- Le terme « mosaïque » vient du latin médiéval « musaicum », qui vient lui-même d’un emprunt au grec μουσειον « qui se rapporte aux muses », parce que ce mode de décoration fut d’abord utilisé dans des grottes naturelles ou artificielles et des fontaines de forme architecturale, consacrées aux Muses. Par la suite, le terme a été appliqué aux mosaïques murales en général ; ce n’est qu’aux temps modernes qu’il a été étendu à la technique tout entière.
- Une mosaïque est un décor formé de petits éléments de matière dure, des tesselles, (pierre, galet, terre cuite, pâte de verre, pierres précieuses...), maintenus ensemble par un joint de ciment. Les premières mosaïques représentent des motifs géométriques, puis les suivantes sont constituées des motifs figuratifs, plus élaborés.
- C’est en Phrygie (en Turquie actuelle) qu’on a découvert les plus anciennes mosaïques datant de la fin du VIIIe siècle. En Grèce, c’est vers 400 avant J.-C. que les mosaïques apparaissent. Puis cet art se répand en Sicile, en Asie mineure et à Alexandrie. C’est au IIe siècle avant J.-C. que cette forme d’art arrive à Rome et en Italie.
- La mosaïque est d’abord un décor pour le sol, avant d’être présente également sur les murs, à partir du Ier siècle de notre ère. Les mosaïques au sol sont soumises à l’usure, ce qui n’est pas le cas de celles sur les murs. Les matières utilisées pouvaient être alors être plus précieuses.
- La mosaïque reste en usage tout au long du Moyen-Âge, en particulier dans les églises byzantines.
L’histoire de la mosaïque
Le décor de mosaïque a connu un grand succès chez les Anciens. Avec des fonctions protectrices d’abord et surtout ornementales, c’est une forme d’artisanat qui s’est pratiquée tout au long de l’Antiquité gréco-romaine. Ce sont des milliers de kilomètres carré de pavements qui ont été retrouvés sur des sites tout autour du bassin méditerranéen. Il n’est pas rare que de nouveaux fragments voient le jour encore à notre époque.
À l’origine, la mosaïque a été inventée dans le but de recouvrir le sol en terre battue des maisons, dans des pièces exposées à l’humidité. Les mosaïques les plus anciennes (VIIIe siècle avant notre ère) étaient réalisées à partir de galets non taillés dont les couleurs naturelles étaient utilisées pour créer divers motifs : animaux fantastiques, scènes tirées de la mythologie grecque ou, plus simplement, motifs géométriques. Il s’agit de la mosaïque de pavement. Pline l’Ancien dans son Histoire naturelle (XXXVI, 184) écrit : « Pavimenta originem apud Graecos habent, elaborata arte picturae ratione, donec lithostrota expulure eam. », c’est-à-dire : « Les carrelages sont une invention des Grecs, qui arrivèrent à en faire une sorte de peinture, jusqu’au temps où les mosaïques en prirent la place. »
En effet, au IIIe siècle, les pierres, appelées tesselles, commencent à être taillées avec de petits marteaux (martelines) : c’est la technique de l’opus tessellatum. Cette technique de taille sera employée pour toutes les mosaïques romaines. Elle permet la réalisation de motifs plus fins et plus réalistes. La mosaïque se rapproche alors de l’effet de la peinture : les tesselles sont des petits cubes de à 1 à 2 centimètres, et parfois moins.
Dans le monde romain, la mosaïque se trouve dans les maisons et les villas, dans les temples, dans les édifices publics, mais aussi sur les fontaines en extérieur. Elle prend alors la forme d’une emblema c’est-à-dire d’un panneau central, réalisé en atelier, représentant des motifs figuratifs de plus en plus précis. Ce panneau, une fois réalisé sur un châssis en bois, est déplacé et prend place dans un intérieur sur un support qui a été préparé.
L’Histoire de cet art s’accompagne d’anecdotes liées aux plus grands hommes. Au IIIe siècle avant J.-C., le tyran Hiéron II de Syracuse offrit au roi Ptolémée III d’Égypte des scènes en mosaïque représentant des extraits de l’Iliade. Au Ier siècle avant J.-C., Jules César emportait avec lui des pavements de mosaïque pour décorer sa tente. Au Ier siècle de notre ère, l’empereur Caligula voulut décorer ses embarcations de mosaïques également. La mosaïque est devenue peu à peu une mode, bien loin de son utilité pratique, qui permettait d’afficher son statut social et de faire étalage de sa richesse.
