Chiens de berger, chiens de garde et chiens de chasse

Programme d’enseignement optionnel de LCA de seconde générale et technologique

Objet d'étude : L'homme et l'animal

 

Notes

23-Les enluminures des folios 44 (verso) et 45 (recto) du manuscrit Vergilus Romanusdes Géorgiques(livre III), datant du Vesiècle (Vatican, Bibliothèque apostolique, Vat. Lat. 3867), visibles sur https://digi.vatlib.it/view/MSS_Vat.lat.3867, offrent une représentation de deux chiens de troupeau élancés, conformes à la blancheur exigée par Columelle (avec néanmoins quelques taches sur la robe pour le chien du folio 44) et porteurs d’un collier.

24-Varron, o. c., II, 9, 3-4. Texte et traduction de M. Nisard. Charles Guiraud (CUF) comprend autrement naribus congruentibuspuisqu’il traduit par « symétriques ».

25- Il ne s’agit pas du cadavre réel du chien mais du moulage (en ciment) de la forme que son corps, recouvert de roche volcanique, a laissée. La matière organique s’est désagrégée sous l’effet de la chaleur et un archéologue, Giuseppe Fiorelli, eut l’idée, au XIXe siècle, d’exploiter ce vide pour réaliser les moulages que nous connaissons.

26- On constate donc que les petites chiennes de Trimalcion, de son mignon et de Fortunata ne comptent pas dans les dépenses de la familia(qui englobent les esclaves et Scylax).

27- Voici un texte court sur Hercule et Cerbère, qui peut être illustré par l’hydre de Caere à figures noires (VIesiècle av. J.-C., visible surhttps://www.photo.rmn.fr/archive/93-006097-01-2C6NU0HP7C6I.html)Fabula Herculis et Tricerberi.1 Hercules ad inferos descendens rapturus Theseum timuit ne Tricerberus in illum transiens laceraret illum ; quapropter insiliens in Cerberum traxit eum ab inferis. 2 Cumque insolitam lucem vidisset superorum, spumam ab ore ejecit ; e qua spuma dicitur nata fuisse herba venenifera nomine aconita. 3 Nam Cerberus terra est, quae omnium corporum consumptrix est ; unde Cerberus dicitur, quasi creoboros, id est carnem vorans. « Hercule et Tricerbère. Quand Hercule descendit aux enfers pour enlever Thésée, il eut peur que Tricerbère, s’il l’attaquait, ne le mît en pièces ; il se précipita donc sur lui et le traîna hors des enfers. 2 Quand Cerbère vit la lumière du jour, il vomit une écume qui, dit-on, fit pousser l’herbe vénéneuse que l’on appelle aconit. 3 Cerbère est en effet la terre qui dévore tous les corps ; en conséquence il est appelé Cerbère, comme s’il était créoboros, c’est-à-dire « qui dévore la chair » » (Premier mythographe du Vatican, 1, 57, « Hercule et Tricerbère », Paris, Les Belles Lettres, CUF, 2003, texte établi par N. Zorzetti, traduction de J. Berlioz). Le composé grec repose surκρέας « viande », κρεοβορεῖν signifiant donc « consumer de la viande ». Raison de plus pour Encolpe de se méfier de Scylax ! Dans l’œuvre satirique L’Apocoloquintose du divin Claudede Sénèque (13, 3), l’affranchi Narcisse, arrivé aux Enfers, est effrayé par Cerbère, un chien noir et velu (canem nigrum, vilosum), car il n’est habitué qu’à sa petite chienne blanche adorée (subalbam canem in deliciis).

28- Ce genre de mosaïques ne servait peut-être pas seulement à décourager les éventuels voleurs : elles pouvaient servir aussi à chasser les mauvais esprits à l’entrée des maisons, selon Eli Edward Burriss, « The Place of the Dog in Superstition as Revealed in Latin Literature », dans Classical Philology30, 1936, p. 32 (réf. bibl. signalée par Muriel Lafond).

29- Il faut user de prudence car Pline l’Ancien (35, 29, 36, 184) emploie effectivement l’expression « peindre (en pierre) » pour des mosaïques.

30- Paul Veyne, « Cave canem », dans Mélanges d’Archéologie et d’Histoire de l’École Française de Rome75, 1963, pp. 59-60

31- Voir aussi, plus bas, le portrait d’Issa, où la ressemblance est tellement frappante entre le modèle et la peinture qu’on ne sait plus, nous dit Martial, distinguer la « fausse » chienne de la vraie.

32- Jacques Bersani et al.,Le Grand Atlas de l’architecture mondiale, Paris, Encyclopaedia universalis, 1982, p. 152 (Chapitre sur Rome de Bernard Holtzmann).

33- Le podengo (actuel) appartient à la catégorie des lévriers, il est donc peu adapté comme chien de garde. Il est docile, sociable, affectueux et peu bagarreur. Si l’on calcule la taille du chien en fonction de la taille de l’ensemble du médaillon, on arrive à un animal d’environ 60 cm au garrot. Ce qui serait conforme à la taille réelle d’un podengo moyen (des Canaries) ou d’un grand podengo (portugais), dont la robe est jaune, fauve et noire, unicolore avec ou sans marques blanches, ou blanche avec des marques.

34- Jean-Marc Luce, « Quelques jalons pour une histoire du chien en Grèce antique », Pallasn° 76, « Voyages en Antiquité : Mélanges offerts à Hélène Guiraud », p. 271.

35- Anne-Marie Guimier-Sorbets, Peinture et couleur dans le monde grec antique(dir. S. Descamps-Lequime), Paris, 5 Continents, 2007, p. 13 (Chap. « De la peinture à la mosaïque, problèmes de couleurs et de techniques à l’époque hellénistique. »)

36-  Xénophon,L’Art de la chasse, livres III à XI (sur les différentes races de chiens, leurs caractéristiques ; conseils pour les élever et les utiliser au mieux suivant l’animal chassé).

37- Sur les différentes techniques de chasse en Gaule, très proches de celles que l’on observe sur les mosaïques tunisiennes, voir Pierre-Marie Duval, La Vie quotidienne en Gaule pendant la paix romaine, Paris, Hachette, 1952, pp. 252-259.

38- Varron, o. c.,II, 9, 15. Texte et traduction de M. Nisard. Pour la valeur symbolique forte du collier du chien de garde, même lorsqu’il n’est pas toujours attaché, voir la fable de Phèdre « Le loup et le chien » (3, 51).

39-  Lors de ces mêmes fouilles, au XIXe s., on a mis au jour un autre marbre représentant ce groupe de chiens (actuellement au Vatican), un sphinx avec un corps de chien et deux statues d’Actéon attaqué par ses chiens.

40- « Surveillant des chariots, jamais il n’aboya pour rien. Maintenant, il se tait. Son ombre s’en prend à ses cendres. » (Tombeaux romains. Anthologie d’épitaphes latines, traduit par Danielle Porte, Paris, Le Promeneur/Gallimard, 1993, pp. 102-103).

