Les matrones univirae, admirées des Romains
Les femmes qui n’ont connu qu’un seul homme dans leur vie (univirae) sont admirées des Romains qui les considèrent comme les plus chastes et les plus dignes. Cependant, l’empereur Auguste, pragmatique, encourage le remariage des personnes fécondes dans le cadre des règles fixées par la loi.
Le modèle matronal : Julie
Suétone raconte que l’empereur Auguste meurt dans les bras de son épouse Livie après cinquante-deux ans de mariage (Vie des douze Césars, Auguste, XCIX). Première impératrice à porter le titre d’Augusta, première prêtresse d’un empereur divinisé, elle-même divinisée après sa mort, on retient surtout de Livie à quel point elle fut une bonne épouse. Malgré la stérilité de son union avec le maître de Rome, l’idéologie augustéenne en a fait un modèle matronal : chaste, pudique, honnête, discrète, attentive, non jalouse…
Les matrones, une place limitée dans l’espace public
On attend des matrones une grande réserve. Elles participent en groupe de manière limitée à la vie civique, notamment lors des deuils officiels ou lors de crises qui menacent le salut de la cité en faisant don de leurs bijoux ou en participant à l’impôt.
Les matrones romaines, à ne pas confondre avec les divinités de la fécondité
Il ne faut pas confondre les femmes mariées romaines, dignes mères de famille, avec les matrones ou Matres (« Mères »), des divinités de la fertilité et de la fécondité, protectrices du mariage et de la maternité, vénérées chez les Celtes et certains Germains. Souvent représentées sous les traits d’une, de deux ou de trois figures féminines, elles apparaissent sur plusieurs pierres votives ou autels en Gaule, dans le Nord de l’Italie, en Angleterre ou dans la partie inférieure du Rhin.
La matrone, un terme polysémique dans la langue française
Dans le langage courant, on parle toujours de matrone pour désigner aujourd’hui une femme d'âge mur, sage, respectable, souvent mère de famille.
Ce terme a également pris diverses connotations péjoratives. Il peut être employé pour qualifier une femme qui n’est plus toute jeune, grosse, et dont l’apparence est généralement laide et vulgaire. Il sert également à nommer une tenancière de maison close.
Autrefois, on appelait également « matrone » une femme qui exerçait le métier de sage-femme de manière illégale ou qui faisait des avortements.
Voir aussi :
- « Masculin/féminin »
- « Le mariage dans la société romaine »
- « Le mariage » dans le dossier « Naître et mourir dans l’Antiquité »
- « Étudier les figures de femmes dans l'Antiquité, au collège au lycée »
- « Les vestales à Rome »
- « Les prostituées à Rome » : Fiche en deux mots à venir.
Pistes d’étude ou de réflexion :
- La condition féminine dans la Rome antique
- La maternité dans l’Antiquité
- Le sexe dans la Rome antique
- Les femmes célèbres dans l’Antiquité / Femmes viriles, femmes fortes
En un livre :
- Virginie Girod, Les Femmes et le sexe dans la Rome antique, Éditions Tallandier, Collection « Texto », 2017.
Dans la Rome antique, dès la République, on distingue, socialement et moralement, deux catégories de femmes : celles destinées à un mariage légitime (ou un concubinat) et celles qui sont accessibles à tous les hommes.
Être une matrone ou, par exemple, une prostituée est déterminé, notamment par le statut social de naissance . La conduite sexuelle de la femme peut aussi être décisive dans cette distinction.
La matrone, une digne épouse et mère de famille
« Matrone » vient du latin matrona, lui-même dérivé du mot mater, « la mère ». On désigne par ce terme une digne épouse et mère de famille, à la différence de la jeune fille (virgo), de la concubine (concubina), de la prostituée (meretrix) ou d’une épouse déconsidérée par sa profession (actrice, aubergiste…).
Il appartient à la matrone de gérer les tâches domestiques, ce qui implique de superviser le travail des esclaves et de participer à certaines activités dont le filage de la laine, à l’image des Sabines ou de Lucrèce (épouse de Tarquin Collatin). Jugé comme la plus noble des tâches, le filage de la laine est toujours loué même si, au Ier siècle après J.-C., les Romaines ne sont guère enthousiastes à l’idée de le faire elle-même pour réaliser leurs vêtements…
Toutefois, la mission la plus importante d’une matrone reste de donner des enfants légitimes à son époux et à sa patrie.
La matrone, une femme mariée, mère de trois enfants ?
