».

Analyse d’une page

Diverses pistes linguistiques et culturelles sont développées en s’appuyant sur la confrontation de la page 5 de l’album en français et en latin.

planche 1 VF

Vignette 1

planche1

Le cadre spatio-temporel

Distincte de la bulle de parole, la bulle de « paratexte » donne les informations nécessaires pour situer l’événement.

L’expression de la date

La date du 6 mars, en latin Pridie Nonas Martias (la veille des Nones de Mars) permet de faire le point sur certains aspects de la mesure du temps.

Rappelons que pour les Romains, chaque jour du mois est nommé selon sa place par rapport à trois repères, les calendes, les ides et les nones, et sur le principe du décompte.

  • le 1er jour (qui donne le nom du mois) : les calendes (Kalendae ou Calendae, f. pl.), de calare (proclamer), le premier jour du mois étant proclamé officiellement par les prêtres ;
  • le 7e jour (en mars, mai, juillet, octobre) ou le 5e jour (pour les autres mois) : les nones (Nonae, f. pl.), de nonus, le 9e (soit le 9e jour avant le repère suivant) ;
  • le 15e jour (en mars, mai, juillet, octobre) ou le 13e jour (pour les autres mois) : les ides (Idus), d’un nom d’origine étrusque marquant l’idée de moitié.

Tous les autres jours dans le mois sont décomptés par rapport à l’étape suivante : par exemple, 3e jour avant les nones, 7e jour avant les ides, 4e jour avant les calendes (du mois suivant).

Le jour des calendes, des ides ou des nones est compris en tant que “jour 1” (ante diem) dans le décompte des jours précédents : par exemple, l’avant-dernier jour d’un mois est appelé ante diem tertium kalendas (précisé par l’adjectif dérivé du nom du mois suivant), tandis que le dernier jour du mois s’appelle pridie (sous-entendu ante) Kalendas (la veille des calendes). On compte de même pridie Nonas et pridie Idus.

Ce n’est qu’au IIIe siècle après J.-C. qu’apparaît le découpage en semaines (de septimana, période de 7 jours) avec des noms de jours associés à des planètes qui portent des noms de divinités (Jupiter, Vénus, Mars, etc.).

Une autre date du mois de mars est donnée dans la vignette 1 de la page 10 : 23 mars, soit en latin : A. D. X Kal. (Apriles).

Cette fois, pour des raisons de place dans la bulle, la date est donnée en abrégé, selon une habitude dont témoignent les textes latins antiques (voir les lettres de Cicéron, par exemple).

On comparera avec la formule complète : Ante diem decimum Kalendas Apriles.

Quant à l’année, elle est donnée par la première vignette de la page 1 : l’action se passe en 12 avant J.-C., soit en latin DCCXLII AUC.

En effet, les Romains situent les événements à partir de la date supposée de la fondation de Rome : ab Urbe condita abrégé en AUC.

En suivant deux règles simples, on peut transcrire une année de notre calendrier en année du calendrier romain :

- pour une date avant J.-C., soustraire le nombre à 754.

Par exemple : 70 avant J.-C., soit 754 - 70 = 684, en latin DCLXXXIV AUC.

- pour une date après J.-C., ajouter le nombre à 753.

Par exemple : 2018, soit 753 + 2018 = 2771, en latin MMDCCLXXI AUC.

Cette date permet de situer avec précision le contexte historique : le 6 mars 12 avant J.-C., Auguste est nommé Pontifex Maximus. Cet événement est fondamental dans la carrière d’Octave devenu Auguste le 16 janvier 27 avant J.-C. : il marque la dernière étape du processus de concentration des pouvoirs (ici le pouvoir religieux).

L’expression du lieu

La scène se passe à Rome, dans le temple de Jupiter sur le Capitole : Romae. In aede Capitolina. 

C’est l’occasion d’observer :

- l’emploi du locatif : Romae.

Pour exprimer le lieu où l’on est, on trouve les vestiges d’un ancien cas, appelé « locatif », caractérisé par des terminaisons proches du génitif.

Le locatif est utilisé pour certains noms de villes (Romae, à Rome ; Lugduni, à Lyon) et pour trois noms communs (domi, à la maison ; ruri, à la campagne ; humi, par terre).

- le complément à l’ablatif introduit par la préposition in : In aede Capitolina, « dans le temple du Capitole » (plus restreint que la formule « Le Capitole » dans l’album original).

Le choix du vocabulaire : mots, expressions, constructions

Traduire c’est nécessairement opérer un choix entre divers termes et formules possibles.

Par exemple, la formule in aede Capitolina :

le nom aedes, is, f., a été ici préféré à templum, i, n., car il est plus souvent utilisé que celui-ci pour exprimer l’édifice (un nom précisément issu de aedes) en lui-même plutôt que l’espace « découpé » et consacré à la divinité (selon le sens étymologique de templum).

Ainsi peut-on constater que Cicéron utilise 15 fois l’ablatif aede comme complément de lieu (in aede / ex aede) dans ses discours contre Verrès et seulement 8 fois l’ablatif templo dans la même construction (in templo / e templo).