41-  L’appareillage précis devra être ajouté par l’enseignant en fonction du niveau des élèves pour les aider à construire correctement (certaines subordonnées présentent des difficultés). On se reportera au volume de la CUF de 2003 pour la traduction de Jacques Berlioz (p. 128). La note ad loc.précise, pour Istrius, que le nom exact est Istros. C’était un élève du poète Callimaque qui composa des ouvrages historiques et mythologiques.

42- Sextus Empiricus, Les Hypotyposes ou Institutions pyrrhonniennes, I, 14 (texte et traduction de Huart).

43- Il ne développe que la dernière (voir 61, 1, 3), plus proche de lui dans le temps et dans l’espace parce qu’elle concerne Néron Caesar, fils de Germanicus et frère d’Agrippine la Jeune ; donc Pline l’Ancien aurait pu connaître des témoins de l’histoire encore vivants à son époque, et elle était, peut-on supposer, plus digne de foi à ses yeux dans la mesure où elle était attestée par les Actes du peuple romain.

44-Τῆς δὲ περὶ τὰς θήρας σπουδῆς αὐτοῦ καὶ ὁ Βορυσθένης ὁ ἵππος, ᾧ μάλιστα θηρῶν ἠρέσκετο, σημεῖόν ἐστιν· ἀποθανόντι γὰρ αὐτῷ καὶ τάφον κατεσκεύασε καὶ στήλην ἔστησε καὶ ἐπιγράμματα ἐπέγραψεν. (Dion Cassius, Histoire romaine,69, 10). « Cet amour de la chasse est encore attesté par Borysthène, son cheval favori pour la chasse, puisqu’à la mort de ce cheval, il lui fit construire un tombeau, y érigea une stèle et y grava une inscription. » (Texte et traduction d’E. Gros). On pourra relever avec les élèves hellénistes quelques mots importants pour comprendre le contexte d’emploi de l’épitaphe et la formation du mot français emprunté au grec : ἀποθανόντι / τάφον / στήλην ἔστησε / ἐπιγράμματα ἐπέγραψεν.

45-Jacques Gascou et Michel Janon, « Les chevaux d’Hadrien », dans Revue archéologique de Narbonnaise, t. 33, 2000. p. 62-63. DOI. Disponible sur www.persee.fr/doc/ran_0557-7705_2000_num_33_1_1543

46- La mention de cet amas de pierres appelé cairn encore aujourd’hui est un récit étiologique pour tenter d’expliquer les mégalithes bretons et anglo-saxons. La fidélité du chien est symbolisée par le retour de la pierre en sa demeure.

Ce dossier constitue une version légèrement remaniée de notre article : « Représentations littéraires et artistiques du chien dans l’Antiquité romaine : du chien utilitaire au chien de compagnie », Une bête parmi les hommes : le chien. De la domestication à l’anthropomorphisme, C. Beck et F. Guizard-Duchamp (éds), coll. « Encrage université », 2014 pp. 37-68.

 

1. Choisir le chien adapté à sa fonction

Columelle, qui ne s’intéresse pas dans son ouvrage aux chiens de chasse (venatici), donne quelques conseils pour bien choisir ses chiens de garde(villatici)et de berger(pastorales). Le rôle essentiel du chien, à la fois compagnon, serviteur et protecteur de l’homme, est d’être le gardien de la ferme(villae custos), des produits de la terre, des troupeaux et de la famille :

« Une espèce de chiens a pour mission d’éventer les embuscades dressées par des hommes, et de garder la métairie et ses dépendances ; une autre espèce, celle de repousser les attaques des malfaiteurs et des bêtes féroces, et de veiller dans l’intérieur de la ferme sur les étables, au-dehors sur les bestiaux qui paissent ; quant à la troisième espèce, on ne l’achète que pour la chasse, et, loin d’être utile à l’agriculteur, elle le détourne de ses travaux et les lui fait prendre en dégoût. […] On choisira pour garder la métairie un chien qui ait le corps très ample, l’aboiement fort et sonore, afin qu’il épouvante le malfaiteur d’abord par sa voix et ensuite par son aspect ; ses hurlements mêmedevront inspirer assez de terreur pour mettre souvent en fuite, sans qu’il en soit aperçu, ceux qui tendraient quelque embûche. »(Columelle, o. c.,VII, 12, 2-3)

2. Chiens de berger et chiens de garde

L’agronome insiste tout particulièrement sur l’importance de la couleur pour les chiens de garde et de berger, non pour des raisons esthétiques mais pour des raisons pratiques :

« Il faut qu’il soit d’une seule couleur : on préférera la blanche dans le chien de berger23, et la noire pour celui de ferme : pour l’un et l’autre emploi, on ne fait aucun cas de ceux qui sont bigarrés (varius) […]. Le berger choisit le blanc, parce que cette couleur diffère de celle des bêtes féroces, et que, pour repousser les loups, […] il est souvent utile que la couleur diffère beaucoup de celle de ces animaux : en effet, si la couleur blanche ne le faisait reconnaître, on serait exposé à diriger sur le chien les coups destinés aux loups. Quant au chien de garde que l’on oppose aux mauvaises entreprises des hommes, il doit être noir, parce qu’il paraîtra plus terrible au voleur s’il fait jour, et que la nuit, il ne sera pas aperçu à cause de l’analogie de sa couleur avec celle des ténèbres. »(Columelle, o. c., VII, 12, 2 et 4)

Les meilleurs alliés des bergers sont le Molosse et le « Laconien fauve ». Varron, inspirateur de Columelle, a établi les caractéristiques du chien de berger idéal, « gardien du troupeau » (custos pecoris), chien de garde et chien de troupeau ne faisant qu’un, pour lui, par opposition majeure au chien de chasse :

« Quant à l’extérieur, prenez-les de belle forme, de grande taille, avec les yeux noirs ou roux, les narines de même couleur, les lèvres rouges en tirant sur le noir, ni trop retroussées, ni trop pendantes. On examinera encore s’ils ont les mâchoires allongées et garnies de quatre dents, deux en bas, et deux en haut ; celles d’en bas saillantes en dehors de la gueule ; celles d’en haut droites, perpendiculaires, moins apparentes, mais également aiguës, et recouvertes en parties par les lèvres. Il est essentiel encore que les chiens aient la tête forte, les oreilles longues et souples, le cou gros et bien attaché, les jointures des ergots écartées les unes des autres, les cuisses droites, et tournées plus en dedans qu’en dehors ; les pattes larges et le pas bruyant, les doigts écartés, les ongles durs et recourbés, la plante du pied molle, et pour ainsi dire dilatable comme du levain, et non pas dure comme de la corne ; le corps effilé au point de jonction des cuisses, l’épine du dos ni saillante ni convexe, la queue épaisse,la voix sonore, la gueule bien fendue, et le poil blanc de préférence, afin qu’on puisse facilement les distinguer des bêtes fauves dans l’obscurité de la nuit24. »