À Rome, le mariage est le fondement de la société. Le philosophe Musonius Rufus (I er siècle après J.-C.) déclare ainsi dans ses Entretiens (XIV) : « […] Quiconque supprime le mariage chez les hommes, supprime la maison, supprime la cité, supprime la race humaine toute entière. En effet, pour subsister, elle a besoin que les enfants naissent, et pour qu’il y ait des naissances, il y a besoin du mariage, si l’on veut du moins ce que ces naissances soient justes et légales ».
Dans ce cadre, la femme mariée accède au statut de matrone voire de mère de famille (mater familias) si son époux est père de famille (pater familias), c’est-à-dire le patriarche de sa lignée. Pour favoriser le mariage dont le nombre ne cesse de baisser, l’empereur Auguste met en place une politique incitatrice (en terme de droits et d’avantages fiscaux) et nataliste. Le jus trium liberorum (« le droit des trois enfants ») se révèle très intéressant pour les mères qui ont donné naissance à trois enfants : elles sont juridiquement émancipées et cessent de dépendre de leur mari, de leur père ou de leur tuteur selon les cas. Cette indépendance s’accompagne de l’honneur d’être reconnue comme une bonne « citoyenne » et une bonne épouse.
La matrone, ou les qualités de la femme romaine idéale
La première qualité d’une femme aux yeux des Romains est la vertu (virtus en latin, terme désignant, en premier lieu, les attributs qui font la valeur physique et morale d’un homme). Les philosophes stoïciens semblent, en effet, penser qu’une femme peut être aussi vertueuse qu’un homme : Sénèque (ad Marc. XVI, 1) et Musonius Rufus (Mus. 3), entre autres, partagent ce point de vue. Mais une matrone doit posséder, en outre, de nombreuses autres qualités : elle ne doit ni chercher la dispute ni être dépensière ; être maîtresse de ses colères, ses passions et son langage ; faire preuve de tempérance et de complaisance ; être, enfin, agréable. Ainsi, la défunte Turia est louée par son époux pour sa docilité, sa gentillesse et sa sobriété (L’Éloge funèbre d’une matrone, I, 30).
À l’origine, par ailleurs, une femme ne doit pas boire de vin… Si toutes ces conditions sont réunies, elle mérite d’être qualifiée de pudique (pudica, adjectif latin signifiant à la fois « pudique », « vertueuse », « irréprochable »…).
En plus de tout cela, la femme honnête doit se caractériser par sa chasteté (castitas), ce qui n’implique pas l’abstinence sexuelle. Il s’agit d’une pureté des mœurs et d’une intégrité qui nous renvoient plutôt à notre conception de la fidélité.
Chasteté, fidélité… reste la question de la fécondité. La fertilité ne relève pas de la moralité, mais les Romains considèrent que c’est la plus grande qualité physique de la femme. La mère des Gracques, Cornélie (vers 189 avant J.-C. - vers 100 avant J.-C.), est admirée pour avoir mis au monde douze enfants : elle devient une image de propagande qui présente la matrone selon la coutume des Anciens (mos majorum).
Ainsi, les matrones doivent se conformer à cet idéal féminin qui les enferme dans la sphère privée : elles sont au service des hommes en veillant sur le foyer.
Il faut attendre le Ier siècle avant J.-C. avec la fin des guerres civiles, l’enrichissement de la société et l’abandon de certaines traditions matrimoniales pour que certaines femmes romaines (parmi les plus riches) ne soient plus cantonnées à la sphère domestique.
La matrone, un modèle forgé par les mythes politiques de l’histoire de Rome
Les mythes politiques de l’histoire de Rome sont sans doute à l’origine de cet idéal féminin. La vestale Rhéa Silvia tombe enceinte de Mars et donne naissance au fondateur de Rome (Romulus) : son unique relation sexuelle est donc liée à la procréation, comme il l’est attendu des matrones. Les Sabines, quant à elles, sont certes enlevées par les Romains mais ils ne les violent pas : ils cherchent à séduire leurs nouvelles épouses et à en faire des matrones (et non des esclaves dédiées à la reproduction). Enfin, la patricienne Lucrèce, violée par Sextus Tarquin, se suicide pour préserver son mari car elle a été souillée par la semence d’un autre homme. Chaste, pudique, douce, aimante, elle se soucie de son époux jusqu’à sa mort…
La matrone, une femme au statut reconnaissable
La matrone est reconnaissable à son apparence. Elle porte une longue tunique (stola) qui couvre son corps et symbolise sa dignité. Quand elle sort, elle se couvre d’un manteau (palla). Grâce à ces vêtements, la femme vertueuse ne suscite pas le désir masculin et montre qu’elle n’est pas disponible sexuellement. Cette tenue la distingue des esclaves en simple tunique (tunica) ou des prostituées en toge.
