Auctoritas AUTORITÉ : un mot, une notion clé

Mots concepts des cultures grecque et latine : AUCTORITAS

Le mot et le concept d’auctoritas sont au cœur du monde romain et plus largement de la réflexion politique antique et moderne.

1. auctoritas : sens et origine du mot

Au sens général, le nom féminin auctoritas désigne le fait d’exercer une volonté, de décider, de commander et d’être obéi, en tant que garant reconnu pour la réussite de l’action entreprise ; selon le contexte, il est traduit par autorité, garantie, dignité, prestige, volonté, pouvoir.

Il est formé sur le radical auct- issu du verbe augere, qui signifie « faire pousser », « faire grandir », « augmenter ».

autorité étymologie

Le nom auctoritas est mentionné pour la première fois dans ce qu’on appelle en latin « Lex Duodecim Tabularum » (la Loi des Douze Tables), qui constitue le plus ancien corpus de lois romaines écrites. Celui-ci a été rédigé par un collège de décemvirs (dix hauts magistrats de la République romaine) entre 451 et 449 avant J.-C. et publié sur douze tables en bronze.

VSVS AVCTORITAS FVNDI BIENNIVM EST (Table VI, 3)

« L’autorité d’usage d’un fonds de terre (= le droit de possession d’un bien immobilier acquis par l’usage) est reconnu par durée de deux ans. »

Dans le domaine politique, l’autorité souveraine de la res publica (« la chose publique », c’est-à-dire l’État romain) a été exercée successivement :
- par des rois, pendant la période monarchique (de 753 à 509 av. J.-C.) ;

- par le conseil des magistrats nommé Senatus (le Sénat) pendant la période républicaine (de 509 à 27 av. J.-C.) ;
- par des « princes » (principes, que nous nommons « empereurs ») pendant la période impériale (de 27 av. J.-C. à 476 ap. J-C.).

2. Quelques exemples en latin

Les extraits choisis illustrent les diverses nuances de sens du nom auctoritas.

• La garantie en fonction de l’ancienneté

Dans son traité de rhétorique, Cicéron considère de manière générale les conséquences d’un fait accompli.

« ... primum, quod factum est, quo id nomine appellari conveniat ; deinde ejus facti qui sint principes et inventores, qui denique auctoritatis ejus et inventionis comprobatores atque aemuli. »
« ... d’abord, une fois le fait accompli, quel nom il convient de lui donner ; ensuite qui sont les premiers instigateurs et inventeurs de ce fait, qui enfin en sont les approbateurs et les imitateurs sur le plan de son autorité et de sa découverte. » (Cicéron, De l’invention, I, 28, 43)

• La garantie en fonction d’une qualité reconnue

L’auteur de comédies Térence demande à son public de respecter le calme et le silence pour suivre la pièce qui va commencer.

« ... facite ut vestra auctoritas
meae auctoritati fautrix adjutrixque sit.
 »

« ... faites en sorte que votre autorité (en tant que public de qualité)
soit le soutien et l’aide de mon autorité (en tant qu’auteur reconnu). » (Térence, Hécyre, prologue, vers 39-40)

• La capacité à imposer le respect et l’obéissance par ses qualités naturelles

          Le prestige de l’orateur

Cicéron évoque les qualités de l’orateur Caius Carbon.

« ... erat in verbis gravitas et facile dicebat et auctoritatem naturalem quandam habebat oratio. »
« Dans l’élocution, il avait de la gravité, de la facilité, et son discours dégageait une certaine autorité naturelle. » (Cicéron, Brutus, LXII, 221)

         Le prestige du général

Les qualités du stratège athénien Miltiade.

« ... magna auctoritas apud omnes civitates, nobile nomen, laus rei militaris maxima. »
« ... son autorité était grande auprès de toutes les cités, son nom célèbre, sa gloire militaire immense. » (Cornelius Nepos, Vies des grands capitaines, I, 8, 4)

Jules César se pose en garant du pouvoir pour éviter une guerre civile qu’il juge imminente.

« Id ne accidat, positum in ejus diligentia atque auctoritate. »
« Pour que cela n’arrive pas, la situation reposait sur sa promptitude et son autorité. » (Jules César, Guerre des Gaules, VII, 32)

L’autorité politique

          Le Sénat

Cicéron, consul en charge, est accusé par son adversaire d’avoir fait passer une loi à son avantage.

