Article paru dans Rursus, le 6 février 2011 [http://rursus.revues.org/476] .
Notes
- Voir Du Marsais (cité in Fuchs 2001 : 132) : La paraphrase est une sorte d’amplification qui ajoute, développe, et donne des «sortes d’explications plus amples et conformes au sens de l’auteur »
- Cf. Ibid. 2.69.27 : ὅτι δὲ οὐδὲ τῆς παραφράσεως ἠμέλουν οἱ παλαιοί, δῆλον ἐκ τῶν μικρὸν ἔμπροσθεν εἰρημένων
- Sur la similitude entre parodia et paraphrasis, voir Eustathe, Com. Il. 3.813.11.
- Voir, par exemple Epit. Ars Rhet. 3.661.17 Walz : ὁ μὲν παραγραμματισμὸς καλεῖται παρῳδία, ὣς ὅταν ἀντὶ κόρακος κόλακος εἴπῃς παίζων.
- Voir Gal. in Hip. nat. hom. (CMG 15.104.16) : ἐγγυτάτω γέγονεν <ὁ Πλάτων> τοῖς <Ἱπποκράτους> μαθηταῖς : ; cf. CMG 15.105.10 : <ὁ Πλάτων> ὁμολογεῖ κατὰ τὴν <Ἱπποκράτους> μέθοδον.
- Voir Hpc. Nat. hom. 4 et Plat. Timée 82a.
- Dans un rapport de disciple à maître, on peut en général supposer une imitation consciente. Voir Gal. Placit. 8.4.20 : αὕτη μὲν ἡ τοῦ Ἱπποκράτους ῥῆσις ᾗ μοι δοκεῖ βουλόμενος ἀκολουθεῖν ὁ Πλάτων (Platon/Hippocrate) ; Simplicius in Ph. V 2 p. 860.9 (= Eudème frg. 93a ; cf. Phys. 226a 23) : Εὔδημος ἐν τοῖς ἑαυτοῦ φυσικοῖς τὰ τοῦ Ἀριστοτέλους παραφράζων καὶ εἰπὼν ὅτι… (Eudème/Aristote).
- …quand elles ne sont pas des paraphrases avouées et continues (voir infra). Cette simplification peut entraîner une distorsion de la lettre qui fausse le sens ; c’est le reproche adressé par Origène à Celse (παραφράζει δέ τινας λέξεις ὁ Κέλσος : Contre Celse 7.19) qui écrit : ‘Ὦ πάτερ, εἰ δύναται τὸ ποτήριον τοῦτο παρελθεῖν;’ Καὶ παραφράζει μὲν τὸ ‘Πάτερ, εἰ δυνατόν ἐστι, παρελθέτω τὸ ποτήριον τοῦτο’ (ibid. 2.23-24).
- Trag. Adesp. frg. 617 Kannicht-Snell.
- Voir aussi Str. 5.14.108, 120, 124 ; cf la reprise du chapitre par Eusèbe (PE 13.13.24, 13.13.35, 13.13.53, 13.13.60).
- Pour un avis de rhéteur, voir Hermogène in Patillon 1997a : 536.
- On trouve quelques autres exemples de ce sens négatif de paraphrazein ; voir Porphyre, Commentaire aux Harmoniques de Ptolémée 4 : δεινήν τε φιλοτιμίαν κατέγνων τῶν παρατρέπειν ἢ παραφράζειν ἐθελόντων τὰ ἄλλοις εἰρημένα ὑπὸ τοῦ δοκεῖν ἴδια λέγειν ; cf. Hippolyte, Réfutation 4.42 : καὶ παραφράζοντες ὡς ἴδια.
- Patillon penche pour « le début de la période impériale », soit la fin du 1er s. ap. (1997b : XVI) ; mais Heath (2002 : 129) estime que cet ouvrage est du… 5ème s. ap. J.C. Sur les données du problème, voir Stegeman 1934.
- Cf. ibid.. 69.28 : οὐδὲ τῆς παραφράσεως ἠμέλουν οἱ παλαιοί.
- Voir ibid. 4.1. Aphthonios, déployant la chrie, donne un autre exemple typique : Ἰσοκράτης τῆς παιδείας τὴν μὲν ῥίζαν ἔφη πικράν, γλυκεῖς δὲ τοὺς καρπούς, […] ’Ὁ παιδείας’, φησίν, ‘ἐρῶν πόνων μὲν ἄρχεται, πόνων δὲ ὅμως τελευτώντων εἰς ὄνησιν’« Isocrate a dit que ‘la racine de l’éducation est amère mais ses fruits sont doux’ […] Celui qui désire recevoir une éducation commence dans la peine, mais après la peine vient le profit » (Prog. 3.6 ; cf. Ps. Herm., Prog. 3.7). Voir Patillon 1997b : CIV-CVII.
- Cf. Hermogène 7.15 ; Quintilien, 1.9.2 ; Eust. Com. Od. 2.150.2 : μετ' ὀλίγα δὲ παραφραστικῶς κατὰ λόγον ῥητορικῆς χρείας ἐρεῖ πρὸς Ὀδυσσέα Εὔμαιος… ; voir Patillon 1997a : 134. Sur le développement de la chrie, voir Aphthonios, Prog. 3.3 : « il comprendra les points suivants : l’éloge, la paraphrase, la raison, le contraire, la comparaison, l’exemple, le témoignage des anciens et un bref épilogue » (cf. Ps. Herm. Prog. 3.6-10).
- Même si la version arabe est éventuellement une amplification de l’original grec (Swain 2007 : 3).
- Nous donnons la traduction entière du chapitre en Annexe 2.
- Sur cette synonymie, sensible également pour qualifier des ouvrages entiers, voir infra.
- Pour Daunay la metaphrasis est une reformulation mot à mot ; et il critique la traduction de Margolin du de ratione studii d’Erasme (Laffont, 1992, p. 79-151), qui rend metaphrasis par paraphrase, alors qu’il s’agit pour Daunay (2002 : 86 & n. 73) de reformulation. Mais l’auteur doit constater que sa distinction n’est pas explicite chez les auteurs antiques ou renaissants, et pas portée par les termes qu’il souligne, même chez Erasme sur lequel il s’appuie. La distinction entre métaphrase (comme substitution de mots), et paraphrase (comme substitution de phrases), viendrait de Quintilien (Baker 2002 : 166) ; mais, en fait, elle ne s’y trouve pas, dans le passage visé (Inst. Or. 9.1.4-6) qui distingue les tropes des figures et où n’apparaît que le mot periphrasis. « La distinction entre paraphrases proprement dites ou versions développées, et les métaphrases ou versions littérales » (Nicole 1891 : XXX) est également un artifice de rhétoricien.
- Voir Makris 1996 : 350 ; Treadgold 1979.
- Selon Sopatros, dont Glöckner (1910) a édité les fragments de Μεταποιήσεις, le σχῆμα procède de la manière d’exposer (style ou narration) ou de la pensée (διάνοια). La modification de la λέξις (comme tournure de la phrase) offre peu de possibilités : déplacement de mot, modification des cas grammaticaux, changement de l’ordre d’ensemble : c’est un jeu et un exercice d’enfant. Le changement qui concerne la dianoia est plus riche et plus sérieux.
- C’est également le cas dans les paraphrases bibliques. Voir, par exemple, la légère paraphrase (abrégeante) d’un psaume, opérée par Grégoire de Nysse, dans un souci de clarté : Ὦ ἄνθρωποι, τί λαλεῖτε καὶ πράσσετε; ἆρα δικαιοσύνη ἐστὶ τὸ λαλούμενον; ἆρα δι' εὐθύτητος τὴν κρίσιν προσάγετε; καὶ μὴν ὁρῶ ὅτι ἐν γῇ μὲν ὑμῶν εἰσιν αἱ καρδίαι, καὶ πᾶν ἐγκάρδιον κίνημα ἔργον ἐστὶ καὶ οὐχὶ νόημα. εὐθὺς γὰρ ὁμοῦ τῷ συστῆναι τὸ κακὸν ἐν τῇ διανοίᾳ συμπλέκεται τὸ ἔργον διὰ τῶν χειρῶν τοῖς νοήμασιν. Ταῦτα σαφηνείας χάριν μικρόν τι παραφράσας τῆς ψαλμικῆς λέξεως ἐξεθέμην τὰ ῥήματα ἔχοντα οὕτως· Εἰ ἀληθῶς ἄρα δικαιοσύνην λαλεῖτε, εὐθείας κρίνετε, υἱοὶ τῶν ἀνθρώπων. καὶ γὰρ ἐν καρδίᾳ ἀνομίας ἐργάζεσθε ἐν τῇ γῇ, ἀδικίαν αἱ χεῖρες ὑμῶν συμπλέκουσιν (In inscriptiones Psalmorum 5.161).
- Une transposition de ce genre, à visée explicitante, peut aussi être appelée metaphrasis. Voir Eust. Com. Il. 2.499 : Ἡ γὰρ διασαφητικὴ τῶν λέξεων ἑρμηνεία μετάληψις καὶ μετάφρασις καίριος λέγεται, « la transposition éclairante d’un terme s’appelle substitution ou métaphrase pertinente ».
- Voir aussi Psellos, Theologica 70.2-7, à propos d’une phrase de Grégoire de Nazianze : ἡμεῖς δ', ἐπεὶ δοκεῖ τὰ ῥητὰ καὶ ἀσάφειαν τινὰ ἔχειν διὰ τὴν τῶν νοημάτων συστροφήν, πρὶν ἢ κατὰ μέρος αὐτὰ ἐξηγήσασθαι καὶ τὰς αἰτίας εἰπεῖν δι' ἃς ἕκαστον λέγεται, παραφράσομεν, εἰ δοκεῖ, πρὸς τὸ σαφέστερον, ἵνα τέως τὴν ἐπιπόλαιον διάνοιαν τῶν ῥημάτων γνόντες, οὕτω δὴ καὶ τοῦ βάθους τῶν νοημάτων ἐπήβολοι γένοισθε, « puisque ses propos semblent marqués par une certaine obscurité, en raison de la densité des pensées, nous allons, si vous voulez bien, proposer une paraphrasis, avant de donner une exegesis de chacun de ses éléments et d’expliquer pourquoi ils sont employés ; comprenant ainsi l’idée superficielle de ses propos vous serez alors en mesure d’accéder à la profondeur des pensées qui s’y trouvent ».
- Symétriquement les ὑπομνήματα ou exégèses philosophiques impliquent la paraphrase. Abbamonte (2004) a ainsi montré, par une étude précise du Commentaire aux Topiques d’Alexandre d’Aphrodise, que la procédure exégétique principale est la paraphrase.
- voir Ludwich 1885 : 483 sq.
- Cf. aussi Id. Hipparque 228b et Plut. Sol. 3.
- Sur les pastiches, forme élaborée de paraphrase, voir Theon 141.13 sq. Spengel, et Patillon 1997b : CVII.
- Voir, par exemple, les épigrammes anacycliques (6.314), les vers isopsèphes (6.327), les acrostiches (6.330), les variations thématiques (9.713-742), les calligrammes (15.21-22), les poèmes alphabétiques ou vers-tautogrammes (9.524-525), etc.
- Citons par exemple Dorion (Sénèque, Suasoriae 1.12 : in metaphrasi Homeri), Timagène le grammairien (Apollonios, Lexique homérique 43 : ὁ μὲν Τιμογένης ἐν ταῖς παραφράσεσιν ἔδειξεν ὅτι κύριον ὄνομα Ἅρπυια, τὸ δὲ Ποδάργη ἐπίθετον, πλανηθείς) ; Philostrate (Souda Φ 423 : Παράφρασιν τῆς Ὁμήρου Ἀσπίδος = Tableaux 10, d’après Stemplinger 1912 : 213) ; Tryphiodore (Souda T 1112 : <Τρυφιόδωρος·> διάφορα ἔγραψε δι' ἐπῶν. Παράφρασιν τῶν Ὁμήρου παραβολῶν). Voir aussi l’Iliade lipogrammatique de Nestor de Laranda, ou l’Odyssée lipogrammatique de Triphiodore (Souda Ν 261, s.v. Νέστωρ).
- Stace dans l’éloge de son père (L'Epicedion in patrem suum = Silves 5.3) dit qu’il a mis en prose les vers d’Homère sans le quitter d’une semelle (Curtius, cité par Daunay 2002 : 74) ; l’exercice est typiquement celui d’un rhéteur ou d’un homme de lettres éclairé (voir Silves 5.3.159-161 : Tu par assuetus Homero /Ferre jugum, senosque pedes aequare solutis/Vocibus et nunquam passu breviore relinqui ; cf. Ibid. 5.3.23 : doctique modos extendis Arati).
- Cf. Simp., in Cael., Commentaria in Aristotelem Graeca 7.68 et 188.
- Ces paraphrases se trouvent dans le volume 5 de la série des Commentaria in Aristotelem Graeca. La paraphrase des Parva naturalia (CAG 5.6.1) est sans doute apocryphe et due à Sophonias (voir Brague 1999 : 10). Voir Souda, Θ 122, s.v. Θεμίστιος : Θεμίστιος, φιλόσοφος, γεγονὼς ἐπὶ τῶν χρόνων Ἰουλιανοῦ τοῦ Παραβάτου, ὑφ' οὗ καὶ ὕπαρχος προεβλήθη Κωνσταντινουπόλεως. γέγραφε δὲ τῆς Ἀριστοτέλους Φυσικῆς ἀκροάσεως παράφρασιν ἐν βιβλίοις η#, Παράφρασιν τῶν Ἀναλυτικῶν ἐν βιβλίοις β#, τῶν Ἀποδεικτικῶν ἐν βιβλίοις β#, τοῦ Περὶ ψυχῆς ἐν βιβλίοις ζ#:
- L’original grec est perdu mais le texte est préservé en traduction hébraïque et partiellement en arabe.
- Le titre du traité de Themistios est simplement Θεμιστίου παράφρασις τῶν περὶ ψυχῆς Ἀριστοτέλους (Commentaria in Aristotelem Graeca 5.3.1), abrégé parfois en Sur l’âme (le septième et dernier livre est intitulé Θεμιστίου τῶν Ἀριστοτέλους παραφράσεων περὶ ψυχῆς λόγος ἕβδομος ; et se conclut par les mots : Τέλος τῆς Θεμιστίου παραφράσεως τῶν Περὶ ψυχῆς Ἀριστοτέλους). Il serait aussi l’auteur d’une paraphrase sur une des éthiques aristotéliciennes (Brague 1999 : 11) ; et une paraphrase aux traités d’Aristote sur les animaux, sans doute HA (voir Mattock 1976). Il existe aussi une Paraphrase anonyme à l’Ethique à Nicomaque, livres 8 et 9 (Konstan 2001) ; elle a été attribuée d’abord à Andronicos, puis à Heliodorus (Heylbut, G., Heliodori in ethica Nicomachea paraphrasis, CAG 19.2, Berlin: Reimer, 1899).
- Cf. Ibid. 8.30. Sur ce point voir Moraux 1984 : 526.
- De cet auteur nous ne connaissons rien, sinon la qualification de sophiste qui figure dans la suscriptio du cod. Vindob. Med. Gr. 1 (le « Dioscoride de Vienne »).
- Sur l’auteur, « οὐσιαστικὰ ἄγνωστος » voir Papathomopoulos 1976 XI-XII. Le nom d’Eutecnios apparaît dans le colophon du manuscrit de Vienne.
- D’après la Souda, N 374 a, s.v. Νίκανδρος, Nicandre aurait lui-même écrit une paraphrase des Pronostics d’Hippocrate (μεταπέφρασται δὲ ἐκ τῶν Ἱπποκράτους Προγνωστικῶν).
- Gualandri (1968 : 22) est sceptique quant à l’autorité d’Eutecnios sur le texte, tout comme Jacques (2006 : 28) alors que celle-ci ne fait pas de doute pour Papathomopoulos (2003). C. Gesner, dans sa Bibliotheca universalis (238) signalait une paraphrase du de Venatione d’Oppien, « expresso ubique authoris nomine Eutecnii sophistae » (Gualandri 1968 : 21).
- Gualandri (1968 : 34) est également réservée sur cette attribution, pour des raisons stylistiques, mais pas Papathomopoulos 2003 ; voir Benedetti 1977.
- La Souda attribue un ouvrage portant ce titre à Oppien (O 452 s.v. Ὀππιανός), et à un Egyptien, Christodoros (Χ 526, s.v. Χριστόδωρος : ἔγραψεν Ἰξευτικὰ δι'ἐπῶν). Sur cette paraphrase, d’un certain Dionysios (Zucker 2008), voir Garzya 1957 et Martínez 2003.
- Vindobonensis medicus gr. 1, 6ème s. ; Athos Μονὴ Μεγίστης Λαύρας Ω 75 ; Escorial gr. Σ I.17 ; cf. —sans les Ixeutiques — New York, Pierpont Morgan Library 652 et Bibl. Medizea Laurenziana LXXXVI 9.
- L’édition de Papathomopoulos pour Eutecnios est plus fiable et correcte que celle de Gualandri.
- Voir Annexe 3 pour une confrontation d’un extrait des Thériaques aux deux produits dérivés (schlies/paraphrase). Les liens semblent, de manière générale, moins directs que ne le soutient Jacques (2002, 2006) et si Eutecnios a pu bénificier de l’éclairage des scholies les coïncidences lexicales sont très rares.
- Cette affinité est confirmée par la présence dans un manuscrit qui contient les poèmes nicandréens (Gottingensis ms. phil. 29) de fragments de la Paraphrase aux Thériaques d’Eutecnios accompagnés de quelques scholies (Gualandri 1968 : 9). Et les Scholia maiora (Bussemaker) des Cynégétiques d’Oppien « sind grösstentheils nicht anderes als Paraphrasen » (Ludwich 1885 : II.598).
- Tels sont les Commentaria (Σχόλια) de Michel d’Ephèse au traité sur les Parties des Animaux d’Aristote, ou ceux de Jean Philopon sur la Génération des Animaux.
- Voir West 1965 : 232.
- Voici le texte de la Souda Δ 457 : Δημοσθένης Θρᾷξ: οὗτος ἔγραψε Μετάφρασιν Ἰλιάδος πεζῷ λόγῳ, Ἐπιτομὴν τῶν Δαμαγήτου τοῦ Ἡρακλεώτου, Περὶ διθυραμβοποιῶν, Μετάφρασιν εἰς τὴν Ἡσιόδου Θεογονίαν.
- Le paraphraste selon Eustathe est un ‘herméneute’ : ‘ὀνειροπολῶν’ ὡς ὁ παραφραστὴς Δημοσθένης ἡρμήνευσε (Com Od. 1.30.24 ; paraphrase de ‘ὀσσόμενος ἐνὶ φρεσίν’ : Od. 1.114).
