L’armée macédonienne d’Alexandre et le projet de la campagne d’Asie

NOTES

  1. Voir O. Battistini, La Guerre, op. cit., passim.
  2. Le stratège athénien est à l’ori­gine de la création d’un déta­chement de pel­tastes qui, lors de la Guerre de Corinthe (395-387), fut plus qu’une simple force d’appoint de la phalange, si­gni­fiant des mo­difi­ca­tions tactiques d’en­vergure (Diodore de Sicile, XV, 44, 2) dont on re­trouve les échos chez Salluste, dans l’utilisation des vé­lites, – troupes légères spéciali­sées dans le harcèle­ment et la guérilla –, chez Asclépiodote (VI) et Onasandre (XVIII, XIX, XX).
  3. Philippe a séjourné à Thèbes comme otage, entre 369 et 367. La tradition y voit l’origine des influences tactiques que l’on retrouve dans l’ordre oblique auquel le Macédonien donna, en l’améliorant, une autre dimen­sion.
  4. Voir Xénophon et son Anabase.
  5. On raconte qu’Alexandre a fait incendier la tente d’Eudème pour s’emparer de l’or qui y avait été accumulé par l’archiviste. Si l’or fondit, les archives brûlèrent. Alexandre, comme nous l’apprend Plutarque (Eumène, 2, 2-3), écrivit aux satrapes et aux stratèges d’envoyer des copies des documents détruits.
  6. Les mémoires, les archives privées ou secrètes, les rapports de mission diplomatique. Ces précieux documents sont souvent la base des récits des historiens.
  7. Voir infra.
  8. Voir supra.
  9. Polybe, XII, 21.
  10. Retour contraint par les troubles qui avaient éclaté en Grèce, troubles fomentés par les Perses. Voir infra.
  11. La décadence politique et militaire de l’empire perse affirmée par les lettrés grecs était loin d’être réelle. Alexandre aura l’occasion de s’en rendre compte. Par ailleurs, à l’époque classique, les Perses n’ont jamais été, semble-t-il, considérés comme des lâches. Il suffit de relire Xénophon et de voir comment Alexandre se com­porta avec eux.
  12. En réalité, c’est sous la contrainte que les Grecs participèrent à la lutte des Macédoniens contre les Perses. À la moindre occasion certaines cités aidèrent les Perses dans leur résistance à Alexandre.
  13. Parménion a pu conserver, malgré la contre-offensive de Memnon de Rhodes, la place d’Abydos. Cette tête de pont en Asie permet à Alexandre de débarquer sans rencontre d’opposi­tion.
  14. Charidème sera exécuté après l’entretien.
  15. Hérodote, VII, 101 sq. On se rappelle que le contresens sur le combat hoplitique fait selon Hérodote par Mardonios : « Pourtant les Grecs, à ce que j’entends dire, ont coutume d’engager des guerres dans les conditions les plus folles, par manque de jugement et sottise : lorsqu’ils se sont déclarés la guerre les uns aux autres, ils cherchent la place la plus belle, la plus unie ; et, quand ils l’ont trouvée, c’est là qu’ils descendent pour com­battre, si bien que les vain­queurs ne se retirent qu’avec de grandes pertes ; quant aux vaincus, je n’en parle même pas ; ils sont anéantis » (Hérodote, VII,9, trad. Ph. E. Legrand).

« Si l’être divin qui avait envoyé ici-bas l’âme d’Alexandre ne l’avait rappe­lée si tôt, une loi unique régirait tous les hommes, qui por­teraient leur regard vers la lumière com­mune d’une même justice. Au lieu de cela, une partie de la terre est res­tée sans soleil : celle qui n’a pas vu Alexandre. »

 

