Le chien : un "gardien muet" à qui l'homme peut donner un nom

Programme d’enseignement optionnel de LCA de seconde générale et technologique

Objet d'étude : L'homme et l'animal

 

Notes

14- « Le fragment, à fond noir, représente une saynète visiblement tracée par une main malhabile : l’on y voit, outre d’assez nombreux traits parasites dont on n’a pas à tenir compte, un chien, le poil dressé et l’œil grand ouvert, tiré au moyen d’une laisse par un personnage qui pourrait fort bien être un enfant (et en l’espèce l’auteur), ce qui expliquerait le caractère très stylisé du dessin. » (Fabrice Poli, « Cave canem, une nouvelle onomatopée latine sur une inscription de Périgueux », dansE. Oudot et F. Poli (éditeurs), Epiphania. Recueil d’Études orientales, grecques et latines offertes à Aline Pourkier, Nancy/ADRA, Paris/diffusion De Boccard, 2008, p. 456). Sur la présence d’une labiale initiale dans baubārīet son absence dans VAVA, l’auteur conclut : « Il faut [alors] y voir un processus d’affaiblissement - qui demeure toujours, au demeurant, une spirantisation - mais qui serait propre à la langue orale et familière, registre auquel appartiennent les onomatopées et dont on peut supposer qu’elles ne sont pas soumises aux mêmes règles que la langue classique. » (o. c., p. 458).

15- Lucrèce,De la nature, 5.1060-1070. Texte et traduction d’H. Clouard.

16- Ennius,Annales, 10, 333-334 : ex nare sagaci / Sensit, voce sua nictit ululatque ibi acute, « il a senti (les bêtes) grâce à son odorat subtil, il donne de la voix et produit alors des hurlements perçants ». 

17- Voir Guy Serbat, « Nictit canis(Festus, 184,3) », dansFest-Schr. H. Rix : Innsbruck, 1993, pp. 413-417.

18-  Autre dénomination : « chien de Duncombe ». On suppose qu’il s’agit de la copie romaine d’un original en bronze d’époque hellénistique.

19- Voir Michèle Blanchard-Lemée et al.,Sols de l’Afrique romaine, Paris, Imprimerie nationale, 1995, pp. 184-185 (photographies de Gilles Mermet).

20- Comprendre(te) tenet/retinet insciam. On expliquera la désinence d’ablatif pluriel abrégée dansmorsibuset rétablie ici entre parenthèses. La traduction officielle du musée semble rattacher insciam à sepulcrum mais les mots étant de deux genres différents, il faudrait en faire une hypallage, ce qui nous semble peu pertinent.

21- Pierre Chantraine, Dictionnaire étymologique de la langue grecque. Histoire des mots, Paris, Klincksieck, 1999, p. 719 et p. 604.

22- Le mot glukon est un adjectif grec signifiant « doux » et le nom commundeliciumest le mot habituel en latin pour qualifier l’animal de compagnie auquel le maître est très attaché [vocabulaire amoureux]. cf. Catulle, Martial, l’épitaphe de Patricè ; chez Pétrone, il est utilisé pour qualifier les relations de Trimalcion avec son mignon Crésus.

Ce dossier constitue une version légèrement remaniée de notre article : « Représentations littéraires et artistiques du chien dans l’Antiquité romaine : du chien utilitaire au chien de compagnie », Une bête parmi les hommes : le chien. De la domestication à l’anthropomorphisme, C. Beck et F. Guizard-Duchamp (éds), coll. « Encrage université », 2014 pp. 37-68.

 

1. Le langage du chien : un « gardien muet » ?

Columelle, dans son éloge du chien (De l’Agriculture, VII, 12, 1), précise que c’est à tort, selon lui, qu’on classe cet animal parmi les « gardiens muets » (de mutis custodibus) puisqu’il aboie. Le langage du chien repose pourtant bien sur une combinaison entre ce qui est sonore (les aboiements) et ce qui est visuel (son attitude corporelle). Nous reproduisons ici un graffiti du Musée de Périgueux, qui représente de manière très sommaire une chasse aux cerfs :

Le graffiti VAVA © Cl. Bernard Dupuy. Collection Vesunna, Ville de Périgueux (France).

Le graffiti VAVA © Cl. Bernard Dupuy. Collection Vesunna, Ville de Périgueux (France).