- Voir les Σχόλια παραφραστικά de Johannes Pediasimus (Galien), qui sont distinguées de l’exégèsis de Jean Tzetzes ; et l’ Ἑρμηνεία κατὰ παράφρασιν τοῦ Ἐκκλησιαστοῦ par Maxime le Confesseur, proche de la tradition des chaînes exégétiques. Cf. Eust. Com. Il. 3.749.19 : ἑρμηνεία ἐστὶ τοῦ δαήμονος παραφραστική ; Eust. Com. Il. 1.89.7 : ἑρμηνεύει δέ πως παραφραστικῶς. On ne peut toutefois assimiler n’importe quel texte à une paraphrasis ; par exemple, les Excerpta de Timothée, donnés pour une paraphase par Bodenheimer et Rabinowitz (1949) sont clairement un épitomé (voir Zucker 2011).
- Eustathe parle ainsi de κομματικὴ παράφρασις (Com. Il. 2.382), de συντομωτάτη παράφρασις (Com. Il. 2.615), de παραφραστικὴ ἐπιτομὴ (Com. Il. 3.821) et de συμπληρωτικὴ ἐπιτομή καὶ παράφρασις (Com. Il. 1.515), et de παραποίησίς παραφραστικὴ (Com. Od. 1.322).
- La traduction par ‘paraphrase’ correspond à la définition donnée dans le Lexique du Pseudo-Zonaras (M 1345) : Μετάφρασι. ἑρμηνεία,ἀλλοίωσι, τὴν αὐτὴν δἐ φυλάττουσα διάνοιαν, « Métaphrase = modification de la formulation, tout en conservant la même idée ». Mais elle ne convient plus du tout pour l’autre occurrence, sous forme verbale, qu’on trouve dans le même recueil (Zonaras, Σ 1644) et qui semble renvoyer à une métathèse linguistique : πίνουσάν τε πλεῖστον οἶνον προσαγορευθῆναι Σινώπην. μεταφραζόμενον δὲ τοῦτο σημαίνει τὴν πολλὰ πίνουσαν « …parce qu’elle avait bu énormément de vin on l’a surnommée Sinope. Si on transpose ce mot il signifie celle qui a bu beaucoup » (sans doute par interversion du pi et du sigma : sinôpa > pinousa).
- Sur cette signification voir e.g. Plut. Othon 18.1 ; Cic. 40.30 (où μεταφράζειν signifie εἰς τὴν ῾Ρωμαϊκὴν μεταβάλλειν διάλεκτον) ; et dans Photios, Bibl. 121 b 41 (sur la traduction de Jérôme).
- Voir en particulier Plutarque, Caton 19.4 ; Apollodorus , frg. 1 Müller : τῇ Ἑλλάδι φωνῇ παρέφρασεν (cf. Apollodorus, frg. 70.8 Müller : τὰ ὀνόματα Ἐρατοσθένης λαβὼν ἐκ τῶν ἐν Διοσπόλει ἱερογραμματέων παρέφρασεν ἐξ Αἰγυπτίας εἰς Ἑλλάδα φωνὴν) ; Georges Syncelle, Ecloga chronographica, p. 103.10 et 172.16 Mosshammer.
- Souda A 10, s.v. Γάϊος. La Souda attribue par erreur le texte à Jules César (<Γάϊος> Ἰούλιος Καῖσαρ, ὁ πρῶτος μοναρχήσας), Germanicus portant aussi le nom complet de Caïus Julius César.
- Voir Zonaras Π, 1526 : <Παραφραστικῶς>. παραφράζειν ἐστὶ τὸ ἔχεσθαι τινῶν μὲν λέξεων, τινῶν δὲ ἀπέχεσθαιμ « en paraphrasant. Paraphraser signifie que l’on reprend certains mots et d’autres pas ».
- La reine a aussi écrit « dans la même forme métrique et dans la même langue une paraphrase de livres prophétiques » (τῷ αὐτῷ μέτρῳ καὶ τῆς αὐτῆς γλώςσης μετάφρασις προφητικῶν λόγων : ibid., cod. 183, 128 a 28). Les paraphrases bibliques sont elles aussi souvent très littérales et incluent des citations de l’Ecriture ; c’est ce que reconnaît finalement B. Bureau, après avoir repris à son compte, au seuil de son étude, une idée fausse et courante : « Dans la παράφρασις, citer c’est commettre une faute grave, puisque le but de l’exercice consiste précisément à construire un texte qui ait un sens identique à celui de l’original sans toutefois en reprendre un seul mot” (Bureau 2004 : 197).
- Dans la Bibliothèque de Photios cinq œuvres seulement correspondent à ce type.
- Phot., Bibl., cod. 75, 52 a 16-21.
- Il n’est jamais fait ailleurs mention de Commentaires dus à Themistios et Simplicius distingue nettement la paraphrase (παράφρασις) de Themistius du commentaire (ἐξήγησις) d’Alexandre d’Aphrodise (in Cael., CAG 7. 176.20).
- Voir e.g. Simplicius (in Ph. 9.42) « Εἰ δὲ πλείους, ἢ πεπερασμένας ἢ ἀπείρους » [Arist. Phys. 184b18]. ὁ μέντοι Εὐφραδὴς Θεμίστιος παραφράζων τὸ ῥητὸν καὶ τὰς πλείους “ἢ κινουμένας, φησίν, ἢ ἀκινήτους καὶ ἢ πεπερασμένας κατ' ἀριθμὸν ἢ πάλιν ἀπείρους” ; cf. aussi ibid. 9.310 ; etc.
- L’attribution de la Paraphrase aux Halieutiques reste très hypothétique (Zucker 2008 : 323), malgré Papathomopoulos (1970 : 49) ; cf. le titre prudent retenu par ce dernier dans son édition : Ἀνωνύμου παράφρασις… (Papathomopoulos 1976).
- Il s’agit d’une paraphrase attribuée à Sophonias (13ème s. ap.) et éditée par Hayduck (CAG 23.1).
- Voir Blumenthal 1979 : 175.
- « Abbia voluto faré qualcosa di più che la semplice trasposizione ad verum del testo oppianeo dalla poesia alla prosa » (Gualandri 1968 : 30). L’éditrice note une prédilection pour l’anaphore, indépendante des habitudes d’Oppien (1968 : 33).
- Cette transposition byzantine en trois livres (attribuée par certain à Denys le Périégète et par d’autres à un poète de Philadelphia), commanditée par l’empereur (ὑπουργία : 1.1.5), auquel elle est également dédiée, apparaît parfois sous le titre fallacieux de Ὀππιανοῦ Ἰξευτικά (Wellmann 1891 : 506 sq.).
- Ce genre de dérives inutiles se lit dès l’ouverture du poème (Nic., Th. 1-4) : « je vais facilement te donner un exposer fidèle » (Ῥεῖά ἔμπεδα φωνήσαιμι) devient dans la Paraphrasis : « je vais te dire de manière très claire et très vraie, autant que possible » (σαφέστατα ὡς οἷόν τέ σοι καὶ ἀληθέστατα ἀπαγγελῶ).
- Il arrive que l’auteur y mette un certain humour : comme il supprime les vers, le Paraphraste des Cynegetika supprime aussi de son texte, parmi les deux inspiratrices déclarées du poème, Calliope et Artémis (v. 17), la Muse poétique…
- Il est l’auteur d’une Paraphrase de l’Evangile de Jean en vers épiques, appelé Μεταβολή τοῦ κατὰ Ἰωάννην ἀγίου εὐαγγελίου ; cf. Souda N 489, s.v. Νόνναι : ὁ καὶ τὸν παρθένον Θεολόγον παραφράσας δι' ἐπῶν.
- On connaît une paraphrase en iambes du canon de Côme, l’évêque de Maiouma, par Psellos (Poèmes 24) : Τοῦ ὑπάτου τῶν φιλοσόφων κυροῦ Μιχαὴλ τοῦ Ψελλοῦ παράφρασις διὰ στίχων ἰαμβικῶν εἰς τὸν κανόνα τοῦ ἐν ἁγίοις πατρὸς ἡμῶν Κοσμᾶ τοῦ Μαϊουμᾶ ἐπισκόπου, ὃν ἐκεῖνος συντέθεικε ψάλλεσθαι τῇ ἁγίᾳ καὶ μεγάλῃ πέμπτῃ (voir Patrologia Graecolatina, XCVIII, 459-524). Or les canons de Côme étaient non métriques (sur les hymnographes et la prosodie des tropaires byzantins, voir Grosdidier de Matons 1977 : 121-122). La mystérieuse Paraphrase de Seth, mentionnée en particulier par l’évêque Hippolyte et qui semble fournir des ‘éclaircissements’ sur des ‘mystères’ (Réfutation 5.22 : Ἱκανῶς δοκεῖ ἡμῖν σεσαφηνίσθαι ἡ τῶν Σηθιανῶν γνώμη· εἰ δέ τις ὅλην τὴν κατ' αὐτοὺς πραγματείαν βούλεται μαθεῖν, ἐντυχέτω <τῷ> βιβλ<ί>ῳ ἐπιγραφομένῳ Παράφρασις Σήθ· πάντα γὰρ τὰ ἀπόρρητα αὐτῶν ἐκεῖ εὑρήσει ἐγκείμενα), constitue un cas trop incertain et disputé pour qu’on en traite ici ; on se repportera à Roberge M., La paraphrase de Sem (NH VII,1), P.U.L. Bibliothèque copte de Nag Hammadi, 2000.
- Curieusement, Hipparque, qui estime que le poème d’Aratos est une reformulation d’Eudoxe (voir 1.2.4 : ὁ δὲ Ἄρατος, ὡς ἂν παραγράφων ταῦτα, φησίν… ; cf. 2.2.36) n’emploie pas ce terme, sans doute parce qu’Aratos reprend à son avis deux ouvrages d’Eudoxe (le Miroir et les Phénomènes) et qu’il ne suit Eudoxe que pour les données astrothésiques. Il emploie ἀκολούθειν (suivre, s’accorder à) ou συνακολούθειν (1.1.8, 1.2.1, etc.) qui implique une imitation consciente.
- Parfois il s’agit clairement de traductions comme la Métaphrase des Géorgiques de Virgile d’Arrien (Souda A 3867, s.v. Ἀρριανός).
- Signalons au passage, à ce propos, la remarque troublante de Mattock (1976 : 262) qui note à propos d’un epitomé dit « de Themistius », traduit du grec en arabe, que la correspondance verbale entre l’épitomé et la traduction d’Aristote est supérieure à 70%. Voir aussi Zucker 2011.
- Voir, par exemple, le commentaire de Simplicius, sur le fait que Themistios néglige une partie du livre 7 de la Physique, pour la raison que les questions sont reprises, de manière approfondies, dans le livre suivant (Physique 8) : καὶ ὁ Θεμίστιος δὲ τὴν ὅλην πραγματείαν παραφράζων ἐν τούτῳ τῷ βιβλίῳ γενόμενος πολλὰ τῶν ἐν αὐτῷ κεφαλαίων κατενωτίσατο, « et Themistios, qui propose une paraphrase de l’ensemble de l’œuvre, lorsqu’il arrive à ce livre, néglige un grand nombre d’indications sommaires qui s’y trouvent » (Simp., in Ph. 10.1036). Voir aussi Annexe 4.
- Roberts (1985 : 40) propose ainsi une typologie des paraphrases et distingue «exercice rhétorique» (ou grammatical), «paraphrase littéraire» (illustrée par Themistius) et «paraphrase biblique» (Roberts 1985 : 2-3 et 58). Cottier (1997, 2002) est plus sensible à la continuité du genre et propose une forme de classement générale, basée sur la distinction entre « reformulation imitative » et « reformulation explicative » ; cf. Fuchs 1994 : 4-19. En tout ca, dans la paraphrase biblique aussi, il existe un lien étroit entre paraphrase et commentaire (Bureau 2004 : 208).
- On peut supposer l’existence d’un certain nombre de paraphrases portant sur d’autres traités scientifiques, telle la Métaphrase prosaïque du poème en hexamètres dactyliques de Maxime l’Astrologue (sur les Principes) : Μαξίμου περὶ καταρχῶν μεταφρασθὲν πεζῇ λέξει ἐκ τῶν ἡρωικῶν μέτρων (ed. Ludwich 1877).
- Voir Souda Δ 457, s.v. Δημοσθένης Θρᾷξ. « Toutes nos paraphrases d’ailleurs se ressemblent beaucoup. Rédigées en pleine époque byzantine, n’étant toutes du moins en principe que la dilution en prose vulgaire du même texte poétique, elles ne prétendent à aucune originalité [sauf celle de Moschopoulos] » (Nicole 1891 : XXXII). Manuel Moschopoulos (13ème s.) composa une Paraphrase à l’Iliade (au moins pour les deux premiers chants), et d’autres d’Hésiode, de Théocrite et de Pindare. Sur ces paraphrases, voir le long développement de Ludwich (1885 : II 483-605).
- Ludwich (1885 : II. 483 sq.), à propos des Commentaires d’Aristarque perçus comme des Paraphrases, établit un rapport étroit entre la fonction des gloses et celle de la paraphrase (« was wären die alten Glossen anderes als Paraphrasen ungebraüchlich gewordener alterthümlicher Ausdrücke ? »), qui consiste à vulgariser et « traduire » un état de langue caduc.
- Certaines Paraphrases prennent résolument ce parti, comme une Paraphrase anonyme aux Catégories (CAG 23.2) qui fait précéder la reprise du texte aristotélicien par une introduction empruntée à Speusippe (frg. 68a Tarán), à travers le Commentaire (ὑπόμνημα) de Simplicius (in Cat. 8.38.20) : ΠΑΡΑΦΡΑΣΙΣ ΕΙΣ ΤΑΣ ΚΑΤΗΓΟΡΙΑΣ. Τῶν ὄντων τὰ μὲν ταυτώνυμα, τὰ δὲ ἑτερώνυμα, τὰ δὲ μέσα τούτων. καὶ τῶν ταυτωνύμων τὰ μὲν ὁμώνυμα, τὰ δὲ συνώνυμα· τῶν δὲ ἑτερωνύμων τὰ μὲν ἰδίως ἑτερώνυμα, τὰ δὲ πολυώνυμα, τὰ δὲ ἕτερα· μέσα δὲ τούτων οἷα τὰ παρώνυμα. […] Καὶ δὴ ὀμώνυμα λέγεται ὧν ὄνομα μόνον κοινόν, ὁ δὲ κατὰ τοὔνομα λόγος τῆς οὐσίας ἕτερος ; cf. Aristote, Cat. 1a1 : Ὁμώνυμα λέγεται ὧν ὄνομα μόνον κοινόν, ὁ δὲ κατὰ τοὔνομα λόγος τῆς οὐσίας ἕτερος…
- Pour un exemple moderne de transposition prosaïque d’un poème réputé obscure, voir Annexe 5.
Résumé :
"Le terme de paraphrasis désigne non seulement un exercice rhétorique mais aussi un type de texte complet consistant en une reformulation intégrale d’une œuvre, généralement poétique ou philosophique. En étudiant les caractéristiques de la paraphrasis grecque, et en particulier le corpus des Paraphraseis techniques, on tente de définir les règles implicites de cette opération et de déterminer la consistance générique du corpus encore existant. Les deux familles de paraphrases (philosophique/zoologique) correspondent apparemment à deux enjeux de la reformulation savante (expliquer/vulgariser), mais elles manifestent surtout un programme commun de réactualisation, à visée plus culturelle que pédagogique, d’un patrimoine intellectuel dont la lisibilité se perd."
Le terme de paraphrase est, dans l’usage académique et pédagogique, connoté de manière péjorative. On y voit généralement, dans le cadre de l’explication de textes littéraires, une façon de re-formuler un énoncé qui est fatalement appauvrissante —car volontairement prosaïque, exagérément insistante et stylistiquement laborieuse. On oublie, ce faisant, que le discrédit actuel concerne un usage soit pervers soit caricatural de la reformulation « paraphrastique », qui constitue un mode inévitable et efficace de l’exégèse littéraire et de la pédagogie générale. Quelques ouvrages contemporains (Fuchs 1998, Daunay 2002) ont entrepris, avec conviction et pertinence, d’analyser ce type d’énonciation/énoncé et de réhabiliter théoriquement son usage. Les auteurs abordent sommairement la paraphrasis antique, surtout à partir du domaine latin (Cicéron & Quintilien), signalant que le terme persistant recouvre selon les époques des conceptions différentes (Fuchs 1998 : 131). C’est à l’étude des formes antiques de la paraphrase, autrement dit à l’analyse de la paraphrasis grecque, que cet article est dédié, et en particulier, dans sa dimension générique, aux textes suivis et complets que les Grecs nommaient des Paraphraseis. Mais il faut d’abord considérer la paraphrasis en tant que type d’énoncé ponctuel car cet usage est de loin le plus fréquent dans les quelques 400 occurrences du lexème (dans ses formes verbales ou nominales) en grec (selon le TLG-E). Nous excepterons de cette étude le cas des paraphrases bibliques, qui constitue une spécialisation particulière et mieux connue de la paraphrasis (voir Cottier 2002 & 2005, Roberts 1985, etc.).
Les définitions cumulées de la paraphrases antique chez les rhétoriciens modernes ne permettent pas de cerner précisément une pratique qui semble consister, essentiellement, à « dire autrement la même chose », mais en suivant, plus ou moins, des programmes complémentaires, qui ne sont pas tous compatibles. Ainsi, la paraphrases est «une réorganisation assez libre du texte d’origine» (Fuchs 1994 : 20 ; Fuchs 2001 : 133), un « ample développement » d’une sentence (Fuchs 2001 : 132), « une reformulation à visée explicative » (Fuchs 2001 : 132), et un texte qui manifeste « une intention stylistique importante » (Daunay 2002 : 72). Reformulation, réorganisation, explication, amplification1 : ces opérations, qui sont, à l’exception de la première, des options de la paraphrase, constituent en fait des aspects consubstantiels de la réécriture savante.
Mais cette palette de fonctions exprime une synthèse lâche et factice qui superpose des emplois relevant de contextes très différents et il faut en retracer l’évolution, en distinguant les domaines d’application et quatre régimes principaux qui nous semblent être : 1) une forme d’itération objective ; 2) un exercice de style ; 3) une reformulation éclairante ; 4) un genre littéraire d’hypertextualité. Nous verrons que le quatrième régime consiste en la combinaison variable, au niveau d’une œuvre entière, des opérations définissant les régimes 2 et 3 dans le cadre de micro-structures phrastiques.
