Le temps des plaisirs Quelques champs sémantiques éclairés par l’histoire de la langue

L’été, c’est le temps des voyages et du tourisme, loisirs relativement récents dont les mots sont souvent empruntés à d’autres langues ou à d’autres domaines du vocabulaire. En voici quelques-uns de très courants :

Le mot voyage est sans doute le plus ancien puisqu’il vient du latin viaticum, proprement « argent et provisions emportés en voyage », puis « voyage » lui-même. Au Moyen Age, le mot désigne surtout les pèlerinages et les croisades. Croisière, qui a aujourd’hui le sens de voyage d’agrément en bateau, vient du mot « croiser » (formé sur « croix », du latin crucem) qui signifie « aller et venir dans les mêmes parages » en parlant des bateaux de guerre, appelés « croiseurs ».

Ces déplacements permettent d’admirer des paysages (dérivé de « pays »), mot de sens esthétique, lié à la peinture et à la belle nature, tout comme site d’ailleurs, emprunté à l’italien sito, du latin situs « situation ». Il a été introduit au XVIe s. dans le vocabulaire de l’Art : Diderot l’utilise dans ses critiques de tableaux, Rousseau parle des sites de Vevey. Il s’agit donc d’une nature choisie et particulièrement bien présentée et harmonieuse.

Pour mieux découvrir ces sites, un guide est parfois nécessaire. Emprunté à l’italien guida vers la fin du Moyen Age, il a d’abord désigné celui qui a la connaissance des lieux peu connus, notamment dans la langue militaire. Il s’est répandu ensuite dans les faits de la vie civile et notamment dans l’activité touristique. Le mot désigne aussi un ouvrage, destiné d’abord à guider les âmes pécheresses vers le salut, qui s’est appliqué ensuite à des manuels techniques sur les métiers ou les voyages. L’adjectif touristique lui a été adjoint lorsque les voyages de loisir et de découverte ont pris de l’essor. Il est dérivé du mot « touriste », emprunté au XIXe siècle à l’anglais tourist dérivé de tour, qui a pris le sens en anglais de voyage.  Stendhal intitule son récit de voyages Mémoires d’une touriste (1838) mais le mot « tourisme » est  d’usage un peu postérieur. Le tourisme qui s’est développé depuis le XIXe siècle est l’occasion de voyager et notamment de naviguer le long des côtes pour découvrir rivage et littoral, promontoires, criques, calanques, golfs, caps, falaises…

 

Les mots du littoral

Alors que les mots latins litus et ora n’ont pas eu de dérivés en français, que le mot costa, attesté au sens de « côte du corps », ne le soit pas au sens de « rivage » en latin (ce dernier sens serait dû à un emploi figuré qui s’est répandu à partir du XIIe siècle), le mot rivage découle clairement de rive qui vient du latin ripa. Le suffixe généralisateur lui permet de désigner un ensemble de rives. Le littoral, d’abord adjectif n’est entré dans l’usage qu’à la fin du XVIIIe siècle. C’est un emprunt au latin littoralis qui vient de litus « côte ». Il ne sera employé comme nom qu’au début du XIXe siècle.

Les mots qui désignent les sinuosités du rivage sont empruntés à diverses langues, le latin étant relativement dépourvu de termes spécifiques.

Parmi ceux qui traduisent des avancées de la mer dans les terres, le mot golf vient de l’italien et s’emploie surtout pour les rivages de la méditerranée. Il se rencontre dès le XIIIe siècle et se différencie du mot gouffre à partir du XVIIe siècle. Baie vient de l’espagnol bahia, d’origine ibère, et le mot anse est un emploi figuré de anse au sens de « poignée recourbée » qui vient du latin ansa.

Les mots crique et calanque sont d’origine dialectale. Crique vient de Normandie et sans doute de l’ancien scandinave krikki ; calanque, qui comporte un suffixe alpin, est sans doute un mot antérieur à l’arrivée des romains et emprunté au provençal calanco à partir de cala.

Parmi les mots qui désignent des avancées de terre dans la mer, notons le mot cap, d’origine provençale qui ne s’est généralisé qu’au XVIIIe siècle dans son sens géographique. Il désigne d’abord en provençal « la tête » (comme le montre l’expression « de pied en cap »), équivalent du mot français chef, qui vient du latin caput. Le mot pointe est un emploi figuré du même mot que l’on retrouve dans quelques expressions (« pointe du raz », p. ex.). Promontoire est un emprunt spécialisé au latin promontorium, qui avait le sens plus large de crête montagneuse. Deux mots d’origine germanique font leur apparition au Moyen Age : falaise, apparenté à fels qui signifie en allemand moderne « rocher », dune qui vient du néerlandais dune mais que l’on peut rapprocher aussi du latin de la Gaule dunum (« hauteur »), présent dans Lugdunum p. ex. (Lyon).

On voit donc que les emprunts sont nombreux dans ce vocabulaire dont les sources sont méridionales ou nordiques, la France se trouvant au confluent de deux domaines prédominants dans l’histoire : la méditerranée et les espaces maritimes du nord.

 

Les mots de la mer

Contrairement à l’ensemble des mots français, les mots de la mer ne sont pas majoritairement issus du fonds latin, si l’on excepte des mots tels que mer, port, nef navire, vaisseau, voile, ancre, gouvernail. La plupart sont des emprunts aux langues des peuples du Nord ou du Sud, dont l’activité maritime était plus importante à l’époque médiévale que celle des français.