« Quid ergo ? haec quis tulit ? Is qui auctoritati Senatus, voluntati tuae paruit, denique is tulit cui minime proderant. »
« Mais enfin qui donc a porté cette loi ? Celui qui a obéi à l’autorité du Sénat, à ta volonté, celui enfin à qui cela rapportait le moins d’intérêt personnel. » (Cicéron, Pour Muréna, 23, 47)

           Le "prince"

Dans son testament, l’empereur Auguste évoque le jour où il a reçu du Sénat le titre « Augustus » (16 janvier 27 av. J.-C.).

« Post id tempus auctoritate omnibus praestiti, potestatis autem nihilo amplius habui quam ceteri qui mihi quoque in magistratu collegae fuerunt. »
« Après cet instant, je l’ai emporté sur tous en autorité, mais je n'ai jamais eu de pouvoir légal (potestas) supérieur à celui de chacun des autres magistrats, mes collègues. »

(Res gestae divi Augusti, « Les actions accomplies par le divin Auguste », extrait de la table VI, 34)

Au pluriel, les personnes qui exercent l’autorité :

Cicéron en appelle à la dignité du préteur Glabrion qui doit présider le jury du procès intenté au magistrat corrompu Verrès.

« Circumstant te summae auctoritates, quae te oblivisci laudis domesticae non sinant. »
« Autour de toi se dressent les plus hautes autorités, qui ne te permettent pas d’oublier la gloire de ta famille. » (Cicéron, Contre Verrès, I, 1, 17)

3. Quelques points de vue modernes : autorité et souveraineté

La définition de l’autorité suscite la question sur sa légitimité : dans le domaine politique, qui a le droit d’exercer l’autorité souveraine ? au nom de qui ou de quoi ? par quels moyens ?

• Nicolas Machiavel, Le Prince, 1513

Le secret de l’autorité du « prince » (au sens du latin princeps, celui qui gouverne) réside dans l’art de se faire craindre efficacement.

« Un problème se pose : vaut-il mieux être aimé que craint, ou craint qu'aimé ? Je réponds que les deux seraient nécessaires ; mais comme il paraît difficile de les marier ensemble, il est beaucoup plus sûr de se faire craindre qu'aimer, quand on doit renoncer à l'un des deux. Car des hommes, on peut dire généralement ceci : ils sont ingrats, changeants, simulateurs et dissimulateurs, lâches devant les dangers, avides de profit. Tant que tu soutiens leur intérêt, ils sont tout à toi, ils t'offrent leur sang, leur fortune, leur vie et leurs enfants pourvu, comme j'ai dit, que le besoin en soit éloigné ; mais s'il se rapproche, ils se révoltent. Le prince qui s'est fondé entièrement sur leur parole, s'il n'a pas pris d'autres mesures, se trouve nu et condamné. Les amitiés qu'on prétend obtenir à prix d’argent et non par une supériorité d'âme et de desseins, sont dues mais jamais acquises, et inutilisables au moment opportun. Et les hommes hésitent moins à offenser quelqu'un qui veut se faire aimer qu'un autre qui se fait craindre ; car le lien de l'amour est filé de reconnaissance : une fibre que les hommes n'hésitent pas à rompre, parce qu'ils sont méchants, dès que leur intérêt personnel est en jeu ; mais le lien de la crainte est filé par la peur du châtiment, qui ne les quitte jamais. » (chapitre 17, d’après trad. J. Anglade)

• Thomas Hobbes, Léviathan, II, 26, « Des lois civiles », 1651-1668

Publié en anglais en 1651, le traité Léviathan ou Matière, forme et puissance de l'État chrétien et civil du célèbre philosophe anglais Thomas Hobbes est considéré comme un chef-d’œuvre de la littérature politique. Profondément marqué par les guerres civiles qui déchiraient son pays, Hobbes part du triple postulat que l’homme à l’état de nature est foncièrement violent (homo homini lupus, « l’homme est un loup pour l’homme »), que les individus sont fondamentalement égaux, et que, sous l’effet de la peur, ils renonceront volontiers à leur droit de nature en faveur d’un souverain absolu capable de garantir la paix publique par la puissance de répression dont il est le maître. Dix-sept ans plus tard, Hobbes écrivit une version en latin de son traité pour se prémunir contre toute accusation d’hérésie et donner une dimension doctrinale essentielle à son refus de subordonner le pouvoir politique au pouvoir ecclésiastique.
Pendant plus d’un siècle, le Léviathan fut connu dans tous les pays européens par cette version en latin. Il eut une influence considérable sur la philosophie politique moderne.