1. une opération ponctuelle
1.1 Une pratique de reformulation
Avant d’être un exercice calculé, destiné à former l’esprit, assouplir le style et manifester le sens critique, la paraphrasis désigne d’abord, de manière descriptive, une forme courante de répétition ou d’écho de type intertextuel. La paraphrase est à ce titre une composante naturelle de l’écriture, présente dans toute la littérature, même archaïque :
μαρτύρια δὲ τούτου καὶ παρὰ ποιηταῖς καὶ ἱστορικοῖς, καὶ ἁπλῶς πάντες οἱ παλαιοὶ φαίνονται τῇ παραφράσει ἄριστα κεχρημένοι, οὐ μόνον τὰ ἑαυτῶν ἀλλὰ καὶ τὰ ἀλλήλων μεταπλάσσοντες,
« On a des témoignages [de la possibilité de dire de multiples façons la même chose] aussi bien chez les poètes que chez les prosateurs, et en somme il apparaît que tous les anciens ont pratiqué à la perfection la paraphrasis, reformulant non seulement leurs propres paroles mais celles des autres» (Théon, Progymn. 2.62 Spengel).2
Le commentateur byzantin Eustathe donne plusieurs exemples d’auto-paraphrases chez Homère, comme celle-ci :
Τὸ δὲ «ἀμφίπολοι ῥώοντο ἄνακτι» ποιητικῶς παραφράζων φησὶν «ὕπαιθα ἄνακτος ἐποίπνυον», En paraphrasant de manière poétique «<les servantes> se précipitaient pour aider leur maître [18.417]», il dit «elles se hâtaient à la rescousse de leur maître» [Il.18.421] (Eust. Comm. Il. 2.208.29).
Un autre auteur classique, réputé se paraphraser lui-même, est Démosthène :
ἀλλὰ μὴν καὶ αὐτὸς ὁ Δημοσθένης πολλάκις ἑαυτὸν παραφράζει, οὐ μόνον τὰ ἐν ἄλλοις λόγοις αὑτῷ εἰρημένα ἀλλαχόσε μεταφέρων, ἀλλὰ καὶ ἐν ἑνὶ λόγῳ πολλάκις φαίνεται ταὐτὰ μυριάκις εἰρηκώς, τῇ δὲ τῆς ἑρμηνείας ποικιλίᾳ λανθάνει τοὺς ἀκούοντας, «et en vérité même Démosthène se paraphrase à de nombreuses reprises, non seulement en déplaçant et en transformant des propos qu’il a tenu dans d’autres discours, mais dans un même discours on constate qu’il répète les mêmes choses d’innombrables fois, bien que ce procédé passe inaperçu des auditeurs en raison de la diversité des modes d’expression qu’il emploie» (Théon, Progymn. 2.63 Spengel).
La paraphrasis peut porter sur un seul mot (Παναχαιοί, οὗ παράφρασις τὸ Πανελλήνιον : Eust. Com. Il. 1.410.16) ; et il arrive que la forme paraphrastique ne soit pas une version simplifiée :
δύναται δὲ καὶ | παραφραστικῶς εἰρῆσθαι “υἱοὶ ἀνθρώπων” ἀντὶ τοῦ “οἱ ἄνθρωποι”, on peut également trouver comme expression, sous forme paraphrastique, ‘les fils des hommes’, à la place de ‘les hommes’ (Didyme, Com. Psaumes 35-39, 237).
Elle peut aussi désigner une substitution de lettre, intentionnelle ou non. Ainsi Hermogène, introduisant la parodia, qui est une sorte de subversion, la nomme παράφρασις ou παραγραμματισμός, ce dernier procédé3 consistant à changer une lettre d’un mot, éventuellement par jeu (κόραξ/ κόλαξ)4:
ὡς εἴπερ τὸ Ὁμήρειον παρατροπῇ προφέρεις· “ἀφραίνεις Μενέλαε διοτρεφὲς, οὐδέ τί σε χρή [Il. 7.109], comme si tu employais, avec une distorsion, le vers d’Homère : ‘tu es fou, Ménélas, enfant des dieux, et tu ne devrais vraiment pas” (Hermogène, Sur les quatre parties du discours parfait, Walz 3.659)
Galien (in Hpc. de articulis, 18a.519 Kühn) qualifie de paraphrase la reprise littérale d’une phrase d’Hippocrate (Artic. 43) par le médecin Dioclès, qui se contente de changer un mot de l’original : ἀνέλκειν δὲ τὴν κλίμακα πρὸς πύργον (au lieu de τύρσιν) ὑψηλὸν ἢ οἰκίας δετόν.
Cette forme de répétition peut éventuellement relever d’une simple convergence intellectuelle et non forcément d’une reprise intentionnelle. On peut se demander, tant l’épopée homérique est entièrement absorbée par les auteurs postérieurs, si une paraphrasis d’un passage d’Homère est une réminiscence ou un simple écho inconscient, comme dans cette tournure banale que signale Eustathe :
(v. 362) Ἰστέον δὲ ὅτι τὸ «κρῖνε κατὰ φῦλα» ταὐτόν ἐστι τῷ φυλοκρίνει, ὃ συνέθεντο οἱ μεθ' Ὅμηρον, καὶ ὅτι ἐξ Ὁμήρου παραφράσας Εὐριπίδης ἔφη τὸ «χωρίζουσι δ' ἀλλήλων λόχους», ὅπερ οὐδὲν ἀπέοικε κατὰ νοῦν τοῦ φῦλα κρίνουσιν ἀνδρῶν, ‘il faut savoir que ‘répartis par tribus’ c’est la même chose que ‘répartir-en-tribus’, un verbe composé que les successeurs d’Homère ont formé, et qu’Euripide emploie l’expression, paraphrasée à partir d’Homère, de ‘ils distribuent les les régiments en les distinguant’, expression qui ne diffère en rien pour l’esprit de ‘ils répartissent les hommes selon les tribus’ (Com. Il. 1.364.11).
Ainsi aussi, lorsque Platon s’accorde avec Hippocrate, même s’il est un «partisan» du grand médecin (ζηλωτὴς Ἱπποκράτους : Galien, UP 3.16.8), et qu’il s’inspire de sa méthode (Jouanna 2000 : 288-290), en disciple5, il est plutôt un continuateur qu’un imitateur ; et il n’est pas évident que dans l’esprit de Galien, les paraphrases auxquelles se livre Platon soient davantage qu’un partage de conceptions et un accord de doctrine, comme lorsque ses deux maîtres s’entendent sur une définition de la santé :
“ἀλγέει δέ” φησιν “ὅταν τι τούτων ἔλαττον ἢ πλέον ᾖ ἢ χωρισθῇ ἐν τῷ σώματι καὶ μὴ κεκρημένον ᾖ τοῖσι πᾶσιν, ὅπερ ὁ Πλάτων παραφράζων ἔφη “καὶ τῆς χώρας μετάστασιν ἐξ οἰκείας ἐπ' ἀλλοτρίαν γιγνομένην”, « l’homme est malade, dit Hippocrate, quand une de ces principes est soit en défaut, soit en excès, ou, s’isolant dans le corps, n’est pas combiné avec tout le reste ; Platon en propose une paraphrasis, lorsqu’il dit que <cela se produit> quand ils quittent la place qui leur appartient pour une place étrangère » (Gal. Placit. 8.4.29).6
Ces rencontres intellectuelles ne sont donc pas fortuites, mais elles relèvent d’une symphonia et pas toutes d’une forme de plagiat7 ; c’est toutefois surtout sur ce mode subordonnant et plutôt dépréciatif que sont évoquées les paraphraseis, dans le domaine philosophique8. Les «coïncidences» entre les païens anciens et les Ecritures peuvent être l’objet de la même réserve : même si «tous ceux d'entre les Grecs et d'entre les barbares qui ont recherché la vérité ont été illuminés plus ou moins par le Verbe» (Clément, Stromates 1.13) et sont tous des pillards et des voleurs (ibid. 1.17) la paraphrasis d’un verset biblique (Isaïe 7.9) par Héraclite pourrait n’être qu’une coïncidence :
«ἐὰν μὴ πιστεύσητε, οὐδὲ μὴ συνῆτε.» τοῦτο καὶ Ἡράκλειτος ὁ Ἐφέσιος τὸ λόγιον παραφράσας εἴρηκεν·» ἐὰν μὴ ἔλπηται ἀνέλπιστον, οὐκ ἐξευρήσει, ἀνεξερεύνητον ἐὸν καὶ ἄπορον, « si vous ne croyez pas, vous ne comprendrez pas. Héraclite a proposé une paraphrasis de ce verset dans ce passage : « A moins d'espérer vous ne trouverez pas l'inespérable, puisqu'on ne saurait ni le découvrir ni l'atteindre» (Stromates, 2.4.17).
Mais la conception de Clément est trop clairement exprimée (Str. 5.14) pour entretenir le doute : le «vol» des Grecs à la philosophie barbare est flagrant (κλοπὴν σαφέστερον) et toutes les ressemblances avec les textes saints sont des imitations des Grecs, et l’évêque de Rome n’hésite pas à accuser Homère lui-même de plagiat :
Τί δ' οὐχὶ καὶ Ὅμηρος, παραφράζων τὸν χωρισμὸν τοῦ ὕδατος ἀπὸ τῆς γῆς καὶ τὴν ἀποκάλυψιν τὴν ἐμφανῆ τῆς ξηρᾶς. ἐπί τε τῆς Τηθύος καὶ τοῦ Ὠκεανοῦ λέγει· « ἤδη γὰρ δηρὸν χρόνον ἀλλήλων ἀπέχονται εὐνῆς καὶ φιλότητος, « Mais quoi ! Homère lui-même paraphrase la séparation de l'eau d'avec la terre et l'apparition visible de l'aride ; il dit à propos de Thétys et de l'Océan : ‘Depuis longtemps déjà ils ne s’unissent plus dans la même couche et la même tendresse’ » (Str. 5.14.100) ;
ou de prétendre (Str. 5.14.131) que 12 vers qu’il prête à Eschyle9 sont la paraphrase d’un verset des Psaumes (114.7), parce qu’il s’y trouve une image voisine (τρέμει δ´ ὄρη καὶ γαῖα ; cf. ἀπὸ προσώπου κυρίου τρέμει ἡ γῆ)10.
L’emprunt à des auteurs antérieurs d’idées ou d’expressions est un commerce littéraire courant qui n’a pour les Grecs rien de criminel (Stempliger 1912) ; si quelques voix s’élèvent pour se plaindre du procédé, le plagiat n’est pas un crime, et Clément est, en fait, un des seuls à stigmatiser (Ziegler 1950), dans le cadre d’une polémique extrême contre les païens, le «vol» qu’il constitue, dans un véritable procès avec d’innombrables citations contre les plagiaires (Stromates 6.2):
ἤδη δὲ οὐ τὰς διανοίας μόνον καὶ λέξεις ὑφελόμενοι καὶ παραφράσαντες ἐφωράθησαν, ὡς ἐδείχθη, ἀλλὰ γὰρ καὶ τὰ φώρια ἄντικρυς ὁλόκληρα ἔχοντες διελεγχθήσονται, «mais ils ne se contentèrent pas de voler les pensées, et les expressions, en les subtilisant à d’autres et en les paraphrasant, comme nous l’avons démontré ; nous allons de plus les convaincre de vols directs et complets» (Str. 6.2.25)11.
Cette ultime forme de plagiat, qui conclue le réquisitoire de Clément (plagié par Eusèbe en PE 10.2.7 !) consiste pour des auteurs à mettre sous son nom un ouvrage composé par un autre (αὐτοτελῶς γὰρ τὰ ἑτέρων ὑφελόμενοι ὡς ἴδια ἐξήνεγκαν)12.
1.2. Un exercice de mimésis
La paraphrasis, συμφωνία ou κλοπή, est également un exercice de style préconisé à titre d’échauffement ou de préliminaire par les maîtres de rhétorique. Le précédent constitué par les poètes et les savants encourage le rhéteur Théon (1er s. ap.), le plus ancien des maîtres à nous avoir laissé un manuel de Progymnasmata13, à faire l’éloge officiel de cette pratique pédagogique dans un passage éloquent (Progymn. 2.62.10-64.3 Spengel), qui s’ouvre ainsi :
ἡ δὲ παράφρασις οὐχ ὥς τισιν εἴρηται ἢ ἔδοξεν, ἄχρηστός ἐστι, τὸ γὰρ καλῶς εἰπεῖν, φασιν, ἅπαξ περιγίνεται, δὶς δὲ οὐκ ἐνδέχεται· οὗτοι δὲ σφόδρα τοῦ ὀρθοῦ διημαρτήκασι, «l’exercice de la paraphrasis n’est pas, comme d’aucuns l’ont dit ou pensé, inutile. L’expression juste, dit-on, ne se trouve qu’une seule fois et ne peut pas être trouvée une deuxième fois. Les gens qui croient cela se trompent lourdement »14.
Paraphrazein apparaît ainsi, dans les manuels antiques des Rhetores graeci —bien que ces derniers soient somme toute peu prolixes sur le phénomène— comme un exercice scolaire de gymnastique stylistique, qui constitue une des pratiques «mimétiques». Il s’agit de produire une variante, souvent simplifiée, d’une phrase ou d’une formule que la tradition scolaire conduit à choisir fréquemment dans le répertoire poétique. Le Ps.-Hermogène (Progymn. 4.32) donne l’exemple suivant :
ἔστω δὲ ἡ γνώμη ὡς ἐν παραδείγματι « οὐ χρὴ παννύχιον εὕδειν βουληφόρον ἄνδρα» [Il. 2.204]. οὐκοῦν ἐπαινέσεις διὰ βραχέων τὸν εἰρηκότα. εἶτα κατὰ τὸ ἁπλοῦν, τοῦτο δ' ἔστι τὸ παραφράσαι τὴν γνώμην, οἷον ‘δι' ὅλης νυκτὸς οὐ προσήκει ἄνδρα ἐν βουλαῖς ἐξεταζόμενον καθεύδειν’, «Prenons une sentence, comme par exemple : ‘un homme qui a des responsabilités ne doit pas sommeiller toute la nuit’ ; on fera un bref éloge de l’auteur de la sentence, puis on exprimera la sentence dans le sens de la simplicité, c’est-à-dire en paraphrasant, du genre : «il ne convient pas qu’un homme qui fait partie des décideurs dorme pendant toute la nuit»15.
L’acception du terme, dans cet exercice qui porte sur une petite structure phrastique, semble correspondre à ce que nous entendons aujourd’hui par paraphrase, et implique une simplification ou banalisation de l’énoncé original. Cette reformulation constitue la première étape d’un programme de variation stylistique qui appartient à la chrie et consistait, avant un traitement approfondi, à développer une pensée par sept ou huit moyens différents, de manière concise (Patillon 1997a : 50)16.
Les autres occurrences rhétoriques du mot sont similaires :
ἐκ ποιητῶν δὲ καὶ μᾶλλον ἐξ Ὁμήρου εἰς φράσιν ἂν ὠφεληθείης, εἰ μεταβάλλεις τὰ αὐτῶν καὶ παραφράζεις παραλαμβάνων κατὰ καιρὸν εἰς οἰκείαν γραφήν· Ὁμηρικὸν μὲν ἐκεῖνο τυχὸν τὸ τοῦ Ἀγαμέμνονος πρὸς τὸν Ἀχιλλέα, μὴ Κλέπτε νόῳ, ἐπεὶ οὐ παρελεύσεαι, οὐδέ με πείσεις· [Iliade 1.132] οὕτω μὴ παράκλεπτέ με τῷ νῷ, μὴ παρασύλα ῥᾳδιουργοῖς ἐπινοίαις, ἐπεὶ οὐ παρελεύσῃ οὐδὲ φύγῃς με οὐδὲ πείσεις καὶ τὸ τοῦ Ἀχιλλέως πρὸς τὸν Ἀγαμέμνονα· Ἀναιδείην ἐπιειμένε κερδαλεόφρων, Πῶς τίς τοι πρόφρων ἔπεσι πείθηται [Iliade 1.149-150], οὕτως ἐνδεδυμένε ἀναίδειαν, ὡς καταστολὴν καὶ ἱμάτιον ἀναβεβλημένε τὸ θράσος, καὶ κέρδη φρονῶν τε καὶ ἐνθυμούμενε, πῶς τίς τοι φίλα φρονῶν τοῖς σοῖς λόγοις πεισθήσεται, «pour travailler l’expression, tu gagneras à t’inspirer des poètes, et en particulier d’Homère, en transformant leurs vers et les paraphrasant, en les employant, au bon moment, d’une façon personnelle ; prends ce vers d’Homère qu’adresse Agamemnon à Achille : ‘ne me berne pas, par ton intelligence, car tu ne l’emporteras pas et tu ne me persuaderas pas’ ; voici <comment faire> : ne m’abuse pas par ton intelligence, ne m’escroque pas par des finasseries effrontées, car tu ne me convaincras pas, tu ne m’auras pas et tu ne me persuaderas pas’. Et la réponse d’Achille à Agamemnon : ‘<homme> habillé d’impudence, l’esprit porté au gain, comment quelqu’un pourrait-il volontiers obéir à tes propos ?’ ; voici <comment faire> : ‘Vêtu d’impudence, comme si ton audace t’enveloppait à la manière d’un vêtement ou d’un manteau, et toi qui as l’esprit et les pensées tendus vers le gain, comment quelqu’un pourrait obéir à tes paroles d’un cœur léger ?’» (Hermogène, Sur les quatre parties du discours parfait, Walz 3.575.19-576.2).