[Le chien de berger] ne sera ni aussi maigre ni aussi vif à la course que celui qu’on lance à la poursuite des daims, des cerfs et des autres animaux de grande vitesse ; il ne sera, non plus, ni aussi gras ni aussi lourd que le chien dont l’emploi est de garder la ferme et les greniers ; toutefois il doit être robuste et, jusqu’à un certain point, alerte et courageux, puisqu’il est destiné à l’attaque, au combat et aussi à la course : car il doit éventer les embuscades des loups, poursuivre dans sa fuite l’animal ravisseur, lui disputer, et lui enlever sa proie. En conséquence, pour être propre aux services qu’on attend de lui, sa taille devra être plutôt allongée et svelte que courte ou même moyenne, parce que, comme je l’ai dit, il est quelquefois obligé de forcer les bêtes à la course. Les autres qualités requises pour cette sorte de chien sont les mêmes qu’on exige pour le chien de garde. On estime plus un chien de taille moyenne qu’un chien long ou court ; il doit avoir la tête si forte qu’elle paraisse la principale partie de son corps, les oreilles renversées et pendantes, les yeux noirs ou verdâtres, et d’une lumière éclatante, la poitrine ample et velue, les épaules larges, les jambes épaisses et couvertes d’un poil hérissé, la queue courte, les doigts des pattes et les ongles très développés : ce que les Grecs appellent drakaï.Telles sont les qualités que l’on prise le plus dans le chien de ferme. »(Columelle, o. c.,VII, 12, 8-9)

cave canem

Mosaïque de pavement à l’entrée de la maison du Poète tragique à Pompéi, Iersiècle ap. J.-C. 

© Wikimedia Commons

La plus célèbre représentation de chien est sans nul doute celle d’un chien de garde, celui qui apparaît avec l’inscription cave canem, sur une mosaïque retrouvée à Pompéi. On remarque que l’artiste a choisi, pour plus d’efficacité, de représenter un chien, seul, avec une posture générale d’intimidation : tout le corps est ramassé, tendu vers l’avant, prêt à bondir. Il a aussi mis en valeur quelques détails bien signifiants : des crocs menaçants, des griffes épaisses bien plantées dans le sol, la queue dressée (le chien semble prêt à attaquer) et, bien sûr, la couleur noire, qui le rend encore plus terrible. Cette mosaïque fait immédiatement penser à un passage du Satiriconde Pétrone, où cette inscription est citée lorsque le héros pénètre chez l’affranchi Trimalchion :

« À l’entrée même se tenait le portier, vêtu de vert poireau, sanglé dans une ceinture cerise, et qui triait des pois dans un plat d’argent. Au-dessus du linteau était accrochée une cage dorée, dans laquelle une pie mouchetée saluait les arrivants. Au milieu de mon ébahissement, je faillis bien m’étaler sur le dos et me casser les jambes. À gauche en entrant, non loin de la loge du portier, un énorme dogue enchaîné était peint sur le mur, et par-dessus on lisait en lettres capitales : Gare au chien ! » (in pariete erat pictus superque quadrata littera scriptum CAVE CANEM).Mes compagnons en rirent bien ; pour moi, quand j’eus repris mon souffle, je ne cessais point de détailler tout le mur. »(Satiricon, 28, 8-9 – 29,1-3, texte et traduction d’A. Ernout, CUF).

Et, de même que le narrateur Encolpe a eu peur du faux chien, son compagnon Ascylte est effrayé par un vrai chien de garde, Scylax, un énorme molosse avec une chaîne pour laisse (ingentis formae adductus est canis catena vinctus), présenté par Trimalcion un peu avant comme le « gardien de la maison et de la maisonnée »(praesidium domus familiaeque, 64, 7) :

« Son idée ayant paru bonne, Giton nous conduit par le portique jusqu’à la porte, où le chien à l’attache (canis catenarius)nous accueillit par un tel vacarme qu’Ascylte en tomba dans le vivier. Moi, non moins ivre que lui, et qui avais eu peur d’un dogue en peinture (qui etiam pictum timueram canem), en portant secours à mon nageur, je fus entraîné dans le gouffre avec lui. »(Pétrone, o. c., 72, 7)

L’éruption de 79 apr. J.-C. nous a laissé la trace émouvante d’un chien encore à l’attache, se débattant inutilement pour tenter d’échapper à la colère du Vésuve25.

moulage de chien Pompéi

Chien mort lors de l’éruption du Vésuve,maison de Marcus Vesonius Primus à Pompéi, Iersiècle ap. J.-C. 

© Wikimedia Commons

EXERCICE 5 : lire une image

Le « Cave canem » de Gérôme

 

Gérôme, prisonnier de guerre

 

Jean-Léon Gérôme, Prisonnier de guerre à Rome (Cave canem), 1881, huile sur toile (148 × 133 cm). Musée Georges-Garret, Vesoul.

©Wikimedia Commons

N.B. : Le tableau sera donné sans le titre de la figure et en masquant l’inscription sur le mur. Le titre ne sera donné qu’en fin d’exercice.

Questions :

1. Regardez attentivement ce tableau et expliquez ce qu’il représente en prêtant bien attention à l’opposition entre les masses lumineuses. 

2. Pourquoi cet homme est-il enchaîné ? À quoi ressemble-t-il ainsi ? 

3. Retrouvez l’inscription masquée sur le mur derrière lui.

Dans le Satiricon, les héros ne doivent leur salut qu’à l’intervention du portier et à l’ingéniosité de Giton, qui amadoue le chien avec des restes du repas. Ce molosse a une situation assez correcte chez Trimalcion, puisqu’il ne passe pas toute sa journée enchaînée – il est ainsi conduit par le portier dans la salle à manger – et son maître lui donne parfois du pain blanc, tout en précisant que personne de la maison ne l’aime plus que ce chien (Nemo, inquit, in domo mea me plus amat, 64.8),dont la spécialité étrange est de surveiller la porte… de sortie, car pour l’entrée, c’est le « faux chien » qui s’en charge. Donc tout le monde peut entrer pour faire partie de ce monde où règne le faux-semblant, mais personne ne peut sortir du spectacle sans l’autorisation de Trimalcion, qui prend garde de mettre un panneau en ce sens aussi pour ses esclaves, au cas où ils auraient envie d’amadouer Scylax, qu’ils côtoient tous les jours, pour s’enfuir. C’est le seul chien qui compte vraiment dans la maison car il a un rôle à jouer ; Trimalchion précise en effet qu’il a « 20 bouches à nourrir, plus un chien » (57, 5)26. Scylax, qui surveille les sorties de son royaume et que Giton amadoue avec de la nourriture, est le Cerbère des lieux27.

Lorsque les héros ont enfin réussi à quitter la maison de Trimalcion, ils doivent à nouveau se heurter à un gros chien de garde, que traîne une vieille femme : 

« Une vieille surtout, chassieuse et ceinte d’un torchon extrêmement crasseux, juchée sur une paire de galoches de bois dépareillées, tirait la chaîne d’un molosse géant (canem ingentis magnitudinis catena), qu’elle excitait contre Eumolpe. »(o. c., 95, 8, traduction Olivier Sers, légèrement modifiée)

La mosaïque de Pompéi28est-elle l’exacte illustration du premier passage de Pétrone, qui annonce les deux autres « vrais » chiens de garde ? En partie, seulement. Chez Trimalcion, il s’agirait d’une peinture (et non d’une mosaïque), et l’écriteau dissuasif se trouve au-dessus du chien, et non en dessous.

