Inhumain, « illisible » : le témoin et son lecteur

Paru dans L’illisible, textes réunis par Liliane LOUVEL et Catherine RANNOUX, La Licorne, Presses Universitaires de Rennes, 2006, pages 171-185.

Le contact avec le lecteur a enrichi ma vie, il est, pour moi, source de joie. Mais les lecteurs forment un spectre extrêmement nuancé et vague. Je me suis constitué un lecteur ‘parfait’ qui est au lecteur réel ce que le ‘gaz parfait’ défini par les chimistes, c’est-à-dire guidé par des lois simples, est au gaz réel. C’est pour lui et à lui que j’écris, et non pour les critiques, qui sont des lecteurs forcés, ni pour moi-même. Je sens ce lecteur type à mes côtés quand j’écris, il vient volontiers vers moi, il me suit et je le suis ; je souhaite qu’il reçoive ce que je lui transmets sans qu’il s’affaiblisse ou se perde en route.

 

Primo Levi, « L’écrivain non écrivain », 1976

Peut-être qu’avec moi – ce moi passé par l’étranger, ici et ainsi dégagé – un autre, peut-être, aussi devient libre ?

 

Paul Celan, « Le Méridien »

On entend parfois dire des textes qui relèvent de la « littérature concentrationnaire » et des « littératures de la Catastrophe »1, c’est-à-dire des témoignages2 d’expériences vécues dans les camps et lors de génocides, qu’ils sont « illisibles » ou « insoutenables ». La lecture de ces textes est loin de réaliser le « passage de témoin » dont on parle un peu vite aujourd’hui3. Il existe en fait peu de domaines où la notion d’illisibilité révèle autant son caractère de catégorie relationnelle et subjective, peu de domaines aussi où cette relation subjective montre si vite sa violence.

Or les auteurs de ces textes, eux, disent presque toujours avoir écrit sous l’effet d'un besoin violent de raconter. Qu’il donne lieu ou pas à une œuvre, le témoignage porte la trace d’une hantise propre au rescapé : l'idée que le récit ne sera pas entendu ou que l’expérience, toute écrite qu'elle soit, restera lettre morte. Cet échec fut la constante et dernière angoisse de Primo Levi - qui pourtant travailla, plus que tout autre sans doute, à rendre son témoignage lisible pour tous4. Déclarer illisibles de tels textes, c’est donc réaliser l’angoisse majeure qui les a fait écrire : l’échec à communiquer l’essence de telles expériences, donc leur transmission impossible.

Au-delà de son caractère dramatique, mais aussi à cause de lui, il peut être utile de comprendre cette situation de lecture - ou de non-lecture - en sa singularité, à partir de quoi certains auteurs composent sciemment. Je voudrais, après avoir rappelé la portée ici de l’acte de lecture (I), discuter l’assertion d’illisibilité au fil des significations que j’y discernerai (II), mais aussi en mesurer sa part de pertinence (III).

Il faudrait enfin – mais je ne le ferai ici qu’allusivement - évoquer la manière dont certains témoins, devenant auteurs, interviennent dans leur relation au lecteur en produisant une lisibilité – ou une illisibilité – spécifique. Le témoignage en effet, soumis à un processus de littérarisation5, fait parfois construire une difficulté de lecture proprement poétique, qui transporte la relation au lecteur dans le domaine de l’utopie. Primo Levi, qui s’imaginait accompagné d’un « lecteur parfait », et Paul Celan, qui confia sa poésie au public comme une « bouteille à la mer », incarnent deux pôles de cette utopie – qui les réunit au-delà du malentendu de lecture que constitue le jugement de Levi sur la poésie « obscure » de Celan6.

Lire ou ne pas lire les témoignages : illisible et intransmissible

En tant que rupture d’humanité, l’événement historique est susceptible de déclencher un événement de conscience particulier. Cette rupture, si elle donne lieu à des efforts d’énonciation, puis d’écriture individuelles, ne peut que singulariser les contrats de lecture à l’intérieur du contrat générique propre au témoignage, qui s’apparente à la fois au récit de soi et à la déposition sous serment. De la forme vivante donnée au texte dépend la fabrication d’un lien humain, qui passe entièrement par l’acte de lecture. Ce lien ne peut se constituer que si le texte est reçu dans le double registre de la vie intime et sociale, c’est- à-dire transmis. Cela suppose qu’une certaine maîtrise de l’écriture et connaissance des enjeux culturels permettent à l’auteur de remplir un horizon d’attente, ou plutôt de le dépasser pour un créer un autre.