Plutarque, Sur la fortune d’Alexandre, 330 D-E

L’armée d’Alexandre, digne héritière de la phalange de Philippe II

Jusqu’en 330, l’armée d’Alexandre, héritée de celle de Philippe II, ne subit pas de modifi­cations essen­tielles. L’infanterie lourde macédonienne est composée de 9 000 Compagnons qui constituent la Phalange. La Phalange est caractérisée par son armement et son ordre de marche. Les phalangites ou pézétères sont organisés selon le modèle grec des hoplites. La sarisse, un épieu de 14 à 16 pieds de long, une courte épée grecque sont leurs armes principales. Les phalangites sont groupés sur une profondeur de 16 hommes. Ainsi, les sarisses des cinq premiers rangs, dépassant la ligne d’attaque, forment une muraille in­franchis­sable. Les soldats qui suivent posent leurs épieux sur les épaules de ceux qui les précèdent. On a ainsi des masses de combat, parfaitement entraînées, à la fois lourdes et mobiles, qui apparaissent comme de véri­tables citadelles mouvantes1. L’infanterie légère est forte de 3 000 hypaspistes parmi lesquels on recrute les éléments de la Garde royale ou agèma. La cavalerie est composée de 8 escadrons lourds ou Îles – (1 200 Compagnons) dont l’un constitue la Garde royale – et d’éclaireurs répartis en 5 escadrons. Cette arme, qui occupe une place de plus en plus importante, a joué un rôle capital dans les batailles ran­gées ou combats individuels. Ses charges fulgurantes sont décisives. Elle comptait un groupe d’inter­ven­tion ra­pide formé de Païoniens et d’Odry­s­iens. À cela il faut ajouter une in­fanterie (7 000 hoplites et pel­tastes) et une cavalerie grecques (2 400 dont 1 800 Thessaliens) et des mercenaires. Philippe, s’inspire de l’Athénien Iphicrate2. Les troupes légères, si souvent négli­gées par la stratégie grecque classique, joue­ront avec Alexandre un rôle essentiel. Dans la straté­gie du prince macédo­nien, les hypaspistes, unité d’élite mobile dont l’ar­mement est ce­pendant plus lourd que celui du peltaste de l’époque classique, jouè­rent un rôle pri­mordial, aux côtés des phalangites. Le corps s’appelait les « hypaspistes des Hétères ». Ils étaient indispen­sables lorsque le terrain in­terdisait l’emploi de la phalange et qu’il fallait exécuter des of­fen­sives ra­pides, oc­cu­per des cols ou forcer des fleuves. Les troupes des Thraces et des Agrianes, les Acontes, ou lan­ceurs de jave­lots, constituaient une infanterie plus légère. Les ar­chers étaient recrutés chez les Macédoniens ou les Crétois. Philippe se serait aussi inspiré du Thébain Épaminondas3. En tout cas il a construit une armée qui se révèle être une force politique et un véritable instrument de conquête et de domination. Elle est à l’origine de la domination ma­cédonienne en Grèce et des premières victoires déci­sives d’Alexandre : celles du Granique, d’Issos et d’Arbèles. Le roi est avant tout un chef de guerre d’un peuple en armes. Ainsi, Philippe II est fait régent par les soldats assem­blés et Alexandre roi par l’acclama­tion, en 336. Les sol­dats, réunis en assemblée, à la manière des ho­plites grecs4, peuvent être consultés ou en­tendus par le roi. Cette assemblée, caractéristique des peuples indo-européens, qui fait son­ger à celle des guerriers mycéniens telle qu’on la voit dans l’Iliade, juge aussi les crimes de haute trahison : on pense au jugement de Philotas (Arrien, III, 26, 2-3) et d’Hermolaos (IV, 14, 3).

Une armée qui évolue au fur et à mesure de la conquête

 

À la mort de Darius III et après la soumission de l’Arachosie, de la Bactriane et de la Sogdiane, les chan­gements sont profonds et portent à conséquence.

Par exemple, sont enrôlés les fameux cavaliers-archers venus de la Perse du Nord-Est. D’une manière générale, l’apport oriental est de plus en plus important au point que l’élé­ment macédonien se sent humi­lié, trahi : la mutine­rie d’Opis, en 324, devant l’incorporation en masse de 30 000 Perses (les Épigones) équipés et formés selon les tech­niques de combat macédoniennes, est révélatrice d’un état de choses. La plupart des corps, même ceux des Compagnons et de la Garde royale à cheval, sont touchés par cette réor­ganisation. La Phalange elle-même est transformée par l’introduction d’une infanterie légère, sans oublier, au sein de l’armée, la présence d’éléphants de combat et même de chameaux comme bêtes de somme. Ces modifications sont en relation étroite avec les considérations poli­tiques du roi. Alexandre veut, à l’évi­dence, s’appuyer sur les Perses comme sur les Macédoniens. Il est à noter que, selon une hiérarchisation à la fois d’ordre militaire et politique, seuls les Perses ou les nobles iraniens furent intro­duits dans les uni­tés d’élite. Mais force est de constater que l’armée d’Alexandre, où les Macédoniens, même s’ils conservent certains privilèges, sont devenus minoritaires au point de ne plus pouvoir jouer le rôle politique qui avait été traditionnellement le leur, est aussi cosmopolite que celle qu’elle a vaincue.

