L’étude de ces deux extraits permettra de mettre en évidence à la fois l’héritage de Théophraste dans l’œuvre de Pline et la différence d’esprit qui préside à leurs projets respectifs, le premier adoptant une démarche d’ordre scientifique, le second s’inscrivant dans une démarche encyclopédique.
Pour cette étude, nous nous appuierons sur l’article de Valérie Bonet issu de la communication qu’elle avait donnée lors des Journées de la CNARELA à Nice en 2008 : « Pline et Théophraste : à propos des plantes médicinales », Actes du colloque « Métissage culturel dans l’Antiquité » de la CNARELA, 27 et 28 octobre 2008.
Retrouvez le texte de l’article en cliquant sur le LIEN.
On pourra aussi se reporter à notre dossier consacré à Gargilius Martialis, auteur d’un ouvrage sur Les remèdes tirés des fruits et légumes, qui présente les plantes dans une perspective encore différente, en mettant en avant leurs vertus curatives sous forme de prescriptions pratiques à usage populaire.
I. Présentation des auteurs :
A. Théophraste :
D’après l’introduction de S. Amigues dans le tome I des Recherches sur les plantes, CUF, 1988, p. IX-XVI : « La place de la botanique dans la vie de Théophraste » et p. XVI-XL : « L’Historia plantarum ou Recherches sur les plantes ».
Tyrtamos, surnommé plus tard Théophraste, est né à Érésos (dans l’île de Lesbos) vers 371 avant J.-C. Très intelligent et studieux (nous dit Diogène Laërce), « l’enfant reçut une éducation soignée dans un milieu resté proche des réalités quotidiennes et de la vie rurale » (p. IX). Son père possédait un atelier de foulage des tissus et des cuirs.
Il fut l’élève du philosophe Leucippe, fondateur avec Démocrite de la théorie des atomes. En 354, il partit pour Athènes, devenue le plus grand centre culturel de l’époque, et y fut auditeur de Platon vieillissant. Mais c’est l’influence d’Aristote qui fut la plus décisive pour la suite de son parcours : elle encouragea son intérêt pour diverses sciences – logique, rhétorique, politique, mais aussi cosmologie, psychologie, zoologie et botanique – et elle développa son goût de l’observation directe et de la description comme méthodes d’approche des êtres de la nature. Son œuvre la plus connue en France est le recueil des Caractères, qui inspira La Bruyère.
Après 347, il suivit son maître Aristote à la cour d’Hermias, tyran d’Assos en Troade, puis à Mytilène. Entre 343 et 340, pendant qu’Aristote, devenu précepteur d’Alexandre, résidait à Pella, Théophraste continua ses recherches en botanique (entre autres) et son étude des plantes locales, comme l’attestent de nombreux passages de son œuvre, puis il rejoignit Aristote en Macédoine et à Stagire, et put poursuivre son travail en Grèce du Nord.
Aristote étant retourné à Athènes et y ayant fondé le Lycée en 335, Théophraste le suivit de nouveau. Entre cette date et l’exil d’Aristote en 323, après la mort d’Alexandre, l’expédition en Orient de ce dernier fournit à Théophraste, par l’intermédiaire de ses officiers ou de voyageurs, une foule de renseignements sur la flore exotique (Égypte, Asie Mineure, Bactriane, Inde...) qu’il utilisa par la suite dans son ouvrage.
Après la mort d’Aristote l’année suivante, à partir de 322, Théophraste lui succéda à la tête de l’École péripatéticienne et en resta le scolarque jusqu’à sa propre mort à l’âge de 84 ans, vers 287. Il continua à enseigner et à publier et acquit une très grande célébrité. Diogène Laërce affirme même qu’il eut à cette époque jusqu’à deux mille élèves.
B. Pline l’Ancien :
Caius Plinius Secundus, encore appelé Pline l’Ancien ou Pline le Naturaliste pour le distinguer de son neveu et fils adoptif Pline le Jeune, vit le jour en l’an 23 ou 24 après J.-C. dans une province du nord de l’Italie : le municipe de Côme.
Né dans une riche famille provinciale qui appartenait à l’ordre équestre – « bourgeoisie » de l’époque –, Pline était promis à des carrières importantes dans l’administration impériale. Les documents sur ses premières années sont rares. Après ses études à Rome dans une école de rhéteurs, il entre à l’armée où il accomplira le service militaire réglementaire au cours duquel il doit servir dans trois postes différents. C’est comme officier de cavalerie qu’il commence ainsi sa carrière dans différents lieux de la Germanie où Rome doit combattre des tribus rebelles comme la tribu des Chattes au sud de la province et celle des Chérosques au nord (on pourra demander de situer ces tribus sur une carte de Germanie).
À l’avènement de Néron en 54, Pline, homme intègre, rigoureux, fortement influencé par la philosophie stoïcienne, ne supporte pas la vie dissipée et la tyrannie du nouvel empereur. Il se retire à la campagne pour se consacrer à la littérature, à la lecture et à l’écriture de différents ouvrages qui ne nous sont pas parvenus mais dont nous connaissons les titres et les sujets grâce aux écrits de son neveu, Pline le Jeune :
- un traité : De iaculatione equestri, Sur l’art de lancer le javelot à cheval ;
- une Vie de Pomponius Secundus, général romain et poète tragique, grand ami de Pline ;
- les Bella Germaniae, Histoire des guerres en Germanie ;
- le Studiosus, un traité de formation de l’orateur ;
- le Dubius sermo (Le langage douteux, à double sens…), traité d’orthographe et de morphologie ;
- une Histoire contemporaine (31 livres) publiée après sa mort par son neveu.
Il ne revient à la vie publique qu’après la mort de Néron, lorsque, en 69, Vespasien, un homme de grande valeur, est proclamé empereur. Pline connaît bien le nouveau maître de Rome ainsi que son fils, Titus, qui fut son camarade de régiment en Germanie. Vespasien, dès 70, confie à Pline des postes très importants d’administrateur en Gaule Narbonnaise, en Espagne, en Syrie, en Afrique…
À son retour à Rome en 74, « de nouvelles fonctions l’amènent, selon Hubert Zehnacker (préface à l’Histoire Naturelle, Folio Classique), à voir l’empereur tous les matins pour une séance de travail qui commençait souvent dès avant l’aube... ». Pline lui-même, dans la dédicace de son Histoire Naturelle à Titus, son ami, futur successeur de l’empereur Vespasien, son père, écrit : « Je suis un homme, et accaparé par mes fonctions : je m’occupe de ces choses-là [recherches et écriture de mes livres] à mes moments de loisir, c’est-à-dire la nuit […]. Mes princes, […] je vous consacre mes journées. […] Ma seule récompense, dont je suis satisfait, est de vivre un plus grand nombre d’heures, comme dit Varron, en m’amusant à ces choses-là. Car, à coup sûr, vivre c’est veiller, vita vigilia est » (trad. J. Beaujeu, CUF, 1950).
