L'esclavage à Sparte

Bibliographie

AMOURETTI M.-C. et RUZÉ F., Les sociétés grecques et la guerre à l'époque classique, Ellipses, 1999 

CARLIER P., Les Inférieurs et la politique extérieure de Sparte, in Mélanges Pierre Lévêque. Tome 8 : Religion, anthropologie et société, 1994, p.25-41

DUCAT J., Les Hilotes, BCH, Paris, De Boccard, 1990

LE GUEN B. (dir), Naissance de la Grèce, De Minos à Solon, 3200 à 510 avant notre ère, Belin, 2019, p. 554-557

LÉVY E., Sparte, Histoire politique et sociale jusqu’à la conquête romaine, Points, Seuil, 2003, p. 112-137

SARTRE M., Histoires grecques, « Deux mille esclaves ont disparu ou Les esclaves dans la cité », coll Points, Seuil, 2009, p. 145-151

VIDAL-NAQUET P., Le Chasseur noir, Maspero, 1981

Les Hilotes

Si « l’esclavage-marchandise » est la forme de servitude qui a été la plus étudiée et demeura un pilier essentiel de la société antique, il y eut cependant d’autres formes d’esclavage, dont l’exemple le plus connu, mais non unique, est celui des Hilotes de Sparte. Esclaves attachés à la terre qu’ils cultivent, cédés sans doute avec cette terre, ils ne pouvaient être vendus à l’extérieur de territoire péloponnésien. Sans droits civiques, ils pouvaient malgré tout servir parfois à la guerre. Leur cas mérite l’attention.

Brève chronologie

XIIè arrivée des Doriens ?
fin VIIIè Première guerre de Messénie
VIIè Seconde guerre de Messénie poèmes de Tyrtée
VIè Formation progressive de la Ligue du Péloponnèse À Platées, il y a 7 Hilotes par Spartiate (Hérodote)
446 Grand tremblement de terre à Sparte (toute la ville est détruite, sauf 5 maisons) Défection d’une partie des Hilotes de Messénie ( Thucydide ; Plutarque)
425 Désastre de Sphactérie (292 Lacédémoniens, dont 120 Spartiates
prisonniers des Athéniens) Mise à mort de 2000 Hilotes « trop courageux » (Thucydide). Brasidas enrôle 700 Hilotes en leur promettant la liberté. À la fin de la campagne, il les installe à Lépréon. Une clause de l’accord de 421 entre Athéniens et partiates stipule que les Athéniens viendront au secours des Spartiates en cas de révolte des Hilotes.
420-369 Les Néodamodes (anciens esclaves ayant rejoint la classe des Périèques) participent à l’armée civique spartiate.
404 Victoire des Spartiates sur Athènes
Conspiration de Cinadon (Xénophon)
371 Défaite de Leuctres
370 Indépendance de la Messénie
242 Destitution de Léonidas II
227-223 Coup d’état de Cléomène III 6000 Hilotes rachètent leur liberté
192-179 Philopoemen Les Hilotes libérés doivent quitter Sparte sous peine de redevenir esclaves : ce sera le cas pour 3000 d'entre eux.
146 Victoire romaine. Fin de la condition d’Hilote (Strabon)

 

Origine des Hilotes

Une origine très discutée

  • dans l’Antiquité, il s'agirait de gens originaires d’Hélos, au sud de Sparte. Mais cette reconstitution  s'est opérée sans doute a posteriori,
  • le nom se rattache à εἷλον au participe : ceux qui « ont été pris » ; il s’agirait des Messéniens qui ont été vaincus,

La plupart des Hilotes descendaient des anciens Messéniens qui, jadis, avaient été réduits en esclavage. Aussi les désignait-on sous du nom de Messéniens.
Thucydide, Guerre du Péloponnèse, I, 101

  • mais il y en aurait d'origine plus ancienne : il s'agirait des Achéens soumis par les envahisseurs doriens ; non pas les chefs, mais les paysans qui auraient changé de maîtres,
  • ou encore des Lacédémoniens qui n’auraient pas accepté de se battre contre la Messénie.

On pourrait en déduire sans doute qu'il s'agit non pas d'une origine ethnique, mais d'une origine sociale : certains Lacédémoniens ayant été «dégradés» jusqu’à être réduits au rang d’Hilotes et auraient été assimilés à des couches de population plus anciennes.