Elle est cependant conduite par Alexandre…

Par ailleurs, au fur et à mesure qu’elle progresse, elle prend une importance de plus en plus démesurée. Lors de la bataille d’Arbèles elle compte 40 000 fantassins et 7 000 cava­liers. Au moment de la campagne en Inde elle peut être évaluée, en suivant Arrien, à 120 000 hommes. À tout cela il faut ajouter un nombre difficile à chiffrer de non com­battants qui suivent en convoi ou empruntent un autre itinéraire : les équipages (marchands, femmes et enfants, les bêtes de somme et les chariots), les médecins, les ser­vices d’intendance et d’administration (Eumène de Cardia5 dirige la chancellerie, rédige, archive la correspondance, et utilise, pour la progression de l’armée, une documentation réunie à l’avance, tient à jour les Éphémérides, les hypomnemata6), le génie militaire dont les soldats sont chargés de construire les ponts, les ba­teaux souvent démontables, de mettre en place et d’actionner les béliers, sans oublier l’artil­lerie (les scorpions et les balistes) comman­dée par l’ingénieur Diadès. Des savants et des let­trés, des historiographes, des géographes, des tra­ducteurs enfin, accompagnent le roi. On pense, entre autres, à Callisthène. Ce dernier, érudit et historien, est le fils d’une des deux sœurs d’Aristote. Le philosophe a recommandé son neveu à Alexandre qui l’emmène dans son expédi­tion en Asie comme historiographe des campagnes militaires. Ses œuvres ont presque totalement disparu. Il ne nous reste que quelques fragments de sa chronique. Son his­toire d’Alexandre le Grand – peut-être une version primitive du Roman d’Alexandre – présente le prince macédonien comme un cham­pion du panhellénisme. Callisthène tente de donner au conquérant une dimen­sion divine7, le présentant comme un reflet de Zeus. Ainsi, selon lui, Alexandre fut guidé vers l’oracle d’Ammon par des corbeaux et, reconnu comme fils de Zeus, à Milet, il put s’entretenir avec son père dans le temple d’Ammon. Son style est hyperbolique comme le montre sa narration du passage des calanques pamphyliennes où les vagues de la mer se prosternèrent devant le roi, accomplissant une véritable proskynèse. Soupçonné d’avoir participé à la conju­ration d’Hermolaos, en Bactriane, il sera exé­cuté, en 327. C’est alors le début de la brouille entre Aristote et Alexandre. Polybe parle de l’œuvre de l’historien, mais surtout pour le critiquer. Après ses polémiques sur Timée8, il s’en prend à Callisthène et énumère les erreurs commises par l’historien, d’une manière souvent peu objective et surtout fastidieuse – les détails tactiques sont trop techniques – cherchant plus les contradictions dans le récit que la réalité des faits. Ainsi, à propos de la bataille d’Issos, Polybe s’efforce de montrer la fausseté et les incohérences de la version de Callisthène : « […] il y a des données de fait qui prouvent que la chose est impossible. Compte tenu des intervalles séparant les hommes, de l’étendue totale du terrain et des effectifs engagés, on se trouve devant une erreur injustifiable »9.

Les causes de l’expédition en Asie

 

En tout cas la documenta­tion scientifique accumulée par ces savants, hélas, a définitivement disparu…

Voici, selon Polybe, les causes de son expédition en Asie.

