Des Trévires à Trèves Repères historiques et géographiques

On admet généralement que Trèves fut fondée sur le site du chef-lieu d’un peuple gaulois, les Trévires, par l’empereur Auguste lors de son voyage en Gaule de 16 à 13 avant J.-C., d’où son nom d’Augusta Treverorum ("l’Auguste des Trévires").
Cependant on note que « le plus ancien témoignage assuré est le camp militaire du Petrisberg qui a pu être daté autour de 30 avant J.-C., sur la base d’un ensemble de matériel archéologique et dendrochronologique fiable. Il se trouve sur la colline qui domine la ville vers l’est. » (Jennifer Morscheiser-Niebergall, "Trèves/Augusta Treverorum, cité des Trévires : les premiers temps de la ville", Gallia, Archéologie des Gaules, 2015)
La naissance de la cité proprement dite est généralement associée à l’édification du pont de bois sur la Moselle, entrepris en 18-17 avant J.-C. Augusta Treverorum aurait reçu son titre officiel de "colonie" de l’empereur Claude entre 41 et 44 après J.-C.
Colonie et place-forte très importante dans la défense contre "les barbares", la cité aurait rapidement prospéré, comme en témoigne le géographe latin Pomponius Mela, qui écrit aux environs de 43 après J.-C. : « Les peuples qui habitent la "Gaule chevelue" (Comata Gallia) sont connus sous trois grandes dénominations et sont séparés entre eux par des fleuves considérables des Pyrénées à la Garonne. Ce sont les Aquitains ; de la Garonne à la Seine, les Celtes ; de la Seine au Rhin, les Belges. Les Ausques sont les plus célèbres des Aquitains, les Éduens des Celtes et les Trévires des Belges. Leurs villes les plus florissantes sont Augusta chez les Trévires, Augustodunum (Autun) chez les Éduens et Eliumberrum (Auch) chez les Ausques. » (Pomponius Mela, Description de la terre, III, 2, traduction Louis Baudet, Panckoucke, 1843)
Dès le IIe siècle, Trèves atteint le vaste développement circonscrit par l’enceinte dans laquelle est comprise la Porta Nigra ("Porte Noire") et qui contenait la plus grande surface urbaine de Gaule (285 hectares). Elle devient capitale de la province romaine de Gallia Belgica et surtout résidence impériale au IVe siècle. Souvent qualifiée de Roma Secunda ("Seconde Rome"), elle est alors la plus grande ville romaine au nord des Alpes : c’est une métropole marchande, l’une des capitales de la Tétrarchie, qui compte quelque 80 000 habitants à la fin du IIIe siècle, et le siège d’un atelier monétaire impérial à partir de 294.

Les Trévires en Gallia Belgica

Les Trévires (en latin Treveri) sont un peuple celte du groupe belge, que les Romains appellent Gallia Belgica (la Gaule Belgique). Leur territoire couvrait l’espace entre les Ardennes et le Rhin (l’actuel Luxembourg et les régions avoisinantes). Leur histoire en tant que nation/état (civitas Treverorum) est attestée à partir de l’expédition de Jules César en Gaule (58-51 avant J.-C.)

Jules César et les Gaules

À l’âge de bronze (1200-700 avant J.-C.), la vallée de Trèves semble avoir été occupée par des agglomérations en forme de hameaux, constitués par des groupements de fermes (maisons en bois avec des parois en torchis, entourées de greniers et de fosses). Des restes de fortifications et des mobiliers funéraires témoignent de l’existence de potentats régionaux et d’un groupe social distinct. Les découvertes archéologiques montrent l’importance des relations avec le midi de la France ainsi qu’avec l’Italie et le monde gréco-étrusque.

Jules César et les Trévires
Jules César mentionne les Trévires à de nombreuses reprises dans ses Commentaires sur la guerre de Gaules. En effet, en 58 avant J.-C., au début de l’intervention romaine en Gaule, les Trévires servent d’abord de cavalerie auxiliaire à César. Mais ils deviennent peu à peu menaçants en 54 avant J.-C. Le Trévire Indutiomaros, chef du parti anti-romain, parvient à destituer son rival pro-romain Cingétorix et il prend la tête de la résistance contre César. Mais Indutiomaros meurt lors d’une escarmouche, puis ses troupes sont battues. Cingétorix est replacé sur le trône. Les Trévires ne participent pas à l'armée de secours d’Alésia en 52 avant J.-C.