L’intérêt de ce document n’est pas tant artistique14que linguistique, en raison de l’onomatopée VAVA[wawa], qui se situe au-dessus du chien : le mot se prononce bien comme le français « Ouah Ouah ». Le dernier texte que nous citerons à cette fin est un extrait de Lucrèce, qui prend place dans une réflexion plus générale sur l’origine du langage ; il dénote, de la part du philosophe épicurien, une très fine observation des chiens, et tout particulièrement de la chienne :

« Quand la grande chienne des Molosses, dans le premier accès de sa fureur, gronde en retroussant ses molles babines sur ses dents solides, elle nous menace, de sa rage qui lui fronce le mufle, avec des sons tout autres que ceux dont elle fait retentir l’espace quand elle aboie. Mais quand, d’une langue caressante, elle s’efforce de lécher ses petits ou lorsqu’elle les caresse de ses pattes, ou que les agaçant de morsures inoffensives elle feint de vouloir les dévorer, le tendre accent de sa voix ne ressemble ni à ses hurlements quand on l’a laissée seule à la maison, ni à ses plaintes quand elle fuit en rampant les coups qui vont la frapper15. »

Dans le cadre de son raisonnement sur le langage, le poète est très précis dans la description des différentes attitudes de la chienne et des différents sons qu’elle émet. Il distingue ainsi : 1. l’étape d’intimidation (grognement sonore et modification de la face avec froncement du mufle), ce qui doit suffire normalement à désamorcer tout conflit en établissant la hiérarchie ; 2. l’aboiement sonore, lorsque le chien veut imposer sa présence ; 3. l’absence d’aboiement lors du léchage ; 4. les tendres jappements adressés aux chiots ; 5. les plaintes de désespoir, hurlements « au loup », lorsque le chien est seul, abandonné ; 6. les petits cris de soumission, voire de douleur. 

Le texte de Lucrèce est si précis qu’on y trouve l’hapaxbaubari, qui lui sert à distinguer ce cri de celui de l’aboiement, que recouvre le verbe latrare.Baubari, c’est « faire le loup » ou « pleurnicher », comme sait si bien le faire un chien qu’on laisse tout seul dans une pièce. Latraredésigne des aboiements adressés à une source, à un récepteur (quelqu’un/ quelque chose), et baubarides aboiements qui ne servent au chien qu’à exprimer son mal-être. Ce verbe baubari n’apparaît plus tard que chez les grammairiens et les glosateurs. Il est un autre verbe propre au chien, mais auquel Lucrèce ne fait pas référence dans ce passage ; c’est nictit, mot qui, selon Festus (184.3) commentant un vers d’Ennius16, indique un jappement caractéristique du chien tenu en laisse, alors qu’il est sur la trace d’un animal et qu’il brûle d’impatience de se lancer à sa suite17. Si Lucrèce étudie bien la posture de l’ensemble du corps, il ne dit rien de la queue et des oreilles, auxquels le chien a pourtant prioritairement recours pour communiquer avec ses semblables, l’aboiement étant surtout utilisé en présence d’humains. Il relève certains signaux visuels (les babines retroussées), sonores (les modulations dans les aboiements), les « techniques éducatives » de la mère, avec des attitudes dont le chiot devra assimiler le sens, pour pouvoir trouver sa place dans la meute sans engendrer de conflit (léchage et pattes sur le corps). Il est possible que la chienne puissante dont parle Lucrèce soit le chien dit d’Alcibiade ou « de Jennings »18.

chien d'Alcibiade

Le chien d’Alcibiade, marbre (H. : 1,05 m), IIe s. apr. J.-C. (?). © Trustees of the British Museum.

On voit qu’il s’agit d’un chien fort et musclé, au museau carré, à la tête large et solide, au cou puissant avec un collier de poils bouclés répartis en touffes et qui contraste avec le reste du corps (poils courts), une bonne dentition mise en valeur par le sculpteur qui a choisi de représenter le chien avec la gueule entrouverte. Les pattes de devant sont solidement plantées dans le sol mais le chien est au repos, comme le montre l’appui sur le côté de la patte arrière gauche.