La relation au lecteur, dans les témoignages de ces expériences extrêmes, ne se départit jamais de cette tâche de transmission qui vaut comme condition de retour à l’humanité. L’illisible, s’il y en a un ici, est donc l’intransmissible. Or ce qui est à transmettre est de l’ordre de l’inhumain, ordre que tente de démentir l’acte de témoigner. Le contenu à transmettre est d’une telle nature, et l’enjeu de la transmission d’une telle acuité, que l’acte d’écriture et l’acte de lecture, comme aussi l’acte de réécriture ou de citation, ont ici une teneur anthropologique et éthique particulière. Il s’agit dans ces textes, en témoignant de l’inhumain comme événement passé et possible, de faire communiquer ceux qui ont vécu la rupture et ceux qui ne l’ont pas vécue.

Cette situation crée une disposition de lecture particulière, une relation entre le lecteur, l'auteur et le texte, qu'il faut comprendre en son caractère spécifique : le texte doit surmonter une rupture de communication fondamentale. Cette rupture a pour particularité de détruire la « confiance » dans le monde, sinon tout « Principe Espérance » (Jean Améry). Or cette confiance est nécessaire non seulement à toute relation humaine, mais aussi à tout système culturel, y compris le plus éclaté ou le plus nihiliste. Il s’agit donc, pour le témoin, de rétablir un minimum de confiance pour s'adresser à nouveau à quelqu'un. C'est de ce quelqu'un que dépend alors intégralement ce texte, dans son sens, sa fonction, sa valeur, son destin. Cette dépendance est parfois acceptée, parfois refusée par le lecteur.

Dans la plupart des témoignages, les enjeux et les formes de la transmission engendrent un paradoxe. D’une part ces textes adressent au lecteur un appel pressant, qui relève de la prise à témoin, voire de la demande d’intervention, dont dépendent le sens et la fonction même du témoignage. D’autre part ils infligent au lecteur une épreuve spécifique, de par la violence du réel et celle de l’acte qui en témoigne. L’affirmation d’illisibilité est une manière de refuser à la fois l’appel et l’épreuve.

Dans les textes où le témoignage donne lieu à un travail d’écriture singulier, qui s’inscrit sciemment dans l’histoire culturelle, l’appel et l’épreuve imposés au lecteur sont réfléchis dans le texte qui en porte la trace formelle. Cette forme est souvent génératrice d’un iconoclasme particulier. Car la rupture d'humanité est a priori destructrice aussi d'un héritage culturel et d'un patrimoine littéraire. Or, la singularité de l'expérience n’en va pas moins se traduire à travers une certaine mémoire littéraire. C’est dans le jeu de reprise paradoxale et de disjonction à l’égard de cet héritage que le travail de lisibilité ou d’illisibilité nouvelle va devoir alors se penser.

Le caractère décisif de la relation au lecteur ici fait que la notion d’illisible est plus efficace ici que la notion d’indicible, laquelle s’accompagne souvent d’une chaîne d’impossibles (« infigurable », « impensable », « inimaginable »). Elle est plus opératoire que la notion d’inaudible parfois jugée plus pertinente (A. Wieviorka), mais qui ne prend pas en compte le travail d’écriture par lequel le témoin prend en charge sa relation au tiers lecteur, en inscrivant son existence dans une histoire culturelle. Mais que signifie ici « illisible » ?

Le témoignage « illisible » : acceptions et questions

L’affirmation d’illisibilité peut être entendue en quatre sens différents :

- 1 C’est l’atrocité des faits dont il est question qui est insupportable : ces textes attestent une réalité trop éprouvante pour que la lecture n’en soit pas empêchée, ou arrêtée. Ils ne nous tombent pas des mains : ils nous brûlent les doigts, et c’est en eux cette réalité qui les brûle en tant que textes à lire. Cela signifie que le texte a le pouvoir, dans une certaine mesure, de rendre insoutenable ce qui le fut, et qui pourtant fut vécu. Et de fait, le témoignage vient perturber un ordre. Car l’insoutenable est en fait assez bien « soutenu » par l’histoire qui veut suivre son cours : celui que de tels textes voudraient interrompre.

Refuser de lire ces textes ne revient nullement à approuver ou nier ce qui a eu lieu – les négationnistes sont au contraire de grand lecteurs de témoignages - mais de s’arranger de ce cours de l’histoire : soit que, n’ayant pas le pouvoir de l’interrompre, on préfère n’y pas penser pour n’en pas souffrir ; soit qu’on recule à tirer les conclusions qui s’imposeraient à les lire jusqu’au bout, c’est-à-dire à reconsidérer la forme donnée à l’existence entière, au plan individuel et collectif. La question est alors de savoir ce que devient l’expérience insoutenable et néanmoins vécue : peut-elle rester hors-champ sans emporter avec elle la personne obligée d’intérioriser ce fardeau ? Et qui pourra s’en libérera d’autan moins si elle n’est pas entendue ni lue. Le décret d’illisibilité relaie forcément celui de la désappartenance à l’humanité dans le monde « normal ». Mais quelle place peut-elle faire à cette expérience dans l’ordre de l’humain?

