Les fêtes Quelques champs sémantiques éclairés par l’histoire de la langue

Noël

Le mot « Noël » vient du latin natalis « jour de la naissance », devenu noël, au lieu de naël par dissimilation (souci de différencier, dès le latin vulgaire pour la bonne compréhension, les suites de voyelles semblables comme aa). Il s’agit de la naissance du Christ, placée le 25 décembre par le pape Jules 1er en 337. Cette date s’inscrit dans un contexte bien particulier. Dès les années 330, après l’officialisation de la religion chrétienne par Constantin, l’église instaure une fête pour célébrer la naissance de Jésus au moment du solstice d’hiver, le 25 décembre où a lieu la fête de la déesse Mithra dont le culte a été introduit à Rome et est devenu officiel en 274 sous Aurélien. Entre le 17 et le 24 décembre ont lieu également les Saturnales, célébrant le dieu des semailles et de l’agriculture, qui donnent cours à des réjouissances : les Romains s’offrent des cadeaux, des porte-bonheur, des gâteaux et décorent leur maison de lierre, de gui ou de houx. En 506 le concile d’Agde fait de cette fête une obligation dogmatique et, en 529, l’empereur Justinien déclare la Nativité jour chômé.

C’est au Moyen Age que la crèche et la messe de minuit s’imposent. Mais, très tôt, les premiers chrétiens vénèrent à Bethléem le lieu de naissance du Christ. Les Mystères vont introduire, dans leur représentation, la crèche qui, ensuite, entrera dans les églises et les maisons sous forme réduite. En verre, en porcelaine, en mie de pain ou en argile, les santons (du provençal santoun : petits saints), inspirés par la tradition italienne, vont reproduire poétiquement la Nativité. Les chants de Noël, répandus par les Bibles de Noël, vendues par les colporteurs du XVe au XIXe siècle, vont apporter à la fête la magie de la mélodie.

La bûche de Noël, avant d’être un gâteau traditionnel, est depuis le Moyen Age une coutume associée au solstice d’hiver. Appelée cosse dans le Berry, chuquet en Normandie, bocque dans les Argdennes, cachofio en Provence, tronche en Franche-Comté, la bûche est en bois dur, de chêne, par exemple, pour brûler toute la nuit ou mieux, pendant trois jours, d’où le nom de tréfeu ou tréfouet qui lui est donné dans certaines régions. Cette flambée est censée purifier les hommes de leurs péchés de l’année et symbolise la lumière apportée par la naissance du Sauveur. Elle est bénite, selon certains rites régionaux par le père de famille et protège la maisonnée. Ses cendres mêlées à la semence, fertilisent les terres.

Son avatar culinaire, la bûche de Noël, clôt traditionnellement, sur les tables françaises, le repas de Noël, dont l’élément principal est la dinde fourrée aux marrons qui remplace désormais l’oie de Noël. Ce volatile, qui doit son nom à Christophe Colomb et qui fut consommé pour la première fois en France pour les noces de Charles IX en 1570, eut un grand succès et prit bientôt une des premières places parmi les volailles sur les tables françaises.

D’autres traditions vont se répandre à époque récente jusqu’à devenir pratiquement le symbole exclusif de la fête de Noël : le sapin d’inspiration germanique et le Père Noël d’origine nordique.

 

Les étrennes et les cadeaux

En langue classique, c’est le mot don (latin donum) le plus employé. Mais il a, depuis, souffert d’une véritable désaffection dans la langue courante qu’on peut attribuer à son absence d’ampleur phonétique ou à son homonymie avec d’autres mots (« dont, donc »). Il subsiste toutefois dans la langue religieuse (p. ex. « les dons du ciel ») ou dans le vocabulaire psychologique (p. ex. « avoir des dons pour la musique »). Si le mot offrande s’est cantonné au vocabulaire religieux, le nom présent a été utilisé également au XVIIe siècle : il est tiré de l’expression « mettre au présent », c’est à dire « présenter ce que l’on offre », d’où simplement « offrir, donner ». De « mettre en présent », on a dégagé le nom « présent » qui, dès le Moyen âge, a été un concurrent sérieux de « don ». Mais « présent » a été concurrencé lui-même par étrennes et cadeau.

