Thésée, héros vainqueur du Minotaure La mémoire d’une cité…

Thésée, un héros sans véritable épopée

L’histoire de Thésée n’a jamais donné lieu à une véritable épopée dans la littérature grecque. Sans doute sa victoire sur le Minotaure, l’amour d’Ariane, son amitié avec Pirithoos ont-ils été chantés en Attique mais nous n’en avons pas de trace. Quant à la Théséide (VIè siècle), mentionnée par Aristote et Plutarque, elle aurait été une médiocre œuvre épique… Il reste quelques fragments d’une petite épopée de Callimaque (IIIè siècle avant J.-C.), nommée Hécalé : elle évoque la légende selon laquelle Thésée fut accueillie chez cette vieille femme éponyme, la veille de son combat avec le taureau de Marathon. De même, dans la littérature latine, Thésée apparaît peu comme un héros épique. Même s’il est mentionné à plusieurs reprises dans le chant VI de L’Enéide de Virgile, ce n’est que rapidement. Enfin, son rôle n’est pas central dans la Thébaïde de Stace (90 après J.-C.). À Rome, il a même tendance à s’effacer tandis que la figure d’Ariane est développée…

 

Thésée, une source d’inspiration pour les auteurs de l’Antiquité à nos jours

Mentionné dans I’Iliade par Nestor (I, v. 265-267) et dans l’Odyssée (XI, 322-324 et 631), Thésée est surtout connu grâce à des historiens, orateurs ou philosophes qui ont développé une image plutôt flatteuse du héros. Thucydide le présente même comme un roi historique (Histoire du Péloponnèse, II, 15, 1-21). Isocrate en fait un long éloge dans son Éloge d’Hélène. Platon conteste les enlèvements d’Hélène et de Perséphone dans la République (III, 391 c). C’est surtout dans la tragédie qu’une place lui est faite : dans Œdipe à Colone de Sophocle où il accueille un homme incestueux, rejeté de tous, ou dans diverses pièces d’Euripide, Hippolyte porte-couronne, Les Suppliantes ou Héraclès furieux. Il faut ensuite attendre Plutarque, dans la Grèce du second siècle, qui lui consacre une importante biographie. À Rome, la poésie lyrique met de plus en plus en avant Ariane, tandis que Sénèque met en lumière Phèdre dans sa tragédie. Au Moyen Âge, il devient « le duc d’Athènes » et dans la littérature religieuse et savante, il est assimilé au Christ. 

Souvent mis en scène au XVIIè et au XVIIIè siècles, ce n’est vraiment qu’au XXè siècle que Thésée retrouve une véritable ampleur avec la réactualisation du mythe du labyrinthe. André Gide, Marguerite Yourcenar, ou encore Michel Butor convoquent cette figure.

 

Thésée ou l’être de l’oubli

L’action de Thésée et son parcours semblent conditionnés par l’oubli. Peu après sa sortie du labyrinthe, sur l’île de Naxos ou de Dia, il oublie Ariane. À l’approche des côtes de l’Attique, il oublie la promesse faite à son père en ne hissant pas les voiles blanches. Aux enfers (que l’on peut analyser comme une reprise de l’épreuve du labyrinthe), il est amené à s’asseoir sur le siège ou le rocher de l’oubli après avoir tenté d’enlever Perséphone avec Pirithoos. Il oublie tout jusqu’à l’intervention d’Héraclès qui lui permet de s’en échapper. Mais Thésée ne retrouve pas tout à fait sa place parmi les vivants : son trône a été usurpé et il est contraint à l’exil, autre forme de mort pour les Anciens. Sa mort politique s’accompagne bientôt d’une mort physique puisque Lycomède le précipite du haut d’un rocher. Ainsi, l’oubli semble être la condition de l’action mais il est aussi associé à la mort : mort d’Ariane dans la légende homérique (Odyssée, XI, v. 321 sq.), mort d’Égée, mort de Pirithoos et mort de Thésée enfin… 

 