Mais qu’est-ce donc, cette Histoire Naturelle ?
Une œuvre originale de Pline commencée dès sa jeunesse et sans cesse enrichie jusqu’à sa mort de tout ce qu’il a lu, noté, complété et qu’il a jugé pouvoir être utile à ses contemporains et à leurs successeurs, une compilation du savoir de son époque, une œuvre encyclopédique en 37 livres, chaque livre consacré à des sujets très précis : l’homme, les animaux, les plantes, les minéraux, l’agriculture, les remèdes tirés des plantes ou des animaux, les connaissances scientifiques, etc., un énorme travail de recherches pour lesquelles Pline dit avoir lu plus de 2000 volumes.
Le plan est très rigoureux : chacun des 37 livres comprend des paragraphes correspondant aux différents aspects que peut prendre le sujet et aux différentes manières dont les auteurs l’ont traité. Pour chaque livre, avec une grande délicatesse, il cite les noms de ses sources en les classant : auteurs latins, auteurs étrangers. Il complète les textes par ses propres notes, ses points de vue, et dans les anecdotes qu’il rapporte, il montre un certain talent de conteur. Son vocabulaire est toujours d’une grande précision.
Conscient de la complexité de son ouvrage, Pline lui adjoint une table des matières qui dans l’édition des Belles Lettres occupe un livre entier, et à la fin de la dédicace de l’Histoire Naturelle à Titus il écrit :
« Comme il me fallait, pour le bien public, avoir égard à tes occupations, j’ai joint à cette épître la table de chacun des livres et j’ai apporté le plus grand soin à t’épargner de devoir les lire. Par là tu rendras service aussi aux autres lecteurs : au lieu de parcourir tout l’ouvrage, chacun ne cherchera que ce qu’il désire et saura où le trouver » (trad. J. Beaujeu, CUF, 1950).
L’Histoire Naturelle sera un des livres les plus lus au Moyen-Âge et ce succès, grâce à l’imprimerie, s’amplifiera à la Renaissance qui y découvrira les merveilles de la Nature. Aux siècles suivants, les nouvelles découvertes de la science développeront l’esprit critique et atténueront l’intérêt porté à cet ouvrage. Cependant, au siècle des Lumières, un naturaliste comme Buffon (1707-1788) rendra hommage à Pline et au XIXe siècle, Cuvier (1769-1832), naturaliste aussi et scientifique, tout en relevant les défauts de l’Histoire Naturelle, reconnaîtra en son auteur « un homme passionné de la recherche, un parfait érudit » et il dira que son ouvrage est « un des monuments les plus précieux que l’Antiquité nous ait laissés ».
Au siècle de l’informatique, Pline semble encore avoir une certaine notoriété puisque de récentes publications de l’Histoire Naturelle sont faites par Gallimard en 1999 (Folio classique) et en 2013 (Pléiade), ainsi que par les Belles Lettres en 2016 (édition intégrale bilingue avec la réédition de la traduction de Littré).
C’est dans le déchaînement apocalyptique du Vésuve que Pline le Naturaliste va mourir à 56 ans, le 24 août 79 (la date est aujourd’hui remise en question : l’éruption se serait produite le 24 octobre 79 et non le 24 août).
À cette époque, il commande en Campanie la flotte impériale de Misène, ville où il réside avec son neveu âgé de 17 ans et la mère de ce dernier. Le savant, naturellement curieux mais aussi inquiet devant les étranges manifestations du volcan, prend un bateau pour s’en approcher et porter secours aux habitants affolés qui résident au pied du Vésuve et ne sont désormais plus accessibles que par la mer. Puis, il rejoint la villa de son ami Pomponianus à Stabies (on pourra demander de situer les villes de Misène et de Stabies sur une carte de Campanie). Là, par son comportement et par ses paroles il tente d’apporter un peu de calme à ses hôtes. Après un léger repas, il s’endort mais les secousses sismiques se multiplient et la maison menace de s’effondrer sur ses habitants. Alors on réveille Pline et l’on décide de gagner le rivage mais la mer trop agitée interdit toute navigation. Pline, bien que soutenu par deux serviteurs, s’effondre, sans doute asphyxié par les odeurs de soufre et la fumée des feux qui se propagent sous les nuages lourds de cendres et de pierres ponces... Il s’étend sur le sol face au volcan…
C’est là que trois jours plus tard, son neveu le retrouvera : « […] son corps intact, en parfait état et couvert des vêtements qu’il avait mis à son départ ; son aspect, écrira-t-il dans une lettre, était celui d’un homme endormi plutôt que d’un mort » (Lettres, Livre VI, 16, trad. A.-M. Guillemin, CUF, 1969).
Ainsi mourut Pline le Naturaliste, au milieu du déploiement de la toute-puissance de cette Nature qu’en stoïcien il admirait, plus libre, plus forte que les divinités.
Depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours l’Histoire Naturelle de Pline l’Ancien a eu de fidèles lecteurs.
Ainsi, Flaubert dit avoir lu et relu l’Histoire Naturelle de Pline. Au moment de la préparation de Salammbô, il confie dans sa Correspondance : « actuellement je suis perdu dans Pline que je relis pour la seconde fois de ma vie d’un bout à l’autre ! ». Il s’agit pour lui de donner à son roman une note plus réaliste, plus respectueuse de la vie antique, grâce aux détails trouvés dans les œuvres des auteurs anciens en général et dans celle de Pline en particulier.
Quant à Goscinny et Uderzo, dans la B.D. Astérix et Cléopâtre, ils emprunteront à l’œuvre de Pline l’histoire de Cléopâtre qui, à l’issue d’un somptueux banquet, avale une perle d’un prix inestimable qu’elle a fait dissoudre dans du vinaigre (IX, 119-121). Les mêmes auteurs, pour décrire et dessiner la construction des pyramides d’Égypte, se souviendront de l’Histoire Naturelle (XXXVI, 75-76 et 78-82).
II. Présentation des extraits :
Le texte de Théophraste que nous présentons appartient au IVe livre d’une œuvre qui en comptait IX.
Théophraste explique d’abord ce qui distingue l’étude des végétaux de celle des animaux. Dans le livre I, Théophraste entreprend de distinguer et de décrire les principales parties de la plante, racines, tiges ou troncs, branches, feuilles, fleurs, fruits, graines.
Au livre IV, « une nouvelle considération intervient, celle des rapports entre la plante et son milieu » (p. XXXII) et il est question particulièrement des plantes se développant en milieu aquatique ou humide. Notre extrait se rapporte à la fève d’Égypte qui « pousse dans les marécages et les lacs » (ἐν τοῖς ἕλεσι καὶ ταῖς λίμναις).