En outre, ses cheveux sont coiffés en un chignon conique (tutulus), maintenu par des bandelettes de pourpre (vittae) qui soulignent son statut social. Cependant, la numismatique et de nombreuses statues montrent qu’à l’époque impériale, ce chignon traditionnel laisse place à une variété infinie de coiffures, témoignant d’une mode en perpétuel renouvellement…
Par ailleurs, même les matrones vertueuses se maquillent. Comme le visage est la seule chose qu’elles montrent, elles s’attachent à conserver un visage blanc et lumineux. Après divers soins et l’application d’un fond de teint blanc, elles rehaussent leurs joues et leurs lèvres de rouge ou de rose avant de souligner leurs yeux par des poudres ou des fards foncés.
Enfin, la matrone, comme les autres femmes, peut se parer de bijoux.
Quoi qu’il en soit, si recherchée soit l’apparence de cette dernière, sa tenue vestimentaire indique aux hommes, dans la rue, qu’ils lui doivent le respect. Est reconnu comme un délit le fait d’aborder une matrone, de la séparer de ses esclaves ou de lui tenir des propos indécents.
La matrone, une femme à la sexualité normée
Les pratiques sexuelles à Rome sont normées en fonction du sexe, de l’âge et de la classe sociale. La sexualité normale d’une femme mariée devait se limiter en théorie aux pratiques fécondantes : elle devait se cantonner au baiser et à la pénétration vaginale. Toute autre pratique, tournée vers le plaisir, est jugée infamante et relève des travailleurs du sexe ou des esclaves.
La matrone, au cœur de plusieurs cultes
Plusieurs cultes à Rome s’adressent aux matrones puisqu’ils concernent la fécondité, la protection des accouchements ou encouragent les vertus matronales.
Épouse du prêtre de Jupiter, la flaminique de Jupiter (prêtresse et figure matronale) incarne notamment l’épouse idéale, mariée une seule fois et liée à son conjoint jusqu’à la mort. Vêtue d’une tenue très codifiée (tunique avec un volant pour cacher ses pieds, chignon conique composé de rubans de pourpre et couvert de voiles, voile de mariée couleur de feu…), elle se
livre au filage de la laine, confectionne le manteau rituel de son époux et représente le mariage romain qu’elle interdit durant les périodes néfastes (mars et juin). Elle est le modèle de la matrone romaine et véhicule l’image de l’épouse parfaite.
Les Lupercales (15 février) sont aussi révélatrices des mentalités : selon Ovide dans les Fastes, les femmes qui veulent être mères sont fouettées par les Luperques (prêtres de Faunus, dieu de la fécondité) qui courent à travers Rome. Ce rite de purification aurait pour but de chasser le mal qui rend ces femmes stériles.
Il existe bien d’autres événements comme les Matronalia (fête des Matrones le 1er mars), les Carmentalia, une fête dédiée à la protection des accouchements (mi-janvier) ou le culte de la Pudeur, uniquement accessible aux femmes n’ayant connu qu’un seul mariage (univirae) dans une quête de pureté sexuelle.
Enfin, il existe des cultes communs qui réunissent les matrones et les autres femmes : Anna Pérenna (fêtée le 15 mars), Fortuna Virilis et Vénus Verticordia (début avril), les Nones Caprotines (7 juillet), le culte de la Bonne Déesse (1er mai), les Bacchanales, ou encore le culte d’Isis. Matrones et non-matrones y sont confortées dans leur rôle sexuel respectif : aux unes une activité sexuelle liée à leur rôle reproducteur et limitée à leur seul époux ; aux autres, une sexualité récréative dont le but n’est pas procréatif.
Ce que nous révèle Ovide :
Forsitan antiquae, Tatio sub rege, Sabinae
Maluerint, quam se, rura paterna coli ;
Quum matrona, premens altum rubicunda sedile,
Adsiduo durum pollice nebat opus ;
Ipsaque claudebat, quos filia paverat, agnos :
Ipsa dabat virgas, caesaque ligna foco.
At vestrae teneras matres perperere puellas.
Peut-être que sous le règne de Tatius, les antiques Sabines aimaient mieux prendre soin des champs de leurs pères que de leur propre personne. Alors, en effet, la matrone, au teint fortement coloré, filait du haut d'un siège fatigué de son poids, et exerçait sans relâche ses doigts laborieux ; elle-même enfermait au bercail les troupeaux que sa fille avait fait paître ; elle-même encore mettait au feu le bois fendu et les broussailles. Mais vos mères ont enfanté des filles délicates. »
Ovide, Les Cosmétiques ou Les Fards, Traduction de 1838 sous la direction de M. Nisard, maître de conférence de l'Ecole Normale de Paris, J. J. Dubochet et Compagnie, Paris.