Histoire naturelle, Pline l’Ancien, « La fève », XVIII, 30. - Traduction juxtalinéaire (Texte établi et traduit par H. Le Bonniec, CUF, 1972)

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Sequitur leguminum natura,
Suit la nature des légumes,

inter quae maxime honos fabae,
parmi lesquels l’honneur (appartient) surtout à la fève,

quippe ex qua temptatus sit etiam panis.
puisque à partir d’elle il a été tenté (de faire) même du pain.

Lomentum appellatur
On appelle Iomentum

farina ex ea,
la farine tirée d’elle,

adgravaturque pondus illa
et on alourdit le poids par elle

et omni legumine,
comme par (la farine de) tout légume,

jam vero et pabulo,
et j’ajoute même par du foin,

in pane venali.
dans le pain à vendre.

Fabae multiplex usus
De la fève multiple (est) l’usage

omnium quadripedum generi,
pour l’espèce de tous les quadrupèdes,

praecipue homini.
principalement pour l’homme.

Frumento etiam miscetur
Au froment aussi on la mêle

apud plerasque gentes,
chez la plupart des peuples,

et maxime panico solida
et surtout au panic1, (lorsqu’elle est) entière,

ac delicatius fracta.
et aussi concassée assez finement.

Quin
Bien plus,

et prisco ritu
même dans un rite antique

fabata
la purée de fèves

suae religionis diis in sacro est.
participe de son caractère religieux dans une cérémonie pour les dieux.

Praevalens pulmentari cibo
Utilisée le plus souvent en accompagnement

et hebetare sensus existimata,
et étant estimée engourdir les sens,

insomnia quoque facere,
et provoquer aussi des songes,

ob haec Pythagoricae sententiae damnata ;
pour ces raisons elle (a été) condamnée selon la pensée de Pythagore ;

ut alii tradidere,
comme d’autres l’ont rapporté,

quoniam mortuorum animae sint in ea,
(c’est) parce que les âmes des morts sont en elle,

qua de causa parentando utique adsumitur.
raison pour laquelle en célébrant une cérémonie funèbre en tout cas on la prend.

Varro et ob haec flaminem ea non vesci tradit
Varron rapporte que pour ces raisons aussi le flamine n’en consomme pas

et quoniam in flore ejus
et parce que dans sa fleur

litterae lugubres reperiantur.
des lettres sinistres se trouvent.

In eadem peculiaris religio,
Au sujet de cette même (fève), (il existe) un rite particulier,

namque fabam utique ex frugibus referre mos est
il est en effet coutume de rapporter dans tous les cas une fève prélevée sur les récoltes

auspici causa,
en vue de l’auspice,

quae ideo referiva appellatur.
qui pour cela est appelée “rapportée”.

Et auctionibus adhibere eam
Et (le fait) de l’associer aux ventes aux enchères

lucrosum putant.
on le pense lucratif2.

Sola certe frugum
Toujours est-il que, seule de toutes les graines,

etiam exesa
même rongée,

repletur crescente luna.
elle se remplit à la lune montante.

Aqua marina aliave salsa
Dans une eau marine ou une autre eau salée

non percoquitur.
elle ne se cuit pas entièrement.

Seritur ante Vergiliarum occasum
On la sème avant le coucher des Pléiades,

leguminum prima,
la première des légumineuses,

ut antecedat hiemem.
afin qu’elle devance l’hiver.

Vergilius eam per ver seri jubet
Virgile prescrit de la semer au printemps

circumpadanae Italiae ritu,
selon la coutume de l’Italie circumpadane3,

sed major pars malunt
mais la plupart préfèrent

fabalia maturae sationis
les productions de fèves de semailles précoces

quam trimestrem fructum.
à un fruit de trois mois.

Ejus namque siliquae caulesque
Car les cosses et les tiges de celles-ci

gratissimo sunt pabulo pecori4.
sont un fourrage très agréable pour le bétail.

Aquas in flore maxime concupiscit,
Elle réclame de l’eau surtout lorsqu’elle est en fleur,

cum vero defloruit,
mais lorsqu’elle défleurit,

exiguas desiderat.
elle en demande peu.

Solum, in quo sata est,
Le sol dans lequel elle a été semée,

laetificat stercoris vice.
elle (l’) enrichit comme du fumier.

Ideo circa Macedoniam Thessaliamque,
Pour cela, du côté de la Macédoine et de la Thessalie,

cum florere coepit,
lorsqu’elle commence à fleurir,

vertunt arva.
on retourne les champs.