Nous l’étudierons en parallèle du texte de Pline l’Ancien (XVIII, 30).
Le texte de Pline l’Ancien appartient au livre XVIII de l’Histoire Naturelle qui en comptait XXXVII : H. Le Bonniec, dans l’introduction de l’édition de la CUF (p. 7), précise que ce livre se présente comme « une sorte d’abrégé de toute la science agricole » (omnis culturae quoddam breviarium : XVIII, 62) et qu’il « est le plus long de l’encyclopédie plinienne ». Nous sommes dans la partie consacrée à la description des fruits de la terre (fruges) : Pline distingue les céréales (frumenta) des légumineuses (legumina) ; au chapitre des légumineuses la place d’honneur revient à la fève parce qu’elle pouvait entrer dans la composition du pain, au même titre que les céréales, et qu’elle jouait un rôle important dans les rites religieux.
III. La fève d’Égypte :
Il existe différentes sortes de fèves : (cf. J. André, Les noms de plantes dans la Rome antique, Paris, Les Belles Lettres, 1985, article faba)
- la fève cultivée :
- la fève sauvage qui pousse dans les îles de l’Océan septentrional : il s’agit en fait d’une espèce de pois sauvage ;
- la fève sauvage qui pousse en Mauritanie ;
- la fève égyptienne : il s’agit en fait d’un nénuphar rose, décrit sous le nom de Nelumbo nucifera par le botaniste allemand Gaertner, et dont on consommait la racine, ainsi que les graines.
Fleur, © Wikimedia commons
S. Amigues, n. 12, p. 266, précise que cette plante est décrite ou évoquée :
- au chapitre 92 du livre II d’Hérodote consacré à l’Égypte : ἔστι δὲ καὶ ἄλλα κρίνεα ῥόδοισι ἐμφερέα, ἐν τῷ ποταμῷ γινόμενα, « il existe encore d’autres lis, semblables à des roses, qui poussent eux aussi dans le fleuve [il s’agit du Nil] » (trad. Ph.-E. Legrand, CUF) ;
- chez Diodore de Sicile, I, 10, 1 et I, 34, 6 : il est fait mention du ciboire qui porte la fève d’Égypte (voir ci-dessous Strabon) ;
- chez Strabon, XVII, 1, 15 : φύεται δ' ἐν τοῖς Αἰγυπτιακοῖς ἕλεσι καὶ ταῖς λίμναις ἥ τε βύβλος καὶ ὁ Αἰγύπτιος κύαμος ἐξ οὗ τὸ κιβώριον, […] ἔστι γὰρ σφόδρα μεγάλα ὥστε καὶ ἀντὶ ποτηρίων καὶ τρυβλίων χρῆσθαι· ἔχει γάρ τινα καὶ κοιλότητα ἐπιτηδείαν πρὸς τοῦτο, « dans les marais et les lacs d’Égypte poussent le payprus et la plante à fèves dont on tire le ciboire. […] Ces feuilles [les feuilles de la plante à fèves] sont si larges qu’elles peuvent remplacer des coupes et des assiettes ; elles présentent une sorte de concavité naturelle propre à cet usage » (trad. P. Charvet, Le quartette d’Alexandrie, éd. Bouquins, 2021) ;
- chez Dioscoride, II, 106.
La plante apparaît aussi dans le paysage nilotique représenté sur la grande mosaïque de Préneste (voir IX Prolongements iconographiques, « La mosaïque de Préneste »).
Les pistes d’étude que nous avons retenues permettent à la fois de mettre en parallèle les deux descriptions botaniques et de mettre en avant la spécificité de chacun des deux textes. Ils peuvent donc être étudiés séparément en latin ou en grec (quitte à citer le second en traduction) ou encore conjointement, dans le cadre de l’ECLA.
IV. Pistes d’étude grammaticale :
Les éléments grammaticaux que nous avons retenus ici sont caractéristiques du style des descriptions scientifiques en général et des descriptions botaniques en particulier.
A. Dans le texte de Théophraste :
1. Les verbes :
On rappellera les valeurs du présent : étant donné qu’il est propre à exprimer le permanent, ce temps convient pour une description botanique.
On pourra faire revoir la conjugaison du présent des verbes thématiques :
- -indicatif :
- voix active : 3e du sg : ἔχει, μένει, φεύγει, πέττει + verbes contractes en -o et en -ε : τελειοῖ, τελεοκαρπεῖ ; 3e du pl. : ἐσθίουσι, καταβάλλουσιν, κατασκευάζουσι, ἐκπέττουσιν ;
- voix moyenne : 3e du sg : φύεται, παραφύεται, γίνεται ; 3e du pl. : verbe contracte en -η : χρῶνται ;
- infinitif : verbe contracte en -α : καθορᾶν ;
- participe : ὑπεραίρων, ἔχοντα, ἔχουσα, ἐπακανθίζουσα.
On étudiera la syntaxe de l’infinitif substantivé à partir des exemples du texte : πρὸς τὸ κατενεχθῆναί τε καὶ μεῖναι καὶ μὴ διαφθαρῆναι (construction avec préposition) ; τῷ μὴ ὀξὺ καθορᾶν (construction avec un datif de sens causal).
2. Les prépositions de lieu (utilisées dans la description et dans la localisation de la plante) :
ἐν + D. (ἐν τοῖς ἕλεσι καὶ ταῖς λίμναις - ἐν ἑκάστῳ τῶν κυττάρων - ἐν πηλῷ - ἐν Συρίᾳ - ἐν λίμνῃ τινί)
εἰς + Acc. (εἰς τέτταρας πήχεις)
ἐπί + D. (ἐπὶ τούτῳ) ; cf. aussi ἐπάνω + G. (ἐπάνω τοῦ ὕδατος)
κατά + Acc. (κατὰ Κιλικίαν)
παρά + Acc. (παρ' ἕκαστον τῶν κυάμων)
περί + Acc. (περὶ τὰ ἕλη - περὶ Τορώνην τῆς Χαλκιδικῆς)
Parallèlement, on pourra faire relever dans le texte de Pline les prépositions in + D. (in flore ejus - in Mauritania - in Aegypto - in Syria Ciliciaque - in Toronae Chalcidices lacu) et circa + Acc. (circa Macedoniam Thessaliamque).
3. L’expression de la comparaison (voir VI C L’usage des comparaisons dans la démarche scientifique de Théophraste) :
a. Les adjectifs qualificatifs :
διπλάσιος, α, ον … ἤ : deux fois aussi grand que
ἴσος, η, ον (+ D.) : égal (à)
ὅμοιος, α, ον (+ D.) : semblable (à)
παρόμοιος, ος (α), ον (+ D.) : presque semblable (à)
Cf. dans le texte de Pline : similis + D. : semblable à
b. Le comparatif et les superlatifs :
παχυτέρα : comparatif de παχύς, εῖα, ύ : épais (complément du comparatif au G.)