Autre exemple, le choix du verbe adnuit :

il a été retenu pour traduire l’expression « Jupiter approuve ton élection au Grand Pontificat ».

Si on souhaitait privilégier la « transparence » par rapport au français, on prendrait le verbe probare (+ accusatif et attribut) que l’on retrouve clairement dans « approuver ».

On pourrait aussi retenir la construction placet (« il est agréable ») + datif, mais dans ce cas le datif Jovi (« à Jupiter ») paraît plus difficile à repérer que le nominatif Juppiter (avec 2 p en latin).

Le verbe adnuere a été préféré car il est celui qui convient le mieux au contexte religieux : en effet, adnuo, is, ere, nui, nutum signifie « faire un signe », « donner par signes son approbation », d’où « daigner accorder ». Il est formé sur le très ancien verbe nuere (qu’on ne trouve qu’en composition) qui signifiait précisément « faire un signe de tête », comme si la divinité adressait un signe physique concret pour marquer son opinion.

C’est l’occasion de signaler que le terme de numen, numinis, n., « volonté divine », est à rattacher directement à cette origine et à ce sens. Quant au verbe sternuere (éternuer), il semble bien qu’il manifeste également l’expression du numen : ainsi accorde-t-on ses bons souhaits à celui qui éternue car, comme le fait remarquer Cicéron, un éternuement prend pour certains la valeur d’un présage à respecter (De la divination, livre II, 40).

Comme on le voit, le choix du terme est aussi un moyen d’engager une réflexion très importante sur la dimension religieuse fondamentale qu’il implique : la lecture des signes et des présages dans ce qu’il est convenu d’appeler « la religion romaine ». Cette dimension, très présente dans cette page, l’est aussi tout au long de l’album.

Pour ce qui est de la construction du verbe adnuit (« il a fait un signe d’approbation », donc « il approuve »), on reconnaît une proposition infinitive :

te Pontificem Maximum lectum esse adnuit.

Littéralement : « il approuve toi avoir été choisi Grand Pontife ».

Remarques :

- Le choix de la proposition infinitive avec un verbe au passif lectum esse (de legere au sens de « choisir ») et un attribut au sujet (te) qui donne le titre (Pontificem Maximum) correspond beaucoup plus aux habitudes du latin qu’une construction avec le nom abstrait « élection » (electio). On sait que le latin privilégie le passif et les constructions verbales là où le français préfère l’actif et les constructions nominales.

- On retrouvera le verbe adnuere avec une proposition infinitive chez Tite-Live (Histoire romaine, livre XXVIII, 17, 8) :

amicitiam se Romanorum accipere adnuit...

il déclara qu’il consentait à recevoir l’amitié des Romains...

Langue et culture : « Juppiter, deorum rex »

L’expression « Juppiter deorum rex » (« Jupiter, le roi des dieux ») permet d’ouvrir de multiples pistes pour aborder le panthéon gréco-romain et la figure de son « souverain ». Cette approche permet d’étudier en contexte littéraire et historique des « mots clés » fondamentaux, signalés dans les Programmes de latin au lycée : deus, rex, potestas, omnipotens, pater, entre autres.

Exemples pris dans des textes authentiques :

Pour étudier la manière dont Jupiter est présenté dans sa toute-puissance, on propose une série d’extraits qui pourront être facilement lus, traduits et commentés.

Virgile, Énéide, livre X, vers 100-101 et 112-113

Tandis que Junon et Vénus se disputent au sujet de l’avenir des Troyens en Italie, Jupiter rappelle sa fonction et son pouvoir.

Tum pater omnipotens, rerum cui prima potestas,

infit […].

« Rex Juppiter omnibus idem.

Fata viam invenient. »

Alors le père tout-puissant, à qui appartient la souveraineté première sur les choses, commence à parler […]. « Le roi Jupiter est le même pour tous. Les destins trouveront leur voie. »

Virgile, Énéide, livre X, vers1-3

Panditur interea domus omnipotentis Olympi

conciliumque vocat divum pater atque hominum rex

sideream in sedem […].

Pendant ce temps s’ouvre la demeure de l’Olympe tout-puissant et le père des dieux et roi des hommes convoque l’assemblée en son séjour étoilé […].

Virgile, Énéide, livre XII, vers 791-792

Junonem interea rex omnipotentis Olympi

adloquitur fulva pugnas de nube tuentem.

Pendant ce temps, le roi tout puissant de l'Olympe interpelle Junon qui, du haut d'un nuage doré, regardait les combats.

Virgile, Énéide, livre IV, vers 268-269

Mercure admoneste Énée.

Ipse deum [= deorum] tibi me claro demittit Olympo

regnator, caelum ac terras qui numine torquet.

Le souverain des dieux en personne m’a envoyé vers toi du haut de l’Olympe lumineux, lui qui plie sous sa divine volonté le ciel et les terres.

Cicéron, De la nature des dieux, II, 25

Juppiter a poetis "pater divomque hominumque" dicitur,

a majoribus autem nostris Optimus Maximus.

Jupiter est dit “père des dieux et des hommes” par les poètes ; par nos ancêtres [il était dit] le Meilleur et le plus Grand.

