- Lucius Tarquinius Superbus est le dernier roi légendaire de Rome. Il est le fils de Tarquin l’Ancien et gendre du roi Servius Tullius. Son cognomen (Superbus) atteste étymologiquement de son orgueil et de son goût pour la magnificence. C’est un surnom péjoratif qui ne renvoie pas à la qualité d’être « superbe » au sens actuel du terme. Son nomen (Tarquinius) renvoie à son origine étrusque, Tarquinia étant une des douze cité-états étrusques indépendantes, non loin de Rome. Son année de naissance n’est pas connue mais il meurt en 495 avant J.-C.
- Son règne s’étend entre 534 et 509 avant J.-C. Il est marqué par de nombreuses guerres, ainsi que des aménagements dans Rome qui jetèrent les Romains dans des travaux forcés, notamment ceux du Cloaca Maxima, le grand égout de la ville. Il est aussi réputé pour son traitement particulièrement violent du peuple et des institutions. Il est souvent assimilé à un tyran, n’hésitant pas à assassiner ses ennemis.
- La légende du viol de Lucrèce est souvent évoquée comme le déclenchement de la fin du règne de Tarquin Le Superbe : le fils de Tarquin viola la femme de l’un de ses cousins. Honteuse, la jeune femme se suicida, ce qui conduisit à une insurrection populaire. Mais il faut également lier la cause de la chute de la monarchie à toute la violence du règne de Tarquin.
- Le passage de la monarchie à la république romaine s’explique par le fait que Tarquin ait été chassé du trône, notamment par son neveu Lucius Junius Brutus qui appelle le Sénat et le peuple à se révolter. Tarquin est exilé. La monarchie disparaît de Rome et la République fut instaurée de manière à ce que ses institutions anéantissent toute maîtrise individuelle du pouvoir.
- Ne pas confondre Tarquin le Superbe avec Tarquin l’Ancien (son père, roi de Rome entre 616 et 579 avant J.-C.), Sextus Tarquin (son fils, auteur du viol de Lucrèce), et Lucius Tarquin Collatin (cousin de Sextus Tarquin et mari de Lucrèce).
Tout comme pour Romulus et les rois de Rome, les sources historiques manquent et sont éloignées de plusieurs siècles des faits racontés. Mythe et histoire s'y mêlent étroitement. Ainsi dans son article « Penser les origines de Rome », Alexandre Grandazzi dit que « plus un événement a eu d’importance historique, plus le récit qu’en fait l’annalistique sera chargé de mythes ». La vie de Tarquin Le Superbe s’inscrit dans cette période encore méconnue. Les représentations picturales de Tarquin sont assez peu nombreuses ; beaucoup se focalisent sur l’épisode légendaire du viol de Lucrèce par son fils.
Tite-Live est l’historien romain qui a rapporté avec précision la vie de Tarquin. Dans son Histoire romaine, comme l’atteste la citation ci-dessous, il parle d’un roi violent, belliqueux, rusé et peu moral.
Les historiens grecs (Diodore de Sicile, Plutarque et Polybe) se sont également intéressés au dernier roi de Rome. Tous évoquent sur les éléments les plus violents du règne de Tarquin : sa prise de pouvoir, son mépris du peuple et le viol de Lucrèce.
La prise de pouvoir par la force : une affaire de famille.
Le roi précédant Tarquin était Servius Tullius, qui avait été élevé et adopté par Tarquin l’Ancien, lui-même cinquième roi de Rome. Les deux fils de Tarquin l’Ancien, Lucius et Aruns, chassés de Rome par Servius qui ne les voulait pas sur le trône, épousèrent contre l’avis de leur père les deux filles de Servius. Tullie, une des filles de Servius Tullius, trompa son mari Aruns Tarquin avec son beau-frère Lucius Tarquin. Ambitieuse, assoiffée de pouvoir et très influente sur son amant, elle se débarrassa de son mari et de sa sœur en les empoisonnant. Elle poussa Tarquin à prendre le pouvoir par la force : le jeune homme, accompagnés de gardes, ayant soudoyé quelques sénateurs, fit irruption sur le Forum, s’installa sur le trône et se proclama roi. Servius, accourut et mourut, poussé dans un escalier et achevé par la suite de Tarquin. La cruauté de Tullie est ainsi décrite par Tite-Live (I, 48, traduction de M. Nisard) : « Cette femme égarée, en proie à toutes les furies vengeresses qui la poursuivaient depuis le meurtre de sa sœur et de son mari, fit passer, dit-on, les roues de son char sur le corps de son père. » Tarquin l’épousa en secondes noces et devint ainsi le septième roi de Rome.
Un règne long et tyrannique
Tarquin traita cruellement l’aristocratie romaine et les comices du peuple pendant vingt-cinq ans. Il régna en écartant le Sénat de toutes décisions, alors que cette assemblée, fondée par Romulus, était considérée comme le Conseil des rois ; plusieurs sénateurs, alliés de Servius, furent assassinés. Ses assistants, ses gardes, sa suite, ses proches, ses fils eurent un comportement à son image, violent et sans morale. Tarquin le Superbe mena de nombreuses guerres, notamment contre les Latins.