τοῦ παχυτάτου : superlatif de παχύς, εῖα, ύ : épais
ὁ μακρότατος : superlatif de μακρός, ά, όν : long
οἱ πλεῖστοι : superlatif de πολύς, πολλή, πολύ : nombreux
c. Le pronom-adjectif d’identité :
ὁ αὐτός, ἡ αὐτή, τὸ αὐτό (+ D.) : le même, la même que
d. Les adverbes :
ὁμοίως (+ D.) : semblablement (à)
οὐ πόρρω (+ G.) : pas éloigné (de)
B. Dans le texte de Pline :
1. Les verbes :
On pourra faire revoir la conjugaison du passif, en distinguant les formes passives des formes déponentes :
- formes passives :
- présent : indicatif : 1re conjugaison : appellatur, adgravatur - 2e conjugaison : miscetur, repletur - 3e conjugaison : adsumitur, percoquitur, seritur ; infinitif : seri, percoqui ; subjonctif : 4e conjugaison : reperiantur ;
- parfait : indicatif : damnata (sous-entendu : est), sata est ; subjonctif : temptatus sit ; participe : fracta, existimita, exesa, decocta ;
- - formes déponentes : présent : indicatif : sequitur, nascitur ; infinitif : vesci.
On s’interrogera sur l’usage répété de la voix passive, marque d’un énoncé neutre et impersonnel (cf. VII B « Une œuvre de compilateur » et VII C « D’autres sources anonymes »).
2. Le rôle des relatives :
Le souci d’exhaustivité inhérent à tout projet encyclopédique amène Pline à ne négliger aucun détail dans son exposé sur la fève, d’où l’emploi de relatives qui apportent des informations supplémentaires.
Morphologie : on pourra faire analyser chaque forme de pronom relatif et en faire réviser la déclinaison.
Syntaxe :
- Relatives à l’indicatif : quae ideo referiva appellatur ; in quo sata est ; quas ob id nostri Fabarias appellant ;
- Relatives au subjonctif : quippe ex qua temptatus sit etiam panis ; quae percoqui non possit.
3. L’expression du temps : (en particulier dans les préconisations relatives à la culture de la fève)
- groupe nominal prépositionnel : ante Vergiliarum occasum, per ver ;
- subordonnée circonstancielle : cum defloruit, cum florere coepit ;
- ablatif absolu à valeur temporelle : crescente luna.
Cf. aussi la subordonnée finale : ut antecedat hiemem.
4. L’expression de la cause : (en particulier dans les explications relatives au rôle religieux de la fève)
quippe ex qua : explication de la place d’honneur de la fève parmi les légumineuses.
ob haec (deux occurrences) - quoniam : explications de l’interdit alimentaire de la fève.
quoniam - qua de causa : explication de l’utilisation de la fève dans le rituel funéraire.
nam - ideo : explication étymologique de l’épithète referiva (étymologie populaire) : le Dictionnaire étymologique de la Langue Latine d’Ernout-Meillet indique que cette épithète de faba est « un terme de rituel, d’origine et de sens obscurs ».
ob id : explication toponymique.
qua de causa : explication éthologique relevant de l’anecdote.
V. Pistes d’étude lexicale :
La désignation de la fève :
κύαμος, ου (ὁ) | La fève | faba, ae, f. |
n. 12 p. 266 de S. Amigues : le mot désigne indifféremment la plante, la graine ou la tige florale et fructifère κυαμών, ῶνος (ὁ) : champ de fèves |
fabalia, um, n. pl. : productions de fèves fabata, ae, f. : purée de fèves fabophile |
Les parties de la plante : le vocabulaire botanique proposé dans ce tableau est en lien avec les programmes scientifiques de lycée.
ἄνθος, ους (τὸ) | La fleur | flos, floris, m. |
- anthère (m.) : partie terminale fertile d’une étamine. - anthérozoïde (m.) (+ ζῷον, ου, (τὸ) : être vivant) : gamète mâle chez les végétaux = spermatozoïde végétal. - anthocyanes (f. pl.) (+ κύανος, ου (ὁ, ἡ) : colorant bleu) : pigments colorant certaines cellules végétales.
Et aussi : anthophore, anthophage, anthologie, chrysanthème, hélianthe |
- la flore - diagramme floral : schéma rendant compte de la disposition relative des pièces d’une fleur (sépales, pétales étamines…). - inflorescence (>inflorescere) : ensemble de fleurs sur un même axe (épi, grappe…). Et aussi : (cf. floreo, es, ere, ui : fleurir et defloreo, es, ere ou defloresco, is, ere, -rui : défleurir) florifère, floricole, florilège, biflore, gémelliflore |
|
καρπός, οῦ (ὁ) | Le fruit | fructus, us, m. |
- carpelles (m. pl.) : unités renfermant le ou les ovules et dont l’assemblage constitue le pistil. Et aussi : (cf. τελειοκαρπέω-ῶ : amener un ou des fruits à parfaite maturité) carpophore, carpophage, carpomorphe, carpologie |
- fructifère (adj.) : qui porte des fruits (ex : rameau d’olivier). - fructose (m.) : sucre de fruit. Et aussi : (cf. frux, frugis, f., généralement au pluriel : graine, récolte) frugivore, fructueux, fructifier |
|
φύλλον, ου (τὸ) | La feuille | folium, ii, n. |
chlorophylles (f. pl.) (+ χλωρός, ά, όν : vert) : pigments végétaux verts, essentiels pour la photosynthèse. Et aussi : phyllotaxie, épiphylle |
- foliole (f.) : chacune des divisions d’une feuille composée (ex : trèfle à 3 (ou 4 !) folioles). - foliaire (adj.) : qui se rapporte à la feuille (ex : nécrose foliaire). - défoliation (f.): chute des feuilles. - défoliant (m.) : produit chimique qui détruit les feuilles. - foliation (f.) (en géol.) : structure de certaines roches métamorphiques. Et aussi : foliacé, folio |
|
καυλός, οῦ (ὁ) |
La tige |
caulis, is, m. |
- acaule (adj.) : se dit d’un végétal dont la tige est réduite et semble absente. Et aussi : caulicole, caulinaire |
- acaule (adj.) : se dit d’un végétal dont la tige est réduite et semble absente. scapus, i, m. : voir ci-dessous Et aussi : caulicole, caulinaire |
|
ῥίζα, ης (ἡ)
|
La racine | radix, icis, f |
- rhizome (m.) (+ ὁμός, ή, όν : semblable) : tige souterraine. - rhizosphère (f.) : zone du sol occupée par la racine. - mycorhize (f.) : (+ μύκης, ητος (ὁ) : champignon) : association symbiotique entre certains champignons et la racine d’une plante. Et aussi : rhizophage |
- radicelle (f.) : ramification de la racine principale, souvent au pluriel. - radicule (f.) : première racine apparaissant quand une graine commence à germer. Et aussi : radis, radical |
|
ἄκανθα, ης (ἡ) | épine |
spina, ae f.