EXERCICE 2 : lire un texte

La grande chienne des Molosses et le chien d’Alcibiade

 

Inritata canum cum primum magna Molossum 

Mollia ricta fremunt duros nudantia dentes, 

Longe alio sonitu rabies <re>stricta minatur, 

Et cum jam latrant et vocibus omnia complent ;

At catulos blande cum lingua lambere temptant 

Aut ubi eos lactant, pedibus morsuque potentes 

Suspensis teneros imitantur dentibus haustus, 

Longe alio pacto gannitu vocis adulant, 

Et cum deserti baubantur in aedibus, aut cum 

Plorantis fugiunt summisso corpore plagas. 

Quand la grande chienne des Molosses, dans le premier accès de sa fureur, gronde en retroussant ses molles babines sur ses dents dures, elle nous menace de sa rage qui lui fronce le mufle avec des sons tout autres que ceux dont elle fait retentir l’espace quand elle aboie. Mais quand, d’une langue caressante, elle s’efforce de lécher ses petits ou lorsqu’elle les caresse de ses pattes, ou que les agaçant de morsures inoffensives elle feint de vouloir les dévorer, le tendre accent de sa voix ne ressemble ni à ses hurlements quand on l’a laissée seule à la maison, ni à ses plaintes quand elle fuit en rampant les coups qui vont la frapper.

Lucrèce, De la nature, V, v. 1060-1070 (trad. H. Clouard)

Questions :

1. En vous aidant de la traduction et d’un dictionnaire, relevez les mots qui se rapportent aux caractéristiques physiques de l’animal puis ceux qui désignent ses sentiments. Associez les divers éléments que vous avez trouvés appartenant au champ lexical du corps du chien à la statue dite du « chien d’Alcibiade » (voir supra).

2. Pourquoi peut-on dire que le chien a un langage varié ?

2. Onomastique canine

Sur une mosaïque du Musée du Bardo19, nous voyons inscrits plusieurs noms, ceux des chiens et des chevaux qui participent à une partie de chasse dans le Haut Tell tunisien. Ainsi faisons-nous connaissance avec Atalante,Spinaet Pinnatus. Si le premier est déjà un nom propre se référant bien sûr à la jeune fille si rapide à la course que mentionnent de nombreux récits mythologiques, on pourrait traduire les deux derniers par « Épine » et « Flèche » : on peut en effet supposer que le nom commun féminin est utilisé comme nom propre pour une chienne, et le masculin pour un chien ; on notera sur cette mosaïque l’emploi de deux noms propres tirés de la mythologie grecque, l’un pour un cheval, l’autre pour une chienne.

Columelle a donné quelques conseils pour bien choisir le nom d’un chien ou d’une chienne ; il suggère ainsi de prendre des noms courts, grecs ou latins, qui ont trait au caractère, au physique ou à l’origine de l’animal, et sa source probable est un traité de Xénophon consacré à L’Art de la chasse.

EXERCICE 3 : lire des textes en latin et en grec

L’onomastique canine selon Columelle et Xénophon

Nominibus autem non longissimis appellandi sunt, quo celerius quisque vocatus exaudiat, nec tamen brevioribus quam quae duabus syllabis enuntiantur, sicuti Graecum est Σκύλαξ, Latinum Ferox, Graecum Λάκων, Latinum Celer, vel femina, ut sunt Graeca Σπουδή, Ἀλκής, Ῥώμη, Latina Lupa,Cerva,Tigris.

« Il ne faut pas leur donner des noms trop longs, afin qu’ils les entendent plus promptement lorsqu’on les appelle, ni de plus courts que ceux que l’on énonce en deux syllabes : tels que ………………(« Jeune chien ») en grec, Ferox(« Fier ») en latin ; ……………(« Chien de Laconie ») en grec, Celer(« Léger à la course ») en latin ; ou, s’il s’agit d’une femelle, ………………(« Zèle »), ……………(« Vaillance »),………… (« Force ») en grec, Lupa (« Louve »),Cerva(« Biche »), Tigris(« Tigresse ») en latin. »

Columelle,De l’agriculture,VII, 12, 13 (texte et traduction de L.  Du Bois).