Saint Augustin, De l’accord des évangélistes, livre I, 22, 30

Nam nihil superius solent colere Romani quam Jovem, quod Capitolium eorum satis aperteque testatur, eumque regem omnium deorum arbitrantur.

Les Romains, en effet, ont l’habitude de n’honorer rien au-dessus de Jupiter, ce dont témoigne suffisamment et clairement leur Capitole, et ils le considèrent comme le roi de tous les dieux.

Saint Augustin, La Cité de Dieu, livre VII, 9

« Deus est, inquiunt, habens potestatem causarum, quibus aliquid fit in mundo. » Hoc quam magnum sit, nobilissimus Vergilii versus ille testatur : Felix qui potuit rerum cognoscere causas. […] Merito ergo rex omnium Juppiter habetur. »

« C’est le dieu, dit-on, qui a le pouvoir sur les causes, par lesquelles quelque chose se produit dans le monde. » Combien ce pouvoir est grand, ce vers très célèbre de Virgile en témoigne : Heureux celui qui a pu connaître les causes des choses. […] Donc c’est à bon droit que Jupiter est considéré comme le roi de toutes choses. »

Un mot clé, le nom rex, regis, m., roi (regina, ae, f., reine)  

Il offre l’occasion d’une mise au point (ou d’un rappel) étymologique.

Il appartient à la famille du verbe rego, is, ere, rexi, rectum (diriger, gouverner), où se reconnaît la racine reg- avec l’idée de « mener droit ». D’où les deux « branches » lexicales issues de cette base sémantique : celle où domine l’idée de ligne droite comme direct, rectifier, corriger, correct, etc., et celle où domine l’idée d’autorité comme diriger, directeur, direction, régalien, etc.

On retrouve la racine indo-européenne reg- avec l’idée de commander dans la terminaison -rix de noms de chefs celtes, comme le Gaulois Vercingétorix. C’est l’occasion d’expliquer que le nom d’Alix se décline en latin sur le même principe que celui des autres noms gaulois en -ix (y compris Astérix) : Alix, génitif Aligis (type rex, regis).

Les Romains marquaient très fortement l’accent tonique. Dans le passage du latin aux langues romanes, la syllabe portant l’accent tonique s’est maintenue mieux que les autres (syllabes atones) : regem (accusatif) > rei > roi.

La reconstitution par l’image : la statue de Jupiter

Les Romains se représentent Jupiter sur le modèle de Zeus, maître de l’univers dans la mythologie grecque : assis sur son trône d’or, au sommet du mont Olympe, il gouverne les dieux et les hommes.

C’est ce type de représentation que met en scène le dessinateur Thierry Démarez : il s’inspire directement de la statue de Jupiter (elle-même réalisée sur le modèle du Zeus de Phidias) qui provenait de la villa de l’empereur Domitien (fin du Ier siècle après J.-C.). Restaurée au XIXe siècle, cette statue en marbre et en bronze se trouve aujourd’hui au musée de l’Ermitage à Saint Pétersbourg (Russie).

Jupiter

© Wikimedia Commons

L’étude de l’image peut être aussi l’occasion de faire un point rapide sur la fameuse statue de Zeus à Olympie (voir la maquette du temple avec sa statue sur le site du British Museum, Londres).

Cette statue chryséléphantine (du grec chrysos, or, et éléphantos, ivoire) était la troisième merveille du monde antique. Réalisée entre 456 et 447 avant J.-C. par le célèbre sculpteur Phidias, à la demande du stratège athénien Périclès, elle se trouvait dans le temple de Zeus, au cœur du sanctuaire d’Olympie, en Grèce.

La statue proprement dite mesurait entre 12 et 18 mètres de haut et son piédestal 2 mètres : Zeus, représenté assis, touchait presque le plafond du temple. Dans sa main droite, il tenait une statuette de la Victoire (en ivoire et en or), dans sa main gauche, un sceptre d’or, surmonté d’un aigle. Le visage, les bras, le torse et les pieds du dieu étaient en ivoire ; sa chevelure, sa barbe, ses sandales et la draperie qui enveloppait son corps en or. Le trône était fait d'ivoire et d'ébène, sertis d'or et de pierres précieuses.

Au cours du IIe siècle avant J.-C., la statue dut être restaurée. Au Ve siècle après J.-C., le temple brûla, et la statue fut alors transférée à Constantinople (capitale de l’Empire romain d’Orient). Elle disparut dans un incendie (sans doute d’origine criminelle) en 462 ou 475.

On peut donner à lire la description du géographe grec Pausanias (mort à Rome vers 180 ap. J.-C.) : « Le dieu est représenté assis sur un trône : il est fait en or et en ivoire, et il a sur la tête une couronne qui imite les branches de l’olivier. De la main droite, il tient une Victoire, qui est elle-même en or et en ivoire, ornée de bandelettes et couronnée ; de la gauche, un sceptre d’une extrême délicatesse, où reluisent toutes sortes de métaux. L’oiseau qui repose sur le bout de son sceptre est un aigle. Les chaussures et le manteau du dieu sont aussi en or : sur le manteau sont gravés toutes sortes d’animaux, toutes sortes de fleurs, et particulièrement des lys. Le trône du dieu est tout brillant d’or et de pierres précieuses sur l’ivoire et l’ébène. » (Description de la Grèce, livre V, chapitre 11)

Zeus BNF

Antoine Quatremère de Quincy, Le Jupiter olympien, ou l'Art de la sculpture antique considéré sous un nouveau point de vue..., 1815. © Bibliothèque nationale de France

En guise de prolongement par l’image, on retrouve le temple de Jupiter Capitolin et sa statue dans une séquence du film La Chute de l’Empire romain d’Anthony Mann (1964) : on voit l’empereur Commode se rendre dans la cella (chambre du dieu) et sur le socle de la statue (elle aussi très inspirée de la statue de l’Ermitage) on peut lire IOVI OPTIMO MAXIMO (« À Jupiter Très bon Très Grand »).