|
(cf. ἐπακανθίζω : se couvrir d’épines) | (cf. spinosus, a, um : épineux) | |
γόνυ γόνατος (τὸ) | nœud d’une tige | geniculum, i, n. |
→ ἀγόνατος, ος, ον | (diminutif de genu, us, n.) | |
κωδύα, ας (ἡ) | tête | caput, itis, n |
D’après : B. Boullard, Dictionnaire de Botanique, Ellipses, 1988, 398 p. (à consulter pour aller plus loin).
Scapus, i, m. (d’après le Dictionnaire étymologique d’Ernout-Meillet) : désigne d’une manière générale toute espèce de montant ou de soutien, d’où le sens de tige dans le texte de Pline ; spécialisé dans les langues techniques avec diverses acceptions : fût de colonne (d’où le sens de membrum uirile), d’escalier, montant de porte, tige de candélabre, fléau d’une romaine, cylindre sur lequel on roulait les manuscrits, ensouple de tisserand autour duquel est enroulée la chaîne.
Le mot est peut-être emprunté au grec : cf. σκᾶπος · κλάδος : petite branche arrachée, rameau (Hésychius).
D’après le Dictionnaire étymologique de la Langue Grecque de Chantraine, σκᾶπος est un dérivé de σκήπτομαι, « s’appuyer ».
Autres plantes citées dans les deux textes :
- le roseau : κάλαμος, ου (ὁ) // calamus, i, m. ; harundo, inis, f.
- le pavot : μήκων ωνος (ἡ) ; papaver, eris, n.
Ces plantes sont citées comme éléments de comparaison avec la fève.
Théophraste cite également la rose : ῥόδον, ου (τὸ).
Enfin, dans la partie consacrée à l’usage alimentaire de la fève, Pline mentionne deux céréales avec lesquelles elle peut être mélangée : le blé (frumentum, i, n.) et le panic, sorte de millet (panicum, i, n.).
VI. La démarche scientifique de Théophraste :
Comme le note V. Bonet dans « Pline et Théophraste : à propos des plantes médicinales », Actes du colloque « Métissage culturel dans l’Antiquité » de la CNARELLA 27 et 28 octobre 2008, Nice, (paru sur CD ROM et en ligne
http://cnarela2008.free.fr/CNARELA_2008/Fichiers_PDF/IIIc_Bonet_plantes_medicinales.pdf), p. 2-3, Théophraste « propose la première ébauche d’une démarche scientifique. Sa méthode, décrire, nommer, classer, sans pour autant viser à l’exhaustivité, repose sur une observation précise et rigoureuse ». V. Bonet cite à ce propos S. Amigues (« Les traités botaniques de Théophraste », Geschichte der Mathematik und der Naturwissenschaften in der Antike, Stuttgart, 1999, p. 124-154, plus spécialement p. 133) et G. Ducourthial (Flore magique et astrologique de l’Antiquité, Paris, 2003, p. 56) qui « évoquent la création d’un jardin à Athènes, le jardin du Lycée, qui aurait permis à Théophraste d’examiner les plantes et qui a peut-être été un des premiers jardins botaniques » (n. 9, p. 3).
Pour l’observation de la fève d’Égypte, les données fournies par Théophraste peuvent provenir soit de sa propre expérience (mais l’hypothèse d’un voyage effectué par Théophraste lui-même en Égypte reste discutée) soit d’une enquête rigoureuse menée par un voyageur conscient des exigences de la démarche scientifique (cf. S. Amigues, t. I, CUF, p. XIII-XIV).
A. La composition du texte :
Le texte se compose de trois parties :
- - la description de la plante (φύσις) ;
- - l’utilisation de la plante (δύναμις) ;
- - la localisation de la plante (χῶραι).
a. La description de la plante (φύσις) :
Théophraste commence par préciser dans quels types de lieu pousse la plante (ἐν τοῖς ἕλεσι καὶ ταῖς λίμναις), avant de la décrire.
La description est minutieuse et scientifiquement ordonnée :
- la tige (καυλός) :
- dimensions : longueur (μῆκος) - épaisseur (πάχος) ;
- apparence extérieure - intérieur (ἔνδοθεν) composé d’interstices ;
- la tête (κωδύα) :
- apparence générale ;
- emplacement et nombre (πλῆθος) de fèves ;
- la fleur (ἄνθος) :
- dimensions ;
- couleur (χρῶμα) ;
- les feuilles (φύλλα) :
- dimensions (τὰ μεγέθη) ;
- tige des feuilles ;
- le fruit (καρπός) : intérieur de la fève ;
- la racine (ῥίζα) :
- dimensions ;
- intérieur composé d’interstices.
b. L’utilisation de la plante (δύναμις) :
- différents modes de consommation de la racine (σῖτος) ;
- culture de la plante, avec l’apport de nouveaux détails descriptifs ayant trait à la racine (ῥίζα).
c. La localisation de la plante (χῶραι) :
- lieux où elle ne parvient pas à maturité : Syrie - Cilicie ;
- lieu où elle parvient à maturité : lac aux environs de Toroné en Chalcidique.
On pourra faire rechercher sur une carte les lieux mentionnés ici.
B. Les mesures et les nombres :
La description scientifique requiert précision et exactitude.
On pourra faire relever les unités de mesure (εἰς τέτταρας πήχεις : « jusqu’à quatre coudées » ; δακτυλιαῖος : « d’un doigt »), en expliquant leur origine, puis faire calculer à quelles dimensions correspondent ces données dans notre propre système de mesures (sur les unités de mesure grecques et romaines, on pourra consulter le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio à l’article pes).
On pourra aussi faire relever les nombres (τέτταρας : « quatre » ; τριάκοντα : « trente » ; cf. aussi l’adjectif διπλάσιον, « deux fois aussi grand »).
Les indications de mesure peuvent également reposer sur des comparaisons : fleur de la fève deux fois plus grande (διπλάσιον) que celle du pavot ; feuille de la fève d’une taille égale (ἴσα τὰ μεγέθη) à celle d’un bonnet de feutre thessalien ; racine de la fève plus épaisse (παχυτέρα) que celle du roseau le plus épais (τοῦ καλάμου τοῦ παχυτάτου).