Nascitur et sua sponte
Elle naît même spontanément

plerisque in locis,
dans la plupart des lieux,

sicut septentrionalis oceani insulis,
comme dans les îles de l’Océan septentrional,

quas ob id nostri Fabarias appellant
que pour cette raison les nôtres appellent (îles) Fabaries5,

item in Mauretania silvestris passim,
pareillement en Mauritanie, (elle naît) sauvage çà et là,

sed praedura et quae percoqui non possit.
mais très dure et telle qu’elle ne peut être cuite entièrement.

Nascitur et in Aegypto spinoso caule,
Elle naît aussi en Égypte avec une tige épineuse,

qua de causa crocodili oculis timentes refugiunt.
raison pour laquelle les crocodiles, craignant pour leurs yeux, (la) fuient en reculant.

Longitudo scapo quattuor cubitorum est amplissima,
Pour la tige, une longueur de quatre coudées est (la taille) maximale,

crassitudo digiti ;
l’épaisseur (celle d’) un doigt ;

ni genicula abessent,
Si les nœuds n’étaient pas absents7,

molli calamo similis ;
elle (serait) semblable à un souple roseau ;

caput papaveri,
la tête (est semblable) à (celle d’) un pavot,

colore roseo,
d’une couleur rosée,

in eo fabae non supra tricenas ;
dans celle-ci (se trouvent) des fèves, pas plus de trente dans chacune ;

folia ampla,
les feuilles (sont) larges,

fructus ipse amarus et odore,
le fruit lui-même (est) amer, même à l’odeur,

sed radix perquam grata incolarum cibis,
mais la racine tout à fait agréable pour les mets des habitants,

cruda et omnino decocta,
crue et réduite complètement par la cuisson,

harundinum radicibus similis.
semblable aux racines des roseaux.

Nascitur et in Syria Ciliciaque
Elle naît aussi en Syrie et en Cilicie

et in Toronae Chalcidices8 lacu.
et dans le lac de Toronè, de Chalcis9.

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Notes

  1. Sorte de millet.
  2. Les Romains mettaient des fèves comme porte-bonheur parmi les objets vendus à l’encan : C. Lévi-Strauss met en évidence le fait que les fèves firent l’objet de croyances diamétralement opposées puisque tantôt elles étaient proscrites, tantôt elles étaient prescrites et mène une analyse comparatiste sur la place des graines de telle ou telle plante de l’ancienne famille des Légumineuses, sous-famille des Papilionacées, chez des peuples éloignés dans le temps et l’espace (chapitre XIV « Pythagore en Amérique », p. 263-275, dans Le regard éloigné, Paris, Plon, 1983).    
  3. Circumpadane = de la région du Pô.
  4. On relèvera ici la construction de esse avec un double datif.
  5. Au chapitre 97 du livre IV de l’Histoire naturelle, Pline n’appelle ainsi qu’une seule île, la plus célèbre d’un archipel qui en compte 23 ; c’est Burcana, Fabaria nostris dicta a frugis multitudine sponte provenientis, « Burcana, que les nôtres appellent Fabaria (= “l’île aux fèves”) en raison d’un fruit semblable à la fève qui y vient spontanément », aujourd’hui Borkum, dans la Mer du nord, en face de l’embouchure de l’Ems (note de l’édition de la CUF, p. 228).
  6. La coudée et le doigt sont des mesures de longueur correspondant respectivement à 44, 36 cm et 1, 85 cm.
  7. L’absence de nœuds, caractéristique de la tige de la fève, a donné lieu à la croyance selon laquelle les âmes des morts pouvaient remonter à la surface en profitant de l’espace creux que forme l’intérieur de la tige.   
  8. Chalcidices est la translittération latine de l’adjectif grec au génitif féminin singulier Χαλκιδικῆς (cf. Théophraste, IV, 8, 8).
  9. Pline reprend ici la description de la fève « égyptienne » de Théophraste (IV, 8, 7-8). Cette plante avait déjà été évoquée par Pline au § 107 du livre XIII ; l’édition de la CUF d’A. Ernout précise qu’il s’agit du « Nélumbo, sorte de grand Nénuphar à fleurs roses, répandu de la Caspienne au Japon, autrefois également en Égypte, d’où il est actuellement disparu par suite d’une exploitation abusive » (note de P. Fournier, p. 102).
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