Programme d’enseignement optionnel de LCA de seconde générale et technologique
Objet d'étude : L'homme et l'animal
Notes
1- Voir Cicéron, De la nature des dieux, LXIII (« quid significat aliud, nisi se ad hominum commoditates esse generatos »).
2- Cur autem eum capite canino fingunt, haec ratio dicitur, quod inter omnia animalia canis sagacissimum genus et perspicax habeatur. (Le Premier mythographe du Vatican, 2.17.10, « Mercure et sa mère Maia »). « On le représente avec une tête de chien, parce que, dit-on, le chien est de tous les animaux celui qui passe pour être le plus sagace et le plus perspicace. » (CUF, 2003, traduction de Jacques Berlioz).
3- Pour un exemple (dans la fiction) de chien éboueur, dévorant un cadavre qui traîne au fond d’une ruelle de Rome, voir le manga Pline tome 2, Les Rues de Rome de Mari Yamazaki et Tori Miki (Casterman), pp. 72-73. Et Jacqueline Amat (2002), Les Animaux familiers dans la Rome antique, Paris, Les Belles Lettres, collection « Realia », pp. 70-71.
4- Pierre Chantraine, Dictionnaire étymologique de la langue grecque [1968], Paris, Klincksieck, 1999, p. 604. Alfred Ernout, Antoine Meillet, Dictionnaire étymologique de la langue latine [1932] Paris, Klincksieck, 2001, p. 92.
5- Albert Joris Van de Windekens, « Les termes “chien” et “cheval” en indo-européen », dans IF 80, 1975, pp. 62-65 ; et, du même auteur, « Un vieux problème, le vocalisme radical du latin canis, chien. », dans Langue, dialecte, littérature. Études romanes à la mémoire de H. Plomteux, Leuven, Leuven Univ. Pr., 1983, pp. 455-458.
6- Émilia Ndiaye, Un nom de l’étranger : Barbarus. Étude lexico-sémantique, en latin, des origines à Juvénal, Thèse de doctorat (dir. L. Nadjo), Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 2003, p. 40. Le mot barbaru est ensuite passé au babylonien puis au sanscrit avec le sens restreint d’« étranger » : dans cette langue, le chien-loup et l’exclu viendraient alors du même mot.
7- -Sur les divers sens de l’adjectif latin, voir Liliane Bodson, « Points de vue romains sur l’animal domestique et la domestication », dans L’Homme et l’Animal dans l’Antiquité romaine, Actes du colloque de Nantes 1991, Caesarodunum, Hors-série, Tours, Université de Tours, 1995, pp. 23-24.
8-Lex Pesolania de cane [Sententiae Pauli], datée du IIIe-IIe siècle av. J.-C.
9- Jean Macqueron, « Cave canem », dans Revue Internationale des Droits de l’Antiquité 18, 1971, pp. 782-783.
10- Ce personnage est apparu pour la première fois, lorsqu’il était enfant, dans la série Alixtome 7,Le Dernier Spartiate. Il est le fils de la reine Adréa, qui a vainement tenté de restaurer la grandeur de la Grèce classique à l’époque de la domination romaine (vers 45 av. J.-C.). Cet épisode d’Alix Senatorse déroule un peu plus de trente ans après.
11- Varron, o. c., II, 9, 5 : « Il y a [la race] de Laconie, celle d’Épire, celle de Salente, ainsi désignées des pays d’où elles tirent leur origine. »
12- La Laconie, où se situe Sparte, est une région située à l’extrême sud-est de la péninsule du Péloponnèse ; l’Épire est une région située sur la partie sud-ouest du continent, près de la mer Adriatique.
13- Pline l’Ancien rapporte la croyance suivante dans son Histoire naturelle (VIII, 63) : pour prévenir cette maladie chez les chiens, il faut mélanger de la fiente de poule à leur alimentation ; et si la maladie est déjà déclarée, on peut la guérir avec de l’ellébore.