Aelius Aristide (Ars rhetorica 1.14.1) propose un modèle de paraphrase suivi portant sur les 17 premiers vers de l’Iliade (voir Annexe 1). Il apparaît que la transposition est d’une longueur équivalente (321 mots pour 314 homériques), qu’elle conserve certains mots, supprime parfois des parties dramatiques, édulcore certains passages, ou ajoute des motivations supplémentaires. On voit ainsi qu’en prolongeant une paraphrasis sur une œuvre entière, on obtient un nouveau texte complet qui est une transposition de l’original —voire une traduction—, qui se substitue à lui et s’impose comme un texte achevé qui devient indépendant. La vocation créatrice de la paraphrase va bien au-delà de l’usage mentionné précédemment, comme reformulation simplifiée et auxiliaire de la chrie. C’est ce statut «riche» de la paraphrasis, œuvre à part entière, que propose Quintilien : un exercice rhétorique devenant littérature. Comme Théon, il rejette le principal argument des contempteurs de la paraphrasis, selon lequel on ne peut dire correctement plusieurs fois la même chose, et vante les mérites de cet entraînement prometteur. Le plaidoyer du rhéteur latin (Inst. Orat. 10.5.4) est proche de celui de Théon (Progymn. 2.62.10-64.3 Spengel), lorsque, dans un chapitre consacré à l’imitation des anciens, il aborde la paraphrase et la décrit comme une imitation concurrente et créatrice :
Neque ego paraphrasin esse interpretationem tantum uolo, sed circa eosdem sensus certamen atque aemulationem. Ideoque ab illis dissentio qui uertere orationes Latinas uetant quia optimis occupatis quidquid aliter dixerimus necesse sit esse deterius. Nam neque semper est desperandum aliquid illis quae dicta sunt melius posse reperiri, neque adeo ieiunam ac pauperem natura eloquentiam fecit ut una de re bene dici nisi semel non possit. «On peut même, en conservant la substance des choses, les revêtir de la force oratoire, suppléer ce que le poète a omis, resserrer ce qu'il a trop étendu; car je veux que cette paraphrase soit, non une pure interprétation, mais une imitation libre, ou plutôt un combat d'émulation autour des mêmes pensées. Aussi je ne partage pas l'opinion de ceux qui blâment cette dernière sorte d'exercice, sous prétexte que, le mieux étant déjà trouvé, on ne peut que dire moins bien. Il ne faut pas toujours désespérer de rencontrer mieux; car la nature n'a pas fait l'éloquence si stérile et si pauvre, que la même chose ne puisse être bien dite qu'une seule fois ».
1.3. Une procédure sans méthode et sans théorie
Mais la paraphrasis comme exercice pédagogique de production d’un texte équivalent, soit dans son statut pauvre (mise-à-plat du sens), soit dans son statut riche (récriture créatrice) est faiblement théorisée et constitue une pratique peu encadrée. L’impératif de cette manipulation stylistique est de conserver le sens du texte, et cet objectif est idéalement atteint lorsque le texte… est intégralement reproduit ; si bien qu’une paraphrasis peut se limiter en une discrète retouche du texte visé, comme dans l’exemple suivant, où Simplicius suggère une paraphrasis d’une phrase d’Aristote :
Οὐ μὴν ἀλλ' ἐπειδὴ καὶ τὸν τρόπον τοῦτόν ἐστιν ἐκ τῆς ὕλης τὰ σώματα πρώτιστα, διοριστέον καὶ περὶ τούτων [Aristote, GC 329b27] ; Σαφὲς ποιήσεις τὸ ῥητὸν τοῦτον τὸν τρόπον παραφράσας ‘οὐ μὴν ἀλλ' εἰ καὶ τὸν τρόπον τοῦτον ἐκ τῆς ὕλης ἐστὶ τὰ σώματα {…}, διοριστέον καὶ περὶ τούτων, « ‘Néanmoins, comme les corps primitifs peuvent aussi, de cette façon, venir de la matière, il faut parvenir à une définition sur ces corps’ ; tu pourras rendre cette formule claire en en faisant la paraphrasis suivante : ‘Néanmoins, si les corps peuvent aussi, de cette façon, venir de la matière, il faut parvenir à une définition sur ces corps’» (in de generatione 14.2.211).
Inversement, paraphrazein peut signifier simplement que l’auteur se règle, dans l’organisation de son texte et une part de ses informations, sur un texte « patron ». C’est le sens de l’aveu d’Adamantios (Physiogn. 1.1), qui déclare « paraphraser l’ouvrage de Polémon en usant d’une terminologie courante » (παραφράσαι μὲν τὰ Πολέμωνος εἱλόμην τῷ κοινῷ τῆς λέξεως) ; Adamantios, en effet, s’inspire également d’Aristote (τὴν φυσιογνωμονικὴν μέθοδον ἀπό τε Ἀριστοτέλους ἀναλεξάμενος) et, comme il le dit aussi, de son expérience propre (προσθεῖναί τε καὶ τὰ πρὸς ἡμῶν γνωσθέντα τῇ διδασκαλίᾳ). La confrontation de son traité avec la version arabe de l’ouvrage de Polémon17 confirme ces indications et montrent que le rapport correspond davantage à celui que l’on qualifierait d’épitomisation (Repath in Swain 2007 : 488).
Dans une partie du traité des Progymnasmata de Théon conservée en arménien, on trouve un développement étendu sur la paraphrase (chap. 15) qui s’ouvre par les mots : « La paraphrase consiste à changer la formulation tout en gardant les mêmes pensées » (Patillon 1997b : 107-110)18. Mais l’auteur ajoute ensuite qu’il y a quatre modes de paraphrase : soit on garde les mêmes mots en changeant la syntaxe ; soit on ajoute d’autres mots ; soit on enlève des mots ; soit on substitue des mots. Les quatre modes (restructuration, addition, soustraction, substitution) sont globalement combinables, non seulement au cours d’un traitement paraphrastique prolongé, mais simultanément (sauf l’addition et la soustraction) ; ils ne constituent donc pas des types de paraphrases, mais des options régulières. On retrouve pratiquement la même analyse dans un passage d’Hermogène, où le rhéteur indique une façon discrète de dire la même chose sans en avoir l’air :
« Περὶ τοῦ λεληθότως τὰ αὐτὰ λέγειν ἢ ἑαυτῷ ἢ ἄλλοις. Τοῦ ταὐτὰ λέγοντα ἢ ἑαυτῷ ἢ ἄλλῳ τινὶ μὴ δοκεῖν τὰ αὐτὰ λέγειν διπλῆ μέθοδος· τάξεως μεταβολή, καὶ μήκη καὶ βραχύτητες. ἡ δὲ αὐτὴ καὶ τοῦ παραφράζειν μέθοδος· ἢ γὰρ τὴν τάξιν μεταβάλλεις, ᾗπερ ἐκεῖνος ἐχρήσατο, ἢ τὸ μέτρον· εἴπερ γὰρ διὰ μακρῶν ἐκεῖνος, ταῦτα ἐν βραχέσι συνελὼν λέγεις, ἢ τὸ ἐναντίον, «Sur la manière de dire, sans qu’on s’en aperçoive, la même chose que d’autres personnes ou que ce qu’on a dit soi-même. Il y a deux façons de répéter, sans en avoir l’air, ce qu’on a dit ou ce qu’un autre a dit : modifier la place des mots ou bien allonger ou abréger. C’est précisément ainsi que procède la paraphrasis : ou bien on change l’ordre des mots, par rapport à celui que l’auteur a retenu, ou bien on modifie le volume, en exprimant de façon concise ce que l’auteur a dit avec faconde, ou bien l’inverse » (Hermogène, Sur la méthode de l’habileté, 24).
La perspective est très différente puisque l’enjeu explicite n’est pas ici de travailler sur les expressions d’une pensée, mais de camoufler une répétition. Néanmoins les options sont bien identiques et concernent essentiellement la syntaxe ou le volume. Il est intéressant de constater que la paraphrasis n’est pas nécessairement une amplification, et les Lexiques tardifs la définissent d’ailleurs plutôt comme une forme de sélection :
<Παραφραστικῶς>. παραφράζειν ἐστὶ τὸ ἔχεσθαι τινῶν μὲν λέξεων, τινῶν δὲ ἀπέχεσθαι, «de manière paraphrastique : paraphraser, c’est conserver certaines expressions et renoncer à d’autres» (Zonaras, P 1526).
C’est ainsi également (allongement ou abrègement) que l’entend Quintilien :
Igitur Aesopi fabellas, quae fabulis nutricularum proxime succedunt, narrare sermone puro et nihil se supra modum extollente, deinde eandem gracilitatem stilo exigere condiscant: versus primo solvere, mox mutatis verbis interpretari, tum paraphrasi audacius vertere, qua et breviare quaedam et exornare salvo modo poetae sensu permittitur, «On leur apprendra donc à raconter de vive voix dans un langage correct et simple les fables d'Ésope, qui viennent après les contes des nourrices, et à les écrire ensuite avec soin, en conservant la même simplicité : ce qui consiste premièrement à rompre le vers, puis à le traduire en d'autres mots, et enfin à le paraphraser avec plus de hardiesse, tantôt en abrégeant, tantôt en amplifiant, mais en conservant toutefois le sens du poète » (Inst. Orat. 1.9.2).
Témoin du caractère approximatif de la procédure, l’ « épitomé » de Zonaras (Epit. Histor. [1-2] 1.6) constitue de ce point de vue une composition significative : l’auteur annonce combiner des extraits littéraux et des reformulations personnelles qui imitent le style de la source et (après s’être excusé du caractère hétérogène du style de cet épitomé qui puise à de nombreuses sources) il poursuit :
ἐκ πολλῶν γὰρ βίβλων τὰς ἱστορίας ἐρανισάμενος, ἔν γε πολλοῖς ταῖς τῶν συγγραφέων ἐκείνων χρησαίμην ἂν συνθήκαις καὶ φράσεσιν, ἐν ὅσοις δ' ἂν καὶ αὐτὸς παρῳδήσω ἢ παραφράσω, πρὸς τὸν ἐκείνων χαρακτῆρα τὴν ἰδέαν τοῦ λόγου μοι μεθαρμόσομαι, ἵνα μὴ ἀσύμφωνος αὐτὴ ἑαυτῇ δοκῇ ἡ γραφή, «j’ai sélectionné dans de nombreux livres les récits historiques ; et j’ai conservé dans de nombreux cas la syntaxe et les tournures des historiens retenus, et partout où j’ai opté pour une transposition ou une paraphrase, j’ai adapté mon style au caractère des auteurs, afin que mon ouvrage ne paraisse pas offrir des discordances internes».
Cependant la tendance dominante semble bien l’allongement, comme l’indique l’opposition entre formule directe et formule paraphrastique —que nous dirions «périphrastique»—, dans ce passage d’ Aelius Aristide (Ars rhetorica 1.11.1.2) définissant « la brièveté et la concision » dans le style et dans la pensée :
Κατὰ λέξιν δὲ γίνεται βραχύτης καὶ συντομία, ὅταν τις μὴ ταῖς παραφραστικαῖς τῶν λέξεων, ἀλλὰ ταῖς εὐθείαις χρῆται, « il a brièveté et concision dans l’expression, lorsque l’on use de formules directes et non pas paraphrastiques ».
1.4. Adaptation, transposition : paraphrasis, metaphrasis, metapoièsis
Ce type de traitement hypertextuel est non seulement sous-déterminé, mais susceptible d’être nommé métaphrasis, terme qui souligne la transformation que la paraphrase fait subir à un texte de départ. Plutarque (Dem. 8.2.4) appelle ainsi metaphrasis19la tendance —évoquée plus haut— de Démosthène à l’auto-paraphrase, qui consistait chez lui en un exercice régulier et un entraînement au bien dire :
« ἔτι δὲ τοὺς λόγους οἷς παρέτυχε λεγομένοις ἀναλαμβάνων πρὸς ἑαυτὸν εἰς γνώμας ἀνῆγε καὶ περιόδους, ἐπανορθώσεις τε παντοδαπὰς καὶ μεταφράσεις ἐκαινοτόμει τῶν εἰρημένων ὑφ' ἑτέρου πρὸς ἑαυτὸν ἢ ὑφ' ἑαυτοῦ πάλιν πρὸς ἄλλον, «dès qu’il avait quitté ses interlocuteurs, il descendait dans sa salle de travail et examinait tour à tour les questions dont on avait parlé, et les arguments invoqués à leur sujet. De plus, reprenant à part lui les propos qu’il avait entendus il les transformait en sentences et périodes, et apportait toutes sortes de corrections et de reformulations (metaphraseis) à ce que les autres lui avaient dit ou, inversement, à ce que lui-même avait dit aux autres ».
Théon use alternativement des deux termes lorsqu’il fait l’éloge de cet exercice :
πάντες οἱ παλαιοὶ φαίνονται τῇ παραφράσει ἄριστα κεχρημένοι, οὐ μόνον τὰ ἑαυτῶν ἀλλὰ καὶ τὰ ἀλλήλων μεταπλάσσοντες. Ὅμηρον μεταφράζων, ὅτε φησί, […] ὁ Ἀρχίλοχος […], « tous les anciens ont pratiqué à la perfection la paraphrasis, reformulant non seulement leurs propres paroles mais celles des autres. Archiloque fait une metaphrasis des vers d’Homère disant […], lorsqu’il dit […] » (Théon Progymn. 62.22).
Dans la partie des Progymnasmata de Théon conservée en arménien, le chapitre consacré à la paraphrase pose d’emblée l’équivalence entre les deux termes : « La paraphrase consiste à changer la formulation tout en gardant les mêmes pensées ; on l’appelle aussi métaphrase ». Les distinctions entre les deux termes, toutes tardives, sont un peu artificielles20. Selon le traité Περὶ τρόπων ποιητικῶν (3.251 Spengel) attribué au grammairien byzantin Georges Choiroboscos (9ème s.) la paraphrasis est une substitution de termes avec volume textuel identique (ἡ ἐναλλαγὴ τῶν λέξεων κατὰ τὸ ποσὸν τῶν αὐτῶν), tandis que la metaphrasis peut être plus longue ou plus courte que l’hypotexte et s’accompagne éventuellement une attention esthétique (μετὰ ῥητορικοῦ κάλλους). Selon un autre byzantin, Neilos Doxopatres, (12ème s.) la différence tiendrait au fait que la metaphrase modifie le registre de l’original :
« la metaphrasis est double : l’une transforme un texte sublime et élevé en texte commun et vulgaire, comme la métaphrase de l’Iliade d’Homère ; l’autre au contraire transforme un texte commun en texte plus élevé, comme c’est le cas pour les métaphraseis du Logothète [i.e. non sine dubio Syméon Métaphrastes]21; la paraphrase consiste à modifier le discours (τὰ εἰρημένα) en un autre discours, sans le rendre plus commun ou plus élevé» (cod. Vindobonensis 130 = Rabbe cité par Stempliger 1912 : 118).
Un autre terme, plus discret, vient même concurrencer les deux précédents, celui de μεταποίησις, qui désigne une variation stylistique sur un texte :
πρὸ ὀλίγου μὲν γὰρ ἔφη, ὅτι ὁ Διομήδης καὶ ἂν Διῒ πατρὶ μάχοιτο, ἐνταῦθα δὲ κατὰ μεταποίησιν ῥητορικὴν ἢ παράφρασιν ἐπιτείνουσα τὸν αὐτὸν λόγον φησίν, ὅτι οὐκέτι Τρώων καὶ Ἑλλήνων μάχη, ἀλλ' ἤδη Ἀχαιοὶ καὶ θεοῖς μάχονται ὡς οἷον ἀντίθεοι, « un peu plus tôt elle a dit que Diomède combattrait même Zeus le Père, et ici, développant la même idée elle dit, dans une métapoièse rhétorique ou une paraphrase, que ce n’est plus un combat entre les Troyens et les Grecs, mais les Achéens qui affrontent les dieux même, comme des égaux des dieux » (Eust. Com. Il. 2.95.15).
Ce terme désigne en particulier les exercices de style de Sopatros (4ème s.), ancêtre méconnu de Queneau, et auteur de 82 métapoièses d’Homère, et 84 métapoièses de Démosthène (Glöckner 1910). Ces transformations, concernent des fragments des deux auteurs, sans doute données à titre d’exemple pédagogique, pour signaler la richesse de possibilités de variation offerte aux lettrés, qui apprennent ainsi à maîtriser les «figures» ou les schemata (désignant à la fois les formes grammaticales, les formes rythmiques, les registres et les figures de style)22. Les Metaphraseis de Procope de Gaza, que signale Photios (cod.160, 103a.9-11) sont peut-être, comme les Metapoieseis de Sopatros, une suite de variations sytilistiques :
Τούτου λόγοι πολλοί τε καὶ παντοδαποὶ φέρονται, ἄξιον ζήλου καὶ μιμήσεως χρῆμα, καὶ δὴ καὶ βιβλίον ὅλον, στίχων Ὁμηρικῶν μεταφράσεις εἰς ποικίλας λόγων ἰδέας ἐκμεμορφωμέναι, αἳ μάλιστα τὴν τοῦ ἀνδρὸς περὶ ῥητορικὴν δύναμιν καὶ μελέτην ἱκαναὶ πεφύκασιν ἀπαγγέλλειν, « de ce professeur on cite nombre d’écrits divers, oeuvre digne qu’on l’envie et qu’on l’imite ; il y a, notamment, tout un livre qui paraphrase des vers d’Homère dans une grande variété de formes ; c’est l’œuvre la plus propre à faire apparaître la force et l’expérience oratoire de l’écrivain».
1.5. une reformulation à visée explicative
Le terme de paraphrasis, hors des traités de rhétorique, apparaît principalement associé à un projet de reformulation explicative. La fonction principale de la paraphrase, semble, en effet, de clarifier des formulations rendues absconses ou ambiguës par le style elliptique, la complexité de l’idée ou la rareté du lexique. Galien, grand commentateur, est un témoin important de cette motivation savante du recours à la paraphrasis :
οὐδὲν γὰρ χεῖρον αὐτὴν παραφράσαι σαφηνείας ἕνεκεν, «il n’y a rien de mal à paraphraser cette formule (la φράσις) pour la rendre claire» (in Hpc. de articulis, 18a.748 Kühn).