« César marche, avec quatre légions sans bagages et huit cents cavaliers, chez les Trévires, qui ne venaient pas aux assemblées, n’obéissaient pas à ses ordres, et qu’on soupçonnait de solliciter les Germains à passer le Rhin. Cette nation (civitas) est de beaucoup la plus puissante de toute la Gaule par sa cavalerie, et possède de nombreuses troupes de pied ; elle habite, comme nous l’avons dit plus haut, les bords du Rhin. Deux hommes s’y disputaient la souveraineté, Indutiomaros et Cingétorix. Ce dernier, à peine instruit de l'arrivée de César et des légions, se rend près de lui, l’assure que lui et tous les siens resteront dans le devoir, fidèles à l’amitié du peuple romain, et l’instruit de tout ce qui se passait chez les Trévires. Indutiomaros au contraire lève des cavaliers et des fantassins ; tous ceux que leur âge met hors d’état de porter les armes, il les fait cacher dans la forêt des Ardennes, forêt immense, qui traverse le territoire des Trévires, et s’étend depuis le fleuve du Rhin jusqu’au pays des Rèmes. Il se prépare ensuite à la guerre. »
Jules César, Guerre des Gaules, livre V, 2-3 traduction collection Nisard, 1865

En 16 avant J.-C. : fondation de la ville et colonie romaine nommée Augusta Treverorum.

En 70 après J.-C., pendant la révolte menée par le chef des Bataves Caius Julius Civilis contre le pouvoir impérial romain, le général Quintus Petilius Cerialis s’efforce de ramener à la soumission les peuples de la Gallia Belgica que Civilis cherche à soulever. Cérialis entre dans la capitale des Trévires que ses soldats veulent détruire. Il réussit à les calmer, rassemble les Trévires et les Lingons et leur explique que les Romains gardent les barrières du Rhin pour protéger les Gaules.

Le discours de Cérialis aux Trévires
Réécrit par l’historien romain Tacite, le discours de Cérialis est un modèle de rhétorique pour justifier la fameuse Pax Romana ("la paix romaine"). On y voit comment les colonisateurs distinguent Gaulois et Germains.

« Cerialis leur parla ainsi : "L’éloquence n’est pas mon art, et j’ai prouvé par l’épée la force du peuple romain. Mais puisque les paroles vous touchent plus que les faits, et que vous jugez les biens et les maux non d’après leur nature, mais sur les discours des séditieux, j’ai voulu vous exposer quelques vérités qui, au point où en est la guerre, vous seront plus utiles à entendre qu’il n’est utile pour nous de les dire. Quand les chefs et les généraux des armées romaines entrèrent sur vos terres et sur celles des autres Gaulois, ce fut sans aucun intérêt, mais à la prière de vos ancêtres, que fatiguaient de mortelles discordes, et à qui les Germains, appelés comme auxiliaires, avaient imposé, sans distinctions d’alliés ou d’ennemis, une égale servitude. Le monde sait quels combats il nous fallut soutenir contre les Cimbres et les Teutons, combien de travaux coûtèrent à nos armées les guerres germaniques, et comment elles se terminèrent. Et si nous gardons les barrières du Rhin, ce n’est pas sans doute pour protéger l’Italie ; c’est pour empêcher qu’un nouvel Arioviste ne vienne régner sur les Gaules. Les mêmes causes attirèrent toujours les Germains dans les Gaules : la soif des voluptés et de l’or, le désir de changer de séjour, et de quitter leurs marais et leurs déserts pour posséder à leur tour ces fertiles campagnes et vous-mêmes avec elles. Il y eut en Gaule des rois et des guerres, jusqu’au moment où vous reçûtes nos lois. Tant de fois provoqués par vous, nous n'avons imposé sur vous, à titre de vainqueurs, que les charges nécessaires au maintien de la paix. Sans armées, en effet, pas de repos pour les nations, et sans solde pas d’armées, sans tributs pas de solde. Le reste est en communauté : c'est vous qui souvent commandez nos légions ; c’est vous qui gouvernez ces provinces ou les autres ; entre nous rien de séparé, rien d’exclusif. Je dis plus : la vertu des bons princes vous profite comme à nous, tout éloignés que vous êtes ; le bras des mauvais ne frappe qu’autour d’eux. [...] Les Romains chassés (veuillent les dieux empêcher ce malheur), que verrait-on sur la terre, si ce n’est une guerre universelle ? Huit cents ans de fortune et de conduite ont élevé ce vaste édifice : qui l’ébranlerait serait écrasé de sa chute. Mais c’est pour vous que le péril est le plus grand, vous qui possédez de l’or et des richesses, principale source des guerres. Aimez donc la paix ; entourez de votre respect une ville dont, vainqueurs et vaincus, nous sommes également citoyens. Instruits par l’une et l’autre fortune, ne préférez pas une opiniâtreté qui vous perdrait à une obéissance qui vous sauve." Ils craignaient des rigueurs ; ce discours leur rendit le calme et la confiance. »
Tacite, Histoires, livre IV, 73-74 (traduction J.-L. Burnouf, 1859)