Οn trouve encore une indication de mesure à propos de la taille du lac de Chalcidique (ἐν λίμνῃ τινὶ μετρίᾳ τῷ μεγέθει) dans lequel pousse la fève.
C. L’usage des comparaisons :
La fève d’Égypte n’est pas une plante familière des Grecs puisque Théophraste nous dit qu’elle ne pousse sur le sol grec qu’à un endroit bien précis de la Chalcidique ; aussi la comparaison permet-elle de rattacher à quelque chose de connu un élément de cette plante dont on peut supposer qu’elle était perçue comme exotique.
Théophraste compare :
- la tige de la fève à un roseau souple sans nœuds (ὁ κάλαμος μαλακὸς ἀγόνατος) ;
- les interstices de l’intérieur de la tige aux cellules de cire des abeilles (τὰ κηρία) ;
- la tête à un petit nid de guêpes arrondi (τὸ σφηκίον περιφερές) ;
- la fleur à celle d’un pavot (ἡ μήκων, ωνος) ;
- la couleur de la fleur à celle d’une rose (τὸ ῥόδον, ου) ;
- la feuille à un bonnet de feutre thessalien (ὁ πῖλος θετταλικός) ;
- la racine à celle du roseau le plus épais (ὁ κάλαμος ὁ παχύτατος).
Le bonnet de feutre thessalien :
Extrait de l’article Pileus ou pileum, πῖλος du Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio :
« Le nom grec et le nom latin qui en est venu, […] s’appliquent principalement à des bonnets qui, dès les temps les plus éloignés, furent en usage en Grèce et en Italie aussi bien qu’ailleurs. [Ils se caractérisent par] une calotte plus ou moins haute, arrondie ou pointue […]. Quand le couvre-chef avait besoin de plus de résistance, par exemple pour être porté à la guerre ou à la chasse, on le renforçait par des lanières de cuir, des tiges de métal, des bossettes et des clous. […] Le πῖλος et la κυνῆ (littéralement peau de chien) sont alors devenus de véritables casques. Tels on les voit encore, dans les ouvrages de la période classique, portés par les héros et les dieux. Le πῖλος est l’attribut d’Hermès et de Persée, presque aussi souvent que le pétase. […] C’est la coiffure des gens d’humble condition à la ville et à la campagne. »
Hermès et son pilos
Fig. 3455 : casque de cavalier thessalien, en forme de chapeau, connu par la didrachme d’Alexandre de Phères
VII. La démarche encyclopédique de Pline :
V. Bonet indique qu’« à l’époque romaine, c’est l’exploitation pratique du monde végétal qui domine dans les études. Deux types d’ouvrages émergent : les traités techniques à finalité pratique et les compilations. Pline en est l’illustration » (p. 3).
« Ce que Pline […] veut faire, avant tout, c’est répertorier toutes les connaissances de son époque et faire œuvre d’exhaustivité et d’utilité. Son œuvre rassemble l’ensemble des connaissances et les présente de façon ordonnée. Son sujet, c’est la nature : “C’est la nature, dit-il, c’est-à-dire la vie, qui est racontée” (Préface, 13 : rerum natura, hoc est uita, narratur). De ce fait, l’Histoire Naturelle a pu être considérée comme “la première vraie encyclopédie” et même comme “l’accomplissement de l’encyclopédisme antique” (V. Naas, Le projet encyclopédique de Pline l’Ancien, Rome, 2002, p. 13) ». (p. 4)
A. La composition du texte :
- Les usages de la fève:
- alimentaires (fabae multiplex usus) : le lomentum ; la fabata ;
- religieux : la fabata dans le rite ; le tabou de la fève ; la referiva ;
- Les modes de culture de la fève ;
- La description de la fève :
- mention de différentes régions ;
- développement sur la fève d’Égypte repris de Théophraste.
L’exposé de Pline est moins spécialisé que celui de Théophraste puisque la description de la fève d’Égypte ne constitue qu’une partie de son étude sur la fève : il évoque aussi d’autres variétés poussant dans différentes régions du monde et ne manque pas de mentionner la présence de la fève en Italie sur les bords du Pô. V. Bonet met en effet en avant la volonté de Pline de valoriser dans son œuvre l’Occident romain : « dès qu’il le peut, Pline fait donc référence aux plantes de l’Occident romain, propose des équivalents occidentaux aux végétaux orientaux, ou rectifie ce qu’il pense être des erreurs désavantageant l’Occident. En outre, ne se contentant pas de suivre ses sources, il insiste sur les plantes italiennes ou voisines ». (p. 19)
Pline se distingue également de Théophraste par son approche pluridisciplinaire : il aborde en effet le sujet sous différents angles : botanique, mais aussi culinaire, culturel, religieux, agronomique.
B. Une œuvre de compilateur :
On fera remarquer la prédominance de la juxtaposition dans l’énoncé de Pline : cette caractéristique stylistique correspond à une volonté d’exhaustivité, il s’agit d’en dire le plus possible sur le sujet qu’on traite. De même, la répétition de nascitur dans la partie descriptive de la plante traduit l’intention de l’auteur de passer en revue l’ensemble des lieux où elle pousse.
Néanmoins, il arrive que les faits rapportés soient assortis d’explications, d’où la présence de liens de causalité (cf. IV D).
L’exposé livre les informations de manière neutre, comme en témoigne l’usage répété de la voix passive (cf. IV A b) ou encore l’emploi des tournures impersonnelles putant, « on pense » ou vertunt, « on retourne ».
L’approche globalisante de toute compilation entraîne un manque de précision, à l’opposé de la démarche scientifique : des expressions comme apud plerasque gentes, « chez la plupart des peuples », plerisque in locis, « dans la plupart des lieux », sont trop générales au regard de la science.
C. La question des sources :
Dans la Préface (17) de l’Histoire naturelle, Pline affirme avoir consigné dans son œuvre « 20 000 faits dignes d’intérêt […] tirés de la lecture d’environ 2000 volumes » et dans le premier livre qui prend la forme d’une table des matières, il cite les sources auxquelles il a recouru pour chacun des livres, en distinguant les auteurs nationaux des étrangers (externis).
Les sources explicites :
Dans notre extrait, trois sources sont explicitement indiquées :
- Pythagore (Pythagoricae sententiae) ;
- Varron (Varro tradit) ;
- Virgile (Vergilius jubet).
Mais Pline ne donne pas de référence précise.