À Rome, on attribue à ce roi la construction des temples de Jupiter, Junon et Minerve, sur le Capitole : ces dieux étaient particulièrement honorés par les Étrusques ; il poursuit aussi les travaux d’aménagement du Circus Maximus. Il achève enfin la construction du Cloaca Maxima, un long canal servant à la récupération des eaux de pluie, l’évacuation des eaux usées et l’assainissement des marécages encore présents dans la Ville. Cette dernière construction est une véritable opportunité pour la ville de Rome mais les ouvriers furent particulièrement malmenés durant les travaux. Malgré un règne laissant des souvenirs très négatifs, ces divers chantiers, parfois initiés par son père Tarquin l’Ancien, seront des atouts pour le développement de Rome.
Enfin, c’est aussi sous le règne de Tarquin que les fameux Livres sybillins ont été acquis (et chèrement payés !) : on rapporte que la sybille de Cumes en Campanie, une prophétesse, vendit au roi trois livres d’oracles (au prix des neuf initiaux !), à consulter lors d’événements extraordinaires, sur décret du Sénat romain. Les Romains conservaient ces livres pieusement dans le temple de Jupiter Capitolin. Ces livres achetés par Tarquin ont été consultés de très nombreuses fois, et gardés par plusieurs patriciens ; lorsqu’ils brûlèrent dans l’incendie du temple au Ier siècle av. J.-C., d’autres livres d’oracles furent constitués à nouveau sur le même modèle.
La légende du viol de Lucrèce
Pendant environ 25 ans que Tarquin Le Superbe règne donc sur Rome. Bien que régulièrement en guerre, ce n’est pas un peuple voisin qui va inquiéter le roi, mais une affaire de mœurs retentissante.
Lucrèce est une aristocrate romaine, une femme belle et vertueuse, épouse de Lucius Tarquinius Collatinus, neveu du roi Tarquin le Superbe ; en 509 avant J.-C., Sextus Tarquin, le fils du roi, amoureux fou de Lucrèce, l’approche, ne supporte pas d’être éconduit par la jeune femme et la viole dans sa chambre ; Lucrèce, honteuse, avoue son déshonneur à son mari puis se suicide avec un poignard devant lui ; elle devient un exemplum, c’est à dire une figure à imiter. De nombreux peintres de la Renaissance ont pris l’histoire tragique de Lucrèce pour sujet de leurs tableaux. Ainsi, Véronèse ou Rembrandt ont choisi de représenter le suicide de la jeune femme, tandis que Titien a osé une peinture sur son viol.
À la suite du viol, le frère de Lucrèce, Lucius Junius Brutus, soutenu par Tarquin Collatin, fomente un soulèvement du peuple de Rome contre la famille des Tarquin. C’est la fin de la monarchie, remplacée la même année par la République.
Une fin de règne mouvementée
Eutrope de Palestine, historien romain du IVe siècle avant J.-C., raconte que l’armée romaine, elle aussi soulevée par Junius, se retourna contre Tarquin. Elle lui refusa l’entrée de la Ville alors qu’il rentrait du siège d’une cité voisine. Même chassé, Tarquin essaya de soulever plusieurs peuples voisins contre la République romaine nouvellement installée. Il s’appuya notamment sur les Étrusques et les Latins. Vaincu à la bataille du lac Régille dans le Latium, il se retira, avec sa famille, près d’Aristodème, tyran de Cumes, cité proche de Naples. Tarquin Le Superbe mourut loin des fastes de Rome en 496 avant J.-C.
Les institutions romaines mises à mal par le dernier roi de Rome, telles que le Sénat, largement dominé par les aristocrates, ainsi que les assemblées du peuple, furent de rétablies et l’élection de deux consuls fut instaurée chaque année, pour mettre fin au pouvoir personnel.
Ce qu’en dit Tite-Live :
Inde Lucius Tarquinius regnare occepit, cui Superbo cognomen facta indiderunt, quia socerum gener sepultura prohibuit, Romulum quoque insepultum perisse dictitans, primoresque patrum, quos Serui rebus fauisse credebat, interfecit ; conscius deinde male quaerendi regni ab se ipso aduersus se exemplum capi posse, armatis corpus circumsaepsit ; neque enim ad ius regni quicquam praeter uim habebat, ut qui neque populi iussu neque auctoribus patribus regnaret. Eo accedebat, ut in caritate ciuium nihil spei reponenti metu regnum tutandum esset.
Tite-Live, Histoire romaine, I, 49
Tarquin prit, sans hésiter, possession du trône. Il fut surnommé le Superbe, parce que, gendre du roi, il refusa la sépulture à son beau-père, disant que Romulus avait eu le même sort. Il fit périr les premiers des sénateurs qu’il soupçonnait d’avoir servi le parti de Servius Tullius ; et, sentant trop bien que l’exemple qu’il donnait, en s’emparant du trône par la violence, pourrait se retourner contre lui-même, il s’entoura de gardes. Car tout son droit était dans la force, lui qui n’avait eu ni les suffrages du peuple, ni le consentement du sénat. Ne pouvant compter sur l’affection des citoyens, il lui fallait régner par la terreur.
Traduction de M. Nisard