Τὰ δ´ ὀνόματα αὐταῖς τίθεσθαι βραχέα, ἵνα εὐανάκλητα ᾖ. εἶναι δὲ χρὴ τοιάδε· Ψυχή, Θυμός, Πόρπαξ, Στύραξ, Λογχή, Λόχος, Φρουρά, Φύλαξ, Τάξις, Ξίφων, Φόναξ, Φλέγων, Ἀλκή, Τεύχων, Ὑλεύς, Μήδας, Πόρθων, Σπέρχων, Ὀργή, Βρέμων, Ὕβρις, Θάλλων, Ῥώμη, Ἀνθεύς, Ἥβα, Γηθεύς, Χαρά, Λεύσων, Αὐγώ, Πολεύς, Βία, Στίχων, Σπουδή, Βρύας, Οἰνάς, Στέρρος, Κραύγη, Καίνων, Τύρβας, Σθένων, Αἰθήρ, Ἀκτίς, Αἰχμή, Νόης, Γνώμη, Στίβων, Ὁρμή.

« Les noms qu’on leur donne doivent être courts, afin qu’il soit facile de les appeler. En voici quelques-uns : Psyché, Thymos, Porpax, Styrax, Lonchè, Loches, Phroura, Phylax, Taxis, Xiphôn, Phonax, Phlégôn, Alcè, Teuchôn, Hyleus, Médas, Porthôn, Sperchôn, Orghè, Brémôn, Hybris, Thallôn, Rhomè, Antheus, Héba, Ghétheus, Chara, Leusôn, Angô, Polys, Hia, Stichôn, Sponde, Bryas, Œnos, Sterrhos, Craughè, Kénôn, Tyrbas, Sthénôn, Aithèr, Actis, Aïchmè, Noès, Gnomè, Stibôn, Hormè. »

Xénophon,L’Art de la chasse, VII (texte et traduction d’E. Talbot).


Questions :

1. En vous servant de l’alphabet grec distribué, donnez la transcription des noms grecs qui sont absents de la traduction du texte de Columelle.

2. Comment peut-on distinguer le nom d’un chien de celui d’une chienne dans la petite liste de Columelle ?

3. Columelle a emprunté à Xénophon certains noms de chiens : retrouvez-les dans le texte grec et entourez-les.

4. Dans le texte de Columelle, quel point commun voyez-vous entre Ferox et Celer ? Entre Lupa,Cerva et Tigris ?

5. Dans la grande liste de Xénophon, les mots masculins et féminins sont mélangés et ne sont pas traduits, comme ils l’étaient dans celui de Columelle : en vous aidant d’un dictionnaire de grec, essayez de savoir ce qui serait le nom d’un chien ou celui d’une chienne en classant les noms dans un tableau à trois colonnes (si vous trouvez un mot neutre, c’est qu’il pouvait être utilisé indifféremment pour un chien ou une chienne).

Dans les épitaphes ou les textes littéraires dont nous reparlerons plus loin, nous rencontrons Myia,Issa,Margarita,Concha,Patricè,Lydia et Scylax,que l’on pourrait traduire respectivement parMouche, Malte, Perlette, Coquille (plutôt que Coquillage, pour garder un mot féminin), Fille-à-Papa (ou Léguée par le père), Lydienne et Chiot (ou Jeune chien). Dans le passage des Métamorphoses(II, vers 204-252) où Ovide raconte la mort d’Actéon, sont cités les noms des nombreux chiens de chasse qui vont dévorer leur maître sans savoir qu’il a été transformé en cerf.

EXERCICE 4 : lire un document archéologique

Apprentissage de l’épigraphie (1re étape, voir l’exercice 10 pour la 2e étape)

Épitaphe de Myia

 

épitaphe de la chienne Mya

Épitaphe de la chienne Myia, trouvée à Augusta Auscorum (Auch), sur le site de la ville gallo-romaine (Ier s. apr. J.-C.) pendant la construction de la gare d’Auch, dans le Gers.CIL XIII, 488. Marbre blanc pyrénéen (H. : 35 cm ; l. 47,5 cm ; P. 5 cm). © Musée des Amériques, Auch (France) – Philippe Fuzeau.

Questions :

1. Transcrivez en majuscules le texte de l’épitaphe, en respectant la répartition sur chaque ligne. 

N.B. : Attention, il n’est pas toujours facile de distinguer le début et la fin d’un mot ; aidez-vous du nombre de lettres correspondant aux tirets ci-dessous et du point de séparation lorsqu’il est bien visible. À la première ligne, le lapicide (celui qui a gravé sur la pierre) a manqué de place, il a donc placé la dernière lettre sur la ligne du dessus. 