[9] τίνες γὰρ ἀληθῶς ἦσαν αἰτίαι, καὶ πόθεν φῦναι συνέβη τὸν πρὸς τοὺς Πέρσας πόλεμον, εὐμαρὲς καὶ τῷ τυχόντι συνιδεῖν. [10] ἦν δὲ πρώτη μὲν ἡ τῶν μετὰ Ξενοφῶντος Ἑλλήνων ἐκ τῶν ἄνω σατραπειῶν ἐπάνοδος, ἐν ᾗ πᾶσαν τὴν Ἀσίαν διαπορευομένων αὐτῶν πολεμίαν ὑπάρχουσαν οὐδεὶς ἐτόλμα μένειν κατὰ πρόσωπον τῶν βαρβάρων : [11] δευτέρα δ᾽ ἡ τοῦ Λακεδαιμονίων βασιλέως Ἀγησιλάου διάβασις εἰς τὴν Ἀσίαν, ἐν ᾗ ‘κεῖνος οὐδὲν ἀξιόχρεων οὐδ᾽ ἀντίπαλον εὑρὼν ταῖς σφετέραις ἐπιβολαῖς ἄπρακτος ἠναγκάσθη μεταξὺ διὰ τὰς περὶ τὴν Ἑλλάδα ταραχὰς ἐπανελθεῖν. [12] ἐξ ὧν Φίλιππος κατανοήσας καὶ συλλογισάμενος τὴν Περσῶν ἀνανδρίαν καὶ ῥᾳθυμίαν καὶ τὴν αὑτοῦ καὶ Μακεδόνων εὐεξίαν ἐν τοῖς πολεμικοῖς, ἔτι δὲ καὶ τὸ μέγεθος καὶ τὸ κάλλος τῶν ἐσομένων ἄθλων ἐκ τοῦ πολέμου πρὸ ὀφθαλμῶν θέμενος, [13] ἅμα τῷ περιποιήσασθαι τὴν ἐκ τῶν Ἑλλήνων εὔνοιαν ὁμολογουμένην, εὐθέως προφάσει χρώμενος ὅτι σπεύδει μετελθεῖν τὴν Περσῶν παρανομίαν εἰς τοὺς Ἕλληνας, ὁρμὴν ἔσχε καὶ προέθετο πολεμεῖν καὶ πάντα πρὸς τοῦτο τὸ μέρος ἡτοίμαζε. [14] διόπερ αἰτίας μὲν τὰς πρώτας ῥηθείσας ἡγητέον τοῦ πρὸς τοὺς Πέρσας πολέμου, πρόφασιν δὲ τὴν δευτέραν, ἀρχὴν δὲ τὴν Ἀλεξάνδρου διάβασιν εἰς τὴν Ἀσίαν.

[9] Rien n’est plus facile à découvrir que les vrais motifs de la guerre contre les Perses. [10] Le premier fut le retour des Grecs10, qui, revenant, sous la conduite de Xénophon, des satrapies de l’Asie supérieure, et traversant toute l’Asie avec laquelle ils étaient en guerre, n’avaient néanmoins trouvé personne qui osât s’opposer à leur retraite11. [11] Le second fut le passage d’Agésilas, roi de Lacédémone, en Asie, où il ne rencontra rien qui mît obstacle à ses desseins, quoique d’ailleurs il fût obligé d’en sortir sans avoir rien fait, rappelé qu’il était dans, la Grèce par les troubles dont elle était alors agitée ; [12] car Philippe, considérant d’un côté la mollesse et la lâcheté des Perses, et de l’autre, les grandes ressources qu’il avait, lui et les siens, pour la guerre, excité d’ailleurs par l’éclat et la grandeur des avantages qu’il tirerait de la conquête de cet empire, [13] après s’être concilié la faveur des Grecs12, prit enfin son essor, conçut le dessein d’aller porter la guerre chez les Perses, et disposa tout pour cette expédition, sous prétexte de venger les Grecs des injures qu’ils en avaient reçues. [14] Il est donc hors de doute que des deux choses que nous avons rapportées, les premières ont été les causes de la guerre contre les Perses, que la dernière n’en a été que le prétexte, et qu’enfin le commencement a été l’irruption d’Alexandre dans l’Asie.

Polybe, III, 6, trad. Dom Thuillier

 

L’arrivée en Asie : vaincre par le fer et par l’or

 

Voici Alexandre en Asie.