« In civitate constituta, legum naturae interpretatio non a doctoribus et scriptoribus moralis philosophiae dependet, sed ab auctoritate civitatis. Doctrinae quidem verae esse possunt, sed auctoritas non veritas facit legem. »

« Dans une cité constituée, l’interprétation des lois de nature ne dépend pas des docteurs, des écrivains qui ont traité de philosophie morale, mais de l’autorité de la cité. En effet, les doctrines peuvent être vraies : mais c’est l’autorité, non la vérité, qui fait la loi. » (trad. Gérard Mairet)

• L’Encyclopédie, « Autorité politique », 1751

Rédigé par Denis Diderot lui-même l’article « Autorité politique » est le plus hardi en matière politique (l’Encyclopédie est condamnée par le pouvoir royal en 1752) : il annonce la « Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen ».

 « Aucun homme n’a reçu de la nature le droit de commander aux autres. La liberté est un présent du ciel, et chaque individu de la même espèce a le droit d’en jouir aussitôt qu’il jouit de la raison. Si la nature a établi quelque autorité, c’est la puissance paternelle ; mais la puissance paternelle a ses bornes ; et dans l’état de nature elle finirait aussitôt que les enfants seraient en état de se conduire. Toute autre autorité vient d’une autre origine que la nature. Qu’on examine bien, et on la fera toujours remonter à l’une de ces deux sources : ou la force et la violence de celui qui s’en est emparé, ou le consentement de ceux qui s’y sont soumis par un contrat fait ou supposé entre eux, et celui à qui ils ont déféré l’autorité. […]
Quelquefois l’autorité qui s’établit par la violence change de nature ; c’est lorsqu’elle continue et se maintient du consentement exprès de ceux qu’on a soumis ; mais elle rentre par là dans la seconde espèce dont je vais parler ; et celui qui se l’était arrogée devenant alors prince cesse d’être tyran.

La puissance qui vient du consentement des peuples suppose nécessairement des conditions qui en rendent l’usage légitime utile à la société, avantageux à la république, et qui la fixent et la restreignent entre des limites ; car l’homme ne peut ni ne doit se donner entièrement et sans réserve à un autre homme, parce qu’il a un maître supérieur au-dessus de tout, à qui il appartient tout entier. […]
D’ailleurs le gouvernement, quoique héréditaire dans une famille, et mis entre les mains d’un seul, n’est pas un bien particulier, mais un bien public, qui par conséquent ne peut jamais être enlevé au peuple, à qui seul il appartient essentiellement et en pleine propriété. Aussi est-ce toujours lui qui en fait le bail : il intervient toujours dans le contrat qui en adjuge l’exercice. Ce n’est pas l’État qui appartient au prince, c’est le prince qui appartient à l’État ; mais il appartient au prince de gouverner dans l’État, parce que l’État l’a choisi pour cela, qu’il s’est engagé envers les peuples à l’administration des affaires, et que ceux-ci de leur côté se sont engagés à lui obéir conformément aux lois. »

• Jean-Jacques Rousseau, Du Contrat social, 1762

« Par la même raison que la souveraineté est inaliénable, elle est indivisible. [...]
L’erreur vient de ne s’être pas fait des notions exactes de l’autorité souveraine, et d’avoir pris pour des parties de cette autorité ce qui n’en était que des émanations. [...]
On trouverait que toutes les fois qu’on croit voir la souveraineté partagée on se trompe, que les droits qu’on prend pour des parties de cette souveraineté lui sont tous subordonnés, et supposent toujours des volontés suprêmes dont ces droits ne donnent que l’exécution. » (II)

« Le principe de la vie politique est dans l’autorité souveraine. La puissance législative est le cœur de l’État, la puissance exécutive en est le cerveau, qui donne le mouvement à toutes les parties. » (XI)

• Voltaire, Dictionnaire philosophique, article « Autorité », 1764

« Misérables humains, soit en robe verte, soit en turban, soit en robe noire ou en surplis, soit en manteau et en rabat, ne cherchez jamais à employer l’autorité là où il ne s’agit que de raison, ou consentez à être bafoués dans tous les siècles comme les plus impertinents de tous les hommes, et à subir la haine publique comme les plus injustes. »

« Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 », article III

« Le principe de toute Souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément. »

• Jean-Paul Marat, Les Pamphlets, « Offrande à la Patrie », 1789

« Le temps est passé, où l’homme abruti se croyait esclave. Honteux de leurs funestes maximes, les suppôts de la tyrannie gardent le silence ; de toutes parts les sages élèvent la voix, ils répètent aux Monarques, qu’en tout état, la souveraine puissance réside dans le corps de la Nation, que de lui émane toute autorité légitime, que les princes ont été établis pour faire observer les lois, qu’ils y sont soumis eux-mêmes, qu’ils ne règnent que par la justice, et qu’ils la doivent au dernier de leurs sujets. »

Pierre-Joseph Proudhon, Qu’est-ce que la propriété ?, 1840

L’autorité de l’homme sur l’homme est-elle juste ? Tout le monde répond : non ; l’autorité de l’homme n’est que l’autorité de la loi, laquelle doit être justice et vérité. La volonté privée ne compte pour rien dans le gouvernement, qui se réduit d’une part à découvrir ce qui est vrai et juste, pour en faire la loi ; d’autre part, à surveiller l’exécution de cette loi.