Les Cave canem de Pompéi sont des mosaïques de sol, tandis que celui de Trimalcion est une peinture murale, canis pariete pictus. Certes le mot pictuspeut s’appliquer à une mosaïque aussi bien qu’à une peinture29 ; mais un opus musivumde ce genre serait archéologiquement sans exemple au premier siècle. […] Dans les temps néroniens, un chien en mosaïque est inconcevable sur le mur d’un vestibule30.

Mosaïques pompéiennes de pavement, Iersiècle ap. J.-C.

 

mosaïque de pavement

Mosaïque visible à l’entrée du Musée archéologique de Naples.

©Wikimedia Commons

mosaïque de pavement2

Mosaïque de la maison de Pacius Proculus (ou de Terentius Neo) à Pompéi (I, 7, 1).

©Wikimedia Commons

 

Selon Paul Veyne, le chien à l’entrée chez Trimalchion est vraisemblablement un trompe-l’œil suffisamment ressemblant pour surprendre le visiteur31 ; une mosaïque sommaire, comme celles présentées ci-dessus, ne serait pas de qualité suffisante pour provoquer une telle émotion. Le chien ne serait donc qu’un trompe-l’œil de plus dans la maison de Trimalcion. Mais la mosaïque grecque du « chien d’Alexandrie » ou « chien à l’askos »(qui date du ier siècle av. J.-C. et dont nous parlerons infra) prouve que certaines mosaïques pouvaient atteindre un très haut niveau de perfection dans la représentation du réel, puisqu’elles se voulaient mimétiques de l’art pictural : le chien du Cave canemchez Trimalcion aurait donc pu être une mosaïque verticale en trompe-l’œil, qui donnerait en outre, de loin, l’impression d’être une peinture ; les tesselles offrent en effet la possibilité de prendre la lumière et l’ombre, selon la planimétrie et les couleurs de l’ouvrage, créant ainsi une profondeur de champ et donnant corps au sujet (les vrais murs pouvant en outre servir d’accessoires pour accentuer l’illusion d’optique).

« Mais il faut ajouter une autre condition : le bord inférieur du cadre doit se confondre avec l’arête inférieure du mur, de telle sorte que les pattes du chien paraissent poser sur le sol et que l’animal semble se dresser, menaçant, devant la paroi. Par bonheur une chaîne (canis catena vinctus, dit le texte) attache en peinture le dogue à la muraille et met la dernière touche à la volonté d’illusionnisme du tout. »(Paul Veyne, p. 64, o. c. dans la note 30).

Si nous sommes d’accord sur ce point avec Paul Veyne, il ne nous semble pas qu’il faille exclure d’emblée une réalisation en mosaïque pour des raisons techniques car la mosaïque murale « apparaît à Pompéi au Ier siècle apr. J.-C. dans le décor des fontaines extérieures (nymphées) et des niches décoratives, ainsi que sur quelques voûtes »32, même si l’hypothèse la plus vraisemblable reste la peinture car cette technique était plus courante à l’époque pour la représentation d’un tel sujet.

 

EXERCICE 6 : jeu de mots

(C)ave canem

Un projet appelé (c)ave canema été lancé en Italie pour adopter des chiens de Pompéi. 

Questions : 

1. Sur quel jeu de mots repose son titre ? 

2. Quelle citation latine célèbre contient aussi ce fameux AVE ?

Passons à un exemple de mosaïque un peu différent.

EXERCICE 7 : observer une mosaïque et le mettre en relation avec d’autres documents

Le chien à l’askos

chien  l'askos

Chien à l’askos,mosaïque de pavement découverte sur le site de la Bibliotheca Alexandrinaà Alexandrie en 1993, marbre peint et abacules en calcaire (H : 1,35 m ; l : 1,35 m). © Alain Lecler.

Questions : 

Observez la mosaïque de ce « chien à l’askos » (le terme désigne la poterie représentée) et comparez-la à ce que vous savez du chien de garde chez les Romains, en vous appuyant surtout sur ce qu’en disent Varron et Columelle et sur les autres représentations de mosaïques de chiens de garde que vous avez étudiées. Pensez-vous que cette mosaïque représente un chien dans sa fonction de chien de garde ? Vous rédigerez un court paragraphe avec des arguments précis, reposant sur une analyse de détails de l’œuvre, pour étayer votre point de vue ; vous pourrez y ajouter une note ludique en confrontant la mosaïque avec cette œuvre moderne.

La voix de son maître

Francis Barraud (1856-1924), His master’s voice, 1899.

©Wikimedia Commons

 

Activité complémentaire : visionnage de film

Découverte du métier d’archéologue : court-métrage documentaire en prises de vues réelles de Raymond Collet (9’25) © CRNS USR 3134 – CEAlex 2008. 

Disponible gratuitement sur https://videotheque.cnrs.fr/doc=4127(CEAlexandrie, 19 février 2013).

 Relevez les différentes étapes de restauration de la mosaïque données dans les intertitres et résumez le travail de chaque groupe d’intervenants.

 

Corrigé :

Même si la représentation d’un chien sur une mosaïque est traditionnellement associée au chien de garde romain, il serait inexact d’analyser ainsi ce « chien à l’askos », pour les raisons suivantes. Tout d’abord, il n’est pas exclusivement noir, il a plusieurs couleurs (il est varius, ce que condamnait Columelle pour un chien de garde). Il n’est pas en train d’aboyer, puisqu’il n’a pas la gueule ouverte comme les autres chiens des mosaïques. Il n’est pas attaché à une chaîne ou une corde, même s’il porte un joli collier rouge, et il n’a pas un air menaçant. Il semble plutôt penaud, comme s’il venait de renverser la cruche et avait peur de se faire gronder par son maître. Il n’a pas un regard orienté vers la droite pour surveiller les éventuels arrivants : il observe en fait la réaction des personnes placées devant l’œuvre, en face de lui. 

 

Jean-Marc Luce voit dans ce chien « un ancêtre des podengos33que l’on peut voir encore aujourd’hui en Égypte. Il témoigne de la circulation des races à cette époque »34. C’est un type de mosaïque hellénistique qui imite la peinture. On a une composition élaborée avec des lignes et des dégradés, ce qui ne va pas sans poser des problèmes pour trouver des tesselles suffisamment variées pour constituer une gamme chromatique étendue. On voit un chien domestique et un récipient en bronze pour puiser l’eau, un askos. C’est une œuvre en opus vermiculatum(minuscules tesselles de quelques millimètres), qui date de la période hellénistique (et plus précisément de la première moitié ou au plus tard milieu du IIe siècle av. J.-C.). Elle nous montre que la représentation des chiens n’est pas une spécificité romaine impériale du Ier siècle après J.-C. : elle existait déjà quelques siècles auparavant, chez les Grecs, et avec quel degré de perfection ! C’est une production d’une qualité exceptionnelle (par son iconographie, sa qualité artistique et ses particularités techniques), car elle est issue des ateliers royaux :