L’argument de la σαφηνεία est manifeste dans les textes de commentaires philosophiques, scientifiques ou philologiques23:
«on développe dans une paraphrasis par souci de clarté», ἐπεκτείναντες εἰς σαφήνειαν (Sophonias, in Arist. de an., Prol. 1) ;
Hephestion «reprend le texte de Ptolémée en paraphrasant certains passages pour le rendre plus clair», ἐκτίθησι μὲν τὴν τοῦ Πτολεμαίου λέξιν παραφράζων καί τινα διὰ τὸ σαφέστερον (Hephestion, Apotelesmatiques 198) ;
«Le Poète (scil. Homère) s’exprime donc à cet endroit de façon plus claire qu’ailleurs et paraphrastique, et il sait également être plus disert, quand il le faut, ou au contraire plus resserré», οὕτως ὁ ποιητὴς κἀνταῦθα διασαφητικὸς ἑαυτοῦ καὶ παραφραστικός, ἔτι δὲ καὶ πλατυντικός, ὅποι χρεών, καὶ αὖ πάλιν ἀποστενωτικός (Eust., Com. Il. 1.489.20)
Galien associe parfois la paraphrasis et l’élucidation comme deux opérations complémentaires24:
ἀκολουθήσαντες οὖν αὐτοῦ ταῖς λέξεσιν ἀνάγωμεν ἑκάστην εἰς τὰ προειρημένα κεφάλαια, καὶ πρώτην γε τὴν προκειμένην ῥῆσιν ἐξεργαστέον. ἄκουσον δέ μου παραφράζοντος αὐτοῦ τὴν ῥῆσιν ἅμα τῷ παρεντιθέναι τινὰ ῥήματα σαφηνείας ἕνεκεν, «nous avons donc repris ses expressions en rapportant chacune aux chapitres indiqués plus haut, et il faut commencer notre étude par la formule qu’on vient de rappeler. Suis ma paraphrase de la formule d’Hippocrate, que j’accompagne de quelques mots par souci de clarté» (In Hipp. de victu acut. com., CMG 5.9.1, Kühn 15.467.12)
Mais la suite du texte consiste en fait en une reprise quasi littérale et au fil du texte de la phraséologie d’Hippocrate (cf. Hpc. Vict. acut. 4). La paraphrase peut, en effet, conformément à son sens rhétorique pauvre, être un préalable à une élucidation qui constitue avec elle le travail de commentaire25. Apparemment la paraphrasis est une reprise superficielle éclairante et se distingue de l’exégèse et du commentaire, mais elle est, en réalité, intégrée à la littérature de scholia (titre de nombreux ouvrages de Galien) et contribue au travail exégétique. Galien témoigne aussi de ce flottement lorsque, après avoir dit qu’il faut expliquer (ἐξηγῆσθαι) les pensées plus que les mots, il dit :
ἄμεινον οὖν ἐστιν ἴσως ἀπογνόντα τῆς κατὰ μέρος ἐν τῇ ῥήσει λέξεως ὡς συγκεχυμένης ἔκφρασιν αὐτῆς μᾶλλον ἢ παράφρασιν ἢ ὅπως ἄν τις ὀνομάζειν ἐθέλῃ ποιήσασθαι. τοῦτο δ' ἀδύνατον γενέσθαι, μὴ κἂν εἴ γ' ἕν τι τῶν ὀνομάτων ἐξηγησαμένων ἡμῶν, ὅπερ ἐστὶ τὸ <ἀνασπᾶν> «il est sans doute préférable de renoncer aux détails de la formulation que présente le passage, car elle est tout à fait embrouillée, et d’en présenter plutôt une ekphrasis [ici : formulation dérivée] ou une paraphrasis, ou une [adaptation], quel que soit le nom qu’on veuille lui donner. Et il est impossible de le faire si nous ne donnons pas l’explication d’un des mots employés, à savoir ce que signifie «rétracter» (in Hpc epid. com. CMG 5.10.2.2 Kühn 17b.258).
Philosophiquement la paraphrase est même pleinement un acte exégétique, comme on le voit dans cet extrait de Simplicius où la paraphrase de Nicolas de Damas va au-delà de la simple reformulation :
‘Διὰ τί οὖν οὐχ ὅλον τὸ σῶμα τοῦ οὐρανοῦ τοιοῦτον; ὅτι ἀνάγκη μένειν τι τοῦ σώματος τοῦ φερομένου κύκλῳ, τὸ ἐπὶ τοῦ μέσου, τούτου δ' οὐθὲν οἷόν τε μένειν μόριον, οὔθ' ὅλως οὔτ' ἐπὶ τοῦ μέσου. Καὶ γὰρ ἂν ἡ κατὰ φύσιν κίνησις ἦν αὐτοῦ ἐπὶ τὸ μέσον· φύσει δὲ κύκλῳ κινεῖται· οὐ γὰρ ἂν ἦν ἀΐδιος ἡ κίνησις· οὐθὲν γὰρ παρὰ φύσιν ἀΐδιον (Arist. Cael. 286a12) καὶ Νικόλαος δὲ ὁ Περιπατητικὸς παραφράζων τὰ ἐνταῦθα λεγόμενα ἐν τοῖς Περὶ τῆς Ἀριστοτέλους φιλοσοφίας οὕτω τέθεικε τὴν λέξιν “διὰ τί οὖν οὐχ ὅλος ὁ κόσμος τοιοῦτος; ὅτι ἀνάγκη μένειν τι περὶ τὸ μέσον τοῦ κύκλῳ φερομένου· τὸ δὲ πέμπτον σῶμα οὔτε μένειν ἠδύνατο οὔτε ἐν μέσῳ εἶνα, « ‘Pourquoi donc n’est-ce pas le corps du ciel tout entier qui est ainsi ? Parce qu’il est nécessaire qu’une partie du corps transporté en cercle demeure immobile, celle qui est au centre ; or aucune partie de ce corps n’est susceptible de demeurer immobile, ni en général ni au centre. Dans ce cas, en effet son mouvement naturel se ferait vers le centre (or c’est naturellement qu’il se meut en cercle) et ce mouvement ne serait pas éternel, car rien de ce qui est éternel n’est contre nature’. Et Nicolas le Péripatéticien paraphrasant ces propos dans son ouvrage sur la Philosophie d’Aristote donne la formulation suivante : ‘Pourquoi donc n’est-ce pas le monde tout entier qui est ainsi ? Parce qu’il est nécessaire que, de ce qui est transporté en cercle,quelque chose, situé au centre, demeure immobile ; et le cinquième corps n’a pu ni demeurer ni se trouver au centre’ » (Simp., de Cael., 7.399)26.
2. Un genre littéraire ?
Entre exégèse et reformulation mimétique se développe, dans la littérature tardive (au plus tôt au 1er siècle), un type de textes que l’on pourrait considérer comme un «genre» si l’examen du corpus qui le constitue révèle effectivement des caractéristiques communes. Il s’agit d’une formule littéraire générale, en relation avec la pratique savante (étudiée précédemment) qui opére sur des structures fines. On ignore naturellement la date d’apparition des premiers textes intitulés paraphrasis, mais la production d’ouvrages entiers consistant en une transposition suivie et intégrale d’une œuvre source paraît ancienne, même si elle est peu attestée27. Platon (Phédon 60 d) fait état d’une transposition des fables d’Esope, réalisée par Socrate dans sa prison, et consistant en une versification (ἐντείνας τοὺς τοῦ Αἰσώπου λόγους)28. Le terme de paraphrasis n’est pas employé pour caractériser cette opération, dont Socrate n’était probablement pas l’inventeur, mais l’adaptation indiquée s’apparente aux transtylisations qui reçoivent ce nom dans la littérature tardive. Parmi les nombreuses œuvres perdues, en particulier à l’époque alexandrine, foyer de toutes les expérimentations hypertextuelles, on peut supposer avec une grande vraisemblance l’existence de récritures d’œuvres patrimoniales avec changement de mètre, de style, de volume, etc. Dans le développement de ces transpositions, ludiques ou sérieuses29, dont l’Anthologie grecque suggère la variété30, l’épopée homérique, architexte majeur, dut jouer un rôle important31. Mais, comme pour les réalisations latines32, on ne peut préciser pour ces ouvrages la nature précise des opérations de retraitement littéraire.
2.1. les deux auteurs canoniques de paraphrases
Parmi les auteurs de paraphraseis conservées, toutes postérieures au 3ème s., deux figures de l’antiquité tardive se distinguent nettement, dans deux domaines différents, la philosophie et la poésie didactique : Thémistios (4ème s. ap.) et Eutecnios (3-5ème s. ap.)
Thémistios (317-388) ὁ παραφραστής (Ammonius, Commentaire aux premiers analytiques 31)33 est l’auteur de paraphraseis conservées de nombreux traités aristotéliciens (ὁ παραφράσας τὰ τοῦ φιλοσόφου Θεμίστιος : Psellos, Theologica 50.40)34 :
- une paraphrase en 2 livres des 2 livres des Seconds Analytiques
- une Paraphrase des 2 livres des Premiers Analytiques
- une Paraphrase en 8 livres des 8 livres de la Physique
- une Paraphrase du livre Lambda de la Métaphysique35
- une Paraphrase en 7 livres du traité en 4 livres De l’âme36
Bien que Themistios ne cite pas de paraphrastes antérieurs —car il ne commente pas le texte mais le reformule directement—, il n’est pas l’inventeur de ce genre, et il existe sans doute des paraphrases philosophiques, portant en particulier sur l’œuvre aristotélicienne, au moins depuis le premier siècle av. J.C. Parmi les παλαιοὶ ἐξηγηταί que sont Andronicos, Boethos, Athenodoros, Ariston, et Eudoros (Simp., in Cat. 159.32-33), le premier est explicitement désigné comme auteur d’une paraphrase (Ἀνδρόνικος παραφράζων τὸ τῶν Κατηγοριῶν βιβλίον : ibid. 8.26.18)37. Galien (Sur mes propres livres, 19.42-43 Kühn) signale parmi ses contemporains, exégètes (ἐξηγητικοί) aristotéliciens comme lui, et auteurs de commentaires (ὑπομνήματα), Adrastus et Aspasius, auxquels il faut ajouter Alexandre d’Aphrodise, dont on a conservé plusieurs «commentaires». Si on a pu néanmoins présenter Themistios comme un innovateur (Blumenthal 1979 ; Vanderspoel 1995 : 228), c’est à la fois en raison de la perte d’une grande partie de la littérature paraphrastique antérieure, et du caractère plus systématique de sa méthode. C’est avec les commentaires exégétiques ou explicatifs que la paraphrase philosophique thémistienne a le plus à voir, et la possibilité de consacrer la paraphrase comme genre particulier suppose un écart significatif avec ce type de texte.
L’autre grande figure de la paraphrase tardive est Eutecnios38, σοφιστής, auteur de trois paraphrases au moins et ayant vécu entre la fin du 3ème siècle et la fin du 5ème siècle39:
- une Paraphrase aux Thériaques de Nicandre40
- une Paraphrase aux Alexipharmaques de Nicandre
- une Paraphrase aux Cynégétiques d’Oppien41
- auxquelles s’ajoute peut-être une Paraphrase aux Halieutiques d’Oppien42
- et pour la tradition, mais de manière sûrement erronée, une Paraphrase aux Ixeutiques.43
Ces cinq paraphrases zoologiques ont la particularité d’être conservées ensemble (sauf les Cynégétiques) dans plusieurs manuscrits (Gualandri 1968 : 10-20)44, dont le plus ancien est de la fin du 5ème siècle45 ; la Paraphrase de Halieutiques est incomplète puisqu’il n’en subsiste que la fin, à partir de Hal. 3.605. Les Paraphrases ne sont pas des commentaires du texte, mais consistent en une reformulation qui en tient lieu et se substitue intégralement à lui. Comme l’écrit Daunay (2002 : 73) pour la pratique moderne « l’auteur d’une paraphrase change les tournures du texte paraphrasé mais fond littéralement son énonciation dans celle de l’auteur premier ». A ce titre, en raison de la « collusion énonciative » (Daunay 2002 : 89) elles sont théoriquement aussi éloignées d’une reprise commentée et amplificatrice de type ὑπομνήματα que d’une série de scholies successives, qui ne constituent pas une “imitation” du poème.
Pourtant le rapport avec ces dernières est plus complexe, car le texte des poèmes savants regorge de termes rares et poétiques dont les scholies se limitent souvent à donner un équivalent plus courant, comme le font les Lexica. Les éditeurs sont d’ailleurs partagés sur ce point : Geymonat (1976 : 19) estime ainsi qu’il n’y a pas de lien étroit entre la Paraphrase aux Alexipharmaques et les scholies, tandis que Gualandri (1968 : 12-13) et Jacques (2006 : 32-33) affirment le contraire46. D’après Gualandri, la Paraphrase aux Theriaques, qui s’appuie sur la tradition scholiaque et recycle même souvent les scholies, est un «riassunto abbastanza sintetico del testo nicandreo, inframmenzzato spesso da precisazioni et spiegazioni che attestano un preciso legame con gli scholia» (Gualandri 12-13)47. D’ailleurs, le terme de scholies (σχόλια) sert à désigner aussi bien un commentaire d’accompagnement d’une œuvre, formé de gloses brèves, qu’un texte autonome, constituant un commentaire, souvent en partie paraphrastique.48
A la différence des pararaphrases philosophiques, les paraphrases zoologiques sont toutes des prosifications, ou adaptations prosaïques d’œuvres poétiques. Ces deux familles de paraphrases (philosophique/zoologique) présentent donc des affinités diverses (avec les ὑπομνήματα, pour l’une, avec les σχόλια, pour l’autre), et le type de transposition paraît de prime abord assez différent pour que l’on s’interroge sur la cohérence de ce régime littéraire.
2.2. La question des titres
Le fait que ces œuvres partagent dans la tradition manuscrite commune le titre de paraphrasis n’est malheureusement pas dirimant. Les titres des œuvres antiques sont, de manière générale, assez instables et lorsque le type de traitement textuel n’est pas explicité dans l’ouverture du traité, on ne peut garantir pour nos textes l’ancienneté de l’appellation, quelle qu’elle soit : paraphrasis, metaphrasis, exegesis, hermeneia, hypomnema, etc. De fait, à côté du titre hypertextuel, on rencontre parfois un titre simple, comme pour la paraphrase de Themistios du de Anima d’Aristote, parfois mentionné sous le simple titre de « Sur l’âme » (Περὶ ψυχῆς). L’incertitude concernant le caractère original du titre vaut pour les quatre textes attribués à Eutecnios, et pour les « paraphrases » de Themistios qui ne confirment pas, dans le cours du texte, la qualification de paraphrase. Les manuscrits de P-Alex introduisent la paraphrase par la notation peut-être purement scribale Ἡ ἑρμήνεια ; dans le poème dédicatoire de P-Cyn. l’auteur qualifie son œuvre « d’adaptation en prose » (εἰς πεζὸν εἶδος τοῦ λόγου μεθαρμόσας) ; enfin dans deux introductions seulement Themistios précise l’objet de son ouvrage, sans employer les termes grecs attendus, mais en insistant sur la nécessité d’élucider l’œuvre d’Aristote. Dans la Paraphrase à An. Post. (5.1.1) Themistios qualifie son texte d’explicatif (ἐξηγήσεις), motive son écriture par le désir de rendre le traité d’Aristote plus clair (σαφηνίσαι προελόμενοι), et déclare :
ὥσθ' ἡμῖν ἀνάγκη συγγινώσκειν εἰ τὰ μὲν φαινοίμεθα μακρότερον ἑρμηνεύοντες (οὐ γὰρ ἐνῆν εἰπεῖν διὰ τῶν ἴσων σαφέστερον), τὰ δὲ μεθαρμοττόμενοι καὶ μετατιθέντες ὡς ἂν φαίνοιτο ἕκαστα τῶν κεφαλαίων περιγεγραμμένα. εἰ δέ τινα καὶ συντομώτερον ἐπιδεδραμήκαμεν, οὐκ ἄξιον δυσχεραίνειν· ὅσα γὰρ τεχνικὴν ἔχει τὴν θεωρίαν, οὐ συντείνει δὲ ἄγαν εἰς τὸν περὶ ἀποδείξεως λόγον, τούτοις οὐκ ἦν ἄξιον ἐνδιατρίβειν τῷ ῥᾳστώνην ἐπινοῆσαι προελομένῳ τῆς κατανοήσεως τῶν χρησίμων «Nous devons donc nous excuser s’il apparaît que nos explications sont plus longues [que l’original] (car il n’est pas possible de s’exprimer plus clairement avec le même nombre de mots), et que nous modifions la formulation et la disposition des énoncés de manière à ce que chaque point important soit nettement souligné ; et il ne faut pas non plus nous en vouloir si sur certains sujets nous passons plus rapidement».
Dans la Paraphrase au de An. (5.3.1), il présente un peu différemment son entreprise :
ἀκολουθοῦντας Ἀριστοτέλει πειρατέον ἡμῖν ἐν τῇδε τῇ πραγματείᾳ ἐκθέσθαι τῷ [καὶ] τὰ μὲν ἐκκαλύψαι, τοῖς δὲ συστῆναι, τοῖς δὲ ἐπιστῆσαι, τὰ δὲ (εἰ μὴ φορτικὸν εἰπεῖν) καὶ ἐξεργάσασθαι «Nous devons nous efforcer dans ce traité, en suivant de près Aristote, d’exposer sa pensée et tantôt d’élucider ses propos, tantôt de les étayer, tantôt d’insister sur eux, tantôt (s’il n’est pas trop prétentieux de le dire) de les parachever».
Les termes décrivant ici le travail philosophique de paraphrase correspondent à une extension de la paraphrase grammaticale ponctuelle (clarification, amplification, réduction), et de la paraphrase savante (clarification, explication), mais suggèrent une liberté dans le dosage et le recours aux différentes options ; et ces déclarations programmatiques ne permettent pas de distinguer formellement des commentaires de type ὑπομνήματα.
Dans un autre registre, Eustathe (12ème s.) mentionne une trentaine de fois une transposition prosaïque de l’Odyssée due à un certain Demosthenes Thrax (ὁ δὲ καλὸς παραφραστὴς Δημοσθένης : Com. Od. 1.357.7), auteur de paraphrases d’Homère et Hésiode (Souda, Δ 457)49 d’époque inconnue (Gehrmann 1890), qui relève selon lui d’une paraphrasis : ὁ σοφὸς Θρᾷξ Δημοσθένης ἐν οἷς παρέφρασεν τὴν Ὀδυσσείαν (Com. Od. 1.8.34). Toutefois Eustathe emploie différentes formules pour caractériser cet auteur et son travail : ὁ μεταβολεὺς Δημοσθένης (1.18.42 ; 1.61.24 ; 1.164.31 ; 1.17.9), ὁ μεταβολεὺς ῥήτωρ, ὁ τὴν Ὀδυσσείαν παραφράσας, ὁ παραφραστής50 (1.30.24 ; 1.357.7 ; 2.162.18 ; 2.185.8), ἡ τῆς Ὀδυσσείας παράφρασις (1.385.18 sine auctore), ἡ παλαιὰ μεταβολή (voir Cohn 1907 : 1467). Le titre de l’œuvre de Démosthène paraît avoir été Μεταβολαὶ Ὀδυσσείας (Com. Od. 1.42.40), mais les deux qualités (μεταβολεύς/παραφραστής) semblent strictement interchangeables et correspondre à celle de μεταφραστής —et désigner une adaptation que rien ne permet de distinguer, dans les passages signalés pas Eustathe, d’un commentaire classique51.
A ces hésitations d’intitulé s’ajoute l’usage de formules complexes comme celle de « scholies paraphrastiques », ou de « épitomé paraphrastique », qui confirme le caractère flottant de la terminologie générique52, et souligne l’absence de détermination normative de procédures différenciées de récriture, et sûrement une certaine indifférence à l’égard des distinctions que nous voudrions trouver et établir en ce domaine53.