Victor Hugo, Discours à l’Assemblée nationale sur la liberté de la presse (11 septembre 1848)

Suspendre les journaux, les suspendre par l’autorité directe, arbitraire, violente, du pouvoir exécutif, cela s’appelait coups d’État sous la monarchie, cela ne peut pas avoir changé de nom sous la République.

Alphonse de Lamartine, Discours à l’Assemblée nationale sur l’élection du Président de la République au suffrage universel (6 octobre 1848)

Je dis que je ne connais pas sur la terre de moyen plus efficace pour rattacher l’intelligence, la conscience, la volonté et la force de chaque citoyen au centre national, que d’impliquer pour ainsi dire sa volonté, son vote et sa main dans la nomination de ce pouvoir exécutif. Et vous ne ramènerez pas ainsi le pays seulement à la confiance, vous le ramènerez à ce respect croissant pour l’autorité, pour l’autorité républicaine, qui doit se retremper tous les jours dans la seule source de l’autorité véritable, dans la conscience des citoyens. Ne sera-ce pas là, en effet, messieurs, ce suffrage universel délibéré, réfléchi, volontaire de chaque citoyen, dans la constitution des deux fonctions de votre Gouvernement ; n’est-ce pas par excellence, passez-moi l’expression encore, le sacrement même de l’autorité ; n’est-ce pas l’autorité la plus irréfragable qui puisse se manifester au milieu d’un grand peuple ? (Mouvement) car, enfin, le droit de naissance, qu’est-ce que c’est au bout du compte ? Tout le monde aujourd’hui est assez éclairé pour y avoir réfléchi ; le droit de naissance, c’est le droit du hasard. Le droit de primogéniture, quel est-il ? Le droit du premier venu, le droit du premier sorti des flancs de sa mère. Le droit de la conquête, c’est celui qui avilit le peuple qui s’y soumet, c’est le droit de la violence et de la force brutale. Le droit divin n’est que la sanction, la bénédiction du sacerdoce sur des races royales. Il y a longtemps que ce signe n’était qu’un signe et ce symbole qu’un symbole. (Très bien !)

Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, 1848

« Il faut donc toujours, quoi qu’il arrive, que l’autorité se rencontre quelque part dans le monde intellectuel et moral. Sa place est variable, mais elle a nécessairement une place. L’indépendance individuelle peut être plus ou moins grande ; elle ne saurait être sans bornes. Ainsi, la question n’est pas de savoir s’il existe une autorité intellectuelle dans les siècles démocratiques, mais seulement où en est le dépôt et quelle en sera la mesure. […]

Je pense donc qu’il faut toujours placer quelque part un pouvoir social supérieur à tous les autres, mais je crois la liberté en péril lorsque ce pouvoir ne trouve devant lui aucun obstacle qui puisse retenir sa marche et lui donner le temps de se modérer lui-même.
La toute-puissance me semble en soi une chose mauvaise et dangereuse. Son exercice me paraît au-dessus des forces de l’homme, quel qu’il soit, et je ne vois que Dieu qui puisse sans danger être tout-puissant, parce que sa sagesse et sa justice sont toujours égales à son pouvoir. Il n’y a donc pas sur la terre d’autorité si respectable en elle-même, ou revêtue d’un droit si sacré, que je voulusse laisser agir sans contrôle et dominer sans obstacles. Lors donc que je vois accorder le droit et la faculté de tout faire à une puissance quelconque, qu’on l’appelle peuple ou roi, démocratie ou aristocratie, qu’on l’exerce dans une monarchie ou dans une république, je dis : là est le germe de la tyrannie, et je cherche à aller vivre sous d’autres lois.

Ce que je reproche le plus au gouvernement démocratique, tel qu’on l’a organisé aux États-Unis, ce n’est pas, comme beaucoup de gens le prétendent en Europe, sa faiblesse, mais au contraire sa force irrésistible. Et ce qui me répugne le plus en Amérique, ce n’est pas l’extrême liberté qui y règne, c’est le peu de garantie qu’on y trouve contre la tyrannie.

