Apprivoiser l'autre. La figure de Pan et de Dionysos dans la poésie de Théocrite

Article publié initialement dans

Figures de l’étranger autour de la Méditerranée antique : à la rencontre de l’Autre, Actes du colloque UPPA-CRPHL Antiquité méditerranéenne : à la rencontre de « l’Autre » : Perceptions et représentations de l’étranger dans les littératures antiques, M.-F. Marein, P. Voisin, J. Gallego (éds.), CRPHL, Paris, L’Harmattan, 2010, p. 529-537.

« S’il te plaît… apprivoise-moi », dit le renard de Saint-Exupéry au petit prince, viens à la rencontre de l’autre, l’homme, la bête, le dieu, l’écrivain ou l’artiste. C’est à un tel voyage que nous invite Théocrite dont la poésie fait une place particulière aux figures divines de Pan et de Dionysos qui incarnent cette richesse, humaine et littéraire, de l’autre, son irréductible altérité et son incontournable présence, au cœur de la cité la mieux policée, au fond de la personne la plus équilibrée, au centre de toute création poétique. Partons donc à la découverte de l’autre tel que Théocrite le présente à travers ces deux divinités…

1. Pan et sa symbolique dans les Idylles bucoliques

 

Pan, dieu, bouc et homme

C’est le primitif Pan que Théocrite a placé au cœur de son univers bucolique1. Au contraire d’Apollon ou d’Hermès, cette divinité thériomorphe n’a jamais perdu sa dimension bestiale, même dans ses représentations idéalisées : il est à la fois « l’époux des chèvres2 » qu’il se plaît à monter, αἰγιβάτας3, l’homme habile à jouer de la syrinx et le dieu véritable, en une union congénitale avec l’animal, l’humain et le divin. Cette ambivalence fait de lui le pâtre par excellence, comme pourrait le suggérer son nom, probablement dérivé de la racine *pā(s)- qui désigne le gardien des troupeaux4.

Voyons donc comment Théocrite explore les potentialités, existentielles et poétiques, de cette mythique figure de l’autre.

Pan, le bouc-musicien

Il conçoit ses pâtres comme des émanations de ce dieu primitif, congénitalement liés aux chèvres et aux boucs, et il les confronte à la toute puissante Aphrodite en une riche gamme de réactions qui vont de l’obéissance docile à la rébellion violente, selon les effets qu’il veut en tirer. Il les montre parfois guidés par l’instinct, comme le vieux de l’Idylle 4, mis en mouvement, piqué et gratté par l’amour, selon les significations du verbe ἐκνίσθη (v. 59), qui fait écho aux démangeaisons auxquelles Simichidas condamne Pan, κνάσαιο (7, 110). Comatas, dans l’Idylle 5, déploie la même énergie mécanique avec Lacon et associe implicitement la violence de la pénétration qu’il lui a fait subir, ἐπύγιζον (5, 41), aux bêlements des chèvres que le bouc « perce », ἐτρύπη (v. 42). Le vocabulaire utilisé rapproche clairement le chevrier de son modèle divin, Pan, dont la violence des attaques érotiques est connue et redoutée5. Le verbe τρυπάω-ῶ, de même racine que τρύπανον (« la tarière »), fait même de Pan le dieu du frottement vital, et l’image de ce « bois dit actif [...] dont la rotation à l’intérieur de l’encoche [...] d’un bois dit passif [...] fait jaillir l’étincelle et produit le feu » fournit à Callimaque la belle métaphore poétique du τρύπανον αἰπολικόν (fr. 689 Pf.), pour caractériser à la fois les amours des chevriers et le « viol pédérastique » que Pan « aime à leur faire subir »6. Ainsi, c’est en frottant le bois que l’on fait jaillir le feu et, comme le dit Milon à Boucaios dans l’Idylle 10, au v. 18, c’est en se frottant, corps à corps, à l’objet de son désir, humain ou animal, que l’on fait cesser le feu qui brûle en soi.

Une telle conception de la vie peut sembler primaire, mais elle met l’accent sur cette animalité qu’Antisthène a placée au cœur de la philosophie cynique. Théocrite fait ainsi de Pan l’archétype mythique de la bestialité humaine. Divinité de l’énergie génésique, il est le chevrier, αἰπόλος, c’est-à-dire, selon le Cratyle platonicien, « celui qui fait toujours tout circuler », πᾶν ἀεὶ πολῶν (408 c-d), et il assure le mouvement vital à l’origine de ce que la science physique appelle les « échanges de matière et d’énergie sous forme de travail et de chaleur7 ». Est-il dès lors excessif de voir en lui le principe poétique de la thermodynamique à l’œuvre dans le cosmos ?