2.3. Paraphrasis ou metaphrasis
Comme pour l’opération ponctuelle, la formule littéraire de paraphrasis est aussi difficile à distinguer de la métaphrasis, à la fois parce que les mêmes textes peuvent recevoir, selon les citateurs, l’une ou l’autre appellation (Stemplinger 1912 : 118), et parce que les opérations que recouvrent les deux verbes sont, comme on l’a vu plus haut, vagues et diverses. Les emplois parallèles et très variés des verbes metagraphein et paragraphein montrent, eux aussi, combien le vocabulaire de l’hypertextualité est peu systématique : le premier verbe peut signifier ‘transcrire’ (matériellement), ‘récrire’, ou ‘traduire’ ; le second note une ‘addition’, une ‘interpolation’ (Gal. 7.894, 18(1).151 Kühn), ou une ‘paraphrase’ (Sch. A.R. 3.158).
Les deux termes paraphrasis et metaphrasis, employées pour des œuvres, désignent le produit de diverses opérations de transformation formelle, qui concernent le choix des mots, en respectant les idées et l’intention de la parole. Le terme de métaphrase, plus officiel du point de vue générique, s’applique à des types d’adaptation divers qui vont de la paraphrase54à la traduction55. Ce dernier sens est bien attesté56 et montre la parenté perçue entre les deux formes de transposition. L’adaptation latine par Germanicus (15 av.–19 ap.) des Phénomènes d’Aratos, dans l’ensemble très fidèle à l’original grec, autant que pouvait l’être une traduction latine (voir Ronconi 1962) est ainsi appelée par la Souda57 une métaphrase, et il s’agit, pourrait-on dire, d’une métaphrase « au carré » (οὗτος ἔγραψε μετάφρασιν τῶν Ἀράτου Φαινομένων). Philon écrit, à propos du caractère extraordinaire de la traduction des Septante, réalisée avec une parfaite harmonie (entre le grec et l’hébreu, et entre les différents traducteurs) :
καίτοι τίς οὐκ οἶδεν, ὅτι πᾶσα μὲν διάλεκτος, ἡ δ' Ἑλληνικὴ διαφερόντως, ὀνομάτων πλουτεῖ, καὶ ταὐτὸν ἐνθύμημα οἷόν τε μεταφράζοντα καὶ παραφράζοντα σχηματίσαι πολλαχῶς, ἄλλοτε ἄλλας ἐφαρμόζοντα λέξεις; «chacun sait, bien sûr, que toutes les langues —et en particulièrement le grec— sont riches en vocabulaire et qu’il est possible, en opérant des modifications ou des déplacements dans les expressions, de donner toutes sortes de formes à la même pensée, en l’exprimant par des formules variées selon les circonstances» (Vie de Moïse, 2.38.3-5).
L’équivalent français le plus adéquat du terme μετάφρασις, et valable pour toutes les occurrences est celui d’ « adaptation », une adaptation plus ou moins fidèle à l’esprit, souvent mimétique, reprenant en partie la lettre du texte58, et pouvant y apporter des éclaircissements et précisions, voire des améliorations. Photios recense ainsi une métaphrase en vers épiques (hexamètres) de l’Octateuque, qui est une versification, comptant huit livres comme le recueil biblique original, et réalisé par la reine Eudocie :
« l’ouvrage a toute la clarté qu’une œuvre peut avoir en vers épiques ; elle est profondément marquée des règles de l’art ; elle n’y manque qu’en un point, et c’est le plus grand sujet de louanges pour ceux qui veulent transposer des textes en les serrant de près (τῶν ἐγγὺς ἀμείβειν λόγους ἀξιούντων) : elle ne se soucie pas d’user de la liberté qui permet aux poètes de déformer la vérité par des fables pour charmer de jeunes oreilles et elle ne détourne pas le lecteur du sujet par des hors-d’œuvre, mais elle a adapté son vers si étroitement à ces vieux écrits (οὕτω περὶ πόδα τὸ μέτρον ἔθετο τοῖς ἀρχαίοις) que celui qui s’y plonge n’a nul besoin du modèle. Car elle garde constamment leur sens propre aux idées sans les délayer ni les ramasser ; et, aux mots, partout où c’était possible, elle a conservé en même temps la ressemblance la plus proche (ταῖς λέξεσι δέ, ὅπου δυνατόν, τὴν ἐγγύτητα καὶ ὁμοιότητα συνδιαφυλάσσει) » (cod. 183, 128 a 9-20)59.
Cette substitution (ἀμείβειν) paraphrastique qui serre/sert le texte de si près qu’il en conserve en partie le lexique malgré la transstylisation, est donnée comme une réalisation exemplaire, mais aussi comme une œuvre atypique, et l’on peut en inférer que les métaphrases, même si elles menaient inversement de la poésie à la prose, n’étaient pas toujours très fidèles. Or ce type de remaniement, plus courant peut-être que ne le laisse imaginer leur faible représentation dans la Bibliothèque60, peut aussi être assimilé à un épitomé. C’est ce qui ressort du bref codex photien sur Themistius :
Τούτου τοῦ Θεμιστίου εἰς πάντα τὰ Ἀριστοτελικὰ φέρονται ὑπομνήματα· οὐ μόνον δὲ ἀλλὰ καὶ μεταφράσεις αὐτοῦ εἴδομεν, εἰς τὸ χρήσιμον ἐπιτετμημένας τῶν τε ἀναλυτικῶν καὶ τῶν περὶ ψυχῆς βιβλίων καὶ τῶν τῆς φυσικῆς ἀκροάσεως καὶ ἑτέρων τοιούτων. Εἰσὶ δὲ καὶ εἰς τὰ Πλατωνικὰ αὐτοῦ ἐξηγητικοὶ πόνοι, καὶ ἁπλῶς ἐραστής ἐστι καὶ σπουδαστὴς φιλοσοφίας, « de ce Themistius nous sont parvenus des commentaires sur tous les écrits d’Aristote et, outre les commentaires, nous avons de lui des paraphrases qui sont d’utiles épitomés des Analytiques, des livres Sur l’âme, et de la Métaphysique et d’autres écrits du même genre. Il existe aussi de lui des travaux d’exégèse sur les écrits de Platon et, en un mot, c’est un amateur zélé de philosophie »61.
Dans ce passage Photios établit une distinction entre les Paraphrases de Thémistius —qu’il appelle Métaphrases— et des commentaires du même auteur, de type plus courant. Ce témoignage a conduit certains lecteurs (Steel 1973) à supposer effectivement deux types d’hypertextes thémistiens, ce qui semble peu probable (Blumentahl 1979 ; Vanderspoel 1995 : 226) et n’est pas confirmé par les mentions parallèles62.
2.4. Le volume
On a vu que la paraphrasis rhétorique n’impliquait pas une amplification, mais que celle-ci constituait un trait fréquent des formules paraphrastiques. On est tenté, en se fondant sur un certain nombre de mentions explicites63, de supposer aux paraphrases intégrales une tendance similaire. Mais les données chiffrées ne corroborent pas cette intuition. Voici pour les deux groupes paraphrastiques les rapports de volume, lorsque nous disposons de l’hypotexte et de l’hypertexte :
- Oppien Hal. (3.604-fin) : 13.602
Paraphrase Hal. : 7.556
- Oppien Cyn. 13.583
Eutecnios, Paraphrase Cyn. : 13.800
- Nicandre Ther. : 6.380
Eutecnios, Paraphrase Ther. 12.857
- Nicandre Alex : 4.149
Eutecnios, Paraphrase Alex. : 7.652 [avec Pinax de 61 mots]
Pour les quatre paraphrases «eutecniennes»64, on constate donc que le rapport de la paraphrase à son modèle est de 1/1, de ½/1, ou de 2/1, correspondant ainsi à une transposition équivalente (P-Cyn), une amplification (P-Ther, P-Alex), ou une réduction (P-Hal). Voici pour les paraphrases thémistiennes :
- Aristote Phys. : 57.057
Themistius, Paraphrase Phys. 83.378
- Aristote An : 21. 477
Themistius, Paraph. An. : 54.929 [Sophonias : 70.372]65
- Aristote An. Pri liv. 1 : 29.562
Themistius Paraph. An. Pri liv. 1 : 74.437
- Aristote An. Post. 13.982
Themistius Paraph. An. Post: 23.690
S’agissant des paraphrases philosophiques, il semble que le souci exégétique dominant conduise à une augmentation systématique du volume textuel. Cet écart entre les deux familles de paraphrases s’ajoute aux deux autres différences précédemment notées : philosophie vs zoologie ; enjeu exégétique vs enjeu stylistique) pour justifier leur distinction nette. On ne peut cependant assimiler les poèmes de Nicandre et ceux des deux Oppien : si le style et le lexique sont également complexes et raffinés, les problèmes scientifiques posés par l’œuvre de Nicandre sont bien plus importants et la tâche de vulgarisation qui paraît comprise dans le programme du paraphraste est plus délicate et exige des développements. Le paraphraste de Nicandre est à la fois un adaptateur qui simplifie le style et prosifie, et un herméneute qui s’attache à manifester le sens parfois obtus. On perçoit aisément la différence de calibre scientifique des deux ensembles en confrontant des passages et leur version paraphrastique (voir Annexe 3).
2.5. Le rapport à l’exegèse
Les paraphrases philosophiques contribuent clairement, dans la tradition aristotélicienne, au développement de la compréhension critique du texte du Stagirite, et se présentent comme une sorte de commentaire. Simplicius distingue trois registres, ou couches, du discours philosophique, dans lequel la paraphrase a sa place : l’expression, l’explication et la reformulation :
προθεὶς δὴ τὴν Ἀριστοτέλους ῥῆσιν καὶ τοῦ τε Ἀλεξάνδρου τὴν ἐξήγησιν πᾶσαν καὶ τοῦ Θεμιστίου τὴν παράφρασιν ἐπενεγκών, « plaçant au début l’expression d’Aristote, puis l’intégralité de l’exégèse d’Alexandre, et enfin la paraphrase de Themistius » (in phys.. comm. 10.1130).
Exegesis et paraphrasis sont d’ailleurs davantage dans un rapport de complémentarité que d’opposition, comme le commentateur l’indique dans un autre passage :
παραθέμενος γὰρ πρῶτον τὴν Θεμιστίου παράφρασιν τῆς Ἀριστοτέλους λέξεως, εἶτα καὶ τὴν Ἀλεξάνδρου τοῦ Ἀφροδισέως ἐξήγησιν, ἵνα καὶ ταύτῃ δοκῇ σοφός, καθ' ἑκατέραν ἐλέγχειν τὴν Ἀριστοτέλους δόξαν προτίθεται, « posant d’abord le texte de la paraphrase par Themistius des expressions d’Aristote, puis l’exégèse d’Alexandre d’Aphrodise, afin qu’il puisse par là aussi apparaître dans toute sa science, [celui qui veut mettre à l’épreuve la pensée d’Aristote] a les moyens d’évaluer par l’une et par l’autre la conception d’Aristote » (in Cael. 7.176.33)
Themistius, au début de la Paraphrase des Seconds Analytiques, précise la particularité de son entreprise : il serait vain à ses yeux de proposer, après tant de brillants commentateurs, des exégèses (ἐξηγήσεις) des livres d’Aristote ;
τὸ μέντοι ἐκλαμβάνοντα τὰ βουλήματα τῶν ἐν τοῖς βιβλίοις γεγραμμένων σὺν τάχει τε ἐξαγγέλλειν καὶ τῇ συντομίᾳ τοῦ φιλοσόφου κατὰ δύναμιν παρομαρτεῖν καινόν τε ἐδόκει καί τινα ὠφέλειαν παρέξεσθαι, « mais extraire les significations contenues dans les lignes de ses livres, les exposer brièvement et respecter autant que possible la concision du philosophe, voilà qui me semblait une entreprise neuve et présentant une certaine utilité » (in. An. Post. 1.1.10)66.
Mais le texte le plus explicite, le plus long et le plus précis sur le rapport entre exégèse et paraphrase, est sans doute celui qu’offre Sophonias au début de sa Paraphrase sur le traité De l’âme, et où il distingue deux types fondamentaux de retraitement de l’œuvre d’Aristote, dont l’un est d’ordre exégétique et l’autre imitatif :
Τοῖς τῶν Ἀριστοτελικῶν συνταγμάτων ἐξηγηταῖς ἄλλοις ἄλλως ἐπῆλθε περᾶναι τὰ τῆς ὑποθέσεως. οἱ μὲν γάρ, ὅσοιπερ αὐτὸ τοῦτο ἐξηγηταί, ἰδίως ἐκθέμενοι καὶ κατὰ μέρος τὸ κείμενον τὴν ἑρμηνείαν ἐπισυνῆψαν, σώαν τε κἀν τῇ διαιρέσει τὴν λέξιν τοῦ φιλοσόφου τηρήσαντες καὶ τὰ παρ' ἑαυτῶν προσέφερον εἰς σαφήνειαν. οὗτοι δέ εἰσιν οἱ περὶ Σιμπλίκιον καὶ Ἀμμώνιον καὶ Φιλόπονον καὶ Ἀλέξανδρον πρότερον τὸν Ἀφροδισέα καὶ ἑτέρους πλείστους, οἳ πολυστίχους συντάξεις πολλῶν γεμούσας καλῶν εἰς τὰς διαφόρους τῶν Ἀριστοτέλους κατέλιπον πραγματείας. οἱ δὲ τρόπον ἕτερον· αὐτὸν γὰρ ὑποδύντες Ἀριστοτέλην καὶ τῷ τῆς αὐταγγελίας προσχρησάμενοι προσωπείῳ, ὡς εὐσύνοπτον καὶ τὸ πᾶν ἓν εἴη καὶ μὴ διακόπτοιτο, τὴν μὲν λέξιν παρῆκαν αὐτήν, οὔτε διῃρημένην οὔθ' ἡνωμένην τοῖς ὑπομνήμασι συνταξάμενοι· μόνον δὲ τὸν νοῦν συνεσταλμένον τῇ τοῦ ἀνδρὸς περινοίᾳ ἤ που κἂν τῇ περὶ τὴν λέξιν ἀσαφείᾳ καὶ τῇ τῆς ἀπαγγελίας δεινότητι (πολὺ γὰρ τὸ νοερὸν αὐτῷ καὶ γοργόν) ἐξαπλώσαντες καὶ καθάραντες καὶ σχήμασι καὶ περιόδοις κοσμήσαντες, οὗ προσδεῖσθαι συννενοήκασιν, ὥσπερ ἂν εἰ καὶ περὶ ἰδίας πραγματείας τὸν πόνον συνθέμενοι, τὸ δόξαν αὐτοῖς συνεπέραναν, οὐκ ἐξηγηταὶ μᾶλλον ἢ παραφρασταὶ καὶ κλήσει καὶ πράγματι, οἷος ὁ εὐφραδὴς Θεμίστιος εἰς πλείονα τῶν Ἀριστοτέλους πεποίητο πρότερον καὶ Ψελλὸς ὕστερον μιμησάμενος ἐν τῇ λογικῇ καὶ ἕτεροι. καὶ οἱ μὲν μόνον σαφηνίσαι τὸ κείμενον καὶ τὸν νοῦν ἐκφάναι προήχθησαν, ὅσον ἡ λέξις ἐχώρησε, τῷ τεχνικῷ καθάπαξ ἑπόμενοι· οἱ δὲ καὶ ἐπιστασίας καὶ ἐπιβολάς, ἃς ἐφεῦρον, τὰς χρησιμωτάτας ἐπισυνῆψαν καὶ θεωρημάτων πλῆθος ἑκάστῳ τῶν κεφαλαίων προσέφερον, τῆς τε ἐπιστημονικῆς αὐτῶν ἕξεως ἔλεγχον τοῦ τε πολυμαθοῦς καὶ τῆς διὰ πάντων ἀκρότητος, εὔπορον ἐντεῦθεν τὴν εἰς φιλοσοφίαν ὁδὸν τοῖς μετ' αὐτοὺς ὑπολείποντες, ταῖς τε ἀνακυπτούσαις ἀπορίαις γενναιοτάτας τὰς λύσεις ἐπήνεγκαν· « Certains, qui sont stricto sensu des exégètes, ont exposé, de manière particulière en prenant une unité textuelle après l’autre, le sujet en question, en y joignant une explication, tout en préservant rigoureusement, jusque dans la segmentation qu’ils en font, la phraséologie du philosophe, et ajoutant de leur propre fond pour rendre le texte clair. Tels sont Simplicius, Ammonius, Philopon et avant eux Alexandre d’Aphrodise, parmi beaucoup d’autres, qui ont laissé des ouvrages volumineux et remplis de choses magnifiques sur les différentes œuvres d’Aristote. Les autres exégètes sont d’un autre type. Ils se sont mis à la place d’Aristote et se sont exprimés comme si c’était lui qui parlait ; pour que l’ensemble soit aisé à saisir et ne soit pas saucissonné, ils ont renoncé dans leur ouvrage à la phraséologie d’origine, qui n’est ni entrecoupée par des commentaires, ni fondue dans un commentaire, et se sont exclusivement attachés à la pensée, qui est condensée, en raison de l’acuité intellectuelle de l’auteur, éventuellement de l’obscurité de son expression, et de l’élévation de son discours (car il y a chez Aristote une grande abstraction et une grande concentration) : ils l’ont développée, simplifiée, embellie par des figures et des périodes là où ils estimaient que cela était nécessaire, comme s’ils travaillaient à un ouvrage de leur cru, et ils ont composé à leur convenance, étant moins des exégètes que des « paraphrastes », tant par ce que dit le terme que par la nature de leur travail. Tel est l’éloquent Themistios, qui a composé sur de nombreux traités d’Aristote, et après lui Psellos, qui l’a imité sur les ouvrages de logique, et d’autres encore. <Parmi ces derniers> certains se sont attachés uniquement à clarifier le sujet et restituer l’idée, en suivant l’ordre de l’énoncé et en respectant systématiquement le cadre de l’exercice ; d’autres ont intégré les renforcements et les ajouts les plus pertinents qu’ils avaient trouvé ailleurs, et inclus à chaque chapitre une foule de considérations, témoignage de leur compétence scientifique, de leur érudition et de leur excellence absolue, laissant de la sorte à leurs successeurs une voie d’accès facile à la philosophie, et joignant aux difficultés qui émergeaient des solutions de très grande qualité » (in de an. Paraph., préf. 1.1-25)
Cette mise au point est certes tardive (12ème s.), mais elle peut d’autant mieux traduire une pratique à la fois bien éprouvée et mieux connue à l’époque par les témoins plus nombreux qu’elle ne nous l’est aujourd’hui. Le rôle des paraphrases dans la réflexion philosophique y est nettement signalé et Sophonias précise plus loin sur la différence quantitative entre exégèse et paraphrase, qu’il va personnellement faire un ouvrage paraphrastique —puisque tel est le titre de son œuvre— « plus concis qu’un commentaire exégétique et plus prolixe qu’une paraphrase » (τῶν μὲν ἐξηγητικῶν συντομώτερον, τῶν δὲ παραφραστικῶν μακρότερον : in de an. Paraph., 2.37). Cette indication souligne en outre un élément souvent minoré dans les études théoriques sur les genres, qui est la variation de traitement personnel et l’originalité fréquente des œuvres par rapport à la « norme » générique. A mi-chemin, par son format, entre exégèse et paraphrase, la paraphrasis de Sophonias se démarque donc des productions thémistiennes.
