Du côté de la parole et de l’écrit Quelques champs sémantiques éclairés par l’histoire de la langue

Le mot parole vient du latin ecclésiastique parabola devenu *paraula, proprement « parabole du Christ » d’où « parole du Christ » et, par affaiblissement de sens, « parole » en général. Le dérivé parolier, « celui qui fait les paroles d’un morceau de musique » (1843), peut aussi signifier « bavard ».

En Gaule et en Italie, le mot latin loqui qui signifiait « parler » a été remplacé par un verbe issu du latin ecclésiastique, parabolare (VIIe s.), dérivé de parabola, qui a donné parler  en français. Le mot latin familier fabulari, qui signifiait « bavarder », a triomphé en péninsule ibérique (espagnol hablar, portugais fallar). De nombreux dérivés et composés sont apparus ensuite : parlage (1770), Parlement (1080), parlementer (XIVe s), parlementaire (1776), parlementarisme (1852), parleur (1170), haut-parleur (1925), 1465), reparler (XIIeparloir (XIIes), parlote (1829), déparler (XVIIe s.), pourparler (1465).

A côté de ce mot, se sont développés de nombreux vocables dépréciatifs. : palabre et palabrer (à partir de l’espagnol palabra), pétorer, à partir du latin perorare par formation savante, et son dérivé péroraison, mais aussi babil, babiller, babillage ou papoter, papotage ou encore jaser, par formation onomatopéique. On a aussi des mots rattachés à des noms d’oiseaux : jaqueter (XVIe s, à partir de jacques, nom familier de la pie) et son dérivé jactance

D’un point de vue syntaxique, le verbe parler autorise deux constructions : « parler le français » avec l’article ou « parler français » sans l’article.

Dans le premier cas, le sens est virtuel ou largement ouvert. L’expression peut notamment être complétée par un substantif : parler le français de Molière. Dans le deuxième cas, sans article, le sens implique une réalisation ou une différenciation : il parle français et non anglais.

Par ailleurs l’absence d’article donne lieu à des expressions figurées : parler français, c’est à dire parler clairement. Cet extrait de la Vie de Marianne de Beaumarchais le montre clairement : « Le discours était assez net, il était difficile de parler plus français ».

On peut aussi trouver cette construction avec un nom d’homme (« parler Vaugelas », c’est à dire très correctement), un nom commun indiquant une façon de parler (« parler raison », c’est à dire sagement, « parler curé », comme un curé) ou le thème de la conversation (« parler musique », « parler affaires »). On trouve les mêmes constructions avec les verbes raisonner (« raisonner langue, histoire et grammaire »), songer, rêver, respirer et dans les slogans publicitaires : « Dormez Simmons », « Pour vivre heureux vivons Périer »… Mais, en dehors de la publicité, ces constructions sont exceptionnelles et appellent les guillemets.

 

Du côté de l’écrit

Le mot bureau apparaît régulièrement au XVIe siècle au sens de « table à écrire », notamment lorsqu’il s’agit d’administration et de compte. Le mot désignait une étoffe assez rude, propre à servir de tapis de table ou de vêtement pour les pauvres gens. C’est cet emploi que l’on retrouve dans ces quelques vers de Villon (Testament) : « Mieux vaut vivre sous gros bureau,/ Pauvre, qu’avoir été seigneur/ Et pourrir sous riche manteau ». Le mot est courant dès le XIIIe siècle alors que le simple « bure », qui vient du latin populaire bura, variante de bourra (> fr. « bourre »), n’est vraiment utilisé qu’à partir du XVIe siècle pour dénommer uniquement l’étoffe, « bureau » désignant de plus en plus la pièce où se trouvent la table de travail mais aussi le service et les personnes concernées. Au XVIIe siècle, le « bureau d’adresses » crée par Théophraste Renaudot, fondateur de la Gazette de France, joue le rôle de petites annonces. Quant aux « bureaux d’esprit », ils désignent de manière ironique les salons littéraires. Le « buraliste » est, à cette époque, le responsable d’un bureau dépendant des finances publiques. Au XVIIIe siècle, où se développe l’administration, le mot « bureaucratie » va désigner, avec son suffixe grec (cratie), le règne des bureaux. Aujourd’hui, le sens d’étoffe a disparu dans les acceptions du mot mais « bureau » qualifie toujours un meuble conçu pour le travail de l’écriture, comme le bureau des écoliers, ainsi que le lieu d’un travail plus ou moins administratif. C’est dans ces acceptions qu’il est le plus usité. « On va le matin au bureau » mais dans la journée on effectue les opérations postales au « bureau de poste » et même on va au « bureau de tabac » pour acheter ses cigarettes et ses timbres.

 

Le livre

Le papyrus, fourni par l’Egypte, a été jusqu’au VIIe siècle le support d’écriture des Romains et des Mérovingiens. Le parchemin (dont le nom vient de la ville de Pergame en Asie Mineure), déjà utilisé pour les ouvrages de luxe de l’Empire romain, est devenu le support habituel des écrits. Remplacé par le papier, inventé par les Arabes au XIIIe siècle, le parchemin trop coûteux a été réservé aux actes officiels puis a disparu de l’usage courant. Le mot carte, qui désignait en Italie le papier, a connu en français des sens divers, précisés par des compléments, avant de désigner, sous son dérivé carton, un papier très fort. C’est le mot papier, dérivé de papyrus avec le suffixe –ier, qui, dès le XIIIe siècle, a été utilisé et a donné ensuite les dérivés papetier et papeterie au XVe et au XVIe siècle. C’est ce dernier mot qui s’est ensuite répandu dans les autres langues européennes.

