Version grecque traduite et commentée : EURIPIDE, Le Cyclope, v. 316 sq Des paroles d'incroyants

 

(Réponse de Polyphème, le cyclope, quand Ulysse, qu’il s’apprête à dévorer, le menace des vengeances divines)

 

ὁ πλοῦτος͵ ἀνθρωπίσκε͵ τοῖς σοφοῖς θεός͵

τὰ δ΄ ἄλλα κόμποι καὶ λόγων εὐμορφίαι.

Ζηνὸς δ΄ ἐγὼ κεραυνὸν οὐ φρίσσω͵ ξένε͵

οὐδ΄ οἶδ΄ ὅ τι Ζεύς ἐστ΄ ἐμοῦ κρείσσων θεός.

οὔ μοι μέλει τὸ λοιπόν· ὡς δ΄ οὔ μοι μέλει͵

ἄκουσον. ὅταν ἄνωθεν ὄμβρον ἐκχέῃ͵

ἐν τῇδε πέτρᾳ στέγν΄ ἔχων σκηνώματα͵

ἢ μόσχον ὀπτὸν ἤ τι θήρειον δάκος

δαινύμενος͵ εὖ τέγγων τε γαστέρ΄ ὑπτίαν͵

ἐπεκπιὼν γάλακτος ἀμφορέα͵ πέπλον

κρούω͵ Διὸς βρονταῖσιν εἰς ἔριν κτυπῶν.

ὅταν δὲ βορέας χιόνα Θρῄκιος χέῃ͵

δοραῖσι θηρῶν σῶμα περιβαλὼν ἐμὸν

καὶ πῦρ ἀναίθωνχιόνος οὐδέν μοι μέλει.

ἡ γῆ δ΄ ἀνάγκῃ͵ κἂν θέλῃ κἂν μὴ θέλῃ͵

τίκτουσα ποίαν τἀμὰ πιαίνει βοτά.

ἁγὼ οὔτινι θύω πλὴν ἐμοί͵ θεοῖσι δ΄ οὔ͵

καὶ τῇ μεγίστῃ͵ γαστρὶ τῇδε͵ δαιμόνων.

ὡς τοὐμπιεῖν γε κἀμφαγεῖν τοὐφ΄ ἡμέραν

Ζεὺς οὗτος ἀνθρώποισι τοῖσι σώφροσιν.

 

EURIPIDE  Le cyclope  v. 316 sq

Le cyclope est un drame satyrique (la présence des satyres – sabots, queue, et oreilles de cheval- qui forment le chœur de la pièce rappelle les origines dionysiaques du théâtre). Ce genre satyrique, à mi-chemin entre tragédie et comédie allie le sérieux au plaisant. Le sujet de la pièce vient du chant IX de l’Odyssée. L’action suit le récit homérique : mais, s’inspirant d’Hésiode, qui avait fait des cyclopes les forgerons de la foudre de Zeus, Euripide situe la scène en Sicile, au pied de l’Etna. Les cyclopes sont ici des sauvages sanguinaires, et sont loin de vivre de laitages comme dans Homère. Polyphème est un géant brutal, mais il n’est pas cet être « désocialisé » comme dans ce pays de nulle part où le rencontre l’Ulysse homérique : il a entendu parler du rapt d’Hélène et de la guerre de Troie et son impiété brutale s’est transformée en un matérialisme sommaire. Dans cette pièce, Euripide se livre à sa fantaisie, comme à son goût pour une nature à la fois sauvage et riante (montagne, eaux vives, fleurs printanières…) Silène, le satyre serviteur de Polyphème, est un valet de comédie, prêt à trahir son maître pour la moindre coupe de vin. C’est donc une pièce légère, plaisante, ce qui n’empêche pas que par endroits des sujets sérieux, ou un style tragIque n’apparaissent. Bon exemple de mélange des genres réussi.

Dans cette tirade, le cyclope Polyphème  se fait le porte- parole de ces incroyants libertins (on ne peut pas dire « athées »), qui se moquaient effrontément des dieux et de la religion. Ce sont les théories de ces libertins, poussées jusqu’au matérialisme le plus grossier, qu’Euripide, usant de la liberté concédée aux poètes comiques, prête au cyclope, au moment où il répond à Ulysse qui le met en garde contre la vengeance des dieux de l’hospitalité. Euripide développe dans un sens matérialiste qui correspond à l’actualité de son époque quelques vers d’Homère, où le cyclope sûr de sa force affirme qu’il ne craint pas les dieux ; cependant bien que Polyphème encense la richesse, (v.1) la vie décrite ici n’est pas vraiment celle d’un homme riche, mais plutôt d’un goinfre bon-vivant qui trouve son bonheur dans des joies simples au cœur  d’une nature bienveillante et nourricière : derrière le cyclope on entend la voix du poète Euripide, si sensible aux beautés et aux bontés de la Nature. Et on ne peut s’empêcher d’éprouver quelque sympathie pour ce cyclope qui chante les joies de la vie naturelle.