- doctrine de Pythagore : Marcel Detienne, dans son article « La cuisine de Pythagore » (Archives de sociologie des religions, 29, 1970, p. 141-162), affirme en introduction : « Un des aspects les plus singuliers du pythagorisme, c’est, sans aucun doute, la réglementation des nourritures : la littérature pythagoricienne est remplie de tabous alimentaires ». Concernant la fève, M. Detienne explique, p. 153, que la première raison de ce tabou est d’ordre botanique puisqu’elle est la seule de toutes les plantes à posséder une tige dépourvue de nœuds (cf. Théophraste : ἀγονάτῳ ; Pline : ni genicula abessent) : « cette particularité fait de la fève un moyen de communication privilégié entre Hadès et le monde des hommes ». L’auteur cite ensuite deux vers d’un Discours sacré des Pythagoriciens qui définissent ainsi la fonction des fèves : διὰ τὸ «ψυχῆς αἰζηῶν βάσιν ἔμμεναι ἠδὲ ἀνάβαθμον ἐξ Ἀΐδαο, ὅταν αὐγὰς εἰσανίωσιν», « elles servent de point d’appui et d’échelle pour les âmes des (hommes) pleins de vigueur, quand, des demeures de l’Hadès, elles remontent à la lumière » (Eustathe, Commentaire au vers 589 du chant XIII de l’Iliade). C’est donc parce que la fève est censée mélanger la vie et la mort qu’on ne doit pas la consommer.
- Varron : la note 1 du § 119 p. 227 de l’édition de la CUF précise que « le passage de Varron auquel se réfère Pline est aujourd’hui perdu » mais cite d’autres auteurs qui mentionnent l’interdiction pour le flamine de toucher et même de nommer la fève, en particulier Verrius Flaccus, un érudit du ier siècle av. J.-C. : fabam nec tangere nec nominare Diali flamini licet, quod ea putatur ad mortuos pertinere.
- Virgile : la recommandation de Virgile relative aux semailles de la fève se trouve au vers 215 du livre I des Géorgiques : vere fabis satio, « au printemps on sème la fève » → Pline rapporte cette prescription sous la forme d’une proposition infinitive : Vergilius eam per ver seri jubet.
La dépendance de Pline vis-à-vis de Théophraste :
Dans la liste des sources « étrangères » auxquelles Pline a recouru pour composer le livre XVIII, il cite bien évidemment Théophraste, qui, de manière générale, comme le souligne V. Bonet, « occupe une place d’honneur » dans les indices du livre I où sont répertoriées l’ensemble des sources de chaque livre.
« Dans le corps du texte de l’Histoire Naturelle, Théophraste, en revanche, est très peu cité. […] On peut penser tout d’abord que l’indication des sources au début des différents livres et dans le livre I constitue une sorte de “référence globale” et que Pline ne voit pas l’intérêt de répéter ensuite les références à Théophraste, chaque fois qu’il l’a utilisé pour écrire son texte. » (p. 4)
V. Bonet remarque en outre que lorsque Pline cite le nom d’un auteur en général, c’est souvent pour « prendre une distance plus ou moins grande vis-à-vis de ce qu’il rapporte » et qu’au contraire le fait de ne pas citer de sources implique une approbation tacite par rapport à ce qui est rapporté ; cette habitude de « laisser anonymes les faits indubitables ou plausibles » est, du reste, une constante des auteurs antiques (p. 7). On peut donc en déduire que si Théophraste est peu cité, c’est que Pline « se dissocie peu de ses dires ». (p. 5)
Dans la dernière partie de notre extrait de l’Histoire naturelle, Pline reprend le texte des Recherches sur les plantes de Théophraste, mais comme le note H. Le Bonniec (n. 1 du § 122, p. 228), « Pline traduit et abrège plus ou moins exactement Théophraste ». On demandera aux élèves de comparer les deux descriptions botaniques, en relevant dans le texte de Pline les éléments qui sont repris de Théophraste et dans le texte de Théophraste les détails qui sont omis chez Pline.
Cette moindre précision est conforme au projet de Pline qui élabore un ouvrage de vulgarisation destiné à des non spécialistes.
D’autres sources anonymes :
On fera relever aussi des formules comme ut alii tradidere, major pars malunt ; l’usage du passif proposé comme piste d’étude grammaticale (IV A b) participe aussi de cet anonymat caractéristique d’une approche globalisante : ex. : hebetare sensus existimata.
VIII. Prolongements pour éclairer le texte de Pline :
A. La culture de la fève :
La fève se cultive dans le jardin familial (κῆπος) : on offre au visiteur la fève avec le sel, d’où la question posée par Plutarque dans les Propos de table « Qui sont les gens du sel et de la fève ? » Τίνες οἱ περὶ ἅλα καὶ κύαμον (V, 10). Cette expression proverbiale désigne des amis assez intimes pour partager l’aliment le plus indispensable (le sel) et le mets le plus modeste (la fève).
La fève se cultive également dans les champs (ἀγρός) : la tige et les feuilles sont consommées par les animaux.
B. La fève dans l’alimentation et la cuisine :
La fève présente des qualités nutritives intéressantes dans la mesure où elle apporte des protéines ; en outre, elle peut se conserver sèche.
Dans les pays qui ne produisaient pas de céréales et en temps de disette, on avait recours à des farines faites par exemple à base de fèves ou de glands du chêne à gland doux. (J. André, L’alimentation et la cuisine à Rome, Paris, 1961, p. 66).
Pour l’utilisation de la fève dans la cuisine, voir p. 90-91 de La cuisine romaine antique, N. Blanc et A. Nercessian, Glénat, Faton, 1992, avec en particulier une recette d’Apicius (Fabaciae virides, « Fèves fraîches »).
C. Le lomentum :
Dictionnaire étymologique d’Ernout-Meillet, s.v. lavo :
Lomentum : dérivé de lavo : 1° ce qui sert à laver, savon ou pâte de toilette, faite de farine de fève et de riz ; 2° bleu céleste (par comparaison avec la couleur de cette pâte ?).
Dictionnaire des Antiquités grecques de Daremberg et Saglio, s.v. lomentum, article de A. Jacob :
Cette farine, dont on avait essayé de faire du pain, a été utilisée comme moyen de nettoyage et comme cosmétique. Elle entra, mélangée par parties égales à des escargots séchés au soleil et pulvérisés, dans une composition destinée à adoucir et blanchir la peau (Pline, XXX, 127) ; c’était aussi la base d’une pâte dont s’enduisaient les coquettes sur le retour pour dissimuler leurs rides (Martial, III, 42, 1 et XIV, 60).
Les falsificateurs attribuaient à la farine de fèves la propriété de décolorer le vin et de le faire passer du rouge au blanc dans l’espace d’un jour.
Le lomentum trouvait aussi emploi en médecine contre les scrofules (Pline, XX, 127 et XXIV, 15), les tumeurs, les contusions et les brûlures (Pline, XXII, 140-141).
D. L’interdit alimentaire de la fève :
Le plus ancien témoignage littéraire sur la fève comme interdit alimentaire est dû à Empédocle (fragment Diels-Kranz 141, 13) :
Δειλοί, πάνδειλοι, κυάμων ἄπο χεῖρας ἔχεσθαι.
