Marseille - La fondation de Massalia entre mythe et histoire

On connaît l’histoire de Gyptis et Protis grâce à deux récits :

  • L’un, celui d’Aristote, dans sa Politique : « La Constitution des Massaliotes »
  • L’autre, aujourd’hui perdu, écrit au Ier s. ap. JC par Trogue Pompée (Historiae philippicae) et rapporté par l’historien romain Justin au IVe s. ap. JC, soit 700 à 900 ans après les faits supposés réels.

On observe peu de différences entre les textes si ce n’est sur les noms des principaux personnages :

  • Chez Aristote : Petta = Aristoxène. Euxène. Protis est le fils d’Euxène.
  • Chez Justin : Gyptis. 2 chefs : Protis et Simos. Protis épouse Gyptis.
  • Selon la mythologie, Euxène et Aristoxène fondent une γένος (famille). La racine grecque γέν- signifie naître. Elle existe aussi en Latin, par exemple, dans le mot genus, generis, neutre (le genre, l’espèce) et donne en Français, les mots genre, Genèse, génération, engendrer, en Italien genere (le genre) et en espagnol género (genre).
  • L’étymologie des patronymes fondateurs de la cité massaliote révèle une charge symbolique forte :

Euxène : « le bon étranger / hôte » (du point de vue grec)

Aristoxène : « la meilleure des étrangères / hôtesses » (du point de vue grec encore)

Nanos : « le nain » 

Petta : « le petit oiseau »

Gyptis : « la femme vautour », dénomination qui s’expliquerait par le fait que les Ségobriges n’inhumaient pas leurs morts

Protis (= protos) : « le premier »

  • L’hellénisation du sud de la Gaule s’est faite de manière plutôt pacifique par un système d’alliances entre les différents peuples. Ainsi, le verbe συνῴκει, qui caractérise le mode de vie entre Euxène et Aristoxène, est composé du préfixe συν (avec, ensemble) et du nom οἰκία, ας (ἡ) (la maison). On peut donc en déduire que la cohabitation harmonieuse dans le couple fondé par Euxène et Aristoxène est à l’image de l’alliance entre les Gaulois et les Grecs.
  • Le plus souvent les Gaulois respectèrent la cité grecque de Marseille. Mais on raconte aussi qu’à la mort de Nanos, le nouveau roi des Ségobriges, jaloux de la cité voisine, voulut prendre les remparts de Marseille par la force. Cependant, une femme Ligure, parente du roi, dénonça la conspiration. Elle avait un jeune Grec pour amant. Touchée par la beauté du jeune homme, elle lui révéla, dans une étreinte, le secret de l’embuscade, en l’engageant à se dérober au péril. Celui-là rapporta aussitôt la chose aux magistrats de Massalia, et, le piège ainsi découvert, tous les Gaulois furent arrêtés.

PETITE Chronologie

600 avant J.-C. : Fondation de Marseille par des Grecs venus d’Ionie, région grecque d’Asie mineure

VIe siècle avant J.-C. : Premier essor de la ville

IVe siècle avant J.-C. : Le mode de vie des Marseillais devient plus luxueux

264-146 avant J.-C. : Durant les guerres puniques, Marseille fournit des navires de guerre à Rome

IIe siècle avant J.-C. : Nouvelle phase florissante

49 avant J.-C. : Marseille est intégrée à la province de Narbonnaise, colonie romaine fondée d’abord à Carbone en 118 avant J.-C., puis étendue aux régions actuelles du Toulousain, du Languedoc, de la vallée du Rhône, du Dauphiné et de la Provence

 

La fondation légendaire de Massalia

Protis, le chef de l’expédition grecque, séduit Gyptis, la fille de Nanos, chef de la tribu locale des Ségobriges. Il l’épouse. Ainsi se forme le premier couple gallo-grec.

Nanos offre à sa fille en dot la plage où avait débarqué le premier navire grec et sur cette terre Protis bâtit la première ville gallo-grecque, à laquelle il prend soin de donner un nom gaulois, Massalia (la demeure salienne), manifestant ainsi le respect qu’il a pour la terre où il s’installe.

 

La réalité historique

Dès l’an 600 avant J.-C., des Grecs de Phocée débarquent en Provence, à 40 km environ de l’actuelle Marseille, à Saint- Blaise exactement. Ils sont originaires d’Ionie et fuient l’avancée des armées perses en 546-545 et s’installent à Marseille après que les habitants de Chios ont refusé de leur vendre les îles d’Oinoussai (sur la côte turque actuelle).