Thésée, un héros transfiguré au fil du temps

La figure de Thésée évolue au fil du temps : après des aventures héroïques et amoureuses durant lesquelles il extermine brigands et monstres à l’instar d’Héraclès, il devient le sauveur d’Athènes, réalisant une pure ambition politique. Il n’est plus cet aventurier qui finit fort mal après avoir tenté d’enlever Perséphone. Devenant un modèle des plus grandes vertus, les aspects scabreux de son histoire sont atténués, passés sous silence voire réfutés dans la littérature comme dans la céramique, qu’il s’agisse de l’abandon d’Ariane et des enlèvements d’Antiope, d’Hélène ou de Perséphone. Il ne peut s’être livré à ces actes peu honorables voire criminels… Il peut alors être perçu comme la préfiguration de Clisthène voire de Périclès. Il incarne l’idéal d’Athènes.

 

Thésée et le lit de Procuste

Dernier exploit de Thésée en route de Trézène vers Athènes, l’élimination de Procuste (ou Procruste, « celui qui martèle pour allonger », selon Diodore de Sicile) donne lieu à diverses références culturelles ultérieures. Cette légende sert notamment d’illustration pour évoquer une tendance à l’uniformisation. L’expression « le lit de Procuste » désigne une volonté de réduire les individus à une façon unique de penser ou d’agir. Plusieurs auteurs convoquent cette métaphore, notamment Edgar Allan Poe dans La Lettre volée ou Aldous Huxley dans la préface du Meilleur des Mondes. Plusieurs écrivains choisissent encore cette expression comme titre : Léon Daudet, André Kédros voire plus récemment Nassim Nicholas Taleb.

Une ascendance royale et divine

Thésée est né à Trézène, dans le Péloponnèse, sur la côte Nord de l’Argolide. Son père est Égée, le roi d’Athènes, et sa mère est Aithra (Æthra ou Éthra selon les graphies), la fille de Pitthée, le roi de Trézène. Mais on lui donne aussi pour père le dieu Poséidon. 

On raconte, en effet, qu’Égée n’avait pas eu de fils de ses précédentes unions. Il consulte alors l’oracle de Delphes et la Pythie, prêtresse du dieu Apollon, lui recommande de ne pas délier le pied qui sort de l’outre avant d’être parvenu à Athènes. Cet oracle, rapporté par Euripide, Apollodore et Plutarque, n’est pas compris d’Égée qui reprend sa route vers Athènes. En chemin, il s’arrête chez Pitthée, « l’homme le plus sage et le plus savant qui fût de son temps » (Plutarque, Thésée, III, 2) et il lui fait part de cette réponse divine. Pitthée, qui en comprend le sens, enivre son hôte et fait en sorte qu’Égée s’unisse à sa fille Aithra. Selon Apollodore (Bibliothèque, III, 15, 7), la jeune princesse aurait eu une autre relation sexuelle avec Poséidon la même nuit… Pausanias (II, 33, 1) rapporte qu’elle se serait rendue sur l’île de Sphairia. La venue de la jeune femme y aurait été guidée par un songe trompeur, envoyé par Athéna qui aurait ainsi favorisé son étreinte charnelle avec le dieu des mers et des océans. 

Thésée naît de ces deux unions sans qu’il soit possible de déterminer qui est son père. Il est donc à la fois fils de dieu et fils de roi. Son ascendance divine annonce sa puissance et ses exploits à venir. Son ascendance royale, quant à elle, lui procure une future légitimité politique. 

 

Premier épisode : Les exploits d’un jeune aventurier

Égée quitte Aithra enceinte. Auparavant, il lui recommande d’élever, à Trézène, leur fils dont la vie est menacée à Athènes par ses rivaux. Il cache, sous un rocher, deux symboles : ses sandales et son épée dans le but de faciliter la reconnaissance de son fils Thésée lorsque ce dernier sera en capacité de soulever l’énorme pierre et de le rejoindre à Athènes. 