Le mot livre (liber : écorce sur laquelle on pouvait écrire) désigne dans le monde romain le contenu d’un rouleau de papyrus : ainsi l’Enéide était divisée en douze livres ou rouleaux, encore appelés volumines. Le volumen a donné le mot volume en français qui désigne très précisément une partie de livre. Le mot tome, emprunté au latin tomus au XVe siècle (tomos : coupure) s’applique à une partie de la composition d’un ouvrage.

Le livret (XIIIe siècle) est un diminutif de livre et désigne de façon spécialisée le support écrit d’un opéra ; l’opuscule a été emprunté au XVIe siècle au latin opusculum, diminutif de opus (ouvrage) ; la brochure est un dérivé du début du XVIIIe siècle du verbe brocher (coudre les feuilles à l’aide d’une broche). Le monde de l’écrit c’est aussi celui du numérique et des médias.

 

Le mot roman

Il est issu d’un adverbe latin romanice, qui signifiait « à la manière des romains », « en langue romaine » (par opposition à la langue française), dérivé lui-même d’un adjectif classique romanus : « romain ». Rome répandit en effet dans toutes les provinces de son empire sa langue en même temps que le nom attribué à ses citoyens, celui de Romanus. Les peuples conquis adoptèrent ce nom, qui les distinguait des barbares, et la lingua romana qu’ils déformèrent en l’adaptant à leurs propres habitudes articulatoires. C’est cette langue romaine déformée qui est dite romanz en ancien français. Le mot « roman » désigne alors tout écrit en langue vulgaire, et même toutes traductions du latin en langue romane. Mais, devant la production littéraire croissante de récits et de contes, le mot prend rapidement, au Moyen Age, une signification nouvelle et désigne toute œuvre narrative en vers si elle n’est pas destinée à être chantée, si elle est ample et procède d’en effort d’élaboration artistique dans la présentation du discours, des circonstances et des faits, drame ou aventure, si enfin elle met en scène des héros imaginaires dont la personnalité est présentée dans une part importante de leur vie. On le voit, cette définition peut encore s’appliquer au roman moderne avec sans doute quelques aménagements occasionnés par le développement du genre romanesque du Moyen Age à nos jours.

 

Le génie et le talent

Nos auteurs ont-ils du génie ou du talent ? C’est effectivement une question qu’on pourrait légitimement se poser à ne considérer que l’évolution historique de ces termes.

De ces deux mots, talent est le plus ancien et son origine est bien connue : il s’agit du mot latin talentum, emprunté au grec, qui désigne un poids d’environ 25 kilogrammes. En or ou en argent, le talent servait de monnaie de compte pour les sommes élevées. Le talent se mesurerait-il au poids ? Comment est-on passé de ce sens matériel au sens actuel, c’est à dire celui de « don naturel » ?

Une première hypothèse serait qu’effectivement le talent est « le poids qui fait pencher la balance », c’est à dire « la décision qui emporte la volonté ». A La Renaissance, une influence nouvelle aurait fait varier le sens du mot : la « Parabole des talents » dans l’Evangile de Matthieu.  Le talent enterré par le serviteur infidèle serait le don naturel qu’il n’a pas su faire fructifier.

Pour rester plus près des usages attestés, disons qu’au Moyen Age, le mot appartient plus au domaine de la volonté qu’à celui du jugement ou des aptitudes. Il a souvent le sens de désir, d’intention. Encore au XVIe siècle, Rabelais l’utilise dans cette acception lorsque, dans la « Pantagrueline Pronostication », il prédit que les hommes « quelquefois riront lorsque n’en auront talent ». Toutefois, au cours du siècle, ce sens régresse et le mot se charge d’une signification nouvelle : celle d’aptitude et de capacité. Boileau conseille, par exemple, à l’écrivain médiocre : « Soyez plutôt maçon si c’est votre talent ». Le mot est même utilisé pour désigner les plus hautes aptitudes et entre dans les éloges des Grands. Ainsi Bossuet glorifie les talents du Prince de Condé dans l’oraison funèbre qu’il lui consacre.

  Mais ce mot va se trouver, dès le XVIIIe siècle, concurrencé par celui de génie qui n’est qu’un emprunt de date plus récente au latin genius : esprit qui préside à la destinée de chaque homme. C’est ce sens que l’on retrouve dans l’expression « être le bon génie ou le mauvais génie de quelqu’un » et dans le nom générique donné aux créatures fantastiques des contes.

Dans le latin impérial, on trouve toutefois le mot genius avec le sens d’inspiration. C’est celui qui apparaît sous la plume de Du Bellay dans la Défense et Illustration de la langue française (1549) : il parle de la particularité des poètes qui ont « cette énergie, et je ne sais quel esprit qui est en leurs écrits que les Latins appelaient genius ». Les écrivains du XVIIe siècle l’emploient au sens de « don naturel » et Fénelon, dans sa Lettre à l’Académie place le génie parmi les éminentes qualités du poète. La Bruyère utilise le mot à côté de celui de talent, le génie désignant le don naturel, et le talent, l’aptitude. Rousseau établit une hiérarchie nettement en faveur du génie, n’accordant aux femmes que le talent, et les romantiques consacrent le triomphe du génie sur le talent : « Ah frappe-toi le cœur, c’est là qu’est le génie » s’écriera Musset.

Cette valorisation du mot nous est restée à nous qui appelons « génie » ce qui est exceptionnel dans tous les domaines. Le talent, quoique toujours prisé,  a perdu le sens fort qu’il pouvait avoir au XVIIe siècle mais reste tout de même révélateur de qualités indéniables et singulières.

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