Vignette 2

Planche 2

Un mot-clé : signum

L’ordre des mots habituel en latin (COD avant le verbe) permet ici de mettre en valeur le nom Signum et de développer les pistes abordées avec la vignette précédente : l’importance des présages dans le monde romain.

On sait en effet que pour un Romain tout est signe, tout fait signe, dans la mesure où tout peut être interprété comme une manifestation de la volonté divine.

À ce titre, on lira dans la Vie d’Auguste de Suétone l’ensemble du chapitre consacré aux « présages de la grandeur future » d’Octave-Auguste (XCIV).

Nous retenons en particulier un passage qui a directement inspiré une séquence dans l’une des aventures d’Alix imaginées par Jacques Martin, Le Tombeau étrusque (1968).

Ad quartum lapidem Campanae viae in nemore prandenti ex improviso aquila panem ei e manu rapuit et, cum altissime evolasset, rursus ex improviso leniter delapsa reddidit.

À quatre milles de Rome, sur la route de Campanie, tandis qu'il mangeait dans un bois, un aigle lui arracha à l’improviste le pain qu'il tenait à la main, et, après s'être envolé àtrès grande hauteur, il revint à l’improviste tout doucement pour le lui rapporter.

(Suétone, Vie d’Auguste, XCIV, 11)

Ce « présage » merveilleux qui associe l’aigle, emblème de Jupiter, au destin du jeune Octave, est illustré à la page 5 du Tombeau étrusque (on y découvre Octave comme un tout jeune adolescent protégé par Alix).

On peut lire dans la case 9 les paroles d’un témoin (un ami de César nommé Lucius Valerius Sinner) :

« Oh ! Prodige !... Jupiter le Grand est venu désigner ainsi le maître du monde !... Octave, tu seras le plus grand des plus grands… Jupiter est l’aigle du ciel, toi, tu seras l’aigle de la terre !... »

Les lecteurs de l’album Les Aigles de sang découvriront comment la scénariste Valérie Mangin a très habilement repris l’anecdote pour l’interpréter dans la logique de l’intrigue qu’elle a imaginée (page 48, vignette 2).

On pourra aussi comparer la symbolique du présage (l’intervention d’un aigle) avec celle que Tite-Live associe à l’arrivée de l’Étrusque Lucumon, futur Tarquin l’Ancien, à Rome : un aigle s’empare de son bonnet puis le replace sur sa tête (Histoire romaine, livre I, 34, 1-9, à voir dans notre manuel de 5e pp. 76-77).

Planche 3

Vignette 3

planche aigles

Un adjectif démonstratif : illae aquilae

On peut aborder (ou revoir) l’emploi du pronom-adjectif démonstratif ille, a, um.

Il est employé pour indiquer ce qui le plus éloigné (dans l’espace, dans le temps) par rapport au locuteur (celui-là, celle-là).

Il est souvent chargé d’un sens laudatif connoté (ce qui est remarquable, illustre).

On retrouve cette double spécificité dans l’expression illae aquilae : les aigles sont à la fois éloignés (dans le ciel, mais aussi par rapport au temps de l’énonciation) et très « remarquables » (tout le monde les a vus, de plus ils sont traditionnellement liés à Jupiter, le roi des dieux).

« Ces aigles-là », lointains et prodigieux, sont bien le signe (signum) « qui ne peut pas tromper », envoyé par Jupiter.

Vignette 4

Une voix : le passif

On a déjà signalé la préférence du latin pour la tournure au passif (vignette 1).

La construction active « Toute la ville les a vus » a donc été traduite par le verbe videre au parfait passif visae sunt accompagné du complément d’agent à l’ablatif Urbe tota.

Le sujet au nominatif aquilae est à retrouver dans la vignette précédente (Illae aquilae). Ce qui correspond précisément à la logique du sens : en position de sujet dans les deux vignettes, les aigles sont en quelque sorte les « acteurs » de l’événement.

aigle

Vignette 5

Vignette 5

 

Langue et culture : Auguste, l’élu

L’expression du choix

La notion fondamentale de « l’élection » requiert une attention particulière. Le verbe composé diligo, is, ere, lexi, lectum (choisir, distinguer, honorer, aimer) a été retenu ici car il fait écho précisément au verbe simple legere (au sens de choisir, élire) qui est employé dans la vignette 1 (te Pontificem Maximum lectum esse).

Le verbe diligere a précisément le sens d’une affection fondée sur le choix (voir le nom « prédilection » en français).