Alors que Thésée est devenu un jeune homme vigoureux, sa mère l’amène devant le rocher et lui révèle le secret de sa naissance. La découverte des deux insignes royaux vient lui confirmer la révélation maternelle de sa filiation et de son statut princier. Aithra engage, en outre, son fils à se rendre à Athènes. Mais, malgré ses conseils et ceux de son grand-père Pitthée, il délaisse la voie maritime, portant plus sûre, pour privilégier la voie terrestre, infestée de brigands…

Ce voyage et ces exploits face à ces hommes sans foi ni loi deviennent surtout populaires à partir de 500 avant J.-C. et constituent le fait marquant de la première période de son existence. Soucieux d’égaler son héroïque cousin Héraclès qu’il admire, Thésée affronte successivement les brigands Périphétès et Sinis, puis la laie de Crommyon, Skiron, Cercyon et enfin Procuste (L’ordre de ces exploits, adopté par Apollodore et Plutarque, diffère chez Pausanias et Hygin.). Ainsi, le jeune Thésée tue Périphétès qui veut l’empêcher de passer puis prend pour arme la massue avec laquelle le bandit tuait les passants à Épidaure. Dans l’isthme de Corinthe, le héros fait subir à Sinis le sort qu’il infligeait aux voyageurs jusqu’à présent : selon certaines versions, le brigand attachait un bras ou une jambe de sa victime à deux pins qu’il courbait puis lâchait les deux arbres qui, en se redressant, emportaient les membres liés ; dans d’autres versions, il attrapait certains voyageurs et les poussaient à courber avec lui un pin qu’il lâchait, envoyant ainsi au loin la victime qui s’écrasait contre le sol. Entre Corinthe et Mégare, Thésée tue ensuite la laie de Crommyon d’un coup d’épée ou de massue selon les auteurs. Selon une tradition tardive de la légende rapportée par Plutarque, le monstre serait une femme criminelle, « adonnée au brigandage, sanguinaire et débauchée ». Puis, sur la côte rocheuse, près de Mégare, Thésée tue Skiron qui forçait les voyageurs à lui laver les pieds et qui les jetait dans la mer une fois qu’ils étaient accroupis. Le héros attrape le malfaiteur par les jambes et le précipite sur les écueils. À Éleusis, il vainc à la lutte Cercyon qui imposait cette pratique sportive aux voyageurs avant de les étouffer, et il l’écrase après l’avoir lancé contre le sol. Enfin, Thésée tue non loin de là le père de Sinis, le brigand Procuste ou Procruste, nommé encore Damastès ou Polypémon chez Apollodore. Cet individu sadique contraignait les voyageurs de grande taille à s’étendre sur un petit lit et leur coupait les pieds à coups de hache pour les mettre à la bonne dimension, tandis qu’il faisait installer les plus petits sur un grand lit et leur étirait les membres avec un marteau. Diodore de Sicile mentionne, quant à lui, l’existence d’un seul lit. Tout au long de ces prouesses, Plutarque met en avant les qualités physiques, intellectuelles et morales du héros (Vie de Thésée). Jeune et inexpérimenté au départ de Trézène, Thésée arrive à Athènes, prêt à devenir le sauveur et le civilisateur que nous connaissons.

 

Deuxième épisode : Une reconnaissance périlleuse à Athènes

Lorsque Thésée parvient à Athènes, son père est marié à Médée qu’il a accueillie après la vengeance meurtrière de cette dernière à Corinthe. Elle lui a donné un fils, Médos, pour lequel elle nourrit un destin royal… Elle devine l’identité de Thésée, complote contre lui auprès d’Égée et tente de l’éliminer à l’aide d’une coupe empoisonnée lors d’un banquet auquel le jeune homme est convié. Mais au moment où Thésée laisse voir son épée, son père l’identifie et renverse immédiatement le vin mortel. Tandis qu’il est officiellement reconnu par Égée, Médée est chassée et part vers sa Colchide natale avec Médos. 

C’est alors que Thésée doit éliminer ses cousins, les Pallantides (les cinquante fils de Pallas) qui lui disputent son trône. 