Mais la poésie de Théocrite ne se réduit pas à ce seul aspect. Dans la Syrinx, il nous montre Pan « infliger une blessure perçante à la muse couronnée de violettes » (v. 7-8) en perçant puis en assemblant, πᾶξεν, les roseaux de la syrinx. Il suggère ainsi la souffrance d’un acte physique bestial sublimé par la création artistique, comme l’indiquent le jeu de mots sur πᾶξεν, signifiant à la fois infliger une blessure et former par assemblage une syrinx, et le rapprochement implicite entre ἕλκος (« la blessure »), et σῦριγξ qui signifie « la syrinx », mais aussi « l’abcès suppurant, la fistule », ce qui est une forme de blessure8 : c’est le chant de la syrinx qui transforme les piqûres de l’amour en aiguillon de la création poétique. Comme l’a montré J. Hillman9, le mythe de syrinx fait de Pan à la fois l’incarnation du désir bestial et la médiation par laquelle le divin se manifeste à l’humain pour l’enrichir. C’est pourquoi la syrinx est « double », δίζων (v. 5)10, à l’image du dieu qui l’a fabriquée et qui porte en lui le bouc du ça, le moi humain et le divin surmoi11. En dessinant la forme de la flûte champêtre que Théocrite-Simichidas dédie à Pan, il fait de cette divinité l’emblème du poète musicien et éclaire la signification profonde du monde bucolique, qui met en jeu sauvagerie primitive et raffinement esthétique en une riche dialectique qu’il incarne dans certains de ses personnages.

Dans l’Idylle 1 par exemple, « les souffrances de Daphnis » chantées par Thyrsis ont une dimension artistique en même temps qu’initiatique12 : en invitant Pan à « abandonner le sommet d’Hélicé et le tertre escarpé du petit-fils de Lycaon » (v. 125-126), Daphnis remonte à l’origine de l’Arcadie13, au cœur du temps mythique de l’ambiguïté primordiale, lorsque l’homme ne se différenciait pas encore de la bête et du dieu. Sa mort fait de lui un symbole poétique et une hypostase de Pan, en un subtil syncrétisme qui atteste de la maîtrise avec laquelle Théocrite joue sur le symbolisme de Pan, dieu primitif et cosmique, bouc et poète, riche figure de l’autre, à juste titre « appelé Tout », Ὅλον (Syrinx, v. 5).

La distanciation humoristique et la construction poétique

La figure de Pan est ainsi réinvestie par Théocrite pour explorer l’altérité poétique en un subtil jeu de masques et de miroirs dont atteste son pseudonyme poétique de l’Idylle 7, Simichidas. Ce patronyme de forme nobiliaire, pourtant conçu sur les noms en Sim-, souvent portés par des esclaves, fait de Simichidas le fils du camus. Par cette onomastique, qui met en avant l’une des caractéristiques physiques de Pan, son nez camus, Théocrite annonce la nouveauté de sa poésie bucolique, qui met en scène de modestes pâtres, l’humour érudit qui la constitue et sa dimension cathartique, à l’image de la syrinx du dieu-bouc14.

C’est pourquoi pour guérir son ami Aratos malade d’amour, Simichidas fait appel à la symbolique de Pan. Il rappelle d’abord que, pour être heureux, l’amour doit être purement physique, comme celui des chèvres (7, 97). Puis il s’efforce de faire accepter cette réalité à Aratos : même si Pan cédait aux menaces du poète (v. 103-114), il ne pourrait effacer les souffrances passées (v. 124). Qu’Aratos laisse Molon s’épuiser à cette gymnastique (v. 125) et profiter de l’ἁσυχία, la paix retrouvée, (v. 126), sous le regard du dieu-bouc que Simichidas invoque à dessein (v. 103-114). Car ce n’est pas un hasard si Théocrite a placé la seule occurrence du terme d’ἁσυχία, essentiel dans sa poétique15, dans un chant qui associe étroitement traditions pastorales et amour16, en un riche jeu de significations et de symboles, qui éclairent le processus d’apaisement cathartique initié par Pan.