En 494, c’est la seconde chute de Phocée et de nouveaux immigrants phocéens arrivent à Marseille. Ils apportent leurs dieux grecs (notamment Artémis et Apollon) ; l’historien romain Justin prétend qu’ils répandent la culture des vignobles et de l’olivier. Ils fondent de nombreuses cités : Nikaia (Nice), Antipolis (Antibes), Cytharista (La Ciotat), Agathè (Agde), Olbia (Hyères) et en Corse, Alalia, (Aléria).

Les Grecs transmettent aussi leur alphabet, que les Gaulois s’approprient et utilisent tel quel. L’écriture gallo-grecque est ainsi présente dans de nombreuses inscriptions en Provence et dans le reste de la Gaule. On retrouve même des caractères grecs jusqu’en Helvétie puisque, dans sa Guerre des Gaules, Jules César décrit les plaquettes de comptabilité en caractères grecs des Helvètes.

La ville grecque de Massalia devient un grand centre commercial qui s’illustre par ses artisans et ses explorateurs. Euthymènos, au VIe siècle avant J.-C., pousse jusqu’aux côtes africaines et au Sénégal. Ptthéas, un explorateur et mathématicien grec de Marseille du IVe siècle avant J.-C., quitte la Méditerranée et explore les côtes de l’Océan Atlantique, le Golfe de Gascogne, la Manche, la mer Baltique, la mer du Nord, et peut-être jusqu’à l’Islande. Pythéas, critiqué par plusieurs générations de savants qui croient impossible la vie en des régions si septentrionales, disait pourtant vrai : il avait découvert sans le savoir les effets du gulf stream.

Les Grecs ouvrent partout des emporia (comptoirs de commerce) en Espagne et en Etrurie. Mais à Marseille, ils forment une puissante cité indépendante, qui bat sa propre monnaie, une cité équipée de remparts, de machines guerre sophistiquées, de greniers publics, de citernes, d’un grand port d’où ses navires partent faire la guerre, commercer, chercher l’aventure. La Gaule utilise alors la route commerciale fluviale du Rhône vers les métaux du nord de l’Europe, connue depuis longtemps puisque, selon la légende, Jason et ses Argonautes l’auraient eux-mêmes empruntée.

Les Grecs de Provence sont nombreux et cohabitent plutôt pacifiquement avec les Gaulois pendant plusieurs siècles, comme l’écrit Justin au IIIe s. ap. JC, au point que « le progrès des hommes et des choses fut si brillant qu’il semblait non que la Grèce eût émigré en Gaule, mais que la Gaule eût passé dans la Grèce ». Dans les faits, cependant, ces propos sont à nuancer : on constate que les cinq siècles d’alliances gallo-grecques sont aussi cinq siècles de luttes entre les deux populations.

Pour se maintenir, les Grecs doivent parfois se battre, mais pas toujours contre des Gaulois. Lors de la conquête romaine, Massalia est totalement épargnée par les légions romaines ; Rome lui attribue même plusieurs territoires gaulois, en remerciement de sa solidarité historique manifestée après les invasions gauloise (390 av. J.-C.) et carthaginoise (155 av. J.-C.). Cependant, la fin de la puissance grecque en Gaule coïncide avec le début de la Guerre des Gaules (58 av. JC), Massalia ayant eu la malheureuse idée de prendre parti pour Pompée contre César…

Ce qu'écrit Athénée :

 

Φωκαεῖς οἱ ἐν ᾿Ιωνίᾳ ἐμπορίᾳ χρώμενοι ἔκτισαν Μασσαλίαν. Εὔξενος δὲ ὁ Φωκαεὺς Νάνῳ τῷ βασιλεῖ (τοῦτο δ᾿ ἦν αὐτῷ ὄνομα) ἦν ξένος. Οὗτος ὁ Νάνος ἐπιτελῶν γάμους τῆς θυγατρὸς κατὰ τύχην παραγενόμενον τὸν Εὔξενον παρακέκληκεν ἐπὶ τὴν θοίνην.

Ὁ δὲ γάμος ἐγίγνετο τόνδε τὸν τρόπον· ἔδει μετὰ τὸ δεῖπνον εἰσελθοῦσαν τὴν παῖδα φιάλην κεκερασμένην ᾧ βούλοιτο δοῦναι τῶν παρόντων μνηστήρων· ᾧ δὲ δοίη, τοῦτον εἶναι νυμφίον.

Ἡ δὲ παῖς εἰσελθοῦσα δίδωσιν εἴτε ἀπὸ τύχης εἴτε καὶ δι᾿ ἄλλην τινὰ αἰτίαν τῷ Εὐξένῳ· ὄνομα δ᾿ ἦν τῇ παιδὶ Πέττα.

Τούτου δὲ συμπεσόντος καὶ τοῦ πατρὸς ἀξιοῦντος ὡς κατὰ θεὸν γενομένης τῆς δόσεως ἔχειν αὐτήν, ἔλαβεν ὁ Εὔξενος γυναῖκα καὶ συνῴκει μεταθέμενος τοὔνομα ᾿Αριστοξένην.

