Texte et traduction : Virgile, le rameau d'or

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Dossier élaboré par 

Cécile Daude

Paulette Garret

Sylvie Pédroaréna

Brigitte Planty

sous la direction de Sylvie David

« Le rameau d’or », Virgile, Énéide, VI, 133-148 et 179-211  (texte latin établi par J. Perret, CUF, 1978)

 

Énée, rappelant le souvenir d’Orphée, de Pollux, de Thésée et d’Héraclès qui sont revenus vivants des Enfers, demande à la Sibylle le moyen de faire le même voyage. La prêtresse lui répond en ces termes.

 

« […] Quod si tantus amor menti, si tanta cupido est
bis Stygios innare lacus, bis nigra videre
135 Tartara, et insano juvat indulgere labori,
accipe quae peragenda prius. Latet arbore opaca
aureus et foliis et lento vimine ramus,
Junoni infernae dictus sacer ; hunc tegit omnis
lucus et obscuris claudunt convallibus umbrae.
140 Sed non ante datur telluris operta subire
auricomos quam quis decerpserit arbore fetus.
Hoc sibi pulchra suum ferri Proserpina munus
instituit. Primo avulso non deficit alter
aureus, et simili frondescit virga metallo.
145 Ergo alte vestiga oculis et rite repertum
carpe manu ; namque ipse volens facilisque sequetur,
si te fata vocant ; aliter non viribus ullis
vincere nec duro poteris convellere ferro. […] »

La Sybille prescrit ensuite à Énée d’ensevelir son compagnon Misène, qui était mort noyé et dont le corps s’était échoué au cap qui, depuis, porte son nom.

Itur in antiquam silvam, stabula alta ferarum ;
180 procumbunt piceae, sonat icta securibus ilex
fraxineaeque trabes cuneis et fissile robur
scinditur, advolvunt ingentis montibus ornos.
    Nec non Aeneas opera inter talia primus
hortatur socios paribusque accingitur armis.
185 Atque haec ipse suo tristi cum corde volutat
aspectans silvam immensam, et sic forte precatur :
« Si nunc se nobis ille aureus arbore ramus
ostendat nemore in tanto ! quando omnia vere
heu nimium de te vates, Misene, locuta est. »
190 Vix ea fatus erat geminae cum forte columbae
ipsa sub ora viri caelo venere volantes
et viridi sedere solo. Tum maximus heros
maternas agnovit avis laetusque precatur :
« Este duces, o, si qua via est, cursumque per auras
195 derigite in lucos ubi pinguem dives opacat
ramus humum. Tuque, o, dubiis ne defice rebus,
diva parens. » Sic effatus vestigia pressit
observans quae signa ferant, quo tendere pergant.
Pascentes illae tantum prodire volando
200 quantum acie possent oculi servare sequentum.
Inde ubi venere ad fauces grave olentis Averni,
tollunt se celeres liquidumque per aera lapsae
sedibus optatis geminae super arbore sidunt,
discolor unde auri per ramos aura refulsit.
205 Quale solet silvis brumali frigore viscum
fronde virere nova, quod non sua seminat arbos,
et croceo fetu teretis circumdare truncos,
talis erat species auri frondentis opaca
ilice, sic leni crepitabat brattea vento.
210   Corripit Aeneas extemplo avidusque refringit
cunctantem et vatis portat sub tecta Sibyllae.

« […] Mais si tu as dans ton âme une telle passion, un tel désir de naviguer deux fois sur les eaux mortes du Styx, de voir deux fois le noir Tartare, si tu veux te prêter à cette entreprise insensée, apprends ce qu’il te faut d’abord faire. Dans un arbre aux branches impénétrables, se cache un rameau dont la baguette souple et les feuilles sont en or. Il est "dit-on" consacré en propre à la Junon des Enfers. Tout un bois le cache, et les ombres le renferment au fond d’un vallon obscur. Mais il n’est donné à personne d’accéder aux profondeurs mystérieuses de la terre sans avoir d’abord détaché de l’arbre la pousse à la chevelure d’or. La belle Proserpine a exigé de recevoir cet hommage qui lui est dû. Une fois le premier rameau arraché, un autre ne manque pas de pousser et la branche se couvre de feuilles du même métal. Donc cherche du regard, lève les yeux, et quand tu auras   trouvé ce rameau, cueille-le de ta main selon les rites. Car si les destins t’appellent, il se laissera facilement cueillir. Sinon tous tes efforts ne parviendront pas à le vaincre ni aucun fer tranchant ne pourra le détacher. […] »

On se rend dans l’antique forêt, retraite profonde des bêtes sauvages ; les sapins sont abattus, le chêne résonne sous les coups de hache ; déchirés par les coins, les troncs du frêne et du chêne se fendent ; du haut des montagnes dévalent des ormes géants. Énée est à la tête de tous ces travaux et, équipé des mêmes outils, il encourage ses compagnons. De surcroît, dans son cœur lourd de deuil, il retourne toutes ses pensées, contemplant l’immense forêt, et il fait cette prière : « Ah ! si maintenant ce rameau d’or pouvait nous apparaître sur son arbre dans ces grands bois ! Car la prêtresse ne nous a dit que la vérité, hélas ! trop vraie, sur toi, pauvre Misène ! » À peine avait-il émis ces mots que sous ses yeux deux colombes, venues du ciel,  volent et se posent sur le sol vert. Alors le héros au grand cœur reconnut les oiseaux sacrés de sa mère et, tout à sa joie, il prie ainsi: « Soyez nos guides, et s’il existe un chemin, dirigez votre vol à travers les airs vers le bois saint où le précieux rameau ombrage la terre féconde. Et toi, mère divine, ne m’abandonne pas en ce moment de doute. » Il parla ainsi et arrêta sa marche, observant les colombes, les signes qu’elles lui donneraient et la direction qu’elles prendraient. Tout en picorant, elles s’avançaient, sans trop s’éloigner dans leur vol, de façon à rester toujours visibles aux yeux qui les suivaient. Puis, parvenues près des gorges de l’Averne à l’odeur pestilentielle, elles s’élèvent rapides et, glissant dans l’air diaphane, se posent toutes deux au lieu espéré, en haut de l’arbre à la double nature d’où le reflet de l’or scintille, étrange, à travers les branches. Ainsi dans les forêts, sous les froids de l’hiver, le gui verdoie, arborant un feuillage neuf, le gui qui n’est pas né de l’arbre qui le porte, et dont les pousses safranées enlacent les troncs lisses. Ainsi sur le chêne sombre apparaissait le feuillage d’or, ainsi ses lamelles fines crépitaient dans le vent léger. Aussitôt Énée saisit vivement le rameau qui résistait légèrement, et le porte dans la demeure de la Sibylle prophétesse.

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