[XVII,17] ἐπ᾽ ἄρχοντος δ᾽ Ἀθήνησι Κτησικλέους Ῥωμαῖοι μὲν ὑπάτους κατέστησαν Γάιον Σουλπίκιον καὶ Λεύκιον Παπίριον. Ἀλέξανδρος δὲ μετὰ τῆς δυνάμεως πορευθεὶς ἐπὶ τὸν Ἑλλήσποντον διεβίβασε τὴν δύναμιν ἐκ τῆς Εὐρώπης εἰς τὴν Ἀσίαν. [2] αὐτὸς δὲ μακραῖς ναυσὶν ἑξήκοντα καταπλεύσας πρὸς τὴν Τρῳάδα χώραν πρῶτος τῶν Μακεδόνων ἀπὸ τῆς νεὼς ἠκόντισε μὲν τὸ δόρυ, πήξας δ᾽ εἰς τὴν γῆν καὶ αὐτὸς ἀπὸ τῆς νεὼς ἀφαλλόμενος παρὰ τῶν θεῶν ἀπεφαίνετο τὴν Ἀσίαν δέχεσθαι δορίκτητον. [3] καὶ τοὺς μὲν τάφους τῶν ἡρώων Ἀχιλλέως τε καὶ Αἴαντος καὶ τῶν ἄλλων ἐναγίσμασι καὶ τοῖς ἄλλοις τοῖς πρὸς εὐδοξίαν ἀνήκουσιν ἐτίμησεν, αὐτὸς δὲ τὸν ἐξετασμὸν τῆς ἀκολουθούσης δυνάμεως ἀκριβῶς ἐποιήσατο. εὑρέθησαν δὲ πεζοὶ Μακεδόνες μὲν μύριοι καὶ δισχίλιοι, σύμμαχοι δὲ ἑπτακισχίλιοι, μισθοφόροι δὲ πεντακισχίλιοι, καὶ τούτων ἁπάντων Παρμενίων εἶχε τὴν ἡγεμονίαν. [4] Ὀδρύσαι δὲ καὶ Τριβαλλοὶ καὶ Ἰλλυριοὶ συνηκολούθουν ἑπτακισχίλιοι, τοξοτῶν δὲ καὶ τῶν Ἀγριάνων καλουμένων χίλιοι, ὥστε τοὺς ἅπαντας εἶναι πεζοὺς τρισμυρίους καὶ δισχιλίους. ἱππεῖς δ᾽ ὑπῆρχον Μακεδόνες μὲν χίλιοι καὶ ὀκτακόσιοι, Φιλώτου τοῦ Παρμενίωνος ἡγουμένου, Θετταλοὶ δὲ χίλιοι καὶ ὀκτακόσιοι, ὧν ἡγεῖτο Κάλλας ὁ Ἁρπάλου, τῶν δ᾽ ἄλλων Ἑλλήνων οἱ πάντες ἑξακόσιοι, ὧν ἡγεῖτο Ἐρίγυιος, Θρᾷκες δὲ πρόδρομοι καὶ Παίονες ἐννακόσιοι, Κάσανδρον ἔχοντες ἡγεμόνα, ὥστε τοὺς σύμπαντας ὑπάρχειν ἱππεῖς τετρακισχιλίους καὶ πεντακοσίους. οἱ μὲν οὖν μετ᾽ Ἀλεξάνδρου διαβάντες εἰς τὴν Ἀσίαν τοσοῦτοι τὸ πλῆθος ἦσαν.