Quant aux ancêtres de Lycurgue, le plus admiré fut Soos, sous le règne duquel les Spartiates firent esclaves les hilotes et adjoignirent à leurs possessions un grand territoire, arraché aux Arcadiens.
Plutarque, Vie de Lycurgue,II, 1

Condition de vie des Hilotes

Les Hilotes cultivent la terre à laquelle ils sont attachés. Ils n’ont aucun droit civique, mais ne peuvent être vendus à l’extérieur. C’est un statut comparable à celui des Pénestes thessaliens : ils s’engagent à devenir les esclaves des thessaliens, mais ceux-ci ne pourront pas les expulser. Selon Strabon, pour ce qui concerne les Hilotes d’Hélos :  

« Ils furent condamnés à l’esclavage à certaines conditions : leur possesseur ne serait autorisé ni à les affranchir, ni à les vendre hors des frontières ».
Strabon, Géographie, VIII, 4-5

Cela expliquerait pourquoi les Hilotes étaient considérés comme « dangereux » par les Spartiates : ils auraient une origine ethnique commune ; ils sont placés sur des terres qu’ils connaissent et, versant la moitié de leurs revenus aux Spartiates, ils peuvent malgré tout parfois s’enrichir et être tentés de changer de statut social. Sparte connut de terribles révoltes d’Hilotes ainsi que des mesures de répression sauvages.

Cependant les Hilotes ne s’adonnent pas qu’à l’agriculture. Certains formeront les valets d’armes des jeunes Spartiates. S’ils appartiennent en propre à des familles Spartiates et peuvent être vendus – sans doute avec leur terre – à l’intérieur du pays, ils sont soumis à l'ensemble des Spartiates qui peuvent ainsi user de leurs chevaux, comme dans une communauté.

Méprisés par les Spartiates, les Hilotes étaient aussi les victimes des krypties. Chaque année, les éphores déclaraient la « guerre » aux Hilotes (aussi leurs assassins étaient-ils protégés de la souillure) ; ainsi on pouvait tuer soit tous les Hilotes que l’on trouvait sur les routes la nuit, soit les Hilotes qui avaient été désignés à leurs assassins. Les éphores pouvaient à tout moment faire assassiner ceux qu'ils voulaient.

Voici en quoi la Kryptie consistait. Les magistrats envoyaient de temps en temps courir dans la campagne les jeunes gens à qui ils connaissaient le plus d'adresse et de prudence, et ne leur donnaient que des poignards avec les vivres nécessaires. Ces jeunes gens, se dispersant chacun de son côté, se tenaient pendant le jour cadrés tranquillement dans des endroits couverts, et n'en sortaient qu'à la nuit pour se répandre dans les grands chemins, et égorger tous les Hilotes qu'ils rencontraient. Souvent même, en plein jour, ils tuaient dans les champs les plus forts et les plus robustes de ces esclaves.
Plutarque, Vie de Lycurgue, XXVIII, 2-6

Les mothônès, occupent en tant que jeunes Hilotes un statut particulier. Ils servent le fils du maître pendant son éducation. Ils l'accompagnent à la guerre et dans les syssities (repas pris en commun). Il s’agit sans doute « d’esclaves nés à la maison ». Ces jeunes Hilotes sont affranchis à la fin de leur éducation. Ils demeurent cependant à un statut inférieur.
 

Les Hilotes dans la guerre

Les Hilotes sont liés à la terre qu’ils cultivent . Toutefois les historiens grecs les mentionnent dans leurs écrits comme un  soutien aux armées spartiates, et même d'importance. À Platées, outre sans doute des missions d'intendance, les Hilotes combattirent aux côtés de leurs maîtres "l'aile droite était tenue par 10 000 Lacédémoniens, dont 5000 Spartiates que protégeaient  35000 Hilotes armés à la légère à raison de sept pour chacun des Spartiates".

Plus tardivement le recrutement des Hilotes semble se développer.
Ainsi Cléomène garde ses Hilotes dans sa garde rapprochée : 

Cléomène alla à Héraeum pour y faire un sacrifice. Comme il se disposait à l'offrir lui-même sur l'autel, le prêtre lui dit qu'il n'était pas permis à un étranger de sacrifier en ce temple, et le lui défendit en conséquence. Mais Cléomène ordonna aux Hilotes d'éloigner le prêtre de l'autel, et de le battre de verges; après quoi il sacrifia lui-même, et, le service fini, il s'en retourna à Sparte.
Hérodote, Histoires VI, 81,

Pour une expédition en Thrace, Brasidas emmène ainsi 1000 Spartiates et 700 Hilotes. On en trouve 600 dans l'expédition de Sicile en 413, 1000 en Asie avec Thibron en 399 ; 2000 avec Agésilas. Pendant la guerre du Péloponnèse, les Lacédémoniens n'hésitent pas à s'adjoindre ceux que Thucydide nomme "l'élite des Hilotes " (Thucydide, Histoire de la guerre du Péloponnèse, VII,19).