Étrennes vient de Strenae, dérivé de Strenua, déesse de la force. En souvenir de l’offrande de bonne augure qui avait été faite à Tatius, roi des Sabins, le 1er janvier (quelques branches coupées dans un bois consacré à Strenua), l’usage s’établit de se faire à la même époque des présents qui prirent le nom de strenae d’où on a tiré « étrennes ». Mais ce mot, très utilisé au XIXe siècle et jusqu’au milieu du XXe siècle, a reculé devant le mot cadeau qui, par son sens large, désigne aussi bien les cadeaux du Père Noël, dont la légende s’est répandue très vite depuis la dernière guerre, que les présents de nouvel an ou même ceux qui sont donnés au cours même de l’année.

Ce mot cadeau a connu, jusqu’au XVIIIe siècle, des orientations sémantiques très diverses avant de prendre sa signification actuelle. Il a été emprunté au provençal au sens de lettres capitales. En calligraphie, « cadeaux » désignait donc les fioritures qui ornaient les lettres. Cette idée de supplément, de luxe, d’ornementation est sans doute à l’origine du nouveau sens qui apparaît au XVIIe siècle, très présent dans plusieurs comédies de Molière : « partie de plaisir offerte à des dames avec repas somptueux et accompagnée de musique ». Le sens moderne n’est efectif qu’au XVIIIe siècle : de « fête offerte à une dame », on passe à celui de « bijoux, livres, jouets pour enfants », donc au sens actuel de présent. Ce mot a donc connu une destinée étrange puisque, tout d’abord réservé à l’écriture, il s’est émancipé de ce champ technique étroit pour gagner le terrain hasardeux des plaisirs galants et enfin s’émanciper dans les larges territoires de la langue commune pour désigner, hors du temps étroit de la fin de l’année ou début de l’année nouvelle, tout type de présent dans la vie de tous les jours.

 

La Chandeleur et le Mardi-gras

L’hiver, aux journées courtes et aux rudes frimas, est aussi illuminée par quelques fêtes où brille la lumière, où abondent, comme par compensation, les réjouissances et les gourmandises.

La Chandeleur, qui a lieu en février, est proprement la fête des chandelles (latin populaire *candelorum, génitif pluriel, dans l’expression festa candelorum, altération par analogie de candelarum). Cette fête commémore, dans la religion chrétienne, la présentation de Jésus au Temple de Jérusalem et les relevailles de Marie, quarante jours après la naissance du Christ. On avait en effet coutume d’allumer des cierges à minuit en symbole de purification. Mais on sait aussi que cette fête s’inscrit dans une tradition plus ancienne. Les lupercales romaines, vers le 15 février, célébrait Lupercus, le dieu de la fécondité et des troupeaux. Les Celtes fêtaient, à la même époque, la purification et la fertilité, au sortir de l’hiver, en parcourant les champs avec des flambeaux.

À l’époque chrétienne, dans les églises, on remplace les torches par des chandelles bénites dont la lueur éloigne le Mal et rappelle que le Christ est la lumière du monde. Les Chrétiens rapportent ensuite les cierges chez eux afin de protéger leur foyer. C’est à cette époque de l’année que les semailles d’hiver commençaient. On se servait donc de la farine excédentaire pour confectionner des crêpes, symbole de prospérité pour l’année à venir. On a dit aussi que les crêpes, par leur forme ronde et dorée, rappellent le disque solaire, évoquant le retour du printemps après l’hiver sombre et froid.

Le carnaval est la période qui s’étend du jour des Rois au début du Carême, jusqu’au Mercredi des Cendres, lendemain du Mardi-gras.