La répétition de la formule au passif (tu dilectus es, « toi, tu as été choisi ») permet de mettre en valeur les 2 agents (Jupiter / Rome) de manière symétrique. L’objectif est de donner une tournure plus emphatique aux paroles du prêtre, en accord avec le contexte.

Sur le plan grammatical, c’est donc l’occasion d’observer la construction du passif + complément d’agent à l’ablatif seul (pour les inanimés) ou introduit par la préposition a / ab (pour les animés).

Tu a Jove dilectus es.

Toi, tu as été choisi par Jupiter.

Tu Roma dilectus es.

Toi, tu as été choisi par Rome.

Sur le plan culturel, il est important de souligner la dimension sacrée ainsi conférée à Auguste, reconnu comme « l’élu » des dieux et des hommes.

Nommer l’empereur

On sait que le terme « empereur » utilisé aujourd’hui pour désigner Auguste et ses successeurs ne correspond pas à la réalité politique antique : le nom imperator, qui s’applique à un général victorieux récompensé par la cérémonie du triomphe, n’est que l’un des titres portés par celui qui s’est désigné lui-même comme le princeps, « le premier à prendre la parole au Sénat ».

Après la divinisation de Jules César, son père adoptif, Octave choisit de porter comme lui le titre d’imperator en guise de prénom, et celui de Caesar, Divi filius (César, fils d’un dieu) comme nom de famille, pour bien montrer sa filiation.

C’est pourquoi l’appellation complète Imperator Caesar Divi Fili (le groupe est ici au vocatif) a été retenue pour traduire l’expression « ô empereur » : elle permet d’amorcer un prolongement historique très important sur le personnage d’Octave / Auguste et sur son image politique.

Dans la bouche du prêtre, cette appellation se trouve ainsi renforcée dans sa dimension religieuse et sacrée.

Le point sur le vocatif

Le vocatif (de vocare, appeler) est le cas de l’apostrophe : il sert à interpeler celui dont on veut attirer l’attention ; il nomme l’interlocuteur dans un discours direct.

La forme du vocatif est toujours identique à celle du nominatif, sauf au singulier de la 2e déclinaison pour les noms en -us, -ius et -eus.

dominus (nominatif) > domine (vocatif) : maître

filius meus (nominatif) > fili mi  (vocatif) : mon fils

On peut ainsi comparer le vocatif Auguste (vignette 1) et l’appellation Imperator Caesar (Divi) Fili.

Vignette 6

Vignette 6

Langue

L’ordre des éléments dans la phrase

La traduction est ici fidèle au texte original tout en inversant l’ordre des deux grands segments de la phrase :

1. At ego, primus augur, Jovis nomine tibi divinam gratiam do,

Mais c’est moi, le premier augure, qui t’accorde la grâce divine au nom de Jupiter,

2. quoniam fulminis domino nullus sacerdos in Urbe superest qui numen illius tradere possit.

puisqu’il ne reste plus au maître de la foudre aucun prêtre dans la ville qui puisse transmettre sa volonté.

Cette inversion permet de mettre l’accent sur le rôle du prêtre (At ego) et de rapprocher les trois « maillons » de la chaîne de la transmission divine :

- l’augure (primus augur) ;

- le dieu (Jovis nomine) ;

- l’empereur (tibi).

Histoire et culture

La religion romaine : quelques principes

Pour les Romains, qui se disent religiosissimi, « très religieux » (religiosissimi mortales, Salluste, Conjuration de Catilina, XII, 3), les dieux sont des partenaires invisibles et indispensables : ils cohabitent avec les hommes et les accompagnent dans toutes leurs entreprises.

Sans entrer ici dans les détails de la question fort complexe de « la religion » à Rome, on peut proposer de dégager ses caractéristiques à partir d’un texte célèbre de Cicéron (De la nature des dieux, livre III, 2, 5) :

« La religion du peuple romain (omnis populi Romani religio), considérée dans son ensemble, comporte deux aspects, les rites (sacra) et les auspices (auspicia), auxquels on a ajouté un troisième, les avertissements tirés des phénomènes exceptionnels et des prodiges (praedictionis causa ex portentis et monstris) par des interprètes, dont les haruspices : je n’ai jamais tenu pour méprisable aucune de ces pratiques et j’ai la conviction que Romulus, en instituant les auspices, et Numa, les rites, ont posé les fondements de notre cité. Sans aucun doute, elle n’aurait jamais pu devenir aussi grande qu’elle l’est sans s’assurer la pleine faveur des dieux immortels. »

Rappelons qu’une divinité est reconnue du moment qu’elle reçoit un culte et qu’elle possède un temple ou au moins un autel à Rome.

Tous les actes des cultes publics relèvent des magistrats et des prêtres (sacerdotes) qui veillent à leur respect scrupuleux pour garantir la pax deorum (la paix entre les hommes et les dieux).

Seul le prêtre peut dire et interpréter le droit sacré, proposer des solutions en cas de conflits graves entre les dieux et la cité. Il est important de souligner l’interaction permanente du politique et du religieux : les prêtres et le Sénat devaient être consultés à propos de toute crise ou innovation survenant dans la res publica.

