La postérité du mythe de Médée dans la littérature et les arts 

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Dossier élaboré par

Cécile Daude

Paulette Garret

Sylvie Pédroaréna

Brigitte Planty

Gilles Roussel

Sous la direction de Sylvie David

A. Les réécritures théâtrales :

a. Médée de Corneille (1635) :


Il s’agit de la première tragédie de Corneille.
Dans une lettre datant de 1649, Corneille affirme avoir puisé son inspiration dans la Médée de Sénèque et non dans celle d’Euripide :

« Ma Médée ne doit rien au poète grec, mais infiniment au latin: ces poisons, ces lamentations, ces cruels élans de l’épouse abandonnée, balancés par l’amour maternel, tant de sentiments qu’elle revêt et dépouille tour à tour, qui font la douleur de la mère et l’audace de l’épouse, tous ces mouvements dignes du cothurne tragique, que tous admirent sur la scène, jeunes et vieux ».

On y retrouve en effet le conflit qui oppose Jason et Médée, avec une

dimension cependant plus politique, et le conflit intérieur qui déchire l’héroïne ; en outre, les pouvoirs maléfiques de celle que Jason qualifie de « sorcière » sont mis en avant. Dans la scène 1 de l’acte IV, ce n’est plus la nourrice comme chez Sénèque qui relate les opérations de sorcellerie, alors que Médée est hors scène, mais l’héroïne elle-même, préparant le poison « dans sa grotte magique » :

Mes maux dans ces poisons trouvent leur médecine :
Vois combien de serpents à mon commandement
D’Afrique jusqu’ici n’ont tardé qu’un moment,
Et contraints d’obéir à mes charmes funestes,
Ont sur ce don fatal vomi toutes leurs pestes.
L’amour à tous mes sens ne fut jamais si doux
Que ce triste appareil à mon esprit jaloux.
Ces herbes ne sont pas d’une vertu commune :
Moi-même en les cueillant je fis pâlir la lune,
Quand, les cheveux flottants, le bras et le pied nu,
J’en dépouillai jadis un climat inconnu.
Vois mille autres venins : cette liqueur épaisse
Mêle du sang de l’hydre avec celui de Nesse ;
Python eut cette langue ; et ce plumage noir
Est celui qu’une harpie en fuyant laissa choir ;
Par ce tison Althée assouvit sa colère,
Trop pitoyable sœur et trop cruelle mère ;
Ce feu tomba du ciel avecque Phaéton,
Cet autre vient des flots du pierreux Phlégéthon ;
Et celui-ci jadis remplit en nos contrées
Des taureaux de Vulcain les gorges ensoufrées.
Enfin, tu ne vois là poudres, racines, eaux,
Dont le pouvoir mortel n’ouvrît mille tombeaux :
Ce présent déceptif a bu toute leur force,
Et bien mieux que mon bras vengera mon divorce.

b. Medhela (Médée) de Max Rouquette (1989) :

(édition pédagogique Magnard, collection Classiques et Contemporains, 2008)


C’est cette fois la Médée d’Euripide dont cet auteur occitan donne sa propre version.
Marqué par les paysages de sa région natale, Max Rouquette imagine un théâtre de plein air au milieu d’une nature rocailleuse, lieu idéal pour représenter un drame plein d’âpreté.

« Et la pièce ? La pièce serait à l’image de ce théâtre, dans son esprit, pierreux, brutal, dur, sans ornements, mais parfois avec l’ampleur du vent, de la chaleur, de l’air, du ciel, de la nuit ; et aurait pourtant les reflets et les significations de la vie, de ses tourments, des tempêtes, des songes et de la souffrance de tout homme, dans tous les temps. » (extrait de la Préface à Medhela)

Un autre aspect qui fait entrer en résonance la Grèce antique et la culture du midi de la France est l’importance de la collectivité s’exprimant sur les événements de la cité.


« En vérité, dans la société méridionale, le chœur antique est resté toujours vivant. Sur les placettes, à la gardette, devant le café, au bon de la nuit, le groupe de vieilles femmes est bien là pour commenter tout événement et le charger de cet écho que le peuple assemblé ajoute à toute chose personnelle. » (extrait de la Préface à Medhela)

Le metteur en scène Jean-Louis Martinelli a transposé la pièce de Rouquette dans la culture africaine (le spectacle a donné lieu à un DVD : Médée de Max Rouquette, mise en scène de Jean-Louis Martinelli, version « africaine » de Médée avec des comédiens du Burkina Faso, théâtre Nanterre- Amandiers, collection Copat, 2008).