Ce mot « carnaval » est emprunté, au moment des fêtes somptueuses de la Renaissance, par le français à l’italien carnevale, proprement « mardi gras » et issu par méthathèse de carnelevare « ôter la viande », terme qui évoque le jeûne du carême. Le Carnaval a pour fonction de faire oublier les privations de l’hiver et d’annoncer le retour du printemps.

La fête s’accompagne de danses symboliques, de farandoles, dont les jeunes, essentiellement les hommes, (c’est la fête de la virilité) sont les principaux acteurs. Fête des déguisements et des masques qui transforment et cachent la réalité, c’est une période de liesse collective. Libérés des lois, des tabous et des rapports hiérarchiques, les carnavaliers inversent les rôles. C’est aussi l’occasion d’un règlement de comptes collectif, reflet des conflits sociaux, des luttes politiques, des tiraillements entre l’été et l’hiver, le gras et le maigre, le riche et le pauvre... et une invocation à la fécondité de la terre et de la femme, un exorcisme contre les intempéries, les maladies et les catastrophes.

Mardi-gras était le dernier jour où les Chrétiens pouvaient manger du « gras », d’où la fête du bœuf-gras. Les 40 jours suivants, qui précédaient Pâques, ils consacraient leur temps à la prière et ils jeûnaient. Ce jour symbolisait le début du Carême pour les Chrétiens. On a conservé l’habitude, de déguster ce jour-là, des beignets ou des crêpes.

 

Les fêtes de Pâques

Le printemps est marqué, sur le plan religieux, par les cérémonies de Pâques, fêtes du passage vers un renouveau, de la résurrection du Christ, dans la tradition judeo-chrétienne. Elles s’accompagnent de traditions populaires variables selon les pays. Les plus répandues semblent être celles qui entourent les œufs dits de Pâques que les enfants cherchent dans les jardins et dont les représentations varient infiniment jusqu’à constituer de véritables œuvres d’art.

L’œuf vient directement du latin ovum tandis que ovale a été fait à la Renaissance sur le mot œuf. Les verbe qui lui sont rattachés sont tous d’origine latine : éclore vient du latin populaire exlaudere, pondre a pris en français un sens restrictif alors qu’en latin il signifiait largement « mettre, placer » comme l’espagnol ou l’italien actuels, couver a connu la même spécialisation si l’on excepte des sens figurés qui se sont développés au Moyen Age (au sujet d’un incendie, p. ex.). La coquille qui enveloppe l’œuf vient du latin conchylia, terme d’histoire naturelle, pluriel neutre devenu singulier féminin, de conchylium, emprunté du grec. Mais dans œuf à la coque, le mot coque a une origine différente : le latin coccum qui désignait une excroissance et s’est étendu aux enveloppes des œufs et des noix.

Le blanc de l’œuf était désigné en latin par le mot albumen dérivé d’albus « blanc » qui a donné au XVIe siècle le mot aubin (blanc d’œuf), remplacé par le nom de couleur blanc d’origine germanique, le mot albumine étant passé dans la langue scientifique. Le jaune d’œuf, avant d’être désigné par le nom de la couleur, était appelé moyeu (mediolum < medius qui est au milieu), mot que Littré enregistre encore comme vieilli mais qui était bien vivant au XVIe siècle comme en témoigne cette remarque de Rabelais à propos des fouaces de Picrochole : « Fouaces faites à beau beurre, beaux moyeux d’œufs, beau safran, belles épices ». Les préparations culinaires s’expliquent d’elles-mêmes : à la coque, sur le plat, œufs durs, mollets, brouillés. L’omelette apparaît chez Rabelais en 1552 (sous la forme homelaicte) dont l’origine est problématique.

On le voit, le vocabulaire de l’œuf est profondément rural et, si l’on excepte quelques racines françaises, tout entier d’origine latine.

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