Parmi les premiers, on note des mots comme mât et bord qui ont été importés par les Francs, d’autres qui proviennent des langues scandinaves, comme hauban, hune, étrave, écoute, tillac, cingler (ou anciennement sigler à partir d’une racine qui signifie « voile »), d’autres, des langues anglo-saxonnes comme bateau, boutine ou les appellations des points cardinaux (Nord, Est, Ouest, Sud) réservées sous cette forme au vocabulaire scientifique, l’usage littéraire préférant midi, couchant, septentrion, orient ou levant, occident ou ponant. Le néerlandais a fourni hâler, matelot, havre (« port »), bâbord, tribord. À l’époque moderne, d’autres termes ont été empruntés à l’anglais : paquebot (packet boat), canot (par l’intermédiaire de l’espagnol canoa parlé dans les Caraïbes).

La marine byzantine, toute puissante en Méditerranée, a laissé également des traces dans le vocabulaire français. La Chanson de Roland évoque des dromons (« vaisseaux rapides ») et des chalands (limités à la navigation fluviale). Les gabarres et les galères (d’abord galies mais dont la forme a été influencée par l’italien) ont gagné nos usages de même qu’un certain nombre de termes de la péninsule italique : caravelle, boussole, proue, amiral (à partir de l’arabe émir, langue qui nous a donné également le mot arsenal). Des influences régionales, propres à la France, ont influencé quelques mots : le provençal barque a remplacé le mot barge et câble s’est substitué à châble.

Mais les noms des bateaux sont, pour la plupart, d’origine latine. Le mot vaisseau (vascellum, diminutif de vas : « récipient, vase ») a d’abord désigné toute espèce de récipients et, sous sa forme féminine (issue du neutre latin vascella), l’ensemble des récipients domestiques. De nos jours, c’est un terme générique, peu employé, sauf dans un sens très particulier, celui de « vaisseau sanguin ». Le vieux mot nef a subsisté jusqu’au XVIIe siècle, et parfois le XVIIIe siècle, dans le vocabulaire littéraire (sous la forme nauf ou nau dialectalement). Ce mot vient du latin navis (« navire ») et ne désigne plus que la partie centrale de l’église. Nacelle (navicella, « petite embarcation ») est plutôt employé pour parler d’un habitacle restreint, navette (navitta), pour évoquer l’instrument de forme analogue utilisé par le tisserand et, par métaphore, pour exprimer un mouvement incessant dans l’expression faire la navette. C’est un autre dérivé du latin navis qui est devenu le mot le plus usuel : navire (< lat. navigium qui a donné navirie, naville, navie, navoi), forme qui s’est stabilisée au XVe siècle, d’abord au féminin, et, à partir du XVIIe siècle, au masculin. Le mot barque (barca, d’origine orientale) s’est imposé sous la forme barge qui a subsisté pour désigner de petits bâtiments plats, puis la forme barque qui a donné les dérivés embarquer, débarquer et embarcation (par l’espagnol). À époque récente, se sont répandus des mots comme bâtiment, frégate, clipper, pétroliers et bien d’autres d’origines diverses.

 

Les formes et sens du mot " eau"

Le mot « eau » vient du latin aqua. Il est apparu vers 1150 sous la forme ewe en ancien français puis un a s’est developpé entre le e et le w, d’où une forme eaue (prononcée en triphtongue) dont le e final est tombé au XVIe siècle. Coexistent en outre les formes aive, eve, conservées dans les dialectes poitevins-charentais, et aigue, dans les régions méridionales. Ces formes se retrouvent dans des composés, bien entrés dans le français, comme « évier » ou « aiguière », « aigue marine », ou des toponymes comme Aigues mortes. On trouve la forme eux dans le mot « gâteux » qui désigne celui qui est « gâté par ses eaux » et donc incontinent au Moyen Age.

Le mot « eau » a donné des composés comme « eau de vie », au XIVe siècle, traduction du latin des alchimistes aqua vitae (où l’italien acquavite) : les alchimistes s’étaient crus en présence de l’élixir de longue vie en trouvant de l’alcool à la suite de distillations de vin. « L’eau ardente », traduction de l’espagnol aguardente, est un mot usité au XVIe siècle et aujourd’hui en Provence et Languedoc pour désigner « l’eau de vie ». L’eau-forte qualifie, chez Ambroise Paré, l’acide azotique et, au XIXe siècle, une gravure (d’abord « gravure à l’eau forte ») : « l’aquafortiste » est donc l’artiste qui grave à l’eau-forte. Le mot « morte-eau » désigne une marée de faible amplitude depuis 1484, date de sa première attestation.

À côté de ces formes, existent évidemment des mots de construction savante formés sur la racine latine aqua : « aquatique, aquarium, aqualifère, aqueduc, aquaplane, aquanaute… » ou des emprunts à l’italien comme « aquarelle, aquatinta » (gravure qui imite le lavis).

Combiné à des adjectifs ou à d’autres mots, notons par exemple, de formation plus récente, « les eaux-vannes » (particules liquides contenues dans les fosses d’aisances), les eaux usées (des égoûts), « l’eau de constitution » (faisant partie intégrante de la molécule d’un composé), « l’eau de cristallisation » (en combinaison avec certaines substances chimiques à l’état de cristaux), « l’eau mère » (résidu d’une solution après cristallisation d’une substance qui y était dissoute), « faire eau » (se remplir d’eau accidentellement, en parlant d’un bateau), « eau de source », « eau minérale », « eau de Seltz », « eau des Barbades » (citronnelle), « eau de Cologne », « eau de toilette », « eau de Javel », « eau de chlore »... Au pluriel le mot « eaux » donne lieu à des sens particuliers : « ville d’eaux », « prendre les eaux » » (eaux thermales), « perdre les eaux » (liquide amniotique), « eaux territoriales » (eaux dépendant de la souveraineté d’un état)… Des expressions ajoutent, à ces emplois nombreux, des sens figurés : « Mettre de l’eau dans son vin », « Avoir l’eau à la bouche », « Tant va la cruche à l’eau qu’elle se casse »…

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