« Les couleurs du médaillon se limitent à une gamme de noir, gris, blanc, beige, brun pour le pelage du chien, du jaune pour l’askos, avec une touche de rouge pour le collier de l’animal. Que ce soit pour rendre le pelage du chien, son regard attachant et vif, ou le volume du récipient de bronze, le mosaïste a joué avec les rehauts de couleurs et les dégradés, l’ensemble se détachant sur un fond neutre assez sombre. Ce médaillon transpose très certainement une peinture, ce qui est courant pour les représentations figurées durant l’époque hellénistique, et explique le « cadrage » particulier de la scène : en effet, l’askoscomme l’arrière-train du chien semblent buter sur le contour extérieur, contrairement au reste de l’animal. […] On peut supposer que le mosaïste a repris, comme diamètre du cercle central, la longueur d’un côté du pinaxet a reproduit la scène peinte sans changer les dimensions des figures. »35

La présence du vase semblerait tout d’abord apparenter la pièce à une nature morte, mais le chien, surtout par son regard, lui redonne vie : on croirait qu’il pose pour l’artiste. Cette mosaïque représente donc un chien plus proche du chien de compagnie que du chien de garde.

3. Chiens de chasse

Intéressons-nous maintenant à la catégorie délaissée par Columelle (mais jugée digne d’intérêt par Xénophon avant lui36), celle des chiens de chasse,et commençons par observer cette très belle mosaïque de l’Afrique romaine, fort instructive sur les différentes utilisations de certains animaux comme auxiliaires pour la chasse37, qu’il s’agisse du chien, du cheval ou d’un rapace (épervier ou faucon). Les mosaïques de ce type sont nombreuses car « se développe en Afrique (Libye et Tunisie actuelles), dès l’époque flavienne (63-96), une école qui poursuit le style hellénistique figuré et polychrome, en renouvelant l’iconographie par des scènes de spectacles (jeux de l’amphithéâtre et du cirque) ou de la vie quotidienne (chasse, pêche, agriculture, etc.). » (Jacques Bersani et al., p. 152, o. c.dans lanote 32)

mosaïque de la chasse

Différents modes cynégétiques, mosaïque (465 × 385 cm), Kélibia (réserves du musée El Jem) © Gilles Mermet.

Selon Pline l’Ancien, c’est à la chasse que se révèle surtout l’adresse (sollertia)et l’intelligence (sagacitas) du chien car « les chiens trouvent les pistes et les suivent, conduisant vers la bête le chasseur qui les tient en laisse. Quand ils voient le gibier, comme ils l’indiquent par une expression significative, bien que silencieuse et circonspecte, par leur queue d’abord, puis par leur museau ! » (Histoire naturelle, VIII, 61, 5, traduction É. Littré). Sur lamosaïque de Kélibia, aux molosses est réservée l’attaque du gros gibier (les cerfs ou les sangliers) ; aux lévriers – comme leur nom l’indique – la recherche, éventuellement le déterrage et la course-poursuite des lièvres ou des perdrix, du petit gibier. Certaines mosaïques sont d’une telle précision sur le déroulement de la chasse que l’on peut même y lire le nom des chiens, ou voir que le chien porte un collier à clous avec attache, conforme à la recommandation de Varron :

« On empêche les chiens d’être blessés par les bêtes féroces, au moyen d’une espèce de collier qu’on appelle mellum ; c’est une large zone de cuir bien épais, qui leur entoure le cou. On a soin de la hérisser de clous à tête, de la garnir, en dessous, d’un autre cuir plus douillet, qui recouvre la tête de ces clous, et empêche le fer d’entamer la peau du chien. Du moment qu’une bête féroce, loup ou autre, a senti les clous qui garnissent le collier, tous les chiens du troupeau, avec ou sans collier, sont à l’abri de ses attaques. »38

Les chiens de Laconie sont explicitement associés à la chasse au sanglier dans un passage de la Cena Trimalcionis(Pétrone, o. c., 40, 1-4) puisque les esclaves de Trimalcion amènent des descentes de lit où - double niveau de l’illusion théâtrale - les invités pouvaient voir représentés des filets (retia… picta), des guetteurs à l’affût avec leurs épieux (subsessores… cum venabulis)et tout un équipage de chasse (totus venationis apparatus). Le décor de la fausse venatioétant posé, les invités voient alors débouler une meute de chiens de Laconie (canes Laconici) qui se mettent à courir dans tous les sens ; la « proie » arrive aussitôt sur un plateau : il s’agit d’un immense sanglier (aper), déjà préparé, et entouré de faux marcassins (minores porcelli) en pâte croquante. Pour que la mise en scène de Trimalcion soit parfaite, il faut donc que les chiens de Laconie soient spécialisés dans la chasse au sanglier.

couple de chiens

Statue d’un couple de chiens, marbre (H. 67 cm), IIe siècle ap. J.-C., trouvé à Civita Lavinia, Latium (Italie ). © Trustees of the British Museum.

Lorsque l’on représente deux lévriers en train de chasser, on dira sans hésiter que ce sont des chiens de chasse mais doit-on leur attribuer le même statut si on les représente sans activité utilitaire précise pour l’homme ? Les deux lévriers du groupe sculpté ci-dessus (un mâle et une femelle, selon le site du British Museum)39, dont on observera la grâce et la distinction, semblent surpris dans leurs jeux et ne sont pas représentés dans leur activité de chiens de chasse. Le chien de droite, qui mordille les oreilles de l’autre, essaie de le dominer, en posant sa patte sur lui pour le surplomber. 

4. Hommage au chien utilitaire 

Ces représentations (comme celle du « chien à l’askos » pour le chien de garde), montrent aisément que le chien de chasse n’est pas toujours réduit au statut d’outil. L’accomplissement - à la perfection - de sa fonction utilitaire peut permettre à son maître de voir en lui aussi un compagnon fidèle, auquel il pourra rendre hommage à sa mort. En effet, s’il remplissait bien son rôle, un bon chien de garde, de berger ou de chasse, comme l’atteste l’épigraphie, pouvait avoir droit, après sa mort, non seulement à une tombe mais aussi à un éloge funèbre. L’épitaphe suivante est courte, le nom de l’animal n’est pas précisé et l’on ne sait rien de son physique : l’éloge se limite à l’accomplissement de son rôle de raedarum custos.

EXERCICE 8 : lire une épitaphe et traduire

Épitaphe d’un gardien de voiture

Raedarum custos, numquam latravit inepte ;

nunc silet et cineres vindicat umbra suos.