« De quelque côté que l’on prenne Médée, déclare Martinelli, la réalité africaine l’éclaire : on n’a qu’à penser aux rapports qu’entretiennent les Africains avec la magie, à la question de l’exil, à la corruption, à la polygamie... »

Dans cette mise en scène, les chœurs sont chantés en bambara (dialecte d’Afrique de l’Ouest) par un groupe de sept femmes griottes (conteuses et musiciennes traditionnelles), deux demi-chœurs de trois femmes et la coryphée.

c. Médée Kali de Laurent Gaudé (2003) :

(édition pédagogique Magnard, collection Classiques et Contemporains, 2012)


Pour composer ce monologue, Laurent Gaudé ne s’est pas à proprement parler livré à un travail de réécriture mais a plutôt conçu un nouvel épisode du mythe, en superposant deux figures féminines appartenant à deux cultures différentes, la magicienne grecque et la déesse hindoue.

Dans un entretien qu’il a accordé à Cécile Pellissier, professeur de lettres, l’écrivain évoque la genèse de son œuvre :


« J’ai eu deux idées. La première, c’est de la faire naître en Inde. Aller plus loin que l’Asie Mineure. La faire partir de cet ailleurs absolu : les bords du Gange et la caste des Intouchables. Je ne connais pas l’Inde. C’est donc pour moi une terre de fantasme, un véritable ailleurs... De la même façon, je ne suis pas du tout un spécialiste de la figure de Kali. J’ai juste lu qu’elle était la figure de la destruction, une figure terrifiante, mais qui, comme toujours dans la religion hindoue, contient aussi son contraire (le renouveau). J’aimais beaucoup la consonance du double nom : Médée Kali. Ça peut paraître bête mais la sonorité compte beaucoup. Le personnage existait pour moi dans cette juxtaposition. La seconde, c’est de fusionner deux figures : celle de Médée et celle de la Gorgone. Pour une raison très simple : c’est qu’il me semble que Médée, une fois qu’elle a tué ses enfants, est l’image exacte de la Méduse. Un être terrifiant qui pétrifie ceux qu’elle croise par sa monstruosité. Ces deux idées m’ont sauvé du poids de Médée et m’ont permis de faire mon chemin. »

Pour accomplir pleinement sa vengeance, Médée revient en terre grecque sur le tombeau de ses enfants qu’elle veut exhumer ; ainsi sera effacée toute trace de son amour fatal avec Jason dans ce pays désormais abhorré.


« Ils vous ont enterrés comme des Grecs,
Avec la vanité du marbre.
C’est pour cela que je reviens.
Je veux vous extraire de la terre froide de votre père
Et vous confier aux flammes du bûcher.
Votre mère est là,
La chienne,
L’étrangère.
Je vous aime.
Tout doit disparaître.
Les ossements, les stèles,
Tout doit disparaître.
Je veux que Jason pleure sur un tombeau vide.
Mes enfants,
Je suis enragée.
Le châtiment n’est pas encore complet.
Je ne vous laisserai pas dans cette terre.
Je ne vous laisserai pas si près de votre père. » (III, éd. Actes-Sud)

B. Le mythe de Médée dans l’opéra :


a. Médée de Marc-Antoine Charpentier (1693) :


Le livret, composé en vers, est l’œuvre de Thomas Corneille, frère du dramaturge Pierre Corneille.

Si dans la première moitié de l’opéra, le librettiste met en avant la souffrance de l’héroïne encore dans l’incertitude, il la présente ensuite, lorsqu’elle se sait trahie, déterminée à se venger ; à l’acte III, elle procède à un cérémonial de sorcellerie, invoquant les puissances infernales :
Acte III, scènes 5 et 6 : Médée seule ; puis Médée, la Vengeance et la Jalousie

Médée : (air + quintette à cordes ; sol mineur « sévère et magnifique ») Noires filles du Styx, Divinités terribles
Quittez vos affreuses prisons.
Venez mêler à mes poisons
La dévorante ardeur de vos feux invincibles. La Jalousie et la Vengeance :
L’enfer obéit à ta voix ;
Commande, il va suivre tes lois.

b. Médée de Cherubini (1797) :


Le livret a été écrit par François-Benoît Hoffmann d’après la tragédie de Pierre Corneille ; il comporte une alternance de passages chantés et de dialogues parlés en alexandrins, ce qui rappelle la structure de la tragédie antique. Le livret a été traduit ensuite en italien et c’est dans cette version que l’opéra a été donné au Mai musical florentin en 1953 avec Maria Callas dans le rôle-titre.
Plus récemment, le metteur en scène Krzysztof Warlikowski a adapté les dialogues parlés du livret originel pour une production au Théâtre de la Monnaie à Bruxelles en 2008 ; par sa réécriture, il introduit un vif contraste entre les séquences lyriques et le caractère abrupt de certaines répliques.