Cependant l'emploi des Hilotes comme combattants n'allait pas sans entraîner des dangers et il fallait que les Spartiates fassent d'autant plus sentir leur supériorité que les Hilotes avaient pu se montrer courageux au combat. Il semble bien que parfois on ait envoyé des Hilotes dans de lointaines expéditions, dans le but de se débarrasser d'eux et que l'on ait pas hésité à avoir recours à des méthodes plus radicales.

Nombre d'Hilotes


V. Erhemberg donne les chiffres suivants :

  480/560 371
Spartiates 4 à 5000 2500 à 3000
Spartiates inférieurs 500 1500 à 2000
Spartiates + famille 12 à 15000 7 à 9000
Périèques 40 à 60000
Hilotes 140 à 200000
Total 190 à 270 000

cité par Amouretti-Ruzé, Le monde grec antique, p.142

Révoltes d'Hilotes

Maltraités, exploités, massacrés, les Hilotes se révoltèrent à plusieurs reprises, notamment dès que les Spartiates ne furent plus assez nombreux. Un épisode particulièrement célèbre fut celui du "tremblement de terre" de 464. Les Spartiates subirent alors de grandes pertes démographiques et les Hilotes y trouvèrent l'occasion de faire défection. Ce fut une guerre au cours de laquelle les Spartiates durent même faire appel aux Athéniens! Cette "défection" dura dix années.

Les Hilotes et, parmi les Périèques, ceux de Thouria et d'Aethrea se révoltèrent et se réfugièrent au Mont Ithôme.(...)

Les Lacédémoniens, voyant que les hostilités contre les réfugiés de l'Ithôme se prolongeaient, firent appel à quelques-uns de leurs alliés et particulièrement aux Athéniens. Ceux-ci arrivèrent avec des forces assez considérables, sous le commandement de Cimon.(...)

Les assiégés de l'Ithôme, voyant qu'ils ne pouvaient prolonger une lutte qui durait depuis dix ans, conclurent une capitulation avec les Lacédémoniens ; ils s'engageaient à quitter le Péloponnèse sur la foi d'un traité et à n'y plus jamais mettre le pied ; au cas où l'un d'eux y serait pris, il deviendrait l'esclave de celui qui l'aurait arrêté. Avant ces événements un oracle d'Apollon Pythien avait prescrit aux Lacédémoniens de relâcher le suppliant de Zeus de l'Ithôme. Les révoltés quittèrent donc le Péloponnèse avec femmes et enfants ; les Athéniens, par haine des Lacédémoniens, les accueillirent et les établirent à Naupacte
Thucydide, Histoire de la guerre du Péloponnèse, I, 101-103 (traduction de J. Voilquin, 1937)


Cela renforça  la méfiance permanente des Spartiates et leur volonté de contrôler  sévèrement les Hilotes. "On peut donc affirmer qu'au moins à cette époque (de 464 au début du IVe siècle) les Spartiates ont eu réellement peur des Hilotes" (E. Lévy)
 

La libération des Hilotes

Elle intervient au cours du IIe siècle avant notre ère. Tout d'abord, Nabis,  tyran de Sparte dont le règne dura de  205 à 192 av. J.-C., libère une partie des Hilotes, comme le notent Polybe et Tite-Live. Puis Cléomène poursuit cette libération. En 188 Philopoemen fait expulser de Sparte les Hilotes qui ont reçu la citoyenneté : 3000 refusent et sont alors vendus comme esclaves. En 146, la domination romaine modifie l'organisation sociale de Sparte.

L'Hilotie, du reste, s'est maintenue presque sans changement telle qu'Agis l'avait instituée jusqu'à l'époque de la domination romaine, les Hilotes continuant à être pour les Lacédémoniens en quelque sorte des esclaves publics tenus à résider dans des lieux fixes et à exécuter certaines corvées.
Strabon, Géographie VIII, 5, 4, 365

 

Bibliographie

AMOURETTI M.-C. et RUZÉ F., Les sociétés grecques et la guerre à l'époque classique, Ellipses, 1999 

CARLIER P., Les Inférieurs et la politique extérieure de Sparte, in Mélanges Pierre Lévêque. Tome 8 : Religion, anthropologie et société, 1994, p.25-41

DUCAT J., Les Hilotes, BCH, Paris, De Boccard, 1990

LE GUEN B. (dir), Naissance de la Grèce, De Minos à Solon, 3200 à 510 avant notre ère, Belin, 2019, p. 554-557

LÉVY E., Sparte, Histoire politique et sociale jusqu’à la conquête romaine, Points, Seuil, 2003, p. 112-137

SARTRE M., Histoires grecques, « Deux mille esclaves ont disparu ou Les esclaves dans la cité », coll Points, Seuil, 2009, p. 145-151

VIDAL-NAQUET P., Le Chasseur noir, Maspero, 1981

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