Les techniques antiques de la mosaïque
Les matériaux
Ce sont les choix des tesselles (tessellae ou tesserae) qui faisaient une grande partie de la beauté des mosaïques. Les artisans essayaient de se procurer les matériaux de façon locale mais n’hésitaient pas non plus à importer des matières précieuses venant de tout l’Empire romain, au besoin. À l’origine, les mosaïstes utilisaient des galets de rivières mais très vite, ils leur substituèrent des pierres calcaires, plus tendres et plus faciles à travailler. Ils utilisaient aussi des déchets de grands blocs de marbre, offrant différentes teintes, ou encore des granits, des porphyres et albâtres d’Égypte. Le verre permettait des reflets de lumières particulièrement propices à rendre l’aspect de la mer. Enfin, les artisans utilisaient également des émaux et plus rarement des feuilles d’or, plus coûteuses.
Les étapes du travail
Les tesselles étaient la couche visible d’un travail en réalité plus complexe. Réaliser une mosaïque était un processus qui exigeait la participation de plusieurs ouvriers, chacun ayant une tâche précise à accomplir.
- Vitruve, dans De Architectura, a consacré une partie de son œuvre à la méthode des mosaïstes antiques. Il faut donc considérer que le travail commençait par une ingénieuse disposition d’un pavement, couche préparatoire indispensable avant de disposer les tesselles dont on a parlé plus haut (cf. citation plus bas). Il faut alors imaginer trois sous-couches de matériaux. La première couche, le statumen, était formée de grosses pierres, puis venait le rudus, un mélange de mortier de chaux (sorte de ciment), de cailloux et de morceaux de terre cuite. La troisième couche était le nucleus, un mortier de chaux mélangé à des briques finement broyées.
- Avant de poser la dernière couche, celle des tesselles, les mosaïstes dessinaient sur le sol les motifs du décor. Sous les tesselles, les fouilles archéologiques montrent fréquemment la présence de dessins préparatoires à la fabrication de la mosaïque. Selon Véronique Blanc-Dijon, ingénieur de recherche au CNRS, « les tracés préparatoires en creux sont réalisés au moyen de deux techniques que l’on peut distinguer par la forme même du sillon. Le mosaïste peut tendre une cordelette retenue par de petits clous sur les bords du pavement : en soulevant puis relâchant la cordelette, celle-ci vient s’imprimer dans le mortier encore frais du nucleus. Une autre façon de procéder consiste à tracer les lignes rectilignes avec un objet contondant, une pointe, un couteau : la trace laisse alors de petits débords de part et d’autre du sillon. »
- Puis, l’ouvrier posait les tesselles suivant le modèle du dessin préparatoire pour savoir où disposer les cubes de couleurs formant le décor final.
- Enfin, il fallait poncer les tesselles assemblées afin d’égaliser l’ensemble de la surface.
Le travail des mosaïstes
On sait aujourd’hui que la mosaïque est un art, une technique qui relève d’un travail d’équipe nécessitant l’intervention de plusieurs ouvriers spécialisés. On parle donc davantage d’ateliers de mosaïstes plutôt que d’un mosaïste.
Quelques noms de mosaïstes nous sont parvenus, des signatures au bas des œuvres notamment, mais un seul est rapporté dans la littérature antique : il s’agit de Sôsos de Pergame (IIe siècle avant J.-C.), cité par Pline l’Ancien, dans Histoire Naturelle, XXXVI, 60 : « Dans ce dernier genre [la mosaïque] l’artiste le plus célèbre fut Sosus, qui fit à Pergame l’Asarotos oecos (maison non balayée) ; on la nomme ainsi, parce qu’il avait représenté en petits carreaux teints de différentes couleurs les débris du repas qu’on a coutume d’enlever avec le balai, et qui là semblent avoir été laissés. » (Traduction É. Littré). Ce motif a été largement copié par la suite.