Épitaphe d’une colonne élevée sur la tombe d’un chien de garde ; Ricina, Picenum. CILIX, 5785 / B. 117440

1. Complétez les informations manquantes dans la liste de vocabulaire suivante (traduction, nature du mot, type de conjugaison ou de déclinaison, désinence) :

raeda, -ae, f. (nom commun …… décl.) : « chariot, voiture »

custos, -odis, m. (nom commun …… décl.) : « gardien »

ineptus, -a, -um (adjectif qualificatif …… classe) : « maladroit, sot » => inepte(……………) : « maladroitement, quand il ne faut pas » 

nunc(adverbe) : « ………………………» 

latro, -āre (verbe …… conjugaison) : « …………………… » = > Si canis latrat, VAVA audio.

sileo, -es, -ēre, -ui, sans supin (verbe …… conjugaison) : …………… , cf. le nom commun silentium

cinis, -er…, m. (nom commun 3e décl.) : « cendre » 

vindic…, -āre (verbe 1reconjugaison) : « revendiquer, réclamer, venger, punir »

umbra, -…, f. (nom commun 1re décl.) : « ombre »

2. Traduisez le texte.

N.B. custos est ici une apposition au sujet, il faut donc comprendre littéralement « En tant que gardien… » et traduire, de manière plus élégante, « Quand il était gardien… » ; le sujet de latravit et de son contraire silet n’est pas exprimé : il faut comprendre qu’il s’agit du chien à qui est dédié le texte. Mais vindicata bien son sujet propre : trouvez le mot au nominatif qui occupe cette fonction.

Il est aussi possible de rendre hommage à sa mort à un chien de chasse exceptionnel, comme le fait Martial dans ces distiques élégiaques (Épigrammes, XI, 69) :

Amphitheatrales inter nutrita magistros 

Venatrixsiluis aspera, blanda domi

Lydia dicebar, domino fidissima Dextro, 

Qui non Erigones mallet habere canem,

Nec qui Dictaea Cephalum de gente secutus 

Luciferae pariter venit ad astra deae. 

Non me longa dies nec inutilis abstulit aetas, 

Qualia Dulichio fata fuere cani :

Fulmineo spumantis apri sum dente perempta, 

Quantus erat, Calydon, aut, Erymanthe, tuus. 

Nec queror infernas quamvis cito rapta sub umbras : 

Non potui fato nobiliore mori.

Élevée parmi les dresseurs de l’amphithéâtre, chasseresse, terrible en forêt, caressante à la maison, on m’appelait Lydia, très fidèle à mon maître Dexter, qui ne m’aurait pas préféré le chien d’Érigoné, ni celui, de race crétoise, qui, à la suite de Céphale, rejoignit également la constellation de la déesse porteuse de la lumière. Ce n’est pas une longue durée de vie ni un âge inutile qui m’a enlevé la vie, comme ce fut le destin du chien d’Ulysse : j’ai péri sous la dent foudroyante d’un sanglier écumant, aussi grand que le tien, Calydon, ou le tien, Érymanthe. Et je ne me plains pas, même si j’ai été emportée rapidement sous les ombres infernales : je n’aurais pu mourir d’une plus noble mort. (traduction J. Gallego)

Dans cette épitaphe traditionnelle où le chien s’exprime à la première personne, on retrouve tous les codes de l’éloge post mortem : le portrait physique, le portrait moral, le nom de la chienne (qui, s’il est géographique, impliquerait une race indienne), le nom de son maître, la réfutation des causes possibles de la mort et les causes réelles (elle a été tuée par un sanglier). On y lit aussi l’héroïsation poétique du chienmort à la chasse (comme transposition de la mort au combat)et pas moins de cinq références littéraires à des chiens mythologiques, comme attendu dans un poème de type alexandrin. Éclaircissons les deux allusions mythologiques d’Érigoné et de Céphale. Selon, Hygin (Fables130, « Icarius et Érigonè »), la chienne Maera fut transformée en astre, appelée Canicule (canicula, « petite chienne », diminutif au féminin de canis) par les dieux pour la récompenser de sa fidélité à la mort de son maître Icarius, tué par des bergers à qui il avait fait découvrir le vin de Liber Pater (assimilé à Bacchus). La chienne était en effet restée à se lamenter (ululans) auprès du corps sans sépulture de son maître. Le maître et sa fille, Érigoné, qui s’était pendue au-dessus du corps de son père après l’avoir trouvé grâce à Maera, furent transformés en astres : le premier en l’étoile Arcturus et la seconde en la Constellation de la Vierge (d’où les mots ad astra deae luciferaechez Martial). L’amour filial et la fidélité du chien sont donc récompensés de la même manière. Le Premier mythographe du Vaticannous conte aussi l’histoire d’un autre « chien placé au ciel » (Fabula Canis inter sidera translati,III, 31 ; voir le texte ci-après proposé en exercice), mais le rédacteur signale à la fin de la fable que ce chien anonyme est parfois vu, par la tradition, comme celui d’Orion ou d’Icarus.

 

 

EXERCICE 9 : traduire

Comment un chien fut transformé en étoile par Jupiter

Canis inter sidera constituti fabula haec est. Hic canis dicitur ab Joue custos Europae positus esse et ad Minoa pervenisse ; quem Procris Cephali uxor laborantem dicitur sanasse et pro eo beneficio canem munere accepisse quod illa studiosa fuerit venationis et quod cani fuerat datum, ne ulla fera praeterire eum posset. Post ejus obitum canis ad Cephalum pervenit, cujus uxor fuerat Procris. Quem ille ducens secum, Thebas venit, ubit erat vulpes, cui datum dicebatur, ut omnes canes effugere posset ; itaque cum in unum pervenissent, Juppiter, nescius quid faceret, ut Istrius ait, utrosque in lapidem convertit. Nonnulli hunc canem Orionis esse dixerunt et, quod studiosus fuerit venandi, cum eo canem quoque inter sidera collocatum. Alii autem canem Icari esse dixerunt.

Questions :

1. Traduisez la fable41.

2. Pourquoi Jupiter décide-t-il de changer en astres deux des personnages de l’histoire ? Citez les passages qui évoquent, avec une structure syntaxique proche, le don que chacun a reçu.

 

Dans la littérature gréco-latine, le modèle de l’épitaphe à Lydia de Martial est bien sûr à chercher dans le chien Argos, qui incarne chez Homère, dans un épisode court mais émouvant, particulièrement marquant (Odysssée, XVII, vers 290-327), le symbole même de cette fidélité du chien de chasse à son maître (voir « Une image, une histoire », « Ulysse et Argos » >>>lien à créer).Argos reconnaît immédiatement Ulysse revenu à Ithaque, vingt ans après son départ pour Troie, et le vieux chien meurt après avoir faiblement remué la queue et baissé les oreilles, comme un dernier signe de soumission et d’affection à ce premier maître qu’il a eu, alors qu’il n’était qu’un chiot, et qui doit essuyer discrètement une larme quand il voit son fidèle compagnon, pour ne pas être reconnu de son ancien porcher. Dans l’éloge que le porcher Eumée fait de lui avant sa mort, on trouve déjà les prémices de certaines épitaphes (d’époque ultérieure) que nous avons conservées, comportant des portraits de chiens de leur vivant, courant les bois et experts à la chasse :

Καὶ λίην ἀνδρός γε κύων ὅδε τῆλε θανόντος.

Εἰ τοιόσδ᾽ εἴη ἠμὲν δέμας ἠδὲ καὶ ἔργα,

οἷόν μιν Τροίηνδε κιὼν κατέλειπεν Ὀδυσσεύς,

αἶψά κε θηήσαιο ἰδὼν ταχυτῆτα καὶ ἀλκήν.

