Sénèque est le représentant le plus célèbre de la philosophie stoïcienne antique, qui enseigne à vaincre les craintes et les passions pour obtenir la paix de l’âme. Ses sentences et préceptes de vie ont beaucoup inspiré les penseurs occidentaux, comme Montaigne.
"Oui, c’est cela, mon cher Lucilius, revendique la possession de toi-même. Ton temps, jusqu’à présent, on te le prenait, on te le dérobait, il t’échappait. Récupère-le, et prends-en soin. La vérité, crois-moi, la voici : notre temps, on nous en arrache une partie, on nous en détourne une autre, et le reste nous coule entre les doigts. Pourtant, il est encore plus blâmable de le perdre par négligence. Et, à bien y regarder, l’essentiel de la vie s’écoule à mal faire, une bonne partie à ne rien faire, toute la vie à faire autre chose que ce qu’il faudrait faire."
Sénèque, Lettres à Lucilius, Lettre I, 1.
(trad. A. C.)
"Hâte-toi donc de vivre et conçois chaque jour comme une vie entière."
Sénèque, Lettres à Lucilius, Lettre CI, 10.
"Mourir plus tôt ou plus tard, peu importe ; l’important, c’est de mourir bien ou mal. Or, bien mourir, c’est échapper au danger de vivre mal."
Sénèque, Lettres à Lucilius, LXX, 6.
"Ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous n'osons pas, mais c'est parce que nous n'osons pas qu’elles sont difficiles."
Sénèque, Lettres à Lucilius, Lettre CIV, 26.
"Le courage conduit aux étoiles, la peur à la mort."
Sénèque, Hercule sur l’Œta, vers 1971.
"Veux-tu bien y songer ? Cet homme que tu appelles ton esclave est issu de la même semence que toi, il jouit du même ciel que toi, il respire comme toi, il vit comme toi, il meurt comme toi. Tu peux aussi bien le voir libre qu’il peut te voir esclave."
Sénèque, Lettres à Lucilius, XLVII, 10.
"On doit être prompt à pardonner quand on a besoin soi-même de pardon."
Sénèque, Agamemnon, II, 2, vers 267
À lire :
Paul Veyne, Sénèque. Une introduction.
Suivi de la lettre 70 des Lettres à Lucilius,
Éditions Tallandier, collection Texto, 2019.
Lucius Annaeus Seneca, que nous appelons Sénèque, est né à Corduba (aujourd’hui Cordoue), dans la province romaine d’Hispania Baetica (la Bétique), aux environs de 4 avant J.-C. Il appartient à une famille aisée, probablement originaire d’Italie du nord ; son père, Sénèque dit l’Ancien, est un spécialiste de rhétorique renommé, auteur d’une compilation d’extraits de déclamations, classés par thème et provenant d’une trentaine de rhéteurs de son époque.
Lucius est encore enfant lorsque sa famille vient s’installer à Rome. Son père lui fait donner une éducation soignée, nourrie par les exercices de la rhétorique et les déclamations des écoles d’éloquence, mais aussi par les leçons de philosophie ascétique prodiguées par le pythagoricien Sotion et le stoïcien Attale.
Tombé gravement malade, le jeune Sénèque part se rétablir en Égypte. À son retour à Rome, en 31, il entreprend le traditionnel cursus honorum ("la carrière des honneurs"). Devenu conseiller à la cour impériale de Caligula, il se fait connaître par ses premiers ouvrages philosophiques (La Colère, La Brièveté de la vie). Cependant son esprit vif et frondeur dérange : sans doute jalousé par Caligula, il est exilé en Corse, en 41, à l’initiative de Messaline, la troisième femme de l’empereur Claude.
Après huit années d’exil (41 - 49), Sénèque est rappelé par la nouvelle femme de Claude, Agrippine (sœur de Caligula), qui lui confie l’éducation de son fils Néron, qu’elle a eu d’un précédent mariage. Avec le préfet du prétoire Burrus, le brillant philosophe est l’un des principaux conseillers de Néron devenu empereur en 54, à la mort de son père adoptif, Claude. Si Sénèque tente de corriger les penchants criminels de son ancien élève, à qui il destine son traité sur la clémence (56), il reste cependant complaisant à son égard ; il mène une vie luxueuse, amassant une fortune considérable par des combinaisons financières suspectes, sans pour autant renoncer à son rôle de moraliste (La Constance du sage, La Vie heureuse, La Tranquillité de l’âme). De cette période datent aussi ses tragédies, essentiellement adaptées des pièces d’Euripide, dont dix nous sont parvenues (Agamemnon, Les Troyennes, Médée, Phèdre, Œdipe, entre autres).
Cependant, à partir de 62, Sénèque s’écarte de la cour : devenu suspect à Néron, qui jalouse ses talents littéraires, il prêche la retraite et se fortifie par la méditation. Il achève alors ses Questions sur la nature, écrit de nouveaux traités (Les Bienfaits, La Providence) et adresse à son ami Lucilius, un peu plus jeune que lui, des lettres (il en reste cent vingt-quatre) où il expose ses convictions intimes et sa conception de l’existence. Correspondance réelle ? Dialogue philosophique sous forme épistolaire ? Les spécialistes en discutent encore.
Compromis malgré lui dans la conjuration de Pison (65), qui visait à tuer Néron, Sénèque est accusé de complot contre l’empereur, en même temps que son neveu Lucain (poète, auteur de La Pharsale) et que « l’arbitre des élégances », Pétrone (à qui l’on attribue le Satyricon). Ayant reçu l’ordre de Néron qui le condamne à mourir, Sénèque se suicide le 12 avril 65 en se faisant ouvrir les veines, tout en discutant avec ses amis, au cours d’un dernier repas (Pétrone et Lucain feront de même peu après). Son épouse Pauline, qui a voulu mourir avec lui en se tailladant les poignets, survit à sa tentative de suicide, car Néron a ordonné de bander ses blessures.
Ce qu'écrit Sénèque :
« Non enim me cuiquam emancipavi, nullius nomen fero. »
« Je ne me suis fait l’esclave de personne,
je ne porte le nom de personne. »
Sénèque, Lettres à Lucilius, Lettre XLV, 4