On comprend dès lors pourquoi, chez Théocrite, Pan est une figure essentielle. Portant en lui la double altérité du divin et du bestial, il est lui-même et l’autre, le bouc primaire et le penseur philosophe en un vertige existentiel qui est aussi poétique.

2. Le jeu poétique avec l’autre : Dionysos dans l’Idylle 26

 

Le dédoublement de soi : la μανία dionysiaque

Si Pan incarne le nouveau genre littéraire qu’est la poésie bucolique, Dionysos, « l’étrange étranger », comme l’appelle Marcel Detienne17, inscrit la figure de l’autre au sein de toute une tradition littéraire, sur laquelle Théocrite va jouer en une riche gamme de variations et d’échos. Dans l’Idylle 26, il reprend le mythe de la mort de Penthée, sujet des Bacchantes d’Euripide, pour mettre en scène la figure du double pathologique. Cette altération psychique se fait sous l’impulsion de Bacchos μανιώδεος (v. 13) ; l’adjectif suggère une furie active et une métamorphose de soi, et il marque la possession par le dieu qui perturbe le corps et l’esprit, comme l’indique le verbe σὺν δ’ ἐτάραξε, exciter en troublant. Le dérèglement psychique des bacchantes se concrétise dans leurs pieds, ποσίν, placé juste après σὺν δ’ ἐτάραξε et juste avant μανιώδεος, comme un signe de la présence concrète de Dionysos, maître du pied et du croc-en jambe18. Ce que Théocrite transcrit ici, c’est le moment précis où la conscience s’altère pour donner naissance à un autre moi.

Sous l’effet de Dionysos, la folie gagne les deux sœurs, qui démembrent Penthée. L’animalité de la scène se synthétise dans l’image finale des trois femmes, « toutes barbouillées de sang », πεφυρμέναι αἵματι πᾶσαι (v. 25). Le participe parfait souligne l’état de trouble fusionnel dans lequel se trouvent les bacchantes, le verbe signifiant « mélanger » et, si l’on garde le rapprochement avec ferueo, « bouillonner19 » : la fermentation interne s’est achevée en altération totale de soi dans le γάνος dionysiaque, symbolisé par le sang qui les imprègne, substitut monstrueux du vin bachique. C’est donc l’autre pathologique que libère Dionysos.

Le masque de l’autre

Mais l’Idylle ne s’arrête pas là : le vers 27, asyndétique, nous fait passer d’un récit à la troisième personne à l’affirmation d’indifférence d’un je anonyme. Après avoir fait naître en nous terreur et pitié, qui sont les deux ressorts aristotéliciens de la tragédie, Théocrite nous invite à relire la scène dans sa double dimension esthétique et philosophique. Le démembrement de Penthée, la répartition des Bacchantes de part et d’autre du corps transforment la πράξις en objet de contemplation. La partie diégétique de l’idylle semble se construire comme une réécriture humoristique du motif du masque tragique20, auquel s’apparente la mort de Penthée qui n’est pas à craindre.

Le jeu du masque se poursuit en une nouvelle réfraction théâtrale, le locuteur du vers 27 apparaissant finalement comme un simple dévot. L’ironie discrètement moqueuse de Théocrite irrigue l’idylle construite comme un jeu de masques qu’il faut successivement enlever pour déchiffrer le sens de l’ensemble, placé sous le patronage de Dionysos, dieu de l’altérité théâtrale. Il nous reste à explorer la dimension plus proprement poétique de l’autre, le modèle sur lequel se construit le poème.

L’autre poétique

À l’orée de l’idylle, le titre, constitué d’une glose, annonce la nature réflexive du poème, mis en résonance avec l’hypotexte et d’autres idylles. Ainsi l’adjectif νεοδρέπτων (« récemment coupé ») évoque « l’helix récemment coupé », νεότομον, d’Euripide (v. 1170), mais renvoie aussi à la coupe du chevrier, « nouvellement façonnée », νεοτευχές (v. 27-28), et ornée de lierre et d’hélix (v. 29-31) : poète callimachéen, Théocrite cueille chez les écrivains antérieurs des mythes ou des expressions qu’il assemble en une création nouvelle, νέο21, ouvrant ainsi la voie aux neotéroi latins.

