L’histoire de la cité
Localisation des principales cités étrusques et de Rome entre le VIIIè s. av. J.-C. et le VIè s. av. J.-C., © Wikipédia
Rusellae est associée aux douze villes de la dodécapole étrusque, un ensemble de cités-États qui forment une alliance de nature religieuse appelée « la ligue », « la confédération » ou encore « la fédération étrusque » ; cependant elle n’en fait pas réellement partie. Son développement s'est probablement fait aux dépens des lucumoniae (lucumonies) voisines, c’est-à-dire des principaux centres de ces villes alliées qui sont dirigées par un lucumo, chef de tribu qui exerce des pouvoirs administratifs et législatifs. En effet, Vetulonia est jusqu'alors la plus importante ville étrusque de la Maremme, située sur les collines derrière la rive opposée du lac Prilius.
D’après Denys d'Halicarnasse, on sait que la cité de Rusellae intervient aux côtés des villes étrusques de Clusium, Arezzo, Velathri et Vetulonia, pour aider Rome, au VIè siècle avant J.-C., à destituer de son pouvoir Tarquin l’Ancien, cinquième des sept rois légendaires de Rome et premier roi d’origine étrusque. La cité connaît un grand développement avec la création d’une seconde enceinte et la multiplication des importations de céramique grecque.
Au Vè siècle avant J.-C., la cité se replie sur elle-même. D’après Tite-Live, en 460 avant J.-C., Rusellae est assiégée par les Romains et vaincue. En 453 avant J.-C., sous la dictature de Marcus Valerius Maximus, les Étrusques de Rusellae doivent se rendre et accepter la paix.
Plus tard, elle contracte diverses alliances avec ses voisins étrusques contre Rome. En 302 avant J.-C., Rome intervient à Arezzo pour mater une révolte servile et remporte une victoire sur Rusellae. Ainsi, selon Tite-Live, en 294 avant J.-C., elle est prise après un long siège de quatre ans ; 4000 hommes, soit 30% de la population, sont faits prisonniers. Toutes les cités étrusques, dont Rusellae, prennent le statut de civitates foederatae, cités alliées, ce qui les oblige à fournir autant d'hommes qu’en demande Rome et une partie de leurs terres est confisquée.
Rusellae est cependant rapidement reconstruite, car, en 205 avant J.-C., selon Tite-Live toujours, comme Caere, Tarquinia, Velathri, Perugia, Arezzo, Clusium et Populonia, elle fournit du grain et du bois à la flotte de Scipion qui part pour l’Afrique.
D’après les inscriptions épigraphiques et d’après la liste des colonies établies par Pline l’Ancien, on sait que son statut originel de tribu (regroupement des citoyens en fonction de leur domicile) est transformé d’abord en municipe romain sous l’Empire puis en colonie romaine sous Auguste.
De l'époque Julio-claudienne jusqu’au au IVè siècle après J.-C., elle connaît une période de prospérité : on y construit de nouveaux bâtiments publics (forum, basilique, thermes, amphithéâtre notamment).
Au Vè siècle après J.-C., la cité semble à moitié abandonnée. Elle devient le siège d’un évêché.
Au VIè siècle après J.-C., elle est envahie par les barbares.
En 787, Charlemagne donne les territoires de Populonia, Rusellae et Sovana au pape Adrien. Mais Roselle reste sous le contrôle du Saint-Empire romain germanique par le biais de l'épiscopat fidèle à Lucques.
En 862, Roselle est cédée par l'évêque de Lucques - appartenant à la famille des Aldobrandeschi - à son frère.
En 935 après J.-C., Roselle est détruite par les Sarrasins. Elle n’est pas reconstruite en raison d’une épidémie de malaria qui se propage à cause de l'avancement des terres dans l’estuaire du fleuve Ombrone.
Au Moyen-Âge, elle devient un comté puis passe sous la domination de Sienne. Au XIIè siècle, le siège de l’évêché est transféré à Grosseto. Roselle est alors progressivement abandonnée.
Au XVIIIè siècle, le duc Léopold de Lorraine y fait construire une station thermale.