 

Vers 1 à 4 :

La richesse, mon petit homme, voilà le dieu des gens intelligents.

Le reste n’est que boniments et bonnes paroles.

Zeus, moi, sa foudre ne me fait pas trembler, étranger ;

Et je ne sache pas en quoi Zeus est un dieu plus puissant que moi.

 

  • Le mot de σοφός dans la bouche du cyclope qui est tout sauf « sage » ne peut être traduit par « sage » ; il faut préférer le sens d’ « habile » ou d’ « intelligent ».
  • Dans la tragédie, l’ordre des mots est chargé de sens, il est lié à l’oralité du théâtre, donc il faut essayer de le garder.
  • La locution ὅ τι en deux mots veut dire « en quoi » (acc. de relation).

 

Vers 5 à 11

Du reste, je m’en moque, et comment je m’en moque,

Ecoute ! Quand du haut du ciel, il verse la pluie,

Cette grotte me procure un abri bien clos ;

Un rôti de veau, ou de quelque bête sauvage

Fait mon régal ; le ventre en l’air, je m’humecte bien l’estomac,

En vidant là-dessus une pleine amphore de lait, et mon péplos

Retentit de grondements à rendre jaloux le tonnerre de Zeus.

 

  • Après le verbe ἀκούω au sens  d’« écouter », le ὡς ne peut qu’introduire une interrogative indirecte. C’est donc un adverbe de manière introduisant une interrogative indirecte.
  • Ce n’est pas parce que le texte est facile, qu’il faut traduire un mot sur deux : le cyclope insiste bien sur un toit « sec » quand il pleut (c’est le sens du mot στέγνος).
  • Il me semble que les participes ne sont pas tous au même plan : ἐπεκπιὼν définit le participe τέγγων : imbibant mon ventre en buvant… etc.
  • L’expression πέπλον κρούω est difficile à traduire, mais l’allusion à la rivalité avec Zeus pour le tonnerre ne laisse aucun doute sur le genre d’incongruités produites à travers le vêtement. ; ici, le sens est à peu près « pousser pour mettre en mouvement », comme si le péplos se mettait en mouvement (et faisait résonner un son) sous l’effet du tonnerre du ventre, qui, émanant d’un géant, ne peut que faire un vacarme effroyable.

 

Vers 12 à 16

Quand Borée de Thrace répand la neige,

Des peaux de bêtes m’enveloppent le corps,

Mon feu flambe, et la neige, je m’en moque.
la terre est bien forcée, bon gré, mal gré

De faire pousser l’herbe qui engraisse mon bétail

 

  • Le mot δορά vient du verbe δέρω, écorcher : il s’agit des peaux de bêtes dont le cyclope se couvre en hiver.
  • Cette langue simple du cyclope, il ne faut pas la rendre abstraite ; donc ne pas rajouter de conjonctions de subordination, et surtout garder cet ordre naturel et très parlé de la phrase : on n’est plus chez les orateurs !
  • Le mot τἀμὰ est une crase pour τὰ ἐμὰ.

 

Vers 16 à 20

Mais ce bétail, je ne l’offre en sacrifice qu’à moi, pas aux dieux, non !

A la plus grande des divinités, à mon ventre !

Car le boire et le manger de chaque jour

C’est cela le Zeus des gens raisonnables !

 

  • Le vers commence par un relatif de liaison à l’accusatif relié au personnel par une crase : ἁγὼ est mis pour ἃ ἐγώ : ce relatif de liaison reprend le mot neutre βοτά.
  • La conjonction ὡς dans le contexte a un sens explicatif ; la meilleure traduction est donc « car » ; il est impossible que ce soit un adverbe ; le mot serait accentué.
  • Le mot « Zeus » est en fait l’attribut du pronom οὗτος qui devrait être au neutre (cela, c’est le Zeus des gens avisés), mais qui s’accorde avec son attribut donc se met au masculin.
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