« Malheureux, archimalheureux, des fèves tenez vos mains à l’écart ».
On se référera aussi à Porphyre qui, dans son traité De abstinentia, IV, 16, tente d’expliquer les raisons de l’interdit alimentaire de la fève chez les Pythagoriciens.
P. Bras, dans un article intitulé « Réflexions sur les fondements de la diététique dans le monde grec ancien (à propos de l’interdit de la fève) » (Dialogues d’histoire ancienne, 25/2, 1999, p. 221-246), détaille les caractéristiques de la fève et analyse les raisons pour lesquelles la fève fait partie des interdits alimentaires :
« La fève, par métaphore, analogie ou métonymie, ouvre sur des associations ou des substitutions : sang, sexe, nourriture de mort » (p. 228).
- La fève écrasée a une couleur qui fait penser à celle du sang et elle dégage une odeur fade (qu’on peut rapprocher de celle du sperme) ou putride (qui évoque le pourrissement) ;
- La graine de la fève et le testicule ont une forme comparable (pour la comparaison fèves-testicules, cf. Aulu-Gelle, Nuits attiques, IV, 11, 5) ; la fève, lorsqu’elle se forme, ressemble aussi à la tête d’un embryon sortant de la vulve ;
- La fève est androgyne ;
- La fève a une tige creuse et qui ne comporte pas de nœuds (ἀγόνατος), contrairement aux autres légumineuses (les âmes des morts utilisent ainsi la tige de la fève pour remonter à la surface) ; elle présente une fleur papilionacée, de couleur blanche avec des taches noires dont la forme évoque celle de la lettre thêta comme thanatos ;
- La fève perturbe les songes car elle donne des flatulences (cf. Cicéron, De divinatione, I, 62 : Plato sic ad somnum proficisci corporibus adfectis ut nihil sit quod errorem animis perturbationemque adferat. Ex quo etiam Pythagoriis interdictum putatur ne faba vescerentur, quod habet inflationem magnam is cibus tranquillitati mentis quaerenti vera contrariam, « Platon recommande donc d’aller dormir avec le corps disposé de telle sorte que rien ne puisse apporter à l’esprit illusion et perturbation. C’est pourquoi, pense-t-on, il est même défendu aux pythagoriciens de manger des fèves, car cet aliment produit une importante flatulence, préjudiciable à la tranquillité d’un esprit à la recherche de la vérité », trad. G. Freyburger et J. Scheid, Les Belles Lettres, coll. « La roue à livres », 1992).
E. Utilisation de la fève dans les rites religieux : les Lemuria
« La fève est tantôt signe de mort ou de génération, tantôt interdite et utilisée dans les rituels, tantôt cathartique ou apotropaïque, tantôt proscrite ou aliment convivial. » (P. Bras, p. 244)
Les morts qui n’étaient pas enterrés selon les règles, et notamment ceux qui n’étaient pas enterrés du tout, étaient réputés dangereux pour les vivants. Une fête spécifique leur était consacrée au mois de mai (les Lemuria des 9, 11 et 13 mai). Le père de famille offrait à leurs esprits errants (lémures) un banquet minimal excluant toute volonté de communication. À minuit, il jetait par-dessus son épaule des fèves en disant : « Par ces fèves, je me rachète, moi et les miens. » (J. Scheid, La religion des Romains, Paris, 1998, p. 139).
Nous avons conservé un témoigne littéraire sur les Lemuria : Ovide, Fastes, V, 429-444.
F. Les Géoponiques, un ouvrage tardif de caractère encyclopédique :
Plusieurs notes de l’édition de la CUF renvoient aux Γεωπονικά, les Géoponiques, texte considéré comme une compilation faite au xe siècle de textes grecs aujourd’hui perdus.
Il existe une traduction des Géoponiques par J.-P. Grelois et J. Lefort parue en 2012, ACHCByz ; voici comment les auteurs présentent cet ouvrage :
« Les Géoponiques se présentent comme une composition ordonnée de connaissances touchant l’agriculture, la viticulture, l’arboriculture, l’horticulture, l’élevage, etc. Dans de nombreux cas, il est possible de faire remonter l’origine écrite de ces connaissances à l’Antiquité de langue grecque, classique et protobyzantine. Dans leur état final, les Géoponiques appartiennent à l’ensemble d’ouvrages de caractère encyclopédique, dont la composition fut suscitée par l’empereur byzantin Constantin VII Porphyrogénète (913-959). Depuis, les Géoponiques n’ont jamais cessé de retenir l’intérêt, celui des copistes, puis celui des éditeurs et traducteurs. »
Pour la fève, les Géoponiques citent Didymos d’Alexandrie, auteur de Γεωργικά (ve - vie siècle), ΙΙ, 35 (éd. Beckh, Leipzig, Teubner, 1895) :
Περὶ κυάμων. [Διδύμου.] Sur les fèves (Didymos).
Δεῖ δὲ τοὺς κυάμους ὀψίμους φυτεύειν, χαίρουσι γὰρ τῇ πηλώδει γῇ. « Il faut semer la fève tardivement, car elle aime la terre boueuse. »
Οἱ δὲ φυσικοί φασι τοὺς κυάμους ἀμβλύνειν τὰς καρδίας τῶν ἐσθιόντων αὐτούς. Διὸ καὶ ἐμποδίζειν ταῖς εὐθυονειρίαις νομίζονται, εἰσὶ γὰρ πνευματώδεις. « Les “physiciens” disent que la fève émousse l’estomac de ceux qui en mangent. C’est pourquoi ils pensent qu’elle empêche d’avoir des songes véridiques car elle donne des vents. »
Τοὺς δὲ κυάμους ὁ Πυθαγόρας φησὶ μὴ χρῆναι ἐσθίειν, διὰ τὸ καὶ ἐν τῷ ἄνθει αὐτῶν εὑρίσκεσθαι πένθιμα γράμματα. « Pythagore dit qu’il ne faut pas manger de fèves, parce que dans leurs fleurs on trouve des lettres de deuil. »
Φασὶ δὲ τὸν κύαμον ἐκβρωθέντα ἀναπληροῦσθαι πάλιν τῆς σελήνης αὐξομένης. Tοῦτον δὲ ἐν ἁλμυρῷ ὕδατι μηδέποτε ἑψεῖσθαι, ὅθεν οὐδὲ ἐν θαλαττίῳ. « On dit que la fève rongée se remplira à nouveau au croissant de la lune. Elle ne cuit jamais dans l’eau salée, ni par conséquent dans l’eau de mer. »
Les traductions sont extraites des notes du volume de la CUF de Pline l’Ancien.