L'enlèvement de Perséphone D'après H.S. Brès, Mes beaux contes mythologiques, 1921

Voici  l’histoire que racontaient autrefois les paysans tout en moissonnant les lourds épis dorés par le sourire de Déméter...

Quand la grande Déméter eut créé le blé nourricier, elle dit à sa fille Perséphone :

« Je vais chez Héphaïstos chercher des faucilles. Que feras-tu en mon absence ?
— Mère, nous voulons, les Nymphes et moi, aller dans la prairie tresser des guirlandes de narcisses pour couronner les troupeaux. »

Déméter hocha la tête en murmurant : « Je n’aime pas cette fleur, favorite d’Hadès, parce qu’elle endort du sommeil de la mort ceux qui la respirent trop longuement... Ce fou de Narcisse, d’ailleurs, ne méritait guère de revivre ainsi. » La jeune fille sourit, se rappelant que le beau Narcisse passait son temps à admirer son reflet dans les ruisseaux et que les dieux l’avaient changé en fleur pour le punir de son orgueil.

Or, dans la prairie éblouissante les jeunes filles s’éparpillèrent en chantant pour faire leur cueillette. Perséphone aperçut une plante qui portait cent fleurs sur la même tige ; elle y courut et sa main la touchait, quand, tout à coup, la terre trembla et s’ouvrit. Une nuée bleuâtre s’en éleva d’où sortirent des chevaux noirs à rênes d’or, traînant le sombre char du Roi des Enfers. Celui-ci saisit Perséphone et, malgré ses cris, la plaça près de lui, puis tout l’équipage s’enfonça dans l’abîme entr’ouvert, qui se referma aussitôt.... Les amies de la jeune fille s’enfuirent éperdues.

Hadès enlève Perséphone, fresque de la tombe de Vergina, 340 av. J.-C.
© Wikimedia Commons 

Quand Déméter rentra au logis, elle appela sa fille et aucune voix ne répondit; alors elle pensa que la troupe étourdie s’était trop éloignée dans les champs. Elle sortit, regardant de tous côtés, et, de plus en plus inquiète, elle courut aux alentours... Personne! Les Nymphes, encore épouvantées et tremblantes, restaient cachées dans des abris reculés. Vainement la mère en larmes chercha sans répit pendant neuf jours et neuf nuits, questionnant toutes les divinités des champs : les Naïades, assises avec leur cruche auprès des sources ; les Dryades, qui dansent autour des grands arbres et les Hamadryades, qui habitent sous l’écorce même. Chacune affirmait : « Perséphone n’a point passé par ici. » Enfin elle apprit de la nymphe Aréthuse que Perséphone était devenue l’épouse du roi Hadès, qui habite, au centre de la terre, un grand palais d’or et de pierres précieuses, mais où la lumière est si pâle que Perséphone toujours triste regrettait le soleil. À cette nouvelle, la déesse fit dire à Zeus : « Ordonne que ma fille me soit rendue immédiatement, sinon je laisserai la terre entière mourir de faim. » Mais le Roi des Enfers refusa de laisser partir sa compagne. Alors Déméter réunit ses amies, Pomone, déesse des fruits, Flore, déesse des fleurs, et, joignant les mains, s’écria plaintive et farouche : «  Pleurez avec moi! Et vengez-moi : Hadès m’a volé ma fille! » D’un geste prompt, Pomone renversa sa corbeille de fruits mûrs ; Flore détacha sa couronne de fleurs ; puis elles les piétinèrent en disant : «  Malheur aux fleurs et aux fruits tant que la mère affligée ne sera pas consolée. »

Bientôt, la famine commença à sévir sur la terre, en sorte que les Immortels eurent peur de voir mourir tous les hommes et les animaux. Il fallut aviser et trouver un moyen de contenter Déméter et Hadès à la fois. Pour arranger les choses, Zeus décida que chaque année, à la saison des narcisses, Perséphone viendrait durant six mois vivre avec Déméter ; mais, le reste du temps, elle dut habiter le palais d’Hadès. Ainsi le blé, à l’automne, disparaît sous terre et demeure caché tout l’hiver ; puis, au printemps, la future moisson s’élance joyeusement vers le soleil !