C’est pourquoi il se démarque parfois de son hypotexte en des variations symboliques. Ainsi, au contraire d’Euripide, Autonoé est « la première » (v. 12) à voir Penthée et la seule à lui parler. La mise en parallèle à deux reprises de son nom et de celui de Penthée esquisse un lien entre le son fils, Actéon, déchiré par ses chiens, et Penthée, déchiré par les Bacchantes, comme chez Euripide (v. 1291 et 1371). Les réseaux de significations s’unissent dans cette idylle mythologique au salut hymnique revisité par l’emploi de l’optatif, χαίροι (v. 33), utilisé aussi par Callimaque dans son Hymne à Délos (v. 326). Le jeu sur l’hypotexte, très subtil, sollicite la participation critique du lecteur, en une riche πολυειδία qui réfracte l’altérité du dieu en une multiplicité de doubles poétiques.

Si le Dionysos de l’Idylle 26 incarne la riche figure de l’autre, il arrive aussi que Pan et Dionysos se rencontrent…

3. Pan et Dionysos : figures poétiques et mythiques de l’autre

 

Le jeu théâtral dans le monde bucolique

Dans l’Idylle 26, Dionysos préside aux « concours sacrés » (v. 112) et Théocrite se plaît à transposer cette activité dans le monde bucolique, en un riche jeu sur les niveaux de fiction. Ainsi, l’Idylle 6 nous montre « Daphnis le bouvier » et Damoitas rassembler leurs troupeaux pour s’adonner au chant en un agôn amical (v. 1-5) ; ce premier niveau de fiction mélange habilement effet de réel et ouverture sur le mythe, à travers la mention de Daphnis, qui évoque l’Idylle 1.

Puis le rideau se lève sur une autre scène, enchâssée dans la précédente : Daphnis, locuteur anonyme, s’adresse à Polyphème et attire son attention sur les avances que lui fait Galatée ; Damoitas lui répond en prenant l’identité du Cyclope. Nous entrons ainsi dans une nouvelle strate de fiction dans laquelle le mythe devient réalité, tandis que la personnalité des chanteurs s’altère comme celle des acteurs au théâtre22. Le jeu de rôle s’ouvre parfois, l’espace d’un vers, sur un troisième niveau mimétique lorsque Galatée prend la parole pour tancer le Cyclope à la manière du Priape de l’Idylle 1.

Mais si Théocrite délègue sa parole à ses pâtres qui, à leur tour, la délèguent à leurs personnages en une spirale digne de Dionysos, il établit aussi une relation humoristique avec son lecteur capable d’apprécier le jeu sur la symbolique des pommes que Galatée lance aux moutons de Polyphème (v. 6-7) : ce traditionnel cadeau d’amour23 évoque les « pommes de Dionysos » (2, 120) capables, « d’après les poètes alexandrins, de faire naître l’amour24 » ; c’est donc la sève vitale et l’ardeur sexuelle des moutons que Galatée se propose de réveiller, comme pour indiquer qu’elle n’est pas, elle, δύσερως… La scène se teinte d’une ironie moqueuse, qui atteste de ce plaisir que Théocrite donne à ses lecteurs et qu’il prend, lui, à jouer avec ses personnages.

Le vin de Dionysos et la bestialité de Pan : l’Idylle 7

La fête offerte par Phrasidamos, à la fin de l’Idylle 7, offre un autre exemple de ce jeu sur les symboliques de Pan et de Dionysos. La vue d’une jarre de vin provoque chez Simichidas le souvenir du vin mythique offert par Dionysos à Pholos et que « dans l’antre rocheux de Pholos, le vieux Chiron dressa pour Héraclès » (v. 149-150). Chiron, incarnation de la bestialité, en tant que centaure, et de la paideia, en tant qu’éducateur, représente un substitut mythique de Pan. La présence d’Héraclès, dont le statut oscille entre tragique et comique, renforce l’étrangeté de l’ensemble. Les repères se brouillent dans cette caverne rocheuse qui projette sur le mur l’image défigurée d’un Pan-Centaure, tandis que résonne le rire silencieux de Dionysos, présent dans le cratère tragique qui contient le vin.