Acte I, scène 7 : livret de François-Benoît Hoffmann


Médée :
Eh bien, Jason, vous gardez le silence,
Vous détournez les yeux, vous fuyez mon aspect ?
Ingrat, de tout ce que j’ai fait,
Voilà donc la reconnaissance !
Dans les plus grands périls m’oser abandonner ?
M’enlever mes enfants, choisir une autre épouse ?
Ne redoutais-tu rien de ma fureur jalouse ?
Pensais-tu que mon cœur sût jamais pardonner ?
Mais parle ! à qui dois-tu les lauriers et ta gloire,
La superbe toison qui brille en ce palais...
Tout enfin ?

Jason :
Je vous dois une illustre victoire,
Je le sais ; mais mon cœur rejette des bienfaits Qui vous couvrent de honte et coûtent des forfaits.

Médée :
Parjure ! Oses-tu bien me reprocher mes crimes ? Ne sont-ils pas les tiens ? Et n’est-ce pas pour toi Que j’immolai tant d’augustes victimes ?
Comme le tien mon cœur a-t-il manqué de foi ? Pour toi seul je trahis, j’abandonnai mon père,
Pour toi j’assassinai, je déchirai mon frère ;
Et lorsque Pélias descendit au tombeau,
Parle, était-ce pour moi qu’un pieux parricide
Au sein de ce vieillard enfonça le couteau ?
Voilà mes attentats ; je les connais, perfide ;
Je n’en perdrai jamais le cruel souvenir ;
Mais crains ; la source encor n’en est point épuisée ; À les surpasser tous, je mettrai mon plaisir,

Tu te repentiras de m’avoir abusée ;
Et si j’ai tant osé pour te prouver ma foi,
Que n’oserai-je point pour me venger de toi ?

Acte I, scène 7 : adaptation de Krzysztof Warlikowski et de Christian Longchamp

Médée :
Tu ne dis rien ?
Tu détournes les yeux ? Jason, tu fuis mon regard ? (pause)
Je ne t’ai jamais vu aussi lâche !
(pause)
Parle !
(pause)
Tu lui offres ma Toison ?!

Jason :
Reprends-la puisqu’elle te manque. Elle pue tes meurtres !
Je n’oublie pas le corps de ton frère en morceaux flottant sur la mer...

Médée :
Quoi ? Parce que tu recherchais la gloire, parce que je t’aimais, j’ai trahi, j’ai massacré, oui, j’ai tué mon frère et mon père en est devenu fou. Je n’oublie rien, Jason. Je porte ces crimes en moi, jour et nuit. Ils sont mes déclarations d’amour.

Jason :
Je n’en veux pas. Garde tes souvenirs. Je les fuis, tu comprends ? Je ne veux plus te voir. (Médée ne bouge pas.)
Disparais !!

c. Medea de Pascal Dusapin (1992) :


Le compositeur contemporain crée à son tour une œuvre forte à partir du texte de Heiner Müller, Medeamaterial.
L’opéra a ensuite inspiré la chorégraphe Sasha Waltz qui en a fait un opéra-ballet donné en 2007 au Grand Théâtre de Luxembourg.

C. Le mythe de Médée dans la peinture :

(voir Mythes en images : Médée, Orphée, Œdipe, textes réunis par B. Bercoff et F. Fix, Presses Universitaires de Dijon, 2007)


a. Médée infanticide (détail d’un cratère à volutes à figures rouges apulien, vers 330 avant J.-C., München, Antikensammlung, 3296) :

Le peintre a saisi l’instant ultime où Médée s’apprête à porter le coup fatal à son enfant. Ce dernier est debout sur un autel : le rituel du sacrifice est perverti, ce n’est pas un prêtre qui immole un animal, mais une mère qui tue avec détermination son propre enfant.
Un char attelé à des serpents attend Médée : le cocher, qu’une inscription désigne comme Oistros, « l’aiguillon », tient deux torches, attributs des démons infernaux ; le peintre a ici superposé deux images, celle du char du Soleil et celle du char de Triptolème, héros éleusinien lié au mythe de Déméter.

b. L’apothéose de Médée (cratère en calice à figures rouges lucanien, vers 400 avant J.-C., Cleveland, Museum of Art, 1991.1) :

Le peintre a représenté le moment où Médée, après avoir accompli l’infanticide, s’envole sur le char du Soleil. Tandis que les corps de ses deux fils gisent sur un autel, Médée a pris place sur le char tiré par des dragons serpentiformes qui rappellent ses liens avec la magie et le monde chthonien ; le nimbe rayonnant qui entoure le groupe évoque au contraire son lien de parenté avec le Soleil. À gauche, Jason assiste, impuissant, au départ de Médée vers le monde divin ; à droite, deux personnages qu’on peut identifier comme la nourrice et le pédagogue, pleurent la mort des enfants. Dans la partie supérieure apparaissent deux démons ailés féminins – probablement les Érinyes – incarnant l’esprit de vengeance qui anime Médée.