On note que les Germains, présentés comme féroces et incultes (à l’état de nature), sont souvent pris comme modèle du courage face à la « mollesse » de la civilisation : « Les Trévires, comme les Nerviens, affectionnaient hautement leur origine germanique, disant que ce sang noble leur épargnait toute similitude avec les Gaulois et les tenait à l’écart de leur paresse. » (Tacite, Germanie, 28, 4)

Au début du IVe siècle, Trèves se trouve à l’apogée de sa puissance sous le règne de l’empereur Constantin Ier (306-337), puis sous ceux de Valentinien Ier (364-375) et de son fils Gratien (367 à 383).

Trèves célébrée par Ausone
Né à Bordeaux, Decimus Magnus Ausonius (310-395) est un fin lettré, rhéteur et pédagogue. L’empereur Valentinien Ier le prit comme précepteur de son fils Gratien. Devenu un puissant conseiller impérial, Ausone fut notamment préfet du prétoire des Gaules en 377-378, mais sa carrière politique prit fin lorsque la capitale impériale fut transférée de Trèves à Milan en 381.
Dans son Ordo urbium nobilium ("Ordre des villes célèbres"), Ausone présente ainsi la ville de Trèves :

« Depuis longtemps la Gaule guerrière réclame mes chants en faveur de Trèves, la ville impériale, qui, voisine du Rhin, semble au sein d’une paix profonde et repose en sûreté, parce qu’elle nourrit, habille et arme les forces de l’empire. Ses épaisses murailles s’étendent sur le revers d’une colline. À ses pieds coule la Moselle, large et tranquille fleuve qui lui apporte les commerces lointains de toutes les contrées. » (traduction E.-F. Corpet, Panckoucke, 1843)

On sait qu’il y avait alors à Trèves une importante manufacture d’armes et un entrepôt des laines provenant d’Angleterre.

En 407 (ou 395 ?), la préfecture des Gaules est transférée de Trèves à Arles.

À partir du début du Ve siècle, au cours des invasions germaniques, Trèves est attaquée et pillée plusieurs fois par les Francs ; sa population diminue rapidement.

En 882, Trèves est attaquée par des pillards normands. L’archevêque fait déplacer le marché de sa place initiale, le long du fleuve, à sa place actuelle, comme en atteste la croix du Hauptmark (marché principal) depuis 958.

À partir du Xe siècle, la ville prend un nouvel essor. La cathédrale est le siège d’un archidiocèse dont l’archevêque est l’un des princes-électeurs du Saint-Empire romain germanique.

À partir du XIVe siècle, Trèves compte environ 10 000 habitants : elle fait à nouveau partie des grandes villes d’Allemagne.

Au début du XVIIIe siècle, Louis XIV mène différents combats dans la région rhénane ; la situation se stabilise définitivement avec le traité de Rastadt (6 mars 1714) : l’Alsace est toute entière française avec le Landau au nord ainsi que l’évêché de Strasbourg ; de la Prusse dépend Clèves ; la Bavière est présente au niveau du Main et de quelques autres territoires ; l’Autriche a quant à elle la région de Constance. Entre les territoires de ces grands États restent quelques petites seigneuries, dont Mayence et Trèves qui penchent vers la France.

En 1794, lors de l’invasion des troupes révolutionnaires françaises, le dernier prince-électeur prend la fuite.

En 1798, quatre départements français sont créés, dont les chefs lieux sont Trèves (département de la Sarre), Mayence, Coblence et Aix-la-Chapelle. Ces annexions sont reconnues par tous les ennemis de la France au traité de Lunéville et d’Amiens en 1801 et 1802. Puis, en 1806, Napoléon impose la fin du Saint-Empire romain germanique et dispose de tous les territoires rhénans sous couvert d’une Confédération créée le 17 juillet 1806.

De 1815 jusqu’en 1945, Trèves fait partie de la Province Rhénane prussienne.

De 1960 à 1984, plusieurs régiments français ont stationné à Trèves dans le cadre de la brigade franco-allemande.

En 1986, l’ensemble des ruines romaines de Trèves est classé au Patrimoine mondial de l’Unesco.