L’architecture de la cité
Carte du site archéologique de Roselle
La superficie de la cité étrusque originelle n’est pas très grande : elle n’excède pas 30 ha. La ville occupe le sommet d'une petite colline formée de deux sommets disposés autour d’une vallée centrale qui dominent le lac Prilius, aujourd’hui asséché mais alors particulièrement favorable aux échanges commerciaux car située entre la mer Tyrrhénienne et la vallée de l’Ombrone. C'est là que se trouve le forum à l'époque romaine et, à l'époque étrusque, le centre de la ville. Le niveau du sol du forum à l'époque romaine a été obtenu au moyen d'un remblai artificiel, en aplanissant les pentes des deux collines.
L’enceinte de la cité, longue d’environ 3 km et haute de 2 à 7 m selon les endroits, est presque intégralement conservée. Elle renferme la cité étrusque datant des VIIè et VIè siècles, la partie romaine de la ville ayant été construite à l’extérieur des murailles. Comme à Mycènes ou Tirynthe, les murs sont construits en grand appareil, de type « cyclopéen » grâce à de la pierre calcaire compacte et massive. Selon les époques, on distingue plusieurs techniques de constructions : en briques crues à la fin du VIIè siècle avant J.-C. ; en appareil polygonal au milieu du VIè siècle avant J.-C. ; des réfections s'échelonnent du IVè au Ier siècle avant J.-C. Cela confirme que la cité étrusque était d’une importance à la fois stratégique et commerciale dans la région. La muraille était probablement percée de six à huit portes, sept au minimum : deux sur le côté Nord, une à chaque angle ; deux à l’Est ; deux ou trois aussi à l'Ouest ; une au Sud ; la localisation des portes n’est pas certaine.
De l’époque étrusque, la cité ne conserve aujourd’hui que deux zones : un édifice dont la fonction est incertaine, au Nord de la colline Sud ainsi qu’un quartier d’habitations, situé au pied de la colline Sud. Pour le premier élément, il s’agit probablement d’un édifice public constitué d’une tholos inscrit dans une structure rectangulaire, peut-être dédié au culte de Vesta. Quant à la cité du VIè siècle avant J.-C., elle contenait certainement des maisons aux fondations de pierre et aux murs de brique crue ; elle s’étendait certainement dans la vallée sur deux étages. Un quartier de potiers sur la colline Sud-Est date de cette période. Comme toutes les cités étrusques, la ville fut construite, selon les rites étrusques, dans un pomoerium, espace sacré, tracé par une charrue, délimité par le fondateur à l'intérieur, à l'extérieur ou de part et d'autre des murs de la ville ; il fut appelé ainsi par les Romains parce qu'il était post murum, ou pone muros ou encore proxime muro.
Le port de Rusellae fait l’objet de deux hypothèses : soit il s’agissait d’une escale sur pilotis, construite grâce à l’exploitation des forêts du territoire et se trouvant au pied de la colline de Roselle, là où le lac Prilius devait arriver ; soit il était situé vers Grosseto, sur la voie allant vers l’Ombrone et éloigné de Vetulonia.
À l’Est de la cité, à l’extérieur des fortifications, se trouve la nécropole étrusque datant des VIIé et VIè siècle avant J.-C., réutilisée par la suite. Elle est disposée en terrasse, faite de tombes constituées de petits hypogées contenant des chambres carrées, un couloir d'entrée, un toit recouvert d’un monticule. Dans un espace destiné à l’origine à de nombreuses sépultures d’enfants, on a trouvé une grande tombe à tholos, comme à Tirynthe, qui devait appartenir à des notables de la cité.
La ville hellénistique et romaine, quant à elle, se situe à l’Ouest de la vallée et s’organise, comme toute ville romaine, autour d’un forum, où se croisent les deux grands axes que sont le cardo et le decumanus. La particularité de la cité réside dans le fait que le cardo maximus se termine inhabituellement au point de croisement avec le decumanus maximus, formant avec lui un angle droit. Une telle variante est probablement due soit au respect des structures urbaines, soit à la géomorphologie du lieu, qui, à l’Ouest, donne sur la plaine. On trouve autour du forum une basilique, un autre édifice nommé « basilique des Bassi », le temple des flamines Augustales, l’amphithéâtre situé au sommet de la colline Nord, des domus dont la domus dite « des mosaïques » contenant un édifice thermal et les thermes d’Arzigius.