Être prêtre à Rome ne relève donc pas de la croyance personnelle au sens moderne (acte de foi), mais de l’action publique. Tout citoyen peut exercer une fonction religieuse officielle : il ne le fait pas par vocation, mais par respect de la tradition. Par exemple, Cicéron a été augure.

Élus ou nommés dans les grandes familles, les prêtres sont réunis en « collège » (collegium) partageant les mêmes fonctions sacrées. L’appartenance à un collège dépend de la hiérarchie sociale : les plus hauts magistrats occupent à un moment de leur vie les fonctions religieuses les plus élevées. Il n’est donc pas étonnant pour les Romains de voir Auguste investi de la charge sacerdotale la plus importante, celle de « Grand Pontife ».

Les prêtres dans la religion romaine

Les pontifes

Les prêtres les plus importants sont les neuf pontifes (pontifex, icis, m.) : gardiens de la tradition, ils surveillent toutes les cérémonies publiques, précisent quels sont les jours fastes et néfastes. Nommé à vie, leur chef porte le titre de pontifex maximus (à rapprocher de l’expression moderne « le souverain pontife » pour désigner le pape).

Avec ce titre, Auguste ajoute le pouvoir religieux aux pouvoirs militaire et politique.

Les augures

Les augures (augur, is, m.) sont inamovibles ; ils se recrutent par cooptation au sein d'un collège sacré qui existerait depuis le VIIe siècle avant J. C. Il comprenait six membres vers 300 avant J.C., 16 membres à l’époque de César.

Les augures observent les signes envoyés par les dieux : à ce titre, ils jouent le rôle d’experts en droit sacré auprès du Sénat et des magistrats. En effet, les magistrats doivent « prendre les auspices » (auspicia habere) avant toute décision pour savoir si les dieux vont accorder ou non leur faveur à l’action qu’ils veulent entreprendre. L’augure regarde alors les oiseaux voler, les poulets sacrés manger et il en tire une réponse en fonction d’un code ancestral. Si elle est négative, on recommence l’opération. Romulus est ainsi considéré comme le premier augure : il a consulté le vol des oiseaux dans le ciel pour fonder sa ville selon des rites venus d’Étrurie.

On distingue la tradition oraculaire qui fait « parler » les dieux (prophétie, prédiction) et la tradition augurale qui « lit » certains signes (consultation, interprétation). Dans un cas, on cherche à connaître l’avenir, dans l’autre on s’interroge sur une réalisation immédiate de manière binaire (faveur ou défaveur des dieux, fas ou nefas). Avec son lituus (bâton sacré, sans nœuds et recourbé), l’augure trace une « fenêtre » entre le ciel et la terre qui lui permettra de décoder la projection du divin sur l’humain.

Les flamines

Les quinze flamines (flamen, inis, m.) sont attachés au culte d’une divinité particulière. Leur tenue est caractéristique de leur fonction : ils portent une sorte de bonnet au sommet duquel est fixé un bâton dressé entouré d’un fil de laine, l’apex.

Les trois Flamines majeurs sont les prêtres des trois divinités les plus importantes de la Rome archaïque : Jupiter, Mars et Quirinus, ce dernier étant un équivalent de Romulus divinisé. Le flamen Julialis est responsable du culte rendu à César divinisé.

Premier des flamines, le flamen Dialis (le flamine de Jupiter) incarne la présence du roi des dieux dans la ville. Pour montrer que le souverain suprême habite Rome en permanence, son flamine ne dort jamais hors de la ville.

On peut voir un cortège de flamines sur la frise sud de l’Ara Pacis, l’Autel d’Auguste inauguré en 9 avant J.-C. près de son Mausolée.

On peut donner à lire un texte de l’érudit Varron (116 - 27 avant J.-C.) qui apporte quelques précisions étymologiques (De la langue latine, livre V, 15, 83 - 84) :

Sacerdotes universi a sacris dicti. Pontifices, […] ego a ponte arbitror ; nam ab his Sublicius est factus primum […]. Flamines, quod in Latio capite velato erant semper ac caput cinctum habebant filo, filamines dicti.

Le nom de sacerdotes (prêtre, sacrificateur) en général dérive de sacra (les choses sacrées). Celui des pontifices (pontifes), […] je crois plutôt qu’il vient de pons, pontis (pont) ; ce sont eux, en effet, qui ont construit pour la première fois le pont Sublicius […]. Les flamines dits filamines parce que, dans le Latium, ces prêtres avaient toujours la tête voilée, entourée d’un fil [flamen serait la forme syncopée de filamen, de filum, fil].

Dans l’album, le vieillard aveugle (allusion discrète au don de prophétie traditionnellement associé aux devins aveugles comme Tirésias ?) se présente comme « le premier augure » : il a la charge d’interpréter le vol des aigles au-dessus de la ville de Rome, tel qu’il lui est décrit par ses assistants.

Comme l’explique la scénariste Valérie Mangin, c’est un personnage fictif, nommé Rufus, mais il est relié à un personnage historiquement attesté : Lucius Cornelius Merula (Rufus dit avoir été son assistant, voir p. 48, vignette 2).