[XVII,17] Ctésiclés étant Archonte d’Athènes, les Romains firent consuls Gaius Sulpitius et Lucius Papirius. Alexandre arrivant avec toute son armée sur l’Hellespont, la fit passer là d’Europe en Asie13 : [2] il avait fait ce trajet sur soixante vaisseaux longs. Sur le point de mettre pied à terre dans la Troade, lui-même à la tête de ses Macédoniens étant encore dans le vaisseau jeta une lance sur le bord qu’il voyait devant lui et cette arme s’étant fichée dans la terre, il sauta aussitôt sur le rivage en disant qu’il acceptait de la part des dieux l’Asie qu’il avait acquise par sa lance. [3] Il visita ensuite les tombeaux d’Achille, d’Ajax et des autres Héros ensevelis là et leur rendit les honneurs usités à l’égard des morts illustres. Il fit ensuite une exacte revue de toutes les troupes qu’il avait amenées. Il trouva treize mille hommes d’infanterie Macédonienne, sept mille alliés et cinq mille soudoyés qui étaient tous sous le commandement de Parménion. [4] Ils étaient suivis de cinq mille hommes tant Odryses que Triballes et Illyriens, et il y avait outre cela mille archers qu’on appelait les Agrianiens : ce qui faisait en tout près de trente mille hommes de pied. La cavalerie était composée de dix-huit cents Macédoniens commandés par Philotas fils de Parménion et d’autant de Thessaliens dont Callas fils d’Harpalos était le chef. Le reste des troupes grecques qui montaient à six cents hommes avait Érigyios pour premier capitaine et Cassandre était à la tête des Thraces et des Péoniens, au nombre de 900 hommes, troupes légères et destinées à la course. Le tout ensemble formait une cavalerie de quatre mille cinq cents hommes. C’est là l’état de l’armée avec laquelle Alexandre entra dans l’Asie.

Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, XVII, 17, 1-4, trad. Abbé Jean Terrasson

 

Face à la multitude des Perses, les anti-hoplites par excellence, voici l’armée d’Alexandre vue par l’Athénien Charidème14, juste avant la ba­taille d’Issos, en 333. Ce récit, mettant en scène Darius et Charidème, re­prend la trame de celui d’Hérodote opposant Xerxès à Démarate15.

Nec quicquam illi minus quam multitudo militum defuit. […] percontari coepit, satisne ei videretur instructus ad obterendum hostem. [11] At ille et suae sortis et regiae superbiae oblitus : ‘Verum,’ inquit, ‘et tu forsitan audire nolis et ego, nisi nunc dixero, alias nequiquam confitebor. [12] Hic tanti apparatus exercitus, haec tot gentium et totius Orientis excita sedibus suis moles finitimis potest esse terribilis : nitet purpura auroque, fulget armis et opulentia, [13] quantam, qui oculis non subiecere, animis concipere non possunt. Sed Macedonum acies, torva sane et inculta, clipeis hastisque immobiles cuneos et conferta robora virorum tegit. Ipsi phalangem vocant, peditum stabile agmen : vir viro, armis arma conserta sunt. [14] Ad nutum monentis intenti sequi signa, ordines servare didicerunt : quod imperatur, omnes exaudiunt. Obsistere, circumire, discurrere in cornu, mutare pugnam non duces magis quam milites callent. [15] Ac ne auri argentique studio teneri putes, adhuc illa disciplina paupertate magistra stetit : fatigatis humus cubile est, cibus, quem occupati rapiunt, satiat, tempora somni artiora quam noctis sunt. [16] Iam Thessali equites et Acarnanes Aetolique, invicta bello manus, fundis, credo, et hastis igne duratis repellentur ! Pari robore opus est. In illa terra, quae hos genuit, auxilia quaerenda sunt : argentum istud atque aurum ad conducendum militem mitte.’

[10] Rien ne manquait moins à Darius que le nombre des soldats. […] et il lui demanda s’il lui croyait assez de forces pour écraser les Macédoniens. [11] Mais l’exilé, oubliant sa condition et l’orgueil de la royauté : "Voici la vérité, lui dit-il, que tu ne voudrais peut-être pas entendre, mais qu’il faut que je te dise aujourd’hui ; car vainement le la déclarerais-je plus tard. [12] Cette armée, avec son vaste appareil, cette masse de nations arrachées à leurs demeures, de toutes les parties de l’Orient, peut bien être redoutable pour tes voisins ; elle est resplendissante d’or et d’argent ; ses armes sont éblouissantes, et celui qui n’en a point vu l’opulence ne saurait s’en faire une idée. [13] Mais l’armée des Macédoniens, avec son aspect sauvage et négligé, cache, derrière ses boucliers et ses piques, des bataillons inébranlables et une force compacte d’hommes robustes. Tel est le corps d’infanterie auquel ils donnent le nom de phalange ; les hommes y sont serrés contre les hommes, les armes contre les armes : attentifs au moindre signe de leur chef, ils ont appris à suivre leurs drapeaux et conserver leurs rangs. [14] Ce qui est commandé, tous l’exécutent : faire face à l’ennemi, le tourner, se porter sur une aile ou sur l’autre, changer de front, sont autant de manoeuvres aussi familières aux soldats qu’aux capitaines. [15] Et garde toi de croire que ce soit l’appât de l’or ou de l’argent qui les conduise ; jusqu’ici, cette discipline s’est maintenue à l’école de la pauvreté : fatigués, la terre est leur lit ; la première nourriture qu’ils rencontrent leur est bonne ; jamais la durée de leur sommeil n’égale celle de la nuit. [16] Et la cavalerie thessalienne, les Acarnaniens, les Etoliens, toutes ces bandes invincibles à la guerre, crois-tu que de tels hommes puissent être repoussés avec des frondes et des bâtons durcis au feu ? Il te faut une force égale à la leur ! c’est dans le pays même qui les a vus naître, qu’il faut aller chercher des secours : tout cet or et cet argent, c’est à soudoyer des soldats que tu dois l’employer."