Médée

© Wikimedia Commons

 

c. Médée furieuse ou Médée sur le point de tuer ses enfants d’Eugène Delacroix (1838, Musée des Beaux-Arts de Lille) :

Le peintre a représenté Médée sur le point de commettre l’infanticide : elle maintient fermement ses deux fils de son bras droit et de sa main droite et tient le poignard de sa main gauche ; l’arme, qui projette sur la cuisse de l’enfant une ombre annonciatrice du crime, constitue la seule ligne verticale du tableau.

Médée et ses enfants

© Wikimedia Commons

Médée est réfugiée dans une grotte, comme pour échapper à des poursuivants, et tourne son regard éperdu vers l’extérieur ; la grotte, lieu sombre et inquiétant, convient à une magicienne qui s’apprête à commettre un tel forfait.
Le haut du visage de Médée est occulté par l’ombre de la grotte, autre signe évocateur de la noirceur de son crime et de la folie qu’il suppose.

 

d. Jason et Médée de Gustave Moreau (1865, Musée d’Orsay) :

Médée

© Wikimedia Commons

Gustave Moreau choisit ici de représenter Médée non plus en tant que mère infanticide mais en tant que magicienne ayant permis à Jason de s’emparer de la Toison d’Or.
Sur le phylactère qui s’enroule autour de la colonne supportant la Toison d’or, sont inscrits ces vers d’Ovide, respectivement :

- en haut :

Nempe tenens quod amo gremioque in Iasonis haerens
per freta longa ferar ; nihil illum amplexa timebo

« quand je tiendrai ce que j’aime, pressée sur le sein de Jason, il n’est pas de mer si lointaine que je ne sois prête à parcourir ; entre ses bras je ne redouterai plus rien. » (Métamorphoses VII, v. 66-67, trad. G. Lafaye, CUF) ;

- en bas :

Heros Aesonius potitur spolioque superbus,
muneris auctorem secum, spolia altera, portans

« Le héros, fils d’Éson, s’empare de la toison d’or ; fier de cette dépouille, il emmène comme une seconde dépouille celle à qui il doit un si grand service. » (Métamorphoses, VII, v. 156-157, trad. G. Lafaye, CUF).


Médée et Jason forment ici un couple radieux, qui tranche avec l’horreur des crimes commis par la magicienne sous l’emprise de la passion.
Médée a la main gauche posée sur l’épaule de Jason et tient dans la main droite une fiole contenant sans doute les substances maléfiques qui ont rendu possible la victoire de Jason ; elle regarde ce dernier qui lui-même regarde sa main brandissant le rameau d’or de la victoire. La tête de bélier qui apparaît en haut de la colonne et les tons or qui dominent dans le tableau, y compris pour les personnages eux-mêmes (chevelure blonde, pagne de Jason), évoquent le trophée remporté par Jason à l’issue de ses épreuves. Le jeune homme foule aux pieds un aigle blanc (et non un dragon, comme on s’y attendrait) : on a pu interpréter cet oiseau comme inspiré de la mythologie persane dans laquelle un aigle sert de monture au dieu indien Vishnu ; Moreau superpose ici des éléments relevant de cultures différentes.

D. Le mythe de Médée au cinéma :
a. Medea de Pasolini (1969) :

Initialement intitulé Les visions de Médée, le film de Pasolini est empreint d’un grand onirisme. Médée, magistralement interprétée par Maria Callas, représente le monde archaïque, traditionnel, religieux, qui s’oppose au monde moderne, sceptique et rationnel de Jason.
Médée apparaît comme la grande prêtresse présidant aux sacrifices offerts à la Terre : le sang et la chair du jeune adolescent immolé sont nécessaires à la régénération de la nature conformément au cycle du temps où la vie et la mort se succèdent indéfiniment.

b. Medea de Lars von Trier (1988) :
Ce téléfilm transpose dans les vastes paysages de l’Europe du Nord le mythe grec et fait de Médée un personnage poignant, incarnation de la femme martyre.

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