Ce dossier constitue une version légèrement remaniée de notre article : « Représentations littéraires et artistiques du chien dans l’Antiquité romaine : du chien utilitaire au chien de compagnie », Une bête parmi les hommes : le chien. De la domestication à l’anthropomorphisme, C. Beck et F. Guizard-Duchamp (éds), coll. « Encrage université », 2014, pp. 37-68.
Introduction
Le chien, « né pour le service de l’Homme », selon Cicéron1, occupe une place importante dans la société romaine : il est « digne d’être connu » (cognitu dignus), parce que nul animal n’est aussi fidèle à l’homme que lui (fidelissimum ante omnia homini), selon Pline l’Ancien (Histoire naturelle, livre VIII, 61, 1) ; il est aussi le plus sagace et le plus perspicace de tous les animaux, pour le Premier Mythographe du Vatican et c’est pour cela que le dieu Hermès / Mercure est parfois représenté avec une tête de chien 2 Appartenant au « menu bétail », il est utilisé, de son vivant, comme chien de service, auxiliaire des activités humaines ou pour la protection des biens et des personnes, mais aussi comme « éboueur »3, chien de guerre, ou, de façon moindre, comme chien de trait ou chien savant ; il sert encore, une fois mort, comme nourriture (la viande de chiot a été longtemps appréciée), matériau (pour sa peau et sa fourrure), victime sacrificielle ou ingrédient de la pharmacopée. Cette multiplicité de rôles bien réels dans la société explique aussi son importance dans l’inconscient collectif que constituent les mythes gréco-romains, en raison de son caractère chtonien.
Dès l’Antiquité, le chien est perçu comme un animal particulier, qui a pu accéder à un rang privilégié auprès de l’homme : devenu animal familier une fois domestiqué, il a pu devenir animal de compagnie lorsque la fonction affective l’a emporté sur la fonction utilitaire : l’instrument est devenu compagnon, statut dont le chat a été pendant bien longtemps écarté.
De tous les animaux de compagnie dont le nom, la description ou la représentation nous sont parvenus (sous une forme artistique, épigraphique ou littéraire), le chien est sans nul doute celui sur lequel nous possédons la documentation la plus complète. Le chien – surtout de chasse – est un élément artistique fréquemment représenté, et ce dès la période grecque ; il ne l’est en général pas pour lui-même mais comme l’un des éléments d’une scène d’ensemble dont des humains sont les personnages principaux. À cet égard, les représentations dont le seul élément est le chien sont tout particulièrement dignes d’intérêt, car cela implique un changement dans la perception que l’homme a du chien. On retrouve ainsi, du choix du nom jusqu’au tombeau, l’attachement que certains maîtres ressentaient pour leur animal, puisque les chiens ont fini par avoir droit à leur « portrait personnel », littéraire ou artistique, conservant ainsi éternellement pour leur maître une image vivace.
LE CANIS FAMILIARIS : ENTRE CHIEN ET LOUP
Le français « chien » vient du latin canis, dont l’origine est obscure, en raison notamment de la divergence de vocalisme entre canis et kuôn4. Parmi les diverses hypothèses5, signalons celle d’Albert Joris Van Windekens (1975), qui repose sur la racine *keu- « luire, briller ». On pourrait alors rapprocher le terme du sumérien barbaru, qui désigne « une race de chiens étrangers, venus de Basse Mésopotamie »6 mais aussi le « loup ». Le sens originel serait peut-être alors dans les deux cas « l’animal lumineux », c’est-à-dire celui dont les yeux brillent dans la nuit. Isidore de Séville (Étymologies, 12.2.25-28) suit Varron (La Langue latine, VII, 32) et évoque un lien avec le verbe canĕre « chanter »et le nom commun poétique canor « chant ».