Dans les paraphrases zoologiques, il n’y a pas d’informations précises sur la nature du travail, mais les premiers vers de l’épître dédicatoire de la Paraphrase aux Cynégétiques (v. 1-3) indiquent le programme typique de ces entreprises :
Τὰς Ὀππιανοῦ τῆς κυνηγίας βίβλους / ἐκ τῆς σκοτεινῆς τοῦ μέτρου δυσφωνίας/ εἰς πεζὸν εἶδος τοῦ λόγου μεθαρμόσας…, « j’ai pris les livres de la Cynégétique d’Oppien et j’ai transposé dans une forme prosaïque la rudesse de ses vers obscurs ».
L’objectif affiché est bien de transformer un texte de manière à le rendre plus lisible, mais il est motivé par l’obscurité de la lettre (λέξις) et la forme poétique, et non par la subtilité de la pensée (διάνοια). Cette différence ne met pas le paraphraste à l’abri des erreurs d’interprétation (Jacques 2006), mais la « traduction » (ἡ ἑρμήνεια) auquel il se livre, —pour reprendre le mot qui figure en tête du texte des Paraphrases nicandréennes, après l’argument (ἡ ὑπόθεσις) qui résume le contenu des deux poèmes— relève davantage de la transstylisation rhétorique que de l’interprétation intellectuelle.
2.6. Le rapport hypertextuel
Le titre de σοφιστής donné à Eutecnios manifeste le souci de composition littéraire qui s’exprime dans les quatre paraphrases zoologiques. D’après la confrontation de Gualandri (1968 : 30-34), entre les poèmes et leur transposition prosaïque, le paraphraste résume de manière libre, sans suivre le texte mot-à-mot, en introduisant éventuellement des précisions et en soignant son style, comme le prouve la présence de périodes et d’ « un certo decore de stile »67 ; Geymonat(1976 : 18) voit également dans ces œuvres «una forma di libera esercitazione retorica», et Jacques (2006 : 29) ose même avancer —assez gratuitement, en fait, étant donné l’absence d’éléments de comparaison— que « ses collègues métaphrastes écrivaient plus simplement ». Globalement Eutecnios respecte l’ordre d’énumération —mais ce n’est pas le cas dans la Paraphrase aux Cynegetica (Jacques 2006 : 30-31)—, et il ne se prive pas d’omettre certains détails, comme d’introduire des gloses ponctuelles, des précisions savantes d’ordre géographique ou des digressions philologiques, qui font des Paraphrases, aux yeux de Gualandri (1968 : 12-13) « un testo perfino più tecnico di quello di Nicandro » ! Il est difficile d’évaluer le rapport hypertextuel de la Paraphrase aux Ixeutica (« transcription de la Chasse à la glu de Denys »)68 ; mais comme le texte de cette transposition ‘prosaïque’ présente des clausules accentuées, des formules redondantes et un vocabulaire recherché on peut considérer qu’il respecte sans doute les trois chants de l’original et suit de près, peut-être de manière juxtalinéaire, son texte et sa phraséologie ; mais son auteur peut aussi bien avoir recherché dans une prose rythmée un équivalent esthétique de son modèle.
La Paraphrase littéraire de prosification est donc une adaptation assez libre, où le mot-à-mot n’est pas suivi, et où, si le « pacte » de collusion énonciative est respecté, l’énonciateur s’autorise des variations luxueuses69. Le rapport de ces Paraphrases est indiqué dans les titres par une préposition qui suggère une distance d’avec l’hypotexte, qu’elle soit marquée par εἰς (Παράφρασις εἰς τὰ Νικάνδρου Ἀλεξιφάρμακα Εὐτεκνίου σοφιστοῦ, Παράφρασις εἰς τὰ τοῦ Ὀππιανοῦ κυνηγητικά), préposition régulière pour rapporter des Σχόλια ou des Ὑπομνήματα (Commentaires) au texte cible, ou par ἐκ (Παράφρασις Εὐτεκνίου ἐκ τῶν Νικάνδρου Θηριακῶν), qui suggère un produit dérivé, du type ἐκλογή. Ces « régimes » contrastent avec celui des titres de Paraphrases philosophiques, où le texte de base est généralement construit directement au génitif (Παράφρασις τῶν περὶ ψυχῆς…), comme dans les titres d’ Ἐξηγήσεις.
Si les Paraphrases eutecniennes sont toutes des mises en prose d’œuvres poétiques70, il ne s’agit pas d’une caractéristique essentielle du genre. Les Paraphrases pouvaient aussi être, inversement, des mises en vers de textes prosaïques. Ce type est particulièrement bien représenté par les paraphrases chrétiennes (Roberts 1985), celles en particulier de Nonnos71, Juvencus ou Arator (Bureau 2004)72 ; mais il est aussi pratiqué par des auteurs païens : Nicandre aurait ainsi composé en hexamètres dactyliques une Métaphrase des Pronostics hippocratiques (Souda N 374, s.v. Νίκανδρος : Προγνωστικὰ δι' ἐπῶν· μεταπέφρασται δὲ ἐκ τῶν Ἱπποκράτους Προγνωστικῶν)73. Elles pouvaient aussi consister en une transformation du mètre, et en particulier en une « mise en iambes ». Parmi les divers auteurs de Métaphraseis que signale la Souda74 — et qui sont sans doute des Paraphraseis du type de celles d’Eutecnios—, figure un certain Marianos, poète de la fin du 5ème siècle (Zucker 2008 : 531), qui aurait écrit les livres suivants :
Μετάφρασιν Θεοκρίτου ἐν ἰάμβοις ͵γρνʹ, Μετάφρασιν Ἀπολλωνίου τῶν Ἀργοναυτικῶν ἐν ἰάμβοις ͵εχηʹ, Μετάφρασιν Καλλιμάχου Ἑκάλης, ὕμνων καὶ τῶν Αἰτίων καὶ ἐπιγραμμάτων ἐν ἰάμβοις͵ϛωιʹ, Μετάφρασιν Ἀράτου ἐν ἰάμβοις ͵αρμʹ, Μετάφρασιν Νικάνδρου τῶν Θηριακῶν ἐν ἰάμβοις ͵ατοʹ· καὶ ἄλλας πολλὰς μεταφράσεις, « une Métaphrase en 3150 iambes [des Idylles] de Théocrite, une Métaphrase en 5608 iambes des Argonautiques d’Apollonios de Rhodes ; une Métaphrase en 6810 vers des Hymnes, des Aitia et des Epigrammes de Callimaque, une Métaphrase en 1140 iambes [des Phénomènes] d’Aratos [= 1154 hexamètres dactyliques], une Paraprase en 1370 iambes des Thériaques de Nicandre [= 958 hexamètres dactyliques], et encore de nombreuses autres Metaphraseis » (Μ 194, s.v. Μαριανός).
2.7 Caractéristiques du genre paraphrastique
L’inventaire des Paraphrases intégrales et leur examen sommaire conduit à quelques constats généraux :
1) Il n’y a pas de spécificité du genre littéraire par rapport à l’usage rhétorique, dans des microstructures (phrases). Tant pour l’enjeu stylistique que pour les types de transposition la Paraphrase, dont la Métaphrase apparaît comme une jumelle —sauf pour désigner des transpositions d’une langue à une autre—, et pour les options et tendances formelles de la procédure, la paraphrase intégrale est l’extension d’un modèle de retraitement microstructurel, qui s’appuie fondamentalement sur la synonymie —une synonymie généralisée (voir Théon, Prog. chap. 15)— et la variation de registre.
2) Il n’y a pas de formule générique précise qui permettrait de distinguer radicalement la Paraphrase d’autres modes de retraitement textuel, et on doit reconnaître la validité du jugement, décevant du point de vue théorique, émis par Fögen (2004 : 446) : « Die Grenzen zwischen wortgetreuer Übersetzung, freierer Wiedergabe, Paraphrase (Referat), Bearbeitung und Nachbildung im Sinne einer kreativen Neuschöpfung bis hin zu Epitomierung und Nachbildung und Kompilation sind in der Antike fliessend »75. En outre, les tendances variées signalées entre deux types de paraphrases (philosophiques vs zoologiques ou poétiques) ne conduisent pas non plus à discriminer strictement, au-delà de la différence disciplinaire de ces deux familles, des procédures particulières. Ommissions, digressions, souci stylistique font aussi partie des options de la paraphrase philosophique76. Les personnalités intellectuelles d’Eucténios et de Themistios jouent sans doute un rôle important dans l’écart constaté entre ces deux ensembles dont les deux auteurs sont pour nous, à peu de chose et d’incertitudes près, les seuls représentants. La singularité des paraphrases bibliques pourrait être un effet de perspective du même ordre, et moindre qu’on le suppose d’ordinaire77.
3) Il existe un domaine de prédilection des paraphrases, puisque la plupart portent sur des textes philosophiques ou naturalistes. Ce n’est pourtant pas nécessairement la discipline scientifique qui est responsable de cette focalisation apparente78. Les textes naturalistes en question sont toujours des textes poétiques, et plus précisément composés en vers épiques, —et cette caractéristique est peut-être plus déterminante. En vérité, l’œuvre grecque qui a donné lieu au plus grand nombre de paraphrases est sûrement l’épopée homérique, pour laquelle on a, datant principalement de l’époque byzantine —bien que la pratique remonte au moin à l’époque alexandrine—, une multitude de Métaphrases, partielles ou complètes (Demosthenes le Thrace, Psellos, Manuel Moschopoulos, Theodore de Gaza, …)79. Si l’on intègre les ouvrages non conservés portant sur des textes prosaïques (Pronostics d’Hippocrate) ou littéraires (Homère, Théocrite, etc.), le critère disciplinaire apparaît factice.
4) Il semble, plus profondément, qu’on élabore des paraphrases pour ce qui a cessé d’être aisément accessible aux lecteurs d’une époque. Cette motivation (vulgarisation/actualisation) paraît évidente pour les paraphrases zoologiques, qui sont des paraphrases d’œuvres savantes, presque toujours composées en mètres héroïques, dans un lexique voire une syntaxe caducs. Pour les paraphrases philosophiques, la situation n’est différente qu’en apparence : la difficulté conceptuelle appelle le commentaire, mais non la paraphrase ; si, pour cette famille aussi, tous les spécimens de paraphrases sont tardifs, c’est sans doute que la prose aristotélicienne n’était plus, formellement, familière et facilement intelligible. La paraphrase est, dans les deux cas, un intermédiaire stylistique au service d’œuvres qui, par ailleurs aussi, font l’objet de scholies et d’exégèses. Le trait majeur des Paraphrases littéraires semble donc moins dans la reformulation mimétique que dans l’adaptation intellectuelle et la « réactualisation »80. Dans cette opération, dont l’enjeu est principalement de transmission patrimoniale, l’effort stylistique, comme la visée didactique, sont des intentions associés ou collatérales et non prépondérantes. Il s’agit, essentiellement, comme le dit le prologue de la Paraphrase aux Cynégétiques, de mettre une œuvre à la disposition d’un large public (τοῖς πολλοῖς προσθεῖναι : 1.1.3)81.
Conclusion
La paraphrasis antique semble se décliner selon deux régimes distincts (reformulation ponctuelle vs reformulation générale), la première étant intégrée dans une œuvre, souvent grammaticale ou de scholies, et portant sur une œuvre préalable, tandis que la seconde est une transposition continue et complète. Mais cette distinction entre niveau micro-structurel et niveau macro-structurel apparaît schématique et on constate, en étudiant le détail de cette pratique et les affinités des textes qui y recourent avec la littérature exégétique au sens large, qu’il existe à la fois une continuité entre ces deux régimes et une grande impureté de la procédure paraphrastique. Les préfixes employés dans les termes qui désignent cette opération hypertextuelle (para- et méta-), pourraient offrir une clé de différenciation plus fiable de ces procédures de récriture : les exercices ou œuvres décrits sous le signe de para- opérant une transposition mot-à-mot, ou du moins juxtalinéaire, et ceux décrits sous le signe de méta- une transformation plus profonde et globale. Mais cette piste n’apparaît pas plus pertinente et le distinguo n’est qu’une rationalisation artificielle. Paraphrasis et métaphrasis sont des étiquettes interchangeables pour des reformulations conçues comme des récritures synonymiques (cf. Théon, Prog. Chap. 15), et qui constituent une modalité —génériquement difficile à saisir et polymorphe— de l’écriture au second degré, parmi les formes nombreuses et complexes de « transpositions sérieuses » (Genette 2003 : 291-559).
Si la fonction pédagogique prêtée à ces exercices est de former et préparer à la création son auteur, la fonction sociale principale est de rendre lisible une œuvre qui ne l'est plus ou qui l'est insuffisamment pour un public donné. Cette tâche oriente le travail d’écriture vers différentes interventions de rewrinting qui, comme les visées exégétiques, les processus de traduction ou les pratiques d’amplification, « se rencontrent rarement à l’état pur » (Genette 2003 : 374-375), et qui acclimatent le texte aux conditions de réception en l’actualisant, pour rendre intelligible le sens d'une œuvre (que la difficulté soit d'ordre conceptuel, lexical ou linguistique). Ce service de lisibilité intellectuelle, assuré par des transpositions qui ne peuvent pas être sémiotiquement « innocentes » (Genette 2003 : 417)82, comprend à la fois l'éclaircissement du sens et la transmission d'une information contextuelle ou culturelle permettant de mieux comprendre l'enjeu du texte ciblé, et apparente ainsi les Paraphraseis, aux Scholia, aux Hypomnémata, aux Exègèseis, voire aux Eisagôgai. Dans une culture où, de manière générale, écrire, c’est récrire, voire copier (Long 1991 : 854), la paraphrasis n’est pas le degré zéro de la création littéraire, mais une formule courante, diffuse et parfois consacrée d’accompagnement, de prolongement et de perpétuation de la tradition littéraire.
Annexe 1 : Aelius Aristide, Ars rhetorica, 1.14. (ΠΑΡΑΦΡΑΣΙΣ)
Μῆνιν ἄειδε θεὰ Πηληϊάδεω Ἀχιλῆος. |
Μῆνιν ἄειδε θεὰ Πηληϊάδεω Ἀχιλῆος |
οὔτε γὰρ οὐχὶ φαῦλα οὔτε ὀλίγα, ἀλλὰ |
οὐλομένην, ἣ μυρί' Ἀχαιοῖς ἄλγε' ἔθηκε, |
πολλοὶ μὲν γὰρ αὐτῶν καὶ ἀγαθοὶ πρὸ ὥρας διεφθάρησαν, πολλοῖς δὲ οὐδὲ ταφῆς ὑπῆρξε τυχεῖν, ἀλλ' οἱ μὲν κύνες διεχρήσαντο αὐτοὺς κειμένους. Διὸς δὲ ἦν ἄρα τὸ βούλευμα |
πολλὰς δ' ἰφθίμους ψυχὰς Ἄϊδι προΐαψεν |
καὶ οὐκ ἀπὸ ταὐτομάτου συνέπεσε τοσαῦτα πράγματα, ἀρξάμενα ἀφ' οὗ πρῶτον διέστησαν Ἀχιλλεὺς ὁ Πηλέως καὶ Ἀγαμέμνων ὁ Ἀτρέως βασιλεὺς τῶν Ἑλλήνων. |
ἐξ οὗ δὴ τὰ πρῶτα διαστήτην ἐρίσαντε Ἀτρεΐδης τε ἄναξ ἀνδρῶν καὶ δῖος Ἀχιλλεύς. |
τίς δῆτα θεῶν αὐτοὺς συνέβαλε καὶ πόθεν ἄρξασθαι φῶμεν τὴν ἔριν; |
τίς τ' ἂρ σφῶε θεῶν ἔριδι ξυνέηκε μάχεσθαι; |
ἀπὸ Ἀπόλλωνος, ὃν … |
Λητοῦς καὶ Διὸς υἱός· |
Annexe 2 : Théon : Progymnasmata, chap.. 15. (Patillon 1997b 107-110)
La paraphrase consiste à changer la formulation tout en gardant les mêmes pensées ; on l’appelle aussi métaphrase. La paraphrase comte quatre modes principaux : selon la syntaxe, selon l’addition, selon la soustraction et selon la substitution (...) Et ainsi <nos jeunes gens> deviendront progressivement capables de paraphraser l’ensemble, ce qui est le fait d’une aptitude déjà parfaite. »
Annexe 3 : Nicandre, Paraph. Schol. Oppien
a) Nicandre, Thériaques 35-42 (ed. )
Θιβρὴν δ' ἐξελάσεις ὀφίων ἐπιλωβέα κῆρα
καπνείων ἐλάφοιο πολυγλώχινα κεραίην,
ἄλλοτε δ' ἀζαλέην δαίων ἐγγαγίδα πέτρην,
ἣν οὐδὲ κρατεροῖο πυρὸς περικαίνυται ὁρμή·
ἐν δὲ πολυσχιδέος βλήτρου πυρὶ βάλλεο χαίτην,
ἢ σύ γε καχρυόεσσαν ἑλὼν πυριθαλπέα ῥίζαν
καρδάμῳ ἀμμίγδην ἰσοελκέι· μίσγε δ' ἔνοδμον
ζορκὸς ἐνὶ πλάστιγγι νέον κέρας ἀσκελὲς ἱστάς…
b) Eutecnios, Paraphrase aux Thériaques, 23.24-24.9 (ed. Gualandri) :
Le texte est celui de la paraphrase. On a mis en gras les amplifications du paraphraste, en italiques les interprétations, et en souligné les gloses. Une précision de Nicandre «<fais une fumigation de> racine de libanotis » a disparu (le mot rhiza est introduit seulement pour motiver le nom).