Par la suite, deux exploits permettent au jeune homme de se rendre populaire auprès des Athéniens qui le regardaient jusque-là plutôt comme un étranger : il capture et sacrifie à Apollon ou à Athéna le taureau de Marathon qui ravageait la campagne attique, et il décide de s’embarquer en Crète avec les jeunes gens envoyés comme tribut au roi Minos…

 

Troisième épisode : Le vainqueur du Minotaure en Crète

Depuis la mort de son fils Androgée que Minos impute aux Athéniens et sa victoire sur ces derniers, le roi crétois leur impose un tribut : Athènes doit lui livrer chaque année ou tous les neuf ans (selon les versions) sept jeunes filles et sept jeunes hommes qui seraient donnés en pâture au Minotaure, ce monstre hybride mi-homme mi-taureau, caché dans le labyrinthe de Dédale, ou condamnés à la captivité selon différentes traditions (Plutarque, Vie de Thésée, XV, 1 sq.). Décidé à mettre fin à ce terrible sacrifice, Thésée s’engage comme volontaire malgré les supplications de son père Égée. Durant sa traversée vers la Crète, le héros athénien se serait vanté devant Minos d’être fils de Poséidon. Le roi crétois lui aurait alors demandé de prouver sa filiation divine en allant cherchant au fond de la mer l’anneau qu’il y aurait jeté. Cette scène marine où la déesse Amphitrite, l’épouse du dieu des mers et des océans, remet au héros la bague de Minos (voire en plus une couronne lumineuse) est notamment représentée dans la céramique. 

Dès son arrivée à Cnossos, avec l’aide d’Aphrodite, il inspire l’amour à Ariane, la fille du roi Minos et de la reine Pasiphaé. La jeune princesse lui confie diverses informations et une pelote de fil, fournies par Dédale, le concepteur du labyrinthe dans lequel se trouve le Minotaure. C’est ainsi que le jeune héros peut retrouver la sortie de l’ingénieuse prison et triompher de cette épreuve. Dans sa Bibliothèque, Apollodore précise qu’Ariane, passionnément éprise du jeune homme, fait don de la pelote de fil en échange d’une promesse de mariage. Dans une autre version, elle lui remet une couronne, représentée notamment dans le « Vase François », un cratère grec du VIè siècle avant J.-C. Une fois le Minotaure tué, la jeune femme s’enfuit avec le jeune Athénien afin d’éviter la colère de son père Minos mais elle est abandonnée sur l’île de Naxos ou de Dia. Quant aux raisons de cet abandon, elles divergent selon les auteurs. 

Après cet oubli volontaire ou contraint, Thésée consacre à Délos une statue à Aphrodite en souvenir de l’amour d’Ariane et de la victoire sur le Minotaure (Callimaque, Hymne à Délos). Il y exécute, en compagnie de jeunes gens, une danse dite de la « grue » qui mime les circonvolutions du labyrinthe (à moins que cette chorégraphie n’ait eu lieu sur le sol crétois comme le pensent certains spécialistes dont Charles Dugas). À l’approche des côtes attiques, Thésée oublie de changer les voiles noires de son navire pour hisser les blanches, annonciatrices de son triomphe, comme il l’avait promis à son père Égée. Ce dernier, qui guettait son retour, voit l’embarcation aux couleurs funestes et se jette de désespoir dans la mer qui, depuis, porte son nom. 

 

Quatrième épisode : Thésée et les femmes, une succession mouvementée d’enlèvements et d’unions…