Καὶ ἔστι γένος ἐν Μασσαλίᾳ ἀπὸ τῆς παιδὸς μέχρι νῦν Πρωτιάδαι καλούμενον· Πρῶτις γὰρ ἐγένετο υἱὸς Εὐξένου καὶ τῆς ᾿Αριστοξένης. 

 

Les Phocéens, qui pratiquaient le commerce en Ionie, fondèrent Marseille. Euxène de Phocée était hôte chez le roi Nanos (tel était son nom). Or, Nanos, qui célébrait les noces de sa fille, invita Euxène – qui était là par hasard – pour le banquet.

Le mariage se déroula de la façon suivante : après le repas, la jeune fille devait entrer et offrir une coupe de vin mélangé à qui elle voulait parmi les prétendants présents ; celui à qui elle donnerait la coupe, serait son époux.

Quand la jeune enfant entra, elle donna la coupe, soit par hasard, soit pour une autre raison, à Euxène. Le nom de la jeune enfant était Petta.

La chose une fois faite, le père, pensant que le don était fait selon le dieu, consentit à cette union. Euxène prit donc pour femme Petta et vécut avec elle, en changeant son nom à elle contre celui d’Aristoxène.

Il existe encore maintenant à Marseille une famille issue de cette jeune enfant : elle est appelée « Protiades ». En effet, Protis fut le fils d'Euxène et d'Aristoxène.

 

Athénée (IIIe siècle avant J.-C.), Deipnosophistes XIII, 36 sq. citant La Constitution des Massaliotes d’Aristote 

On connaît l’histoire de Gyptis et Protis grâce à deux récits :

  • L’un, celui d’Aristote, dans sa Politique : « La Constitution des Massaliotes »
  • L’autre, aujourd’hui perdu, écrit au Ier s. ap. JC par Trogue Pompée (Historiae philippicae) et rapporté par l’historien romain Justin au IVe s. ap. JC, soit 700 à 900 ans après les faits supposés réels.

On observe peu de différences entre les textes si ce n’est sur les noms des principaux personnages :

  • Chez Aristote : Petta = Aristoxène. Euxène. Protis est le fils d’Euxène.
  • Chez Justin : Gyptis. 2 chefs : Protis et Simos. Protis épouse Gyptis.
  • Selon la mythologie, Euxène et Aristoxène fondent une γένος (famille). La racine grecque γέν- signifie naître. Elle existe aussi en Latin, par exemple, dans le mot genus, generis, neutre (le genre, l’espèce) et donne en Français, les mots genre, Genèse, génération, engendrer, en Italien genere (le genre) et en espagnol género (genre).
  • L’étymologie des patronymes fondateurs de la cité massaliote révèle une charge symbolique forte :

Euxène : « le bon étranger / hôte » (du point de vue grec)

Aristoxène : « la meilleure des étrangères / hôtesses » (du point de vue grec encore)

Nanos : « le nain » 

Petta : « le petit oiseau »

Gyptis : « la femme vautour », dénomination qui s’expliquerait par le fait que les Ségobriges n’inhumaient pas leurs morts

Protis (= protos) : « le premier »

  • L’hellénisation du sud de la Gaule s’est faite de manière plutôt pacifique par un système d’alliances entre les différents peuples. Ainsi, le verbe συνῴκει, qui caractérise le mode de vie entre Euxène et Aristoxène, est composé du préfixe συν (avec, ensemble) et du nom οἰκία, ας (ἡ) (la maison). On peut donc en déduire que la cohabitation harmonieuse dans le couple fondé par Euxène et Aristoxène est à l’image de l’alliance entre les Gaulois et les Grecs.
  • Le plus souvent les Gaulois respectèrent la cité grecque de Marseille. Mais on raconte aussi qu’à la mort de Nanos, le nouveau roi des Ségobriges, jaloux de la cité voisine, voulut prendre les remparts de Marseille par la force. Cependant, une femme Ligure, parente du roi, dénonça la conspiration. Elle avait un jeune Grec pour amant. Touchée par la beauté du jeune homme, elle lui révéla, dans une étreinte, le secret de l’embuscade, en l’engageant à se dérober au péril. Celui-là rapporta aussitôt la chose aux magistrats de Massalia, et, le piège ainsi découvert, tous les Gaulois furent arrêtés.

Voir aussi :

 

    Pistes de recherche : 

    • La Gaule avant l’arrivée des Romains
    • Le syncrétisme culturel
    • L’apport des Grecs dans le mode de vie gaulois
    • Les rites de fondation d’une cité
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