Restes du banquet, ou la Salle non balayée, copie de l’œuvre de Sôsos, Musée Gregoriano Profano, Vatican, 4,05 x 0,41 m, © Wikimedia Commons
En latin, le mosaïste qui composait les pavements était appelé tessellarius ou tesselator, tandis que celui qui exécutait les scènes figuratives était le musearius ou musivarius. On pouvait aussi trouver d’autres artisans plus spécialisés si le chantier était d’envergure : par exemple, le marmorarius découpaient les plaques de marbre et les polissait, le pavimentarius préparait le mortier.
Dans le De architectura, Vitruve, concernant les pavements, fait mention de decuriae (VII, 1, 3), c’est-à-dire de groupes d’ouvriers disponibles sur un chantier pour effectuer de petites tâches diverses : damer la couche de rudus par exemple. On trouve plusieurs inscriptions en mosaïque qui usent de la formule « ex officina », témoignant de l’appartenance à un atelier ou à un collège de professionnels ayant en charge la réalisation des pavements. L’art de la mosaïque est donc une technique collective et rarement le fait d’un seul homme.
L’art de la mosaïque ou des mosaïques ?
La mosaïque, romaine en particulier, se distingue par différentes typologies, qui pouvaient coexister à l’intérieur d’un même édifice. En voici quelques exemples, selon des techniques classées par ordre chronologique d’apparition :
La mosaïque de galets, opus lapili, technique ancienne initialement pour imperméabiliser les sols.
Palais de Pella, Macédoine, © Wikipedia commons
L’opus sectile était composé de petites plaques de marbres de couleurs différentes qui formaient des décors géométriques ou figuratifs.
Pavement en opus sectile à Herculanum, © Wikimedia commons
L’opus vermiculatum est une technique qui emploie de minuscules tesselles permettant une précision remarquable.
Alexandre le Grand, mosaïque de la maison du faune, Pompéi, © Wikimedia commons
Les emblemata, panneaux réalisés en atelier, particulièrement durant la période hellénistique.
Mosaïque aux colombes, Villa d'Hadrien, © Wikimedia commons
La mosaïque en noir et blanc, technique la plus répandue en Italie au début de l’Empire.
Mosaïque de la maison du poète tragique, © Wikimedia commons
Les fouilles archéologiques ont mis en valeur des mosaïques dans des états de conservation très variés. Mais chaque site antique possède des fragments de mosaïques qui restent parfois in situ tout en étant protégés, ou qui sont déplacés dans des musées.
Ce qu’en dit Vitruve…
Tunc insuper statuminetur ne minore saxo quam quod possit manum implere. Statuminationibus inductis rudus si novum erit, ad tres partes una calcis misceatur ; si redivivum fuerit, quinque ad duum mixtiones habeant responsum. Deinde rudus inducatur, et vectibus ligneis, decuriis inductis, crebriter pinsatione solidetur, et id pisum absolutum non minus crassitudine sit dodrantis. Insuper ex testa nucleus inducatur, mixtionem habens ad tres partes unam calcis, ne minore crassitudine pavimentum digitorum senum. Supra nucleum ad regulam et libellam exacta pavimenta struantur sive sectilia seu tesseris.
On posera alors un premier lit fait avec des cailloux qui seront au moins gros à remplir la paume de la main. Ce lit une fois achevé, on s’occupera de la rudération, qui sera composée d’une partie de chaux et de trois de cailloux, si ce sont des recoupes de pierres de taille, et de deux parties de chaux et de cinq de cailloux, s’ils proviennent de démolitions. On étendra ensuite cette matière, et un nombre suffisant d’hommes armés de leviers de bois sera chargé de la battre longtemps, et de la rendre parfaitement compacte ; cette couche terminée n’aura pas moins de neuf pouces d’épaisseur. Là-dessus on fera le noyau composé de tuileaux avec lesquels on mêlera une partie de chaux contre trois de ciment ; son épaisseur sera au moins de six doigts. Sur ce noyau parfaitement dressé avec la règle et le niveau, on appliquera le pavé, qu’il doive être fait en mosaïque ou avec des carreaux.
De l’architecture, Vitruve, Livre premier, VII, 1, 3 traduction par M. Ch.-L. Maufra