Οὐ μὲν γάρ τι φύγεσκε βαθείης βένθεσιν ὕλης

κνώδαλον, ὅττι δίοιτο· καὶ ἴχνεσι γὰρ περιῄδη·

νῦν δ᾽ ἔχεται κακότητι, ἄναξ δέ οἱ ἄλλοθι πάτρης

ὤλετο, τὸν δὲ γυναῖκες ἀκηδέες οὐ κομέουσι.

« Hélas ! c’est le chien de ce héros qui est mort loin de nous ! S’il était encore tel qu’Ulysse le laissa quand il partit pour les champs troyens, tu serais étonné de sa force et de son agilité. Nulle proie n’échappait à sa vitesse lorsqu’il la poursuivait dans les profondeurs des épaisses forêts : car ce chien excellait à connaître les traces du gibier. Maintenant il languit accablé de maux ; son maître a péri loin de sa patrie, et les esclaves, devenues négligentes, ne prennent aucun soin de ce pauvre animal ! »

Homère, Odysssée, XVII, vers 312-319 (texte et traduction de E. Bareste).

Pour le philosophe Sextus Empiricus, Argos n’a pas été abusé « par le changement qui était arrivé dans la personne de son maître, et n’a point perdu l’idée qu’il avait de lui ; en quoi il surpassa les hommes mêmes. »42Pline l’Ancien, dans le passage du livre VIII déjà cité, résume successivement treize anecdotes, venues de tous les coins de l’empire, dont la fidélité (fides)du chien est le sujet principal43.

Chiens et chevaux utilisés à la chasse peuvent bénéficier des mêmes honneurs s’ils sont exceptionnels. Ainsi Alexandre le Grand donna à des villes les noms de son cheval Bucéphale et de son chien Péritas (Plutarque, Vies,Alexandre,61, 2-3) lorsqu’ils moururent, en signe de son profond attachement pour eux. Quant à l’empereur Hadrien, Dion Cassius (Histoire romaine,69, 10) raconte que celui-ci fit élever un tombeau lorsque son cheval préféré (qui était courageux à la chasse) mourut et lui fit graver, vers 121 après J.-C., une épitaphe44dont le texte nous est parvenu et qui pourra être comparée à celle de Lydia :

Borysthenes Alanus,

Caesareus veredus,

per aequor et paludes

et tumulos Etruscos

volare qui solebat,

Pannonicos in apros,

nec ullus insequentem

dent[e aper albicanti]

ausus fuit nocere,

vel extimam saliva

sparsit ab ore caudam,

ut solet evenire.

Sed integer juventa,

inviolatus artus

die sua peremptus,

[ho]c situs est in agro.

« Borysthène, coursier alain de l’empereur, qui, à son habitude, volait à travers la plaine, les marais et les hauteurs de l’Étrurie à la poursuite des sangliers de Pannonie ; nul sanglier n’osa lui porter un coup de ses blanches défenses, tandis qu’il le pourchassait, ou répandre l’écume de sa bouche sur l’extrémité de sa queue, comme souvent il arrive. Mais, dans la fleur de sa jeunesse, sans que nulle blessure ait souillé ses membres, il est mort à son heure et repose dans ce champ. »

(CIL XII 1 122, ILN, Apt, 33. trad. J. Gascou45)

Si l’on quitte le domaine de l’Antiquité gréco-latine pour celui de la légende arthurienne racontée en latin par un clerc gallois au IXesiècle, on découvre que le roi Arthur a eu lui aussi un chien de chasse exceptionnel.

Est aliud miraculum in regione quæ dicitur Buelt:est ibi cumulus lapidum et unus lapis superpositus super congestum, cum vestigio canis in eo ;quando venatus est porcum Troynt,impressit Cabal, qui erat canis Arthuri militis, vestigium in lapide et Arthur postea congregavit congestum lapidum sub lapide in quo erat vestigium canis sui, et vocatur Carn Cabal. Et veniunt homines et tollunt lapidem in manibus suis per spatium diei et noctis et in crastino die invenitur super congestum suum.(Historia Brittonum, § 73 ed. F. Lot)

« Il y a un autre élément étonnant dans la région appelée Buelt : on y trouve un tas de pierres avec une pierre posée au-dessus de l’amas, sur lequel apparaît la trace de patte d’un chien ; alors qu’il chassait le sanglier Troynt, Cabal, qui était le chien du soldat Arthur, laissa une trace sur la pierre et Arthur rassembla ensuite des pierres en amas sous la pierre sur laquelle se trouvait la trace de son chien et l’appela Carn46Cabal. Chaque fois que des hommes viennent et emportent la pierre dans leurs mains sur une durée d’un jour et d’une nuit, on la retrouve le lendemain au-dessus de l’amas. » (Histoire des Bretons)

Programme d’enseignement optionnel de LCA de seconde générale et technologique

Objet d'étude : L'homme et l'animal

 

Notes

23-Les enluminures des folios 44 (verso) et 45 (recto) du manuscrit Vergilus Romanusdes Géorgiques(livre III), datant du Vesiècle (Vatican, Bibliothèque apostolique, Vat. Lat. 3867), visibles sur https://digi.vatlib.it/view/MSS_Vat.lat.3867, offrent une représentation de deux chiens de troupeau élancés, conformes à la blancheur exigée par Columelle (avec néanmoins quelques taches sur la robe pour le chien du folio 44) et porteurs d’un collier.

24-Varron, o. c., II, 9, 3-4. Texte et traduction de M. Nisard. Charles Guiraud (CUF) comprend autrement naribus congruentibuspuisqu’il traduit par « symétriques ».

25- Il ne s’agit pas du cadavre réel du chien mais du moulage (en ciment) de la forme que son corps, recouvert de roche volcanique, a laissée. La matière organique s’est désagrégée sous l’effet de la chaleur et un archéologue, Giuseppe Fiorelli, eut l’idée, au XIXe siècle, d’exploiter ce vide pour réaliser les moulages que nous connaissons.

26- On constate donc que les petites chiennes de Trimalcion, de son mignon et de Fortunata ne comptent pas dans les dépenses de la familia(qui englobent les esclaves et Scylax).