De retour à Athènes sans Ariane, Thésée succède alors à son père Égée qui s’est suicidé et il dirige la cité. Par la suite, il affronte les Amazones, un peuple de femmes guerrières. Dans sa Vie de Thésée, Plutarque raconte deux traditions à ce sujet. Dans la première, Thésée accompagne Héraclès dans son expédition navale chez les Amazones et conquiert pour son cousin la ceinture de leur reine, l’aidant ainsi à réaliser l’un de ses douze travaux. L’Amazone Antiope aurait alors été « donnée » comme récompense à Thésée par Héraclès. Dans la seconde, majoritaire, Thésée se rend de son propre chef chez les Amazones et enlève leur reine. Il aurait eu de cette dernière, nommée Antiope ou Hippolytè selon les versions, un fils que l’on connaît sous le nom d’Hippolyte. L’enlèvement de la reine serait à l’origine de l’invasion de l’Attique par les Amazones et de la guerre dont Thésée sort victorieux (l’Amazonomachie). Combattant près du héros athénien, Antiope y aurait trouvé la mort de la main d’une Amazone, une certaine Molpadia. 

C’est après ce décès d’Antiope que Thésée aurait épousé Phèdre, la sœur d’Ariane. Diodore de Sicile raconte que Deucalion, frère d’Ariane et de Phèdre, devenu roi de Crète, aurait donné sa sœur en mariage à Thésée (Histoire universelle, IV, 62), sans doute pour consolider leur alliance. Plutarque évoque enfin une autre version : pour l’auteur de la Théséide, l’invasion des Amazones serait liée à leur volonté de venger leur reine, répudiée par Thésée pour épouser Phèdre. Toutefois, Plutarque accorde peu de crédit à ce récit. Après Ariane et Antiope, Phèdre s’unit donc à Thésée dont elle a deux fils : Acamas et Démophon.

Thésée surmonte également diverses péripéties avec Pirithoos. Lors du mariage de ce dernier avec Hippodamie, le héros athénien aide son ami à combattre les Centaures qui veulent enlever la jeune femme et il lui assure la victoire, à lui et à ses sujets, les Lapithes (la Centauromachie). Ensemble, Thésée et Pirithoos enlèvent, en outre, Hélène, princesse de Sparte, qui est encore une enfant, puis ils descendent aux enfers et se lancent, pour Pirithoos, dans une nouvelle tentative d’enlèvement : celle de Perséphone ! Hadès les amène à s’asseoir sur la chaise de l’oubli qui les retient prisonniers. Pirithoos y restera pour l’éternité tandis que Thésée est délivré par Héraclès quatre ans plus tard. Pendant ce temps, l’Attique est envahie par Castor et Pollux, venus délivrer à la tête d’une armée leur sœur Hélène. Ils mettent sur le trône d’Athènes Ménesthée. C’est alors que Phèdre nourrit une fatale passion pour Hippolyte, le fils que son époux a eu avec la reine des Amazones. Lorsque Thésée rentre enfin à Athènes, Phèdre s’est pendue après avoir accusé son beau-fils, sur des tablettes, d’avoir voulu la violenter. Elle déclenche ainsi la colère Thésée qui maudit son fils et provoque sa mort. 

Accablé par cette double perte et désespéré de ne pouvoir reprendre le gouvernement d’Athènes, il s’exile sur l’île de Skyros où le roi Lycomède le tue en le poussant du haut d’une falaise. 

 

Cinquième épisode : Thésée, une figure politique

Censé avoir vécu une génération avant la guerre de Troie (bien que sa lutte contre l’hégémonie du roi crétois Minos le situerait plutôt au XVème siècle), Thésée est le dixième roi mythique d’Athènes. On lui attribue le synœcisme des villages de l’Attique (réunion de ceux-ci en une seule entité politique), la mise en place de diverses institutions dont le Prytanée (foyer de la cité et lieu de réunion des magistrats) et un bâtiment du conseil uniques et communs à tous, ainsi que l’instauration des Panathénées (Plutarque, Vie de Thésée, XXIV, 1 sq.). Pausanias évoque, avec une certaine distance critique, le fait qu’il puisse être à l’origine d’un gouvernement fondé sur l’égalité : « En effet, l'opinion vulgaire veut que Thésée ait remis le gouvernement au peuple et que la démocratie ait subsisté jusqu'à l'usurpation de Pisistrate » (I, 3). 