2. Quel dessin observez-vous sur la pierre à la fin d’une ligne ? Pourquoi l’utiliser pour ce texte ? Reproduisez-le dans la transcription.

3. Retrouvez le prénom de l’animal dans le texte. Quel verbe vous permet de savoir qu’il s’agit d’un chien ? Quels indices servent à préciser que c’est une femelle ?

 

l. 1 — — — — — — — — — — F — I T I — — — — — — — — — — — — — —

l. 2 — — — — — — M V — — — — — — — — — — — — — — — — — — T

l. 3 — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — L — —

l. 4 — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — —

l. 5 — — — — — — — — — — — — — — — — — — A — — — — — — — —

l. 6 — — — — — — — — — — — — — — — — — — N T — — — —

l. 7 — • — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — (= l. 4)

l. 8 — — — — M I — — T E — — — • — — — — — — — — — — — — — — V M 

l. 9 — E C — E — — — — — — — — — — — — — — — I L — — —

l. 10 — — — — — — — — — — — — H I — — — — — — • — — — — — E S

 

Corrigé avec transcription de l’épitaphe et sa traduction :

 

QVAM DVLCIS FVIT ISTA, QVAM BENIGNA, 

QVAE CVM VIVERET IN SINV IACEBAT,

SOMNI CONSCIA SEMPER ET CVBILIS !

O FACTVM MALE, MYIA, QVOD PERISTI ! 

5 LATRARESMODO SI QVIS ADCVBARET 

RIVALIS DOMINAE, LICENTIOSA. ❤️

O FACTVM MALE, MYIA, QVOD PERISTI ! 

ALTVM IAM TENET INSCIAM20SEPVLC[H]RVM, 

NEC SEVIRE POTES NEC INSILIRE

10 NEC BLANDIS MIHI MORSIB(VS) RENIDES.

Comme elle était douce, comme elle était gentille, celle qui, de son vivant, reposait sur ma poitrine, partageant constamment mon sommeil et mon lit !

Oh quel malheur, Myia, que tu sois décédée ! Tu aboierais aussitôt en toute impudence, contre un rival couché auprès de ta maîtresse.

Oh quel malheur, Myia, que tu sois décédée ! Désormais retenue malgré toi au fond d’un tombeau, tu ne peux ni râler, ni me sauter dessus ; pour toi, plus de gaieté par de tendres morsures.

Musée des Jacobins, Auch.

 20 Comprendre(te) tenet/retinet insciam. On expliquera la désinence d’ablatif pluriel abrégée dans morsibus et rétablie ici entre parenthèses. La traduction officielle du musée semble rattacher insciam à sepulcrum mais les mots étant de deux genres différents, il faudrait en faire une hypallage, ce qui nous semble peu pertinent.

En grec, muia, c’est « la mouche ». Pierre Chantraine21renvoie à l’entrée kuôn, « chien », mot qui sert aussi pour de nombreux composés, tel kuna-muia, « mouche à chien » ou plutôt « mouche impudente comme un chien », terme « surtout employé comme injure », comme c’est parfois le cas pour canis(voir Pétrone, Satiricon, 74, 9). Le grammairien Eustathe écrit, dans son commentaire de l’Odyssée, qu’on se moque de la « femme qui ne fait pas preuve de retenue » (thraseîa gynè) en l’appelantkunamuia. Il y a donc peut-être un jeu de mots bilingue dans le nom du chien de l’épitaphe ; l’adjectif latin licentiosa, présent dans le texte, comme épithète de la chienne vient appuyer cette hypothèse car il a le même sens que le grec thraseîa.

Pour le nom Skylax, répertorié par Columelle, aucune étymologie n’est assurée, mais le suffixe *-axest bien attesté pour d’autres noms de jeunes animaux, selon Pierre Chantraine (p. 1023, o. c. dans la note 21), et on le retrouve aussi dans plusieurs noms suggérés par Xénophon. On peut néanmoins penser à un rapprochement avec skullô, « déchirer ». Dans le Satiricon,Trimalcion a donc choisi d’appeler son chien « Chiot » ou « L’écorcheur »… mais en grec : c’est conforme à son goût pour les jeux de mots, et c’est à la mode (Columelle et Pétrone sont presque contemporains). Un autre nom de chien en est proche : c’estHylax, « l’aboyeur » (formé sur le verbe grec hulô, « aboyer »), qui apparaît chez Virgile.