Simichidas demande ensuite aux Nymphes si c’est « un pareil nectar qui a fait danser Polyphème dans sa bergerie » (v. 151-153). Possédé par l’esprit dionysiaque du vin, le Cyclope se livre à une danse satyrique25 qui fait fusionner le bond de Pan et la transe de Dionysos. Tel est le pouvoir du vin, ἔπεισε, capable de transformer le monstre homérique en danseur symposiaque. Tel est aussi le pouvoir de la poésie qui peut mêler le vin du mythe à l’eau des Nymphes et figer un moment d’extase dans une image bucolique. Car la pratique des Muses apporte véritablement l’ἁσυχία, la paix de l’esprit et du corps, dans le vécu intense de l’éphémère instant. C’est pourquoi Théocrite n’évoque pas les conséquences dramatiques de l’hospitalité de Chiron ni de la danse du Cyclope.

Jouant de la distanciation, qui oppose la connaissance du lecteur à l’innocente joie de ses personnages, Théocrite unit le symbolisme de Pan à celui de Dionysos pour tisser sur la trame du poème les figures éternelles de la vie et de l’art.

Le sourire de Lycidas

La rencontre de Pan et de Dionysos prend avec Lycidas une dimension poétique. Théocrite souligne son apparence de chevrier, lui met à la main une houlette, attribut traditionnel de Pan, et fait de lui un « joueur de syrinx hors pair » (v. 28), comme Pan.

Masque ambigu que suggère le terme σεσαρώς26, son indéfinissable sourire, ὄμματι μειδιόωντι (v. 20), fait fusionner la malice de Pan, le rire grimaçant du satyre et le regard pétillant du Dionysos homérique, μειδιάων […] ὄμμασι κυανέοισι27, tout en signant la dimension ludique du poème.

De fait, l’échange verbal des personnages fait naître le sourire du lecteur28, amusé par ce jeu de rôles29 dans lequel Lycidas, le maître divin, guide et consacre Simichidas, qui se coule avec une docile ironie dans sa fonction de disciple modeste. La scène mêle allusions homériques30, hésiodiques31 et platoniciennes32 en un subtil jeu sur l’inversion épique33 qui prend l’allure d’une véritable allégeance poétique.

Conclusion

 

Images poétiques du même et de l’autre, Pan et Dionysos incarnent, chacun à leur façon, la bête qui sommeille en nous et qu’il faut savoir à la fois aimer et dominer pour trouver la paix de l’ἁσυχία. Mais ces figures mythiques disent aussi le mystère de la poésie, étincelle divine qui fait éclater le moi en une multiplicité d’autres, bruissement de voix poétiques orchestrées par le travail de l’écrivain, au sein d’un réseau complexe d’intertextualités et de réécritures, sur lequel se greffe cet autre qu’est le lecteur, lui-même « ondoyant et divers », soumis à cet autre vecteur de la connaissance poétique qu’est le temps. Il s’agit là d’une étrange synergie qui mêle le conscient à l’inconscient, une subtile figure de l’autre, qui défie l’analyse et que, décidément, nous n’aurons jamais fini d’apprivoiser…

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Figures de l’étranger autour de la Méditerranée antique : à la rencontre de l’Autre, Actes du colloque UPPA-CRPHL Antiquité méditerranéenne : à la rencontre de « l’Autre » : Perceptions et représentations de l’étranger dans les littératures antiques, M.-F. Marein, P. Voisin, J. Gallego (éds.), CRPHL, Paris, L’Harmattan, 2010, p. 529-537.

