L'image du corps dans la cena Trimalchionis ?

Quelle image Pétrone donne-t-il du corps dans la Cena Trimalchionis ?

Le corps et les fonctions corporelles sont des thèmes très présents dans la Cena Trimalchionis. L’image du corps est plurielle, ambiguë, nuancée.

I. Le corps apparaît d’une part comme une source de plaisir, de satisfaction et de promotion sociale

1) Source de plaisir physique :

Les plaisirs variés du corps sont évoqués dans toute la Cena : bains, activités sportives, repas (nourriture + boisson = activité principale de la soirée, qui se prolonge tard dans la nuit), plaisir olfactif (usage de parfums pour parfumer l’atmosphère, par ex. le safran, chap. 60 ; guirlandes de fleurs offertes aux invités chap. 70), plaisir sexuel (allusions à des relations sexuelles, homosexuelles ou hétérosexuelles).

2) Source de satisfaction morale :

La tenue vestimentaire est une source de satisfaction morale : habiller son corps de beaux vêtements ou le parer de bijoux permet de révéler sa réussite (pourpre, bijoux en or ou argent, etc.). Trimalcion se livre à une véritable mise en scène de son propre corps (vêtu comme un chevalier, apporté en litière, représenté à plusieurs reprises sur les peintures de son atrium comme un héros ; mise en scène, même, de son futur cadavre à la fin de la Cena, lorsqu’il se fait apporter les objets qui serviront à ses funérailles).

3) Le corps utilisé comme « ascenseur social » :

Le corps est enfin un moyen de changer de classe sociale, ou de monter dans l’échelle sociale :

- un esclave, après avoir été le « favori » de son maître, peut se voir confier des missions plus importantes (Trimalcion est devenu intendant), puis être affranchi voire hériter d’une somme d’argent à la mort de son patron.

- Trimalcion se sert du corps de ses invités, en leur offrant un banquet somptueux et ce qu’il juge être des raffinements, pour tenter de s’élever au niveau des plus hautes classes sociales. Une nourriture abondante et raffinée est perçue comme un signe extérieur de richesse et d’élévation sociale, de même que l’hygiène (bains, parfums à respirer ou à appliquer sur le corps, « commodités » des toilettes offertes aux invités).

II. Mais le corps apparaît aussi comme une source de souffrance, physique ou psychologique 

1) La souffrance physique :

Les souffrances du corps sont évoquées: mort, maladies, et notamment maladies dues à l’appartenance à certaines catégories sociales (obésité des parvenus, excès, dérèglements digestifs de Trimalcion et de Fortunata). La Cena fait dans plusieurs passages allusions aux médecins, à la médecine (dont on trouve le champ lexical notamment dans le chap. 47 : medicus, cerebrum, corpus, fluctus), et peut-être même aux théories de la médecine hippocratique (théorie des fluides, des humeurs ; origine grecque de la médecine visible dans le vocabulaire du chap. 47 : stomachum, anathymiasis). Cas extrême : le corps humain peut subir des métamorphoses (chap. 62 : histoire du loup-garou, qui semble attester d’une croyance populaire fondée sur l’existence de frontières floues entre l’homme et l’animal).

Le corps des esclaves peut être maltraité : humiliation du cuisinier, que l’on déshabille, dans la mise en scène du cochon farci de saucisses ; châtiments corporels infligés aux esclaves ; chute d’un jeune esclave lors d’un numéro de cirque ; allusion au viol des jeunes esclaves servant de « mignons ».

2) Le corps en tant que révélateur d’une souffrance psychologique ou d’inégalité sociale :

Le corps révèle les différences entre les classes sociales, qui deviennent ainsi visibles, à tel point que l’apparence physique peut constituer un code permettant de catégoriser certains individus : par ex., on reconnaît les pueri capillati, les jeunes esclaves servant d’objets sexuels à leurs maîtres, à leurs cheveux longs ; l’obésité due à l’excès de boisson et de nourriture paraît associée à la classe des affranchis, comme Trimalcion (présenté comme un vieillard obèse) ; l’impudeur paraît également associée aux anciens esclaves (Trimalcion se montre aux bains en tenue négligée, soulage sa vessie en public, fait preuve d’un humour scatologique dans l’épisode du cochon soi-disant non vidé, s’éclipse du banquet pour aller aux latrines, danse, caresse son « mignon » en plein repas, parle sans gêne de ses problèmes digestifs, se fait faire un portrait grandeur nature, pleure, met en scène ses propres funérailles... ; Nicéros décrit sans pudeur sa frayeur face au loup-garou, chap. 62).

Le corps, en tant que marqueur social, contribue à la discrimination, à la stigmatisation de la classe sociale des affranchis. Cf. réactions d’Encolpe à ce qu’il voit (étonnement, moqueries, choc) : il trouve les affranchis ridicules, notamment à cause de la liberté avec laquelle ils parlent de leur corps, ou de leur apparence corporelle et vestimentaire. Il est probable que les hommes cultivés trouvent ridicules et de mauvais goût les mises en scène de Trimalcion (par ex. l’humiliation et le châtiment corporel de l’esclave qui a « oublié » de vider le porc, les saucisses imitant les boyaux de porc).

La Cena Trimalchionis révèle ainsi l’existence, chez les Romains, d’un code social du corps. Ce dernier, qu’il soit source de plaisir ou de douleur, d’ascension sociale ou d’aliénation, est étroitement associé à une conception de la société très inégalitaire et très hiérarchisée.

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