Le forum est situé dans une zone qui a été asséchée à l’époque romaine. Il a été construit à l’époque d’Auguste puis recouvert de travertin au Ier siècle après J.-C. Il est situé à l’Ouest du cardo maximus.
La basilique romaine date du Ier siècle avant J.-C. De forme rectangulaire, elle est bâtie dans une maçonnerie complexe qui mêle opus reticulatum (petits moellons de forme pyramidale en pierre dont la disposition, à 45° de l’horizontale, dessine sur le mur comme un filet) et opus vittatum (petits moellons rectangulaires en pierre, disposés en bandelettes). Elle possédait une colonnade intérieure, dont il ne reste aujourd'hui que la base d'une colonne. Ses murs étaient recouverts de marbre et contenaient des niches dans lesquelles étaient placées des statues de la dynastie Julio-Claudienne. C'était l'un des centres de la vie publique à l'époque romaine. Une plate-forme surélevée accueillait les magistrats qui y rendaient la justice.
Dans la zone Nord-Ouest du forum se trouve un bâtiment rectangulaire contenant une abside ouverte sur le côté le plus court et, sur les côtés les plus longs, trois niches qui contenaient des statues en marbre portant les inscriptions « Bassus », « Bassus avos » (l’aïeul Bassus), qui ont donné son nom à ce qu’on appelle aujourd’hui la « Basilique des Bassi ». À côté, se trouvait certainement la curie. La construction de l'édifice date du Ier siècle après J.-C. et avait peut-être une fonction publique, probablement associée au culte impérial. Par la suite, aux IIè et IIIè siècles après J.-C. certainement, il a perdu sa fonction publique d'origine et a été utilisé comme lieu de réception par une puissante famille locale, ce qui explique la galerie de statues retrouvées, représentant les Bassi.
Au Sud du forum, se trouvent les restes du temple des flamines Augustales, édifié à l’époque impériale et dédié au culte de l’Empereur. C’est une pièce rectangulaire contenant une abside. Il était décoré de niches contenant les statues des empereurs Julio-Claudiens. Des dédicaces signées par Vicirius Proculus, un notaire local, membre de la puissante famille des Vicirii, ont été découvertes à l'intérieur de l'édifice. Cela reflète la politique des empereurs Julio-Claudiens, qui s'appuyaient sur d'importantes familles locales, afin de maintenir le contrôle sur certaines colonies. À côté du temple des flamines Augustales, se trouve un petit temple in antis (possédant deux colonnes en façade ente les « antes », c’est-à-dire dans le prolongement des murs) et élevé sur un petit podium. Le petit temple semble aussi dater de l'époque Julio-Claudienne. À côté, deux autres petits temples ont été récemment fouillés.
Sur la colline Nord, est construit, en opus reticulatum, l’amphithéâtre qui date du Ier siècle après J.-C. et qui pouvait contenir 4000 à 5000 spectateurs. Afin de construire l’arène, la terre a dû être déblayée puis utilisée comme remblai pour construire les parties supérieures des gradins. Ses dimensions sont plutôt réduites : 38 x 27 m. Il contient quatre accès, situés sur chacun des côtés de l’amphithéâtre. À l'intérieur de l'arène, le long du grand axe, quatre pierres alignées équidistantes et perforées ont été découvertes : elles devaient être utilisées pour diviser l'arène en différents espaces scéniques. Au Moyen-Âge, l'édifice devient une enceinte fortifiée qui protège la population des invasions germaniques.
De chaque côté de l’amphithéâtre, se trouvent les vestiges de deux maisons : la domus hellénistique et la domus à l’impluvium. La première, au Nord de l’amphithéâtre, datant de l’époque étrusque, au VIè siècle avant J.-C., est de forme carrée, construite en pierres sèches et s’organise autour d’un impluvium permettant de recueillir l’eau de pluie. La seconde, au Sud de l’amphithéâtre, datant des IIIè-IIè siècle avant J.-C., est organisée, de manière traditionnelle, autour d’une cour centrale à atrium.