Notes

  1. Idylles 1, 3 à 7, 10 et 11, à l’exclusion de 8-9, inauthentiques ; cf. Ph. E. Legrand, Bucoliques grecs, II, Paris, Les Belles Lettres, CUF, 1927, p. 22-29 ; A. S. F. Gow, Theocritus, II, Cambridge Univ. Press, 1952, p. 170-171 et 185-186
  2.  A. P., 16, 17.
  3. Ep., 5, 6.
  4. Cf. Ph. Borgeaud, Recherches sur le dieu Pan, Bibliotheca Helvetica Romana, XVII, 1979, p. 263 ; P. Chantraine, Dictionnaire étymologique de la langue grecque, Paris, Klincksieck, 1999 ; A. Ernout et A. Meillet, Dictionnaire étymologique de la langue latine, Paris, 2001, pasco, p. 486
  5. Cf. Euripide, Hélène, v. 187-190.
  6. Ph. Borgeaud, p. 116-117, élargit au « phallus » le sens premier de τρύπανον, « instrument pour percer ».
  7. C. Saint-Blanquet, Généralités sur la thermodynamique, http://www.sciences.univ-nantes. fr/physique/perso/blanquet/thermo2005.
  8. Cf. Ph. E. Legrand, I. Théocrite, p. 220, et Gow, II, p. 555-556
  9. Pan et le cauchemar, Imago, Paris 1972 (trad. française 1979)
  10. Cf. Ph. Borgeaud, p. 181.
  11. Cf. Chr. Kossaifi, « Le rire de Pan. Entre mythe et psychanalyse », Rire et mythes : Humoresques, 24, 2006, p. 35-54.
  12. Cf. Chr. Kossaifi, « Daphnis et Daphné. Mythe et poésie dans l’Idylle I de Théocrite », p. 134-137 et 139-143, BAGB, 1, 2005, p. 113-144.
  13. Lycaon : roi métamorphosé en loup (sacrifie son petit-fils à Zeus Lykaios), père de Callisto, assimilée à Héliké, mère de deux jumeaux, Arcas et Pan, métamorphosée en ourse puis en constellation. Cf. Chr. Kossaifi, « Aux origines mythiques de l’Arcadie. La symbolique du sacrifice d’Arcas par Lycaon », 2. 1, Expositions, sacrifices et ragoûts d’enfants, Colloque international, octobre 2008, Clermont-Ferrand, à paraître.
  14. Cf. Chr. Kossaifi, « L’onomastique bucolique dans les Idylles de Théocrite. Un poète face aux noms », p. 358-361, REA, 104, 2002, n° 3-4, p. 349-361
  15. Sur l’ἁσυχία théocritenne, cf. Chr. Kossaifi, Recherches sur la poétique de Théocrite, Presses Universitaires du Septentrion, Lille, 1998, p. 272-286 et passim, et « Les Idylles bucoliques de Théocrite : une poétique du bonheur », Ancient World and Archeology, 2009, à paraître.
  16. Cf. Ph. Borgeaud, p. 106-114.
  17. M. Detienne, Dionysos à ciel ouvert, Paris, 1986, p. 21
  18. Cf. M. Detienne, p. 73-84 et 89-99
  19. Cf. P. Chantraine, p. 1236
  20. S. Wyler, « Faire peur pour rire ? Le masque des Erotes », p. 104, dans La part de l’œil, 23, 2008, p. 104-121
  21. Cf. Chr. Cusset, Les Bacchantes de Théocrite, Paris, 2001, p. 74.
  22. Cf. M. Payne, Theocritus and the Invention of Fiction, Cambridge, Univ. Press, 2007, p. 92-100.
  23. Cf. R. Hunter, Theocritus. A Selection, Cambridge, 1999, p. 113-114.
  24. Ph. E. Legrand, I, p. 102, et Gow, II, p. 57
  25.  Cf. P. Zanker, Un art pour le plaisir des sens. Le monde figuré de Dionysos et d’Aphrodite dans l’art hellénistique, Paris, 2001, p. 20-27.
  26. Pour G.W. Lawall, Theocritus’ Coan Pastorals, Washington D.C., 1967, p. 80-84, Lycidas est un satyre ; pour E. L. Brown, Pan : « The Lycidas of Theocritus’ Idyll 7 », HSCP, 85, 1981, p. 59-100.
  27. H. Hom. Dionysos, (I), v. 14-15.
  28. Cf. Chr. Kossaifi, « Érudition et humour dans les Idylles bucoliques de Théocrite », p. 56-57, passim, A.C., 77, 2008, p. 41-59.
  29. Cf. L. Plazenet, « Théocrite : idylle 7 », p. 80, AC, 63, 1994, 77-108
  30. Cf. U. Ott, Die Kunst des Gegensatzes in Theokrits Hirtengedichten, Spudasmata, Olms Hildesheim, 1969, p. 138-142.
  31. Théog., v. 22-31.
  32. Cf. A. Billault, « Théocrite et Platon : remarques sur l’Idylle VII », REG, 121, 2, 2008, p. 497-513.
  33. Concomitant d’un jeu sur la subversion épique : cf. D. Halperin, Before Pastoral. Theocritus and the Ancient Tradition of bucolic Poetry, New Haven et Londres, 1983, p. 237, et Chr. Kossaifi, « Érudition… », p. 41-47.
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