Dans l’épigramme de Martial (I, 109), Issa, la petite chienne de Publius, doit sûrement son nom à cette île de l’Adriatique citée par César et Tite-Live, d’autant que l’île de Malte (Melita) est dans l’Adriatique ; proche de la côte illyrienne, elle n’est séparée de l’île d’Issa que par Corcyre, soit à peine une centaine de kilomètres. Il est donc très vraisemblable que la petite chienne ait reçu comme nom celui d’une île assimilable à Malte, et qui devait aussi posséder une population indigène de chiens correspondant au type du « bichon maltais ». 

Ces noms grecs pour des chiens latins ne doivent pas étonner : beaucoup de Romains étaient bilingues, même dans les couches les plus basses de la société. On trouve ainsi écrit, sur un bas-relief en marbre du columbariumde Vigna Codini (Via Appia, Rome), un mélange de mots latins et grecs dans l’épitaphe SYNORIS GLVCON DELICIV(M), qui signifie « Synoris, ma douce, ma chérie »22: le nom commun grec féminin synôrissignifie « paire, couple » et il est utilisé ici comme nom propre, vraisemblablement pour une chienne.

Programme d’enseignement optionnel de LCA de seconde générale et technologique

Objet d'étude : L'homme et l'animal

 

Notes

14- « Le fragment, à fond noir, représente une saynète visiblement tracée par une main malhabile : l’on y voit, outre d’assez nombreux traits parasites dont on n’a pas à tenir compte, un chien, le poil dressé et l’œil grand ouvert, tiré au moyen d’une laisse par un personnage qui pourrait fort bien être un enfant (et en l’espèce l’auteur), ce qui expliquerait le caractère très stylisé du dessin. » (Fabrice Poli, « Cave canem, une nouvelle onomatopée latine sur une inscription de Périgueux », dansE. Oudot et F. Poli (éditeurs), Epiphania. Recueil d’Études orientales, grecques et latines offertes à Aline Pourkier, Nancy/ADRA, Paris/diffusion De Boccard, 2008, p. 456). Sur la présence d’une labiale initiale dans baubārīet son absence dans VAVA, l’auteur conclut : « Il faut [alors] y voir un processus d’affaiblissement - qui demeure toujours, au demeurant, une spirantisation - mais qui serait propre à la langue orale et familière, registre auquel appartiennent les onomatopées et dont on peut supposer qu’elles ne sont pas soumises aux mêmes règles que la langue classique. » (o. c., p. 458).

15- Lucrèce,De la nature, 5.1060-1070. Texte et traduction d’H. Clouard.

16- Ennius,Annales, 10, 333-334 : ex nare sagaci / Sensit, voce sua nictit ululatque ibi acute, « il a senti (les bêtes) grâce à son odorat subtil, il donne de la voix et produit alors des hurlements perçants ». 

17- Voir Guy Serbat, « Nictit canis(Festus, 184,3) », dansFest-Schr. H. Rix : Innsbruck, 1993, pp. 413-417.

18-  Autre dénomination : « chien de Duncombe ». On suppose qu’il s’agit de la copie romaine d’un original en bronze d’époque hellénistique.

19- Voir Michèle Blanchard-Lemée et al.,Sols de l’Afrique romaine, Paris, Imprimerie nationale, 1995, pp. 184-185 (photographies de Gilles Mermet).

20- Comprendre(te) tenet/retinet insciam. On expliquera la désinence d’ablatif pluriel abrégée dansmorsibuset rétablie ici entre parenthèses. La traduction officielle du musée semble rattacher insciam à sepulcrum mais les mots étant de deux genres différents, il faudrait en faire une hypallage, ce qui nous semble peu pertinent.

21- Pierre Chantraine, Dictionnaire étymologique de la langue grecque. Histoire des mots, Paris, Klincksieck, 1999, p. 719 et p. 604.

22- Le mot glukon est un adjectif grec signifiant « doux » et le nom commundeliciumest le mot habituel en latin pour qualifier l’animal de compagnie auquel le maître est très attaché [vocabulaire amoureux]. cf. Catulle, Martial, l’épitaphe de Patricè ; chez Pétrone, il est utilisé pour qualifier les relations de Trimalcion avec son mignon Crésus.

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