Au Sud du forum, se trouve la domus des mosaïques, dont l’entrée est située sur le cardo maximus. Sa première phase de construction date de la fin de la République, mais le bâtiment a été restauré plusieurs fois. On pénètre d’abord dans l'atrium pourvu d'un impluvium central. Sur ses côtés de l’atrium se trouvent des pièces latérales appelées alae et, au fond, le tablinum. À l’arrière de la maison, se trouve le peristylum, qui offre une vue sur la vallée.
À l’époque Julio-Claudienne, à la suite d’un incendie partiel, la maison est restaurée et embellie : des thermes privés sont ajoutés au Sud de la maison ; on reconnaît aujourd’hui les pièces que sont le frigidarium, le tepidarium, le caldarium, le laconicum et une grande natatio ; des vestiges d’hypocauste sont visibles. On a retrouvé dans la maison trois niches abritant les statues de Tibère, Livie et Julius Caesar Drusus, fils du premier mariage de Tibère. Un système complexe de canalisations et une citerne alimentent les thermes en eau. À l’époque d’Hadrien, la maison est réorganisée et les thermes agrandis ; ils sont probablement alors destinés aussi à un usage public. C’est de cette époque que datent les mosaïques retrouvées, noires et blanches, en opus sectile qui recouvrent le pavement des thermes et le tablinum. Le peristylum est lui aussi réorganisé et le laconicum est décoré de sculptures en bas-relief et haut-relief. Aux IIIè et IVè siècles après J.-C., un atelier de forgerons et sa boutique ont été installés dans la domus. En effet, la fabrication d’objets métalliques était facilitée par la présence abondante d’eau sur le site. D’après les fouilles archéologiques, il s’avère que les objets fabriqués proviennent d’éléments fondus puis recyclés issus des tombes étrusques de la nécropole ainsi que d'édifices publics et privés de l'époque romaine. Vers la fin du IVè siècle après J.-C., l'atelier de forgerons et les restes de la domus sont abandonnés puis au VIè siècle après J.-C., elle est réemployée pour servir à d’autres constructions, notamment une église érigée du VIè au IXè siècle après J.-C.
À l’Est de la cité, en périphérie de la ville, sans doute pour remplacer ces anciens thermes dits « d’Hadrien », on a construit les thermes de Betitus Perpetuus Arzigius, ainsi nommés car ils ont été dédicacés par un poète et mécène célèbre gouverneur de Toscane et Ombrie entre 366 and 370 après J.-C., appartenant à la riche famille des Betitii.
Roselle aujourd’hui ?
La cité moderne de Roselle dépend aujourd’hui de la commune de Grosseto. Le site archéologique a été intégralement mis à jour dans les années 1950.
Ce qu’en dit Denys d’Halicarnasse :
Πάντων δ´ εἰσὶν οἱ δρυμοὶ θαυμασιώτατοι περί τε τὰ κρημνώδη χωρία καὶ τὰς νάπας καὶ τοὺς ἀγεωργήτους λόφους, ἐξ ὧν πολλῆς μὲν εὐποροῦσι καὶ καλῆς ὕλης ναυπηγησίμου, πολλῆς δὲ τῆς εἰς τὰς ἄλλας ἐργασίας εὐθέτου. καὶ τούτων οὐδὲν οὔτε δυσπόριστόν ἐστιν οὔτε πρόσω τῆς ἀνθρωπίνης χρείας κείμενον, ἀλλ´ εὐκατέργαστα καὶ ῥᾴδια παρεῖναι πάντα διὰ πλῆθος τῶν ποταμῶν, οἳ διαρρέουσιν ἅπασαν τὴν ἀκτὴν καὶ ποιοῦσι τάς τε κομιδὰς καὶ τὰς ἀμείψεις τῶν ἐκ γῆς φυομένων λυσιτελεῖς.
Mais le plus merveilleux de tout ce sont toutes ces forêts poussant sur les hauteurs rocheuses, dans les gorges et sur les collines non cultivées, d’où les habitants se fournissent abondamment en bois de construction excellent, approprié aussi bien aux constructions navales que pour tous autres besoins. Aucun de ces matériaux n’est difficile à trouver ni à une trop grande distance du besoin humain, et il est facile à manipuler et aisément transportable, vu la multitude de fleuves qui traversent la péninsule entière et rendent le transport et les échanges des produits de la terre peu coûteux.
Denys d’Halicarnasse, I, 37, 4, Antiquités romaines, trad. Philippe Remacle