Charles de Gaulle, Mémoires de guerre, 1959

À la fin de la Seconde Guerre mondiale, après la Libération (1945), le général de Gaulle, chef de la France libre, dirige le gouvernement provisoire de la France. Il est élu Président de la République le 21 décembre 1958.

« Plus que jamais, il me fallait donc prendre appui dans le peuple plutôt que dans les "élites" qui, entre lui et moi, tendaient à s’interposer. Ma popularité était comme un capital qui solderait les déboires, inévitables au milieu des ruines. Pour commencer, j’avais à m’en servir pour établir dans les provinces, comme je l’avais fait à Paris, l’autorité de l’État. » (Mémoires de guerre, tome III,« Le Salut, 1944-1946 », édition Pocket, p. 15).

« En apparence, il me serait loisible de prolonger l’espèce de monarchie que j’ai naguère assumée et qu’a ensuite confirmée le consentement général. Mais le peuple français est ce qu’il est, non point un autre. S’il ne le veut, nul n’en dispose. […] Tout en écartant l’idée de mon propre despotisme, je n’en suis pas moins convaincu que la nation a besoin d’un régime où le pouvoir soit fort et continu. […] Suivant moi, il est nécessaire que l’État ait une tête, c’est-à-dire un chef, en qui la nation puisse voir, au-dessus des fluctuations, l’homme en charge de l’essentiel et le garant de ses destinées. » (Mémoires de guerre, tome III, édition Pocket, pp. 284, 286, 287).

4. Les mots / notions clés en relation

 

en latin : dictator, dominus, imperium, potestas

en grec : ἀρχή (archè), δεσπότης (despotès), κράτος (kratos), κύριος (kurios), τύραννος (turannos)

En complément : autorité, pouvoir, puissance, empire

• L’Encyclopédie, « Autorité », 1751

AUTORITÉ, pouvoir, puissance, empire (Gram.). L’autorité, dit M. l’abbé Girard dans ses Synonymes, laisse plus de liberté dans le choix ; le pouvoir a plus de force ; l’empire est plus absolu. On tient l’autorité de la supériorité du rang et de la raison ; le pouvoir, de l’attachement que les personnes ont pour nous ; l’empire, de l’art qu’on a de saisir le faible. L’autorité persuade ; le pouvoir entraîne ; l’empire subjugue. L’autorité suppose du mérite dans celui qui l’a ; le pouvoir, des liaisons ; l’empire, de l’ascendant. Il faut se soumettre à l’autorité d’un homme sage ; on doit accorder sur soi du pouvoir à ses amis ; il ne faut laisser prendre de l’empire à personne. L’autorité est communiquée par les lois ; le pouvoir par ceux qui en sont dépositaires ; la puissance par le consentement des hommes ou la force des armes. On est heureux de vivre sous l’autorité d’un prince qui aime la justice ; dont les ministres ne s’arrogent pas un pouvoir au-delà de celui qu’il leur donne, et qui regarde le zèle et l’amour de ses sujets comme les fondements de sa puissance. Il n’y a point d’autorité sans loi ; il n’y a point de loi qui donne une autorité sans bornes. Tout pouvoir a ses limites. Il n’y a point de puissance qui ne doive être soumise à celle de Dieu. L’autorité faible attire le mépris ; le pouvoir aveugle choque l’équité ; la puissance jalouse est formidable. L’autorité est relative au droit ; la puissance aux moyens d’en user ; le pouvoir à l’usage. L’autorité réveille une idée de respect ; la puissance une idée de grandeur ; le pouvoir une idée de crainte. L’autorité de Dieu est sans bornes ; sa puissance éternelle, et son pouvoir absolu. Les pères ont de l’autorité sur leurs enfants ; les rois sont puissants entre leurs semblables ; les hommes riches et titrés sont puissants dans la société ; les magistrats y ont du pouvoir. [...]

Autorité dans les discours et dans les écrits. J’entends par autorité dans le discours, le droit qu’on a d’être cru dans ce qu’on dit : ainsi plus on a de droit d’être cru sur sa parole, plus on a d’autorité. Ce droit est fondé sur le degré de science et de bonne foi, qu’on reconnaît dans la personne qui parle. La science empêche qu’on ne se trompe soi-même, et écarte l’erreur qui pourrait naître de l’ignorance. La bonne foi empêche qu’on ne trompe les autres, et réprime le mensonge que la malignité chercherait à accréditer. C’est donc les lumières et la sincérité qui sont la vraie mesure de l’autorité dans le discours. Ces deux qualités sont essentiellement nécessaires.

(D’Alembert et Diderot)

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