Voici la présentation de Lucius Cornelius Merula par Valérie Mangin sur son site : http://www.alixsenator.com/encyclopedie.personnages.html?voir=25

« Consul au temps des guerres civiles, ce prêtre de Jupiter finit par se suicider dans le temple du Capitole. Merula est un flamen dialis (prêtre de Jupiter) désigné comme consul suffect en 87 av. J.-C. Son statut religieux l’empêche, de fait, de remplir toute fonction militaire alors que la République romaine connaît une des pires crises de son histoire : la guerre opposant Sylla à Marius.
En 87, ce dernier, chassé de Rome, parvient à y revenir au terme de combats sanglants. Merula a beau abandonner son consulat, il est immédiatement la cible de violentes accusations et devine qu’il sera bientôt mis à mort. Il monte alors au Capitole et s’immole lui-même sur l’autel de Jupiter. Il l’asperge de son sang tout en maudissant ses ennemis. Cette mort sacrilège frappa beaucoup les esprits et la charge de flamen dialis resta vacante jusqu’à ce qu’Auguste la rétablisse en 11 av. J.-C. »

Vignette 7

Vignette 7

Langue : parler comme Cicéron

Les adverbes

Joint aux adverbes de temps, l’adverbe demum (seulement) signifie « pas avant », « pas plus tôt ».

Un exemple de référence « classique » : l’expression adverbiale Nunc atque nunc demum est inspirée par une formule de Cicéron dans une lettre à son ami Atticus (Lettres à Atticus, XVI, 3, 1).

nunc demum enim rescribo iis litteris quas mihi misisti

« maintenant seulement je réponds à la lettre que tu m’as envoyée »

La syntaxe de utinam

L’expression du souhait permet ici de revoir la syntaxe de utinam avec le subjonctif.

Utinam Pontifex Maximus… sis

« Puisses-tu être un Grand Pontife… »)

le souhait

utinam (utinam ne) suivi d’un verbe au subjonctif présent ou parfait.

- l’expression d’un souhait pour qu’un événement se réalise dans l’avenir (Lettre de Cicéron à sa femme, son fils et sa fille, XIV, 4, 4 :

huic utinam aliquando gratiam referre possimus

« pourvu qu’un jour nous puissions lui témoigner notre gratitude »

- l’expression d’un souhait pour qu’un événement passé se réalise (Cicéron, La République, livre IV, fragments, 8) :

utinam vere fideliter auguraverim

« pourvu que j’aie prédit de manière vraie et fidèle »

le regret 

utinam (utinam ne) suivi d’un verbe au subjonctif imparfait ou plus-que-parfait.

- l’expression d’un regret par rapport au moment où on l’exprime (Lettre de Cicéron à son ami Sextius, V, 17, 3) :

illud utinam ne vere scriberem

« cela (= ce que j’écris) si seulement je ne l’écrivais pas de manière vraie (= si je pouvais ne pas dire vrai) »

- l’expression d’un regret par rapport à un contexte passé (Lettre de Cicéron à sa femme, son fils et sa fille, XIV, 4, 2) :

minus vitae cupidi fuissemus ! certe nihil aut non multum in vita mali vidissemus

« si seulement nous avions été moins attachés à la vie ! certes nous n’aurions rien vu du malheur aujourd’hui ou bien peu »

Langue et culture : un mot clé, la pietas

L’adjectif pius (pieux) offre l’occasion d’une indispensable réflexion sur la notion de pietas (piété), « vertu » cardinale dans le monde romain.

Rappelons que la pietas impose aux enfants d’honorer leurs parents (voir le modèle archétypal représenté par Énée et son père Anchise) et aux hommes d’honorer les dieux (voir le clipeus virtutis, le bouclier honorifique offert à Auguste par le Sénat, sur lequel est mentionnée sa pietas erga deos patriamque, « piété envers les dieux et la patrie »).

C’est l’occasion de souligner son importance dans « le programme » augustéen. L’empereur, en effet, est un politicien habile : il sait mettre en scène la réconciliation entre les Romains pour faire oublier le souvenir de la guerre civile, à laquelle il a lui-même activement participé. Sa propagande est efficace car il remet en avant les vieilles valeurs romaines bafouées par les rivalités entre citoyens : « Par de nouvelles lois qui ont été votées à mon initiative, j’ai fait revivre de nombreuses traditions de nos ancêtres qui étaient en train de tomber en désuétude et j’ai moi-même transmis à la postérité des exemples à suivre en de nombreux domaines » (Res gestae, II, 8).

Désormais garant du lien privilégié qui unit le peuple romain et les puissances divines, le Grand Pontife Auguste veut se montrer comme celui qui restaure la pietas en appliquant la justice avec clémence. Il aime à donner de lui-même l’image d’un homme simple, préoccupé du bien public et de son travail de « prince », sobre, se nourrissant de manière frugale, vivant sans faste particulier, comme le raconte Suétone (Vie d’Auguste, LXXIII, 1-2) : « On peut juger encore aujourd’hui de la simplicité de son ameublement et de sa parure. Les lits et les tables qui nous restent ne seraient pas, pour la plupart, au niveau du luxe des particuliers. Il couchait, dit-on, sur un lit fort bas, et modestement recouvert. Ses vêtements étaient presque tous faits chez lui par sa sœur ou par sa femme, par sa fille ou par ses petites-filles. »

Prolongements

Resituée dans l’ensemble de la bande dessinée, la page étudiée peut être prolongée par des dossiers riches et variés.