Le chien, une fois la domestication accomplie, a pu devenir familiaris, selon la nomenclature binominale du naturaliste Linné : il est donc intégré à la familia, la « maisonnée », c’est-à-dire surtout les esclaves (famuli). L’adjectif latin domesticus, utilisé dans la classification de certaines espèces, est trompeur car il recoupe diverses réalités7 : domesticus signifie littéralement « qui appartient à la domus » (la maison avec les maîtres, les esclaves et les animaux) mais l’adjectif ne désigne pas seulement les animaux qui ont été domestiqués à date ancienne ; il peut avoir simplement une valeur locative, sans qu’il y ait domestication : l’hirondelle domestica s’oppose ainsi à l’hirondelle silvestris parce que la première vit dans les granges et l’autre en forêt. La désignation scientifique du cochon se fait par le biais de cet adjectif (sus domesticus), et pour cet animal, c’est bien le reflet de sa domestication. Ni le cheval (equus caballus), ni le chat (felis catus) n’ont été honorés de l’adjectif familiaris : le lien spécifique qui unit le chien et l’homme est donc bien affirmé dans la classification moderne.
Néanmoins, par-delà cette épithète technique moderne, il faut signaler que tous les chiens, dans l’Antiquité, n’étaient pas partie prenante de la vie de la domus. En effet, selon Jean Macqueron, qui se fie à un témoignage de Varron (Économie rurale, II, 1), il y avait encore à la fin de la République des chiens sauvages en Italie : le chien comme animal domestique pourrait être un emprunt des Romains aux Grecs, l’Italie ne connaissant alors jusque-là que les chiens sauvages.
Cette hypothèse permet d’expliquer pourquoi le droit romain réserve au chien un « statut juridique » vraiment peu favorable : ce statut a été établi à l’époque archaïque, alors que le chien était encore considéré comme une bête sauvage. […] il a fallu une loi particulière – lex Pesolania (S.P. 1.15.1)8– pour leur rendre applicable le système établi par les XII Tables. Avec cette loi, le droit fait entrer les chiens dans la catégorie des animaux domestiques9.
Comme le révèle l’analyse de la loi de feris, même lorsque les chiens ont fini par être considérés comme des animaux domestiques, « les jurisconsultes ne font aucun effort pour améliorer leur statut juridique, qui restera, à bien des égards, celui des ferae bestiae » (Jean Macqueron, o. c. dans la note 9).
EXERCICE 1 : Lire un extrait de bande dessinée
Chiens sauvages et Triumvirat
Situation de l’extrait :
Les Romains Alix et ses fils Titus et Khephren, partis en Grèce, sont en route pour Delphes, à la recherche des livres sibyllins dont l’empereur Auguste cherche à s’emparer. Le Spartiate Héraklion10 veut montrer au jeune Titus les conséquences négatives de la romanisation.
Questions :
Pourquoi les bulles des trois dernières cases sont-elles illustrées par un violent combat de chiens sauvages (ou redevenus sauvages) ? À quelle alliance politique de l’époque républicaine vous fait penser cet affrontement de trois chiens dont un seul sort vainqueur ? Donnez les noms des hommes politiques concernés.
Alix Senator, Tome 4, Les Démons de Sparte, Valérie Mangin et Thierry Démarez, 2015, p. 17 (cases 1-2, 6-7) et p.18 (cases 1-2). © Casterman
À l’intérieur du groupe des chiens, la diversité règne mais le nombre de races répertoriées est bien moindre dans l’Antiquité gréco-romaine qu’à notre époque moderne. L’idée de fixer, par le biais de croisements, un certain type de chien, pour qu’il réponde à des critères déterminés (à visées utilitaires ou esthétiques) commence à se développer dans l’Antiquité romaine. Mais il s’agit plutôt d’une classification sommaire (et parfois redondante) en fonction de l’origine géographique11 et/ou de son utilisation, et l’idée de sélection n’est pas primordiale. Dans son Histoire des animaux, le Grec Aristote distingue deux grands groupes : les chiens de Laconie et les chiens de Molossie (groupe dans lequel on peut identifier deux types : les dogues et les mastiffs)12, ce qui n’exclut pas pour autant l’existence probable d’un troisième groupe avec des caractéristiques plus diverses. Signalons que la longueur de la queue ou son port n’est pas un critère absolu d’identification, puisque, selon les Anciens (Columelle, De l’Agriculture, VII, 12, 14), en couper une partie – plus précisément un nerf – avec les dents protégeait les chiens de la rage (déjà reconnue comme une maladie mortelle)13.