La Moselle, "fleuve riche en coteaux que parfume Bacchus"

La Moselle prend sa source dans le massif des Vosges, au col de Bussang, et se jette dans le Rhin à Coblence (Allemagne). Sa longueur totale est de 560 kilomètres.
Sur ses bords, les Celtes et les Romains cultivaient déjà la vigne il y a plus de 2 000 ans On dénombre aujourd’hui quelque 70 millions de ceps pour plus de 100 localités viticoles, environ 5 000 vignerons et près de 9 300 hectares de vignes.

Trèves, le Pont romain sur la Moselle

Trèves, le Pont romain sur la Moselle, © Wikimedia Commons

La Moselle est chantée par Ausone qui lui consacre un long poème de 483 vers composé vers 371.

« Je découvre enfin, sur les premiers confins des Belges, Nivomagus [Neumagen], lieu célèbre où campa le divin Constantin. L’air est plus pur en ces campagnes, et Phébus, dont l’éclat resplendit sans nuage, dévoile enfin l’Olympe éblouissant de pourpre. L’œil n’a plus à percer une voûte de rameaux entrelacés, pour chercher le ciel que lui dérobent de verts ombrages ; l’air est libre, et la transparente clarté du jour ne cache plus aux regards ses limpides rayons étincelant dans l’espace. Je revis alors comme une image de ma patrie, de Burdigala [Bordeaux], de sa brillante culture, à l’aspect riant de toutes ces villas dont les faîtes s’élèvent au penchant des rivages, de ces collines où verdoie Bacchus, et de ces belles eaux de la Moselle qui roulent à leurs pieds avec un doux murmure.
Salut, fleuve béni des campagnes, béni des laboureurs ; les Belges te doivent ces remparts honorés du séjour des empereurs ; fleuve riche en coteaux que parfume Bacchus, fleuve tout verdoyant, aux rives gazonneuses : navigable comme l’océan, entraînée sur une douce pente comme une rivière, transparente comme le cristal d’un lac, ton onde en son cours imite le frémissement des ruisseaux, et donne un breuvage préférable aux fraîches eaux des fontaines : tu as seul tous les dons réunis des fontaines, des ruisseaux, des rivières, des lacs, et de la mer même, dont le double flux ouvre deux routes à l’homme. Tu promènes tes flots paisibles sans redouter jamais le murmure des vents ou le choc des écueils cachés. Le sable ne surmonte point tes ondes pour interrompre ta marche rapide, et te forcer de la reprendre ; des terres amoncelées au milieu de ton lit n’arrêtent point ton cours, et tu ne crains pas qu’une île, en partageant tes eaux, ne t’enlève l’honneur mérité du nom de fleuve ! Tu présentes une double voie aux navires, soit qu’en se laissant aller au courant de ton onde, les rames agiles frappent ton sein agité ; soit qu’en remontant tes bords, attaché sans relâche à la remorque, le matelot tire à son cou les câbles des bateaux. Combien de fois, étonné toi-même du retour de tes eaux refoulées, n’as-tu pas pensé que ton cours naturel s’était ralenti ? L’herbe des marécages ne borde pas tes rives, et tes flots paresseux ne déposent point sur tes grèves un limon impur. Le pied qui t’approche ne se mouille jamais avant d’avoir effleuré tes ondes.
Allez, maintenant ! semez le sol uni des incrustations de la Phrygie, étendez une plaine de marbre sous les lambris de vos portiques ! Moi, je méprise ces magnificences du luxe et de la richesse : j’admire les œuvres de la nature, et non ces recherches des dissipateurs, ce faste d’une folle indigence qui rit de sa ruine. Ici une arène solide recouvre d’humides rivages, et ne retient point l’empreinte fidèle des pas qui l’ont foulée. L’œil plonge à travers ta surface polie dans tes profondeurs transparentes, tu n’as rien de caché, ô fleuve. Ainsi que l’air nourricier étale à ciel ouvert, à tous les yeux, ses fluides clartés, quand les vents endormis ne troublent point les regards dans l’espace ; de même, si la vue pénétrante s’enfonce au loin dans les abîmes du fleuve, nous apercevons à découvert ses retraites mystérieuses, quand ses flots roulent paisibles ; et le cours limpide des eaux nous laisse entrevoir les divers objets qu’il éclaire de ses reflets d’azur : ou le sable qui se ride, sillonné par la vague légère ; ou le gazon qui s’incline et tremble sur un fond de verdure. Au-dessous de ces eaux qui l’ont vue naître, l’herbe s’agite battue par le flot qui passe, le caillou brille et se cache, et le gravier nuance la mousse verdoyante. »
Ausone, Idylles, « La Moselle », vers 10-68 (traduction E.-F. Corpet, Panckoucke, 1843)

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