Nous en suggérons quelques-uns.

Auguste, l’élu de Jupiter et de Rome

Les paroles de l’augure trouvent un écho littéraire dans divers extraits de l’œuvre d’Ovide, poète « officiel » du prince, avant de tomber en disgrâce et d’être condamné à l’exil.

On peut lire ainsi cet extrait des Fastes (Livre II, vers 130-132) : le poète y célèbre un nouveau titre d’Auguste, celui de Pater patriae (« Père de la patrie »), qu’il a reçu du Sénat le 5 février 2 avant J.-C.

[…] Jam pridem tu pater orbis eras.

Hoc tu per terras, quod in aethere Juppiter alto,

nomen habes : hominum tu pater, ille deum.

« […] Depuis longtemps déjà tu étais le père de l’univers. Toi tu l’as à travers toute la terre, ce nom que Jupiter détient tout en haut du ciel : toi tu es le père des hommes, lui il est le père des dieux. »

Le titre Pater patriae figure sur les monnaies impériales ou sur les inscriptions monumentales avec l’abréviation P P.

Le portrait d’Auguste

La confrontation des portraits d’Auguste permet d’étudier la façon dont a travaillé le dessinateur de la bande dessinée Thierry Démarez.

Son Auguste est en effet inspiré par toute une tradition iconographique depuis les statues antiques : ici, en particulier, la statue de l’empereur voilé en Pontifex Maximus.

Auguste Pontifex

Auguste en Pontifex Maximus, statue en marbre datée de 12 ap. J.-C., Palazzo Massimo alle Terme, Rome (photo A. Collognat).

La coiffure d’Auguste mérite une attention spéciale car elle est très caractéristique. Elle se définit par la position et le dessin des mèches frontales, mais aussi secondaires : deux mèches recourbées vers la droite et une vers la gauche forment une pince très marquée. Les autres mèches sont peignées à droite comme à gauche en direction des tempes et des favoris dont elles annoncent le mouvement.

On retrouve cette disposition typique aussi bien sur la statue d’Auguste en Pontifex que sur la statue dite « Prima Porta » où il est représenté en imperator (Musée du Vatican, Rome).

C’est l’occasion de lire un nouvel extrait de Suétone (Vie d’Auguste, LXXIX, 1) :

Forma fuit eximia et per omnes aetatis gradus venustissima quamquam et omnis lenocinii neglegens ; in capite comendo tam incuriosus, ut raptim compluribus simul tonsoribus operam daret ac modo tonderet modo raderet barbam eoque ipso tempore aut legeret aliquid aut etiam scriberet.

« Sa beauté était remarquable et elle demeura pleine d’un très grand charme à travers toutes les étapes de l’âge, bien qu’il négligeât tous les artifices de la toilette ; il s’inquiétait si peu de la façon de se coiffer qu’il occupait à la hâte plusieurs coiffeurs à la fois et que tantôt il se faisait couper la barbe, tantôt il la faisait raser, tandis que, pendant ce temps, il lisait ou même écrivait quelque chose. »

On pourra aussi confronter ces éléments avec la représentation du jeune Octave (joué par Max Pirkis) puis d’Octave plus âgé (joué par Simon Woods) dans la série télévisée à succès Rome (HBO, 2005-2007). C'est l'occasion d'observer que, comme le dit Roland Barthes, « les Romains sont romains par le plus lisible des signes, le cheveu sur le front. » (Mythologies, « Les Romains au cinéma », Seuil, 1957, p. 26).

La numismatique : observer, reconnaître, déchiffrer

La numismatique offre de nombreuses pistes pour accompagner une approche historique et culturelle de l’album.

Par exemple, on retrouve toute la titulature d’Auguste sur un aureus (pièce en or) émis vers 13 - 14 après J.-C. par un atelier de Lyon :

- sur l’avers (ou le droit), le profil d’Auguste couronné de lauriers avec l’inscription Caesar Avgvstvs Divi F [ilius] Pater Patriae.

- sur le revers, une femme vue de profil, assise sur un trône, tenant une branche d’olivier de la main gauche et un long sceptre de la droite. Il s’agit sans doute de la personnification de Pax (la Paix) ou de Livie, l’épouse du princeps, avec l’inscription Pontif[ex] Maxim[us].

aureus Auguste

Bibliothèque nationale de France, département Monnaies, médailles et antiques. © BnF, Gallica.

En conclusion

Les élèves pourront à leur tour s’exercer à construire un jeu de va-et-vient entre la VF et la VO (le latin, qui est la langue « naturelle » des personnages mis en situation par la bande dessinée).

Pour donner à cette approche une dimension orale, ils pourront aussi organiser une mise en scène de quelques situations et dialogues de leur choix.

Retrouvez la version française

Planches et vignettes, album Alix Senator, Tome 1, en français et en latin, © Casterman.

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Pour finir...

 

V de fin

 

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