À partir du Vè siècle avant J.-C., Thésée bénéficie d’un véritable culte d’état. Il est notamment célébré lors des Synoikia (fête de l’unité politique) ou des Oschophories. On lui consacre diverses statues. Avec les guerres médiques (de 490 à 479 avant J.-C.), le rayonnement de sa gloire s’étend. On raconte qu’il est apparu au secours des Grecs à Marathon. Ses os sont plus tard ramenés de Scyros à Athènes par Cimon et, dans le temple d’Héphaïstos appelé également « Theseion », on peut voir sur des fresques la Centauromachie et l’Amazonomachie dont la résistance victorieuse aux Amazones évoque l’invasion perse et le triomphe de l’Europe (la civilisation) sur l’Asie (la barbarie). Ainsi Thésée devient-il le modèle du patriotisme athénien. Dans la tragédie, chez Sophocle et Euripide, il devient l’exemple du chef d’État, soucieux de son peuple, et il s’oppose au tyran thébain Créon en permettant aux héros tombés devant Thèbes d’avoir une sépulture. 

Ce que Plutarque nous dit...

 

« Oὕτως ἐκείνῳ τοῦ Ἡρακλέους θαυμάζοντι τὴν ἀρετὴν καὶ νύκτωρ ὄνειρος ἦσαν αἱ πράξεις, καὶ μεθ´ ἡμέραν ἐξῆγεν αὐτὸν ὁ ζῆλος καὶ ἀνηρέθιζε, ταὐτὰ πράττειν διανοούμενον.

 

Thésée, admirant l'héroïsme d’Héraclès, rêvait la nuit de ses actions et, pendant le jour, poussé par l'émulation, il s'exaltait à la pensée de les égaler. »

 

Plutarque, Vies, Thésée, tome I, texte établi et traduit par R. Flacelière, E. Chambry et M. Juneaux, collection G. Budé, Les Belles Lettres, Paris, 1964.

Thésée, un héros sans véritable épopée

L’histoire de Thésée n’a jamais donné lieu à une véritable épopée dans la littérature grecque. Sans doute sa victoire sur le Minotaure, l’amour d’Ariane, son amitié avec Pirithoos ont-ils été chantés en Attique mais nous n’en avons pas de trace. Quant à la Théséide (VIè siècle), mentionnée par Aristote et Plutarque, elle aurait été une médiocre œuvre épique… Il reste quelques fragments d’une petite épopée de Callimaque (IIIè siècle avant J.-C.), nommée Hécalé : elle évoque la légende selon laquelle Thésée fut accueillie chez cette vieille femme éponyme, la veille de son combat avec le taureau de Marathon. De même, dans la littérature latine, Thésée apparaît peu comme un héros épique. Même s’il est mentionné à plusieurs reprises dans le chant VI de L’Enéide de Virgile, ce n’est que rapidement. Enfin, son rôle n’est pas central dans la Thébaïde de Stace (90 après J.-C.). À Rome, il a même tendance à s’effacer tandis que la figure d’Ariane est développée…

 

Thésée, une source d’inspiration pour les auteurs de l’Antiquité à nos jours

Mentionné dans I’Iliade par Nestor (I, v. 265-267) et dans l’Odyssée (XI, 322-324 et 631), Thésée est surtout connu grâce à des historiens, orateurs ou philosophes qui ont développé une image plutôt flatteuse du héros. Thucydide le présente même comme un roi historique (Histoire du Péloponnèse, II, 15, 1-21). Isocrate en fait un long éloge dans son Éloge d’Hélène. Platon conteste les enlèvements d’Hélène et de Perséphone dans la République (III, 391 c). C’est surtout dans la tragédie qu’une place lui est faite : dans Œdipe à Colone de Sophocle où il accueille un homme incestueux, rejeté de tous, ou dans diverses pièces d’Euripide, Hippolyte porte-couronne, Les Suppliantes ou Héraclès furieux. Il faut ensuite attendre Plutarque, dans la Grèce du second siècle, qui lui consacre une importante biographie. À Rome, la poésie lyrique met de plus en plus en avant Ariane, tandis que Sénèque met en lumière Phèdre dans sa tragédie. Au Moyen Âge, il devient « le duc d’Athènes » et dans la littérature religieuse et savante, il est assimilé au Christ. 