Ὄφεις δὴ οὖν οἶμαι καὶ τὴν ἀπὸ τούτων τῶν θηρίων γιγνομένην ἀπελάσαι κῆρα περιέσεσθαί σοι, ἢν βουληθῇς, ἐπιθεὶς πυρὶ θυμία τοῦτο μὲν κέρας ἐλάφου τοῦ τὰς πλείστας ἀκμάς τε καὶ φυὰς ἔχοντος, τοῦτο δὲ καὶ λίθον, ὃν γαγάτην προσαγορεύουσιν (ὃς καιόμενος μὲν ἐπὶ πλεῖστον ὅσον, καὶ τῷ πυρὶ προσομιλῶν, ἀνάλωτος μένει· δαπανηθῆναι γὰρ ὑπὸ πυρός, ἐπεὶ μὴ φύσιν ἐδέξατο ταύτην οὗτος, οὐδεμία θέμις), καὶ τὴν τῆς βοτάνης δὲ ἐκείνης κόμην, ἣν καλοῦσι βλάχνον, ἔνιοι δὲ πτέριν, ἐπιβαλλομένην τῷ πυρὶ καὶ θυμιωμένην τοῖς ἑρπετοῖς αἴτιον φυγῆς θηρίοις γίγνεσθαι, γίγνεσθαι δὲ οὐδὲν ἧττον τὰ αὐτὰ θυμιωμένης τοῖς ἑρπετοῖς τῆς λιβανωτίδος, ἣν οἱ πολλοὶ μὲν κάχρυ προσαγορεύουσιν, ἀπ' αὐτῆς τῆς ῥίζης θέμενοι τὴν ἐπωνυμίαν· ἔστι γὰρ παραπλησία ἡ ταύτης ῥίζα τῇ τῆς κριθῆς ῥίζῃ. Ταύτῃ μέντοι τῇ λιβανωτίδι καρδάμου τε ἐπιμίξας νεαροῦ καὶ δορκείου τὸ ἴσον κέρατος προφυλακτικὸν τῶν ἑρπετῶν ἐναποτελέσεις θυμίαμα.
c) Scholies aux Thériaques (ed. Crugnola)
35a <θιβρὴν> δὲ τὴν θερμὴν καὶ ὀξεῖαν διὰ τὰς ἐξ αὐτῆς γινομένας φλεγμονάς· Καλλίμαχος (fr. 54 Pf.) »θιβρῆς Κύπριδος ἁρμονίης.» Εὐφορίων δὲ· «θιβρήν τε
Σεμίραμιν.» (Powell fr. 81)
35b. <*ἐπιλωβέα>· θανάσιμον ΠGK, ἐπιβλαβῆ d βλαβεράν fu
35c. <*ἐξελάσεις>· ἀποδιώξεις d
35d. <*ἐπιλωβέα κῆρα>· θανάσιμον μοῖραν d
36a. tit. περὶ καπνισμάτων Gb
36b. <*καπνείων>· καπνίζων dK2 f
36c. <*πολυγλώχινα>· πολύσχιστον mb πολλὰς ἀκωκὰς ἔχων bd τὸ κέρας κατὰ παραγωγήν K2 τὸ κέρας Gdf
37a. <ἐγγαγίδα> δὲ πέτρην, τὴν γαγῖτιν λίθον. ἐν Γάγαις γὰρ τῆς Λυκίας εὑρίσκεται ἡ γαγίς· ἡ γὰρ Γαγὶς πόλις τῆς Λυκίας, ἔνθα ὁ λίθος οὗτος εὑρίσκεται· γίνεται δὲ πρὸς αἰγιαλοῖς μέλας τε καὶ χλωρός· ταύτης δὲ τῆς λίθου τὸ πῦρ οὐχ ἅπτεται, ἀλλὰ μόνον καιομένη ἀσφαλτώδη ἔχει ἀποφορὰν καὶ ὀσμήν, ὑφ' ἧς οἱ δράκοντες ἀποτρέπονται.
37b. <ἐγγαγίδα> πέτρην ἀπὸ Γαγίδος πόλεως Λυκίας γίνεται δ' αὕτη πρὸς τοῖς αἰγιαλοῖς μέλαινά τε καὶ χλωρά. ὀνομάζουσι δ' αὐτὴν καὶ γαγάτην λίθον, ἀπὸ Γάγου τοῦ πλησίου ποταμοῦ. V
38a. <*περικαίνυτο>· περιενίκησεν v νικᾷ bdf
39a. <πολυσχιδέος βλήτρου>, διότι εἰς πολλὰ ἔσχισται τὰ φύλλα αὐτοῦ. βλῆτρος δέ ἐστιν ἡ λεγομένη πτέρις, ἤγουν τὸ βλάχνον. ἔστι δὲ δριμεῖα καὶ δηκτική, διὸ καὶ τὰς πλατείας ἕλμινθας ἐκβάλλει καὶ ἀποσύρει μετὰ πολλῆς καθάρσεως χολώδους βίᾳ.
39b. <*περιβάλλεο>· πυρὶ βάλλεο Par.
39c. <*χαίτην>· τρίχωμα K2
39d. <*χάρτην>· τὸ φύλλον f
40a. <καχρυόεσσαν> δὲ τὴν λιβανωτίδα λέγει, ὅτι ἡ ῥίζα αὐτῆς κριθῆς ῥίζᾳ παρέοικε.
40b. <περιθαλπέα> δὲ τὴν θερμὴν ἢ περιθάλπουσαν. ἡ δὲ κάχρυς πυρώδης καὶ τραχεῖα καὶ τὴν ἀρτηρίαν ἀναχαράσσει καὶ τῇ γεύσει ἐπικαίει οὐχ ἧττον πεπέρεως.
41a. <καρδάμῳ>· τὸ δὲ κάρδαμον δριμὺ καὶ πληκτικὸν καὶ πυρῶδες, διὸ καὶ λειχῆνας ἀποσμήχει, λέπρας ἐκτρίβει, ἄνθρακας ῥήσσει, ἔμμηνα κατάγει, πρὸς συνουσίαν ἐπείγει, τὸ νεῦρον τῇ θερμότητι κινοῦν. διὰ ταῦτα <οὖν b> πάντα χαλεπὴν τοῖς θηρίοις ἐκπνεῖ ἀναθυμίασιν.
41b. <*καρδάμῳ>· βοτάνῃ d
41c. <*ἀμμίξας>· ἐνώσας d μιγνύων f
41d. <ἰσοελκέι> δὲ ἴσην ὁλκὴν ἔχοντι, ἤτοι ἰσοστάθμῳ.
41e. <*ἰσοελκέι>· ἰσοσκελές, ἰσόσταθμον md <*ζορκός>· ζῷον K2
42b. <*πλάστιγγι>· τρυτάνῃ GdK2 πλάστιγξ κυρίως τὸ τοῦ ζυγίου μέρος, ἤγουν χύτραv
42c. <*νέον>· νέους Par.
42d. <ἀσκελὲς> δὲ τὸ αὐτὸ σκέλος ἢ τὸν αὐτὸν πηχισμόν <ἔχον>, ὅ ἐστιν ἴσον.
42e. <*ἀσκελές>· ἀμετακινήτως ἢ ἀδιαλείπτως ἢ ἄγαν ξηρόν v, σκληρόν d
42f. <ἀσκελές>· ἴσον, ἤγουν μὴ ἐν ἑτέρῳ μέρει νευούσης τῆς πλάστιγγος. V
d) Oppien, Cynégétiques 1.47-62 (ed. Mair)
Τριχθαδίην θήρην θεὸς ὤπασεν ἀνθρώποισιν,
ἠερίην χθονίην τε καὶ εἰναλίην ἐρατεινήν·
ἀλλ' οὐκ ἶσος ἄεθλος· ἐπεὶ πόθεν ἶσα τέτυκται,
ἰχθὺν ἀσπαίροντα βυθῶν ἀπομηρύσασθαι,
καὶ ταναοὺς ὄρνιθας ἀπ' ἠέρος εἰρύσασθαι,
ἢ θηρσὶν φονίοισιν ἐν οὔρεσι δηρίσασθαι;
οὐ μὲν ἄρ' οὐδ' ἁλιῆϊ καὶ οὐκ ἐτὸς ἰξευτῆρι
ἄγρη νόσφι πόνοιο· πόνῳ δ' ἅμα τέρψις ὀπηδεῖ
μούνη, καὶ φόνος οὔτις· ἀναίμακτοι δὲ πέλονται.
ἤτοι ὁ μὲν πέτρῃσιν ἐφήμενος ἀγχιάλοισι
γυραλέοις δονάκεσσι καὶ ἀγκίστροισι δαφοινοῖς
ἄτρομος ἀσπαλιεὺς ἐπεδήσατο δαίδαλον ἰχθύν·
τερπωλὴ δ', ὅτε χαλκοῦ ὑπαὶ γενύεσσι τορήσας
ὕψι μάλα θρώσκοντα βυθῶν ὕπερ ἀσπαίροντα
εἰνάλιον φορέῃσι δι' ἠέρος ὀρχηστῆρα.
ναὶ μὴν ἰξευτῆρι πόνος γλυκύς·
d) Paraphrase des Cynégétiques (ed. Tüsselman)
Ἔστιν ἡ θήρα τριττὴ πρὸς θεοῦ τοῖς ἀνθρώποις, κατ' ἀέρα, κατὰ γῆν, κατὰ θάλατταν, πλὴν οὐχ ὁ αὐτὸς πάσαις μόχθος ἐμπέφυκε. Ποῦ γὰρ ἶσον ἰχθύν τε ἀνελκύσαι τοῦ βυθοῦ καὶ ὄρνιν ἐξ ἀέρος ἐπισπάσασθαι, καὶ θηρσὶν ἀγρίοις μάχην ἐν ὄρεσι συμβαλεῖν; Εἰ γὰρ καὶ τῷ ἰξευτῇ θηρῶντι κάματος, ἀλλὰ καὶ ἡδονὴ τῷ
καμάτῳ συγκέκραται, καὶ τὸ κατὰ τῶν ἀερίων τρόπαιον ἀναίμακτον ἵστησιν. Κἂν τὸν ἁλιέα σκοπήσῃς, ὄψει τὰ ὅμοια· ὁ μὲν γὰρ πέτρας παραλίας ἀτρέμας ὑπερκαθέζεται, δόναξι καὶ ἀγκίστροις ἐπὶ τὸν ἰχθὺν ὁπλιζόμενος, ὁ δὲ οὐκ εἰς μακρὰν ἄθλιος τῷ χαλκῷ περιπαρεὶς ἁλωτὸς ἐκ τῆς γένυος ἕλκεται, τῆς φίλης διατριβῆς ἀποξενούμενος καὶ σπαίρων μὲν ἀνήνυτα καὶ ὀρχούμενος, ἄφατον δὲ τὴν τέρψιν ἐμποιῶν τῷ θηράσαντι. Ναὶ μὴν καὶ τῷ ἰξευτῇ γλυκὺς ὁ πόνος, ὡς ἔφαμεν·
e) Scholies aux Cynégétiques (ed. Bussemaker)
1.47. Τριχθαδίην· διήγησις· τρισσήν· ἄρχεται ἐντεῦθεν. θεός· ἡ. ὤπασεν· ἔδωκεν.
1.48. Χθονίην· γηΐνη. εἰναλίην· τὴν θαλασσίην. ἐρατεινήν· ἐπιθυμητικήν.
1.49.Ἄεθλος· πόνος ἐστίν. τέτυκται· ὑπάρχουσιν.
1.50.Ἰχθύν· νέπουν. ἀσπαίροντα· πνέοντα, ἢ πηδῶντα.
1.50.ἀπομηρύσασθαι· διὰ σχοινίου σύρεσθαι.
1.51.Ταναοῦ· εὐροῦ. ἠέρος· ἀέρου. εἰρύσασθαι· ἑλκῦσαι.
1.52. Δηριάασθαι· μάχεσθαι.
1.53. Ἄρ. καὶ δή. ἁλίῃ· τῇ θαλάσσῃ. ἐτός· ἔστι μάταιος.
1.54. Νόσφι· ἔστι χωρίς. ὀπηδεῖ· ἀκολουθεῖ.
1.56.Ὁ μέν· ὁ ἀσπαλιεύς. ἐφήμενος· καθήμενος. ἀγχιάλοις· πλησίον τῆς θαλάσσης.
1.57.Γυραλέοις· στραβιοῖς. δονάκεσσι· καλάμοις. ἀγκίστροισι· σαγήνῃσιν. δαφοινοῖς· ὠμοί.
1.58. Ἄτρομος· ἀκίνητος.
1.59.Τερπωλή· χαρά ἐστιν. χαλκόν· τόν. τορήσας· τρώσας, τρυπήσας.
1.60. Βυθῶν· ἐκ τῶν.
1.61. Εἰνάλιον· θαλάσσιον. Ὀρχηστῆρα· πηδητήν.
1.62. Ναὶ μήν· ἔτι. πόνος· ἔστιν. ἦ γάρ· ἢ ὄντως.
Annexe 4 : Paraphrase de Sophonias (vel Themistius) au traité Sur la mémoire (Arist. 449 b4-23 ; Themistius 5.6, 1.4-2.5).
Le texte est celui de la paraphrase. On a gardé en maigre le texte littéralement repris d’Aristote, en gras les ajouts du paraphraste, en italiques les modifications (avec le parallèle aristotélicien).
Περὶ δὲ μνήμης καὶ τοῦ μνημονεύειν λεκτέον τί ἐστι καὶ διὰ τίνα αἰτίαν γίνεται καὶ τίνι τῶν τῆς ψυχῆς μορίων συμβαίνει τοῦτο τὸ πάθος καὶ τὸ ἀναμιμνῄσκεσθαι· οὐ γὰρ οἱ αὐτοί εἰσι μνημονικοὶ καὶ ἀναμνηστικοί, ἀλλ' ὡς ἐπὶ τὸ πολὺ μνημονικώτεροι μὲν οἱ βραδεῖς, ἀναμνηστικώτεροι δὲ οἱ ταχεῖς καὶ εὐμαθεῖς. ἐπεὶ δὲ σαφέστερα τῶν ἐνεργειῶν τὰ ἐφ' ἃ αἱ ἐνέργειαι, ὥσπερ ἐν τοῖς Περὶ αἰσθητῶν καὶ αἰσθήσεως ἐκ τῶν ὑποκειμένων τὸν λόγον ὡς μᾶλλον ἐναργῶν ἐποιούμεθα πρότερον, οὕτω δὴ κἀνταῦθα πρῶτον μὲν σκεπτέον, ποῖά εἰσι μνημονευτά· πολλάκις γὰρ ἐξαπατᾷ τοῦτο. οὔτε γὰρ τὸ μέλλον ἐνδέχεται μνημονεύειν (ἀλλ' ἔστι δοξαστὸν καὶ ἐλπιστόν· εἴη δ' ἂν καὶ ἐπιστήμη τις ἐλπιστική, καθάπερ τινές φασι τὴν μαντικήν), οὔτε τὸ ἐνεστώς, ἀλλ' ἔστιν αἴσθησις τοῦ παρόντος· ταύτῃ γὰρ οὔτε τὸ μέλλον οὔτε τὸ γενόμενον γνωρίζομεν, ἀλλὰ τὸ παρὸν μόνον. λείπεται δὴ τὸ παρεληλυθὸς μνημονεύειν, καὶ ἔστιν ἡ μνήμη τοῦ γενομένου· τὸ δὲ παρὸν ὅτε πάρεστιν, οἷον τοδὶ τὸ λευκὸν ὅτε ὁρᾷ, οὐδεὶς ἂν φαίη μνημονεύειν, οὐδὲ τὸ θεωρούμενον καὶ νοητὸν ὁ θεωρῶν ἄρτι πρώτως καὶ νοῶν μέμνηται [vs. ὅτε θεωρῶν τυγχάνει καὶ νοῶν : Arist.], ἀλλὰ τὸ μὲν αἰσθάνεσθαί φασι [vs φησι Arist.], τὸ δὲ μανθάνειν καὶ εἰς ἐπιστήμην ἄγεσθαι [vs τὸ δ' ἐπίστασθαι μόνον Arist.]. ὅταν δ' ἄνευ τῶν ἔργων ἔχῃ [vs σχῇ Arist.] τὴν ἐπιστήμην καὶ τὴν αἴσθησιν (ἔργα δὲ λέγω οἷον τοδὶ τὸ ζῷον ἢ τοδὶ τὸ λευκὸν καὶ τὸ ἐν τῷδε τῷ βιβλίῳ τρίγωνον), προσεννοῇ δὲ καὶ χρόνον, τότ' ἂν ἁπλῶς μεμνῆσθαι λέγοιτο. οὕτω μέμνηται τὰς τοῦ τριγώνου γωνίας ὅτι δυσὶν ὀρθαῖς ἴσαι, καὶ τὸν Σωκράτην ὅτι λευκός, τὸ μὲν ὅτι ἔμαθέ ποτε παρὰ τοῦδε ἐν τῷδε ἢ ἐθεώρησε, τὸ δὲ ὅτι ἤκουσεν ἢ εἶδεν ἤ τι τοιοῦτον. ἀεὶ γὰρ ὅταν ἐνεργῇ ἡ ψυχὴ κατὰ τὸ μνημονεύειν (τὸ δέ ἐστι θεωρεῖν τοὺς τύπους τῶν ἐν αὐτῇ πραγμάτων μὴ καθ' ἑαυτοὺς ἀλλ' ὡς εἰκόνας ἑτέρων), συναισθάνεται χρόνου· οὕτω γὰρ [vs οὕτως ἐν τῇ ψυχῇ Arist.] λέγει, ὅτι πρότερον τοῦτο ᾔσθετο ἢ ἐνόησεν.
Annexe 5 : Paraphrase par le colonel Godchot de la première et de la dernière strophes du « Cimetière marin » (Cahiers du Sud, « Paul Valéry vivant », 1946, p. 374-375 ; Genette 2003 : 318)
Valéry :
« Ce toit tranquille où marchent des colombes,
Entre les pins palpite, entre les tombes ;
Midi le juste y compose de feux
La mer, la mer toujours recommencée !
Ô récompense après une pensée
Qu'un long regard sur le calme des dieux !... »
[…]
Le vent se lève !... Il faut tenter de vivre !
L'air immense ouvre et referme mon livre,
La vague en poudre ose jaillir des rocs !
Envolez-vous, pages tout éblouies !
Rompez, vagues ! Rompez d'eaux réjouies
Ce toit tranquille où picoraient des focs ! »
Godchot :
« Cette eau tranquille où glissent des colombes
Entre les pins palpite, entre les tombes ;
Midi d'aplomb apaise de ses feux
La mer, la mer toujours renouvelée.
Ah ! quel bonheur ! détendre ma pensée
Dans ce tableau calme comme les dieux !...
[…]
Le vent se lève !... Il faut vivre ma vie !
L'immensité remplit ma poésie !
Le flot se brise en poudre sur les rocs !
Envolez-vous dans les splendeurs, mes pages !
Et que la mer de ses joyeux tapages
Rompe l'eau calme où vont danser les focs. »