Quinte-Curce, Histoires, III, 2, 10-16

NOTES

  1. Voir O. Battistini, La Guerre, op. cit., passim.
  2. Le stratège athénien est à l’ori­gine de la création d’un déta­chement de pel­tastes qui, lors de la Guerre de Corinthe (395-387), fut plus qu’une simple force d’appoint de la phalange, si­gni­fiant des mo­difi­ca­tions tactiques d’en­vergure (Diodore de Sicile, XV, 44, 2) dont on re­trouve les échos chez Salluste, dans l’utilisation des vé­lites, – troupes légères spéciali­sées dans le harcèle­ment et la guérilla –, chez Asclépiodote (VI) et Onasandre (XVIII, XIX, XX).
  3. Philippe a séjourné à Thèbes comme otage, entre 369 et 367. La tradition y voit l’origine des influences tactiques que l’on retrouve dans l’ordre oblique auquel le Macédonien donna, en l’améliorant, une autre dimen­sion.
  4. Voir Xénophon et son Anabase.
  5. On raconte qu’Alexandre a fait incendier la tente d’Eudème pour s’emparer de l’or qui y avait été accumulé par l’archiviste. Si l’or fondit, les archives brûlèrent. Alexandre, comme nous l’apprend Plutarque (Eumène, 2, 2-3), écrivit aux satrapes et aux stratèges d’envoyer des copies des documents détruits.
  6. Les mémoires, les archives privées ou secrètes, les rapports de mission diplomatique. Ces précieux documents sont souvent la base des récits des historiens.
  7. Voir infra.
  8. Voir supra.
  9. Polybe, XII, 21.
  10. Retour contraint par les troubles qui avaient éclaté en Grèce, troubles fomentés par les Perses. Voir infra.
  11. La décadence politique et militaire de l’empire perse affirmée par les lettrés grecs était loin d’être réelle. Alexandre aura l’occasion de s’en rendre compte. Par ailleurs, à l’époque classique, les Perses n’ont jamais été, semble-t-il, considérés comme des lâches. Il suffit de relire Xénophon et de voir comment Alexandre se com­porta avec eux.
  12. En réalité, c’est sous la contrainte que les Grecs participèrent à la lutte des Macédoniens contre les Perses. À la moindre occasion certaines cités aidèrent les Perses dans leur résistance à Alexandre.
  13. Parménion a pu conserver, malgré la contre-offensive de Memnon de Rhodes, la place d’Abydos. Cette tête de pont en Asie permet à Alexandre de débarquer sans rencontre d’opposi­tion.
  14. Charidème sera exécuté après l’entretien.
  15. Hérodote, VII, 101 sq. On se rappelle que le contresens sur le combat hoplitique fait selon Hérodote par Mardonios : « Pourtant les Grecs, à ce que j’entends dire, ont coutume d’engager des guerres dans les conditions les plus folles, par manque de jugement et sottise : lorsqu’ils se sont déclarés la guerre les uns aux autres, ils cherchent la place la plus belle, la plus unie ; et, quand ils l’ont trouvée, c’est là qu’ils descendent pour com­battre, si bien que les vain­queurs ne se retirent qu’avec de grandes pertes ; quant aux vaincus, je n’en parle même pas ; ils sont anéantis » (Hérodote, VII,9, trad. Ph. E. Legrand).
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