Souvent mis en scène au XVIIè et au XVIIIè siècles, ce n’est vraiment qu’au XXè siècle que Thésée retrouve une véritable ampleur avec la réactualisation du mythe du labyrinthe. André Gide, Marguerite Yourcenar, ou encore Michel Butor convoquent cette figure.

 

Thésée ou l’être de l’oubli

L’action de Thésée et son parcours semblent conditionnés par l’oubli. Peu après sa sortie du labyrinthe, sur l’île de Naxos ou de Dia, il oublie Ariane. À l’approche des côtes de l’Attique, il oublie la promesse faite à son père en ne hissant pas les voiles blanches. Aux enfers (que l’on peut analyser comme une reprise de l’épreuve du labyrinthe), il est amené à s’asseoir sur le siège ou le rocher de l’oubli après avoir tenté d’enlever Perséphone avec Pirithoos. Il oublie tout jusqu’à l’intervention d’Héraclès qui lui permet de s’en échapper. Mais Thésée ne retrouve pas tout à fait sa place parmi les vivants : son trône a été usurpé et il est contraint à l’exil, autre forme de mort pour les Anciens. Sa mort politique s’accompagne bientôt d’une mort physique puisque Lycomède le précipite du haut d’un rocher. Ainsi, l’oubli semble être la condition de l’action mais il est aussi associé à la mort : mort d’Ariane dans la légende homérique (Odyssée, XI, v. 321 sq.), mort d’Égée, mort de Pirithoos et mort de Thésée enfin… 

 

Thésée, un héros transfiguré au fil du temps

La figure de Thésée évolue au fil du temps : après des aventures héroïques et amoureuses durant lesquelles il extermine brigands et monstres à l’instar d’Héraclès, il devient le sauveur d’Athènes, réalisant une pure ambition politique. Il n’est plus cet aventurier qui finit fort mal après avoir tenté d’enlever Perséphone. Devenant un modèle des plus grandes vertus, les aspects scabreux de son histoire sont atténués, passés sous silence voire réfutés dans la littérature comme dans la céramique, qu’il s’agisse de l’abandon d’Ariane et des enlèvements d’Antiope, d’Hélène ou de Perséphone. Il ne peut s’être livré à ces actes peu honorables voire criminels… Il peut alors être perçu comme la préfiguration de Clisthène voire de Périclès. Il incarne l’idéal d’Athènes.

 

Thésée et le lit de Procuste

Dernier exploit de Thésée en route de Trézène vers Athènes, l’élimination de Procuste (ou Procruste, « celui qui martèle pour allonger », selon Diodore de Sicile) donne lieu à diverses références culturelles ultérieures. Cette légende sert notamment d’illustration pour évoquer une tendance à l’uniformisation. L’expression « le lit de Procuste » désigne une volonté de réduire les individus à une façon unique de penser ou d’agir. Plusieurs auteurs convoquent cette métaphore, notamment Edgar Allan Poe dans La Lettre volée ou Aldous Huxley dans la préface du Meilleur des Mondes. Plusieurs écrivains choisissent encore cette expression comme titre : Léon Daudet, André Kédros voire plus récemment Nassim Nicholas Taleb.

Voir aussi sur Odysseum :

 

Pistes d’étude ou de réflexion :

  • Le héros grec
  • Les amours tragiques
  • La figure du taureau
  • Le synœcisme athénien
  • La naissance de la démocratie
  • Mythe, rite, culte et politique

 

En deux livres : 

  • Plutarque, Vies, Thésée, tome I, texte établi et traduit par R. Flacelière, E. Chambry et M. Juneaux, collection G. Budé, Les Belles Lettres, Paris, 1964.
  • Claude Calame, Thésée et l’imaginaire athénien, « Légende et culte en Grèce antique », collection sciences humaines, éditions Payot Lausanne, 1996.
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