27- Voici un texte court sur Hercule et Cerbère, qui peut être illustré par l’hydre de Caere à figures noires (VIesiècle av. J.-C., visible surhttps://www.photo.rmn.fr/archive/93-006097-01-2C6NU0HP7C6I.html)Fabula Herculis et Tricerberi.1 Hercules ad inferos descendens rapturus Theseum timuit ne Tricerberus in illum transiens laceraret illum ; quapropter insiliens in Cerberum traxit eum ab inferis. 2 Cumque insolitam lucem vidisset superorum, spumam ab ore ejecit ; e qua spuma dicitur nata fuisse herba venenifera nomine aconita. 3 Nam Cerberus terra est, quae omnium corporum consumptrix est ; unde Cerberus dicitur, quasi creoboros, id est carnem vorans. « Hercule et Tricerbère. Quand Hercule descendit aux enfers pour enlever Thésée, il eut peur que Tricerbère, s’il l’attaquait, ne le mît en pièces ; il se précipita donc sur lui et le traîna hors des enfers. 2 Quand Cerbère vit la lumière du jour, il vomit une écume qui, dit-on, fit pousser l’herbe vénéneuse que l’on appelle aconit. 3 Cerbère est en effet la terre qui dévore tous les corps ; en conséquence il est appelé Cerbère, comme s’il était créoboros, c’est-à-dire « qui dévore la chair » » (Premier mythographe du Vatican, 1, 57, « Hercule et Tricerbère », Paris, Les Belles Lettres, CUF, 2003, texte établi par N. Zorzetti, traduction de J. Berlioz). Le composé grec repose surκρέας « viande », κρεοβορεῖν signifiant donc « consumer de la viande ». Raison de plus pour Encolpe de se méfier de Scylax ! Dans l’œuvre satirique L’Apocoloquintose du divin Claudede Sénèque (13, 3), l’affranchi Narcisse, arrivé aux Enfers, est effrayé par Cerbère, un chien noir et velu (canem nigrum, vilosum), car il n’est habitué qu’à sa petite chienne blanche adorée (subalbam canem in deliciis).

28- Ce genre de mosaïques ne servait peut-être pas seulement à décourager les éventuels voleurs : elles pouvaient servir aussi à chasser les mauvais esprits à l’entrée des maisons, selon Eli Edward Burriss, « The Place of the Dog in Superstition as Revealed in Latin Literature », dans Classical Philology30, 1936, p. 32 (réf. bibl. signalée par Muriel Lafond).

29- Il faut user de prudence car Pline l’Ancien (35, 29, 36, 184) emploie effectivement l’expression « peindre (en pierre) » pour des mosaïques.

30- Paul Veyne, « Cave canem », dans Mélanges d’Archéologie et d’Histoire de l’École Française de Rome75, 1963, pp. 59-60

31- Voir aussi, plus bas, le portrait d’Issa, où la ressemblance est tellement frappante entre le modèle et la peinture qu’on ne sait plus, nous dit Martial, distinguer la « fausse » chienne de la vraie.

32- Jacques Bersani et al.,Le Grand Atlas de l’architecture mondiale, Paris, Encyclopaedia universalis, 1982, p. 152 (Chapitre sur Rome de Bernard Holtzmann).

33- Le podengo (actuel) appartient à la catégorie des lévriers, il est donc peu adapté comme chien de garde. Il est docile, sociable, affectueux et peu bagarreur. Si l’on calcule la taille du chien en fonction de la taille de l’ensemble du médaillon, on arrive à un animal d’environ 60 cm au garrot. Ce qui serait conforme à la taille réelle d’un podengo moyen (des Canaries) ou d’un grand podengo (portugais), dont la robe est jaune, fauve et noire, unicolore avec ou sans marques blanches, ou blanche avec des marques.

34- Jean-Marc Luce, « Quelques jalons pour une histoire du chien en Grèce antique », Pallasn° 76, « Voyages en Antiquité : Mélanges offerts à Hélène Guiraud », p. 271.

35- Anne-Marie Guimier-Sorbets, Peinture et couleur dans le monde grec antique(dir. S. Descamps-Lequime), Paris, 5 Continents, 2007, p. 13 (Chap. « De la peinture à la mosaïque, problèmes de couleurs et de techniques à l’époque hellénistique. »)

36-  Xénophon,L’Art de la chasse, livres III à XI (sur les différentes races de chiens, leurs caractéristiques ; conseils pour les élever et les utiliser au mieux suivant l’animal chassé).

37- Sur les différentes techniques de chasse en Gaule, très proches de celles que l’on observe sur les mosaïques tunisiennes, voir Pierre-Marie Duval, La Vie quotidienne en Gaule pendant la paix romaine, Paris, Hachette, 1952, pp. 252-259.

38- Varron, o. c.,II, 9, 15. Texte et traduction de M. Nisard. Pour la valeur symbolique forte du collier du chien de garde, même lorsqu’il n’est pas toujours attaché, voir la fable de Phèdre « Le loup et le chien » (3, 51).

39-  Lors de ces mêmes fouilles, au XIXe s., on a mis au jour un autre marbre représentant ce groupe de chiens (actuellement au Vatican), un sphinx avec un corps de chien et deux statues d’Actéon attaqué par ses chiens.

40- « Surveillant des chariots, jamais il n’aboya pour rien. Maintenant, il se tait. Son ombre s’en prend à ses cendres. » (Tombeaux romains. Anthologie d’épitaphes latines, traduit par Danielle Porte, Paris, Le Promeneur/Gallimard, 1993, pp. 102-103).

41-  L’appareillage précis devra être ajouté par l’enseignant en fonction du niveau des élèves pour les aider à construire correctement (certaines subordonnées présentent des difficultés). On se reportera au volume de la CUF de 2003 pour la traduction de Jacques Berlioz (p. 128). La note ad loc.précise, pour Istrius, que le nom exact est Istros. C’était un élève du poète Callimaque qui composa des ouvrages historiques et mythologiques.

42- Sextus Empiricus, Les Hypotyposes ou Institutions pyrrhonniennes, I, 14 (texte et traduction de Huart).

43- Il ne développe que la dernière (voir 61, 1, 3), plus proche de lui dans le temps et dans l’espace parce qu’elle concerne Néron Caesar, fils de Germanicus et frère d’Agrippine la Jeune ; donc Pline l’Ancien aurait pu connaître des témoins de l’histoire encore vivants à son époque, et elle était, peut-on supposer, plus digne de foi à ses yeux dans la mesure où elle était attestée par les Actes du peuple romain.

44-Τῆς δὲ περὶ τὰς θήρας σπουδῆς αὐτοῦ καὶ ὁ Βορυσθένης ὁ ἵππος, ᾧ μάλιστα θηρῶν ἠρέσκετο, σημεῖόν ἐστιν· ἀποθανόντι γὰρ αὐτῷ καὶ τάφον κατεσκεύασε καὶ στήλην ἔστησε καὶ ἐπιγράμματα ἐπέγραψεν. (Dion Cassius, Histoire romaine,69, 10). « Cet amour de la chasse est encore attesté par Borysthène, son cheval favori pour la chasse, puisqu’à la mort de ce cheval, il lui fit construire un tombeau, y érigea une stèle et y grava une inscription. » (Texte et traduction d’E. Gros). On pourra relever avec les élèves hellénistes quelques mots importants pour comprendre le contexte d’emploi de l’épitaphe et la formation du mot français emprunté au grec : ἀποθανόντι / τάφον / στήλην ἔστησε / ἐπιγράμματα ἐπέγραψεν.

45-Jacques Gascou et Michel Janon, « Les chevaux d’Hadrien », dans Revue archéologique de Narbonnaise, t. 33, 2000. p. 62-63. DOI. Disponible sur www.persee.fr/doc/ran_0557-7705_2000_num_33_1_1543

46- La mention de cet amas de pierres appelé cairn encore aujourd’hui est un récit étiologique pour tenter d’expliquer les mégalithes bretons et anglo-saxons. La fidélité du chien est symbolisée par le retour de la pierre en sa demeure.

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