L’ordre de l’humain étant celui du langage, il n’est pas étonnant que des écrivains se soient saisi de cette question, assignant à la littérature la tâche de réintégrer le vécu inhumain dans le champ des expériences humaines, jetant la suspicion contre l’idée d’« inimaginable » (Robert Antelme), prenant contre lui le parti du réel que le témoignage a pour tâche, précisément, de faire imaginer.

- 2  Ce qui est insoutenable est précisément la place que prend cette atrocité dans le langage. C’est la prétention ou la tentative de formuler l’insoutenable qui rend le texte illisible, et le mot rime ici avec « indicible ». Ce deuxième sens peut rejoindre le premier, auquel cas on refuse d’envisager l’événement avec les textes qui en rendent compte : l’argument de l’illisible devient un mode d’éviction du réel. Il se peut au contraire que ce refus s’autorise de la seule pensée adéquate, faite de respect et d’effroi, qui passerait par le silence (Georges Steiner) et le « tremblement » (Maurice Blanchot).

Cette acception suppose que l’ordre de l’existence et celui du langage soient définitivement séparés, en fait en droit, par un événement. On ne prend pas acte ici d’une forme extrême, mais toujours empirique, de discontinuité du langage et de la vie : on affirme une hétérogénéité absolue impliquant une impossibilité principielle tournée en interdit normatif. La fragilité de cette assertion tient dans son caractère abstrait et quasi religieux.

Le recueillement silencieux comme seule vraie pensée de l’événement implique l’effacement des réalités concrètes dans leur caractère historique, circonstancié, individué : celles, justement, dont parle le rescapé. La question alors tient dans cette contradiction entre l’assertion abstraite et la réalité vivante des témoins, pour qui, loin d’être un interdit, la verbalisation est une tâche obligée, équivalente au désir d’exister7.

- 3  L’insoutenable est la place que se fait dans l’art et la fiction la mise en langage de l’inhumain. C’est l’esthétisation du témoignage ici qui le rend illisible. Cette troisième acception s’illustre dans dans l’opinion courante comme un principe de bienséance – l’art ne doit pas parler de ces choses ; il le fait aussi, différemment, dans le champ critique et philosophique par des énoncés apodictiques lourds de malentendus8 potentiels - le plus fameux étant celui d’Adorno sur la poésie barbare après Auschwitz9. La notion d’illisible en ce cas s’apparente à celle d’obscénité10 : elle incrimine une relation désormais intenable entre l’art et la barbarie. Son aporie, celle de l’abstraction cette fois éthique, se dépasse par un retour aux textes : en considérant ce que l’art fait de ces expériences, et ce que les témoignages disent de l’art et de leur place dans l’art.

Or ici la réalité se révèle souvent contradictoire. Revenir aux textes, c’est prendre acte d’une dissonance intrinsèque, voire d’une structure paradoxale propre à la littérature testimoniale. Le transport de l’expérience dans l’art se saisit à la fois comme nécessité de transmission, gageure esthétique et tourment éthique. Cette tension singulière est propre à l’écrivain rescapé : ce que dit Elie Wiesel de l’impossibilité d’écrire un « roman sur Auschwitz » (lequel, dit-il, ne serait « pas un roman » ou « pas sur Auschwitz »11), la critique qu’a faite Jean Cayrol des fictions à sensation à la Robert Merle12, ou encore l’annonce de la mort du « roman » par Varlam Chalamov (Tout ou rien), ne sauraient être assimilés aux interdits prononcés par Adorno contre la poésie, par Claude Lanzmann contre la fiction, ou par Maurice Blanchot contre le roman.

Aucune lecture littérale ou universalisable de ces énoncés n’est possible, ni souhaitable. Elle est d’ailleurs le plus souvent empêchée par la pratique des auteurs eux-mêmes. Ces interdits sont souvent paradoxaux : la fiction prend une part décisive dans le « témoignage clandestin » de Cayrol, dans les « récits anti-littéraires » de Chalamov, et même dans la « fiction du réel » de Claude Lanzmann. Ils prennent sens dans un contexte précis et par une intention propre, qui leur donnent à chacun leur fonction intrinsèque. Celle-ci se modifie sur un mode générique si l’auteur qui le prononce est un rescapé, et si son propos formalise son témoignage. Mais aucun de ces interdits ne peut être reçu comme tel. L’interdit ou le deuil de certaines formes est un mode d’assertion signant une recherche d’autorité qui résulte d’une crise majeure. L’abus d’autorité lui-même peut être interprété en ces termes. Il naît d’ailleurs d’un désir de témoignage plus que du fait de témoigner. La surenchère affirmative est la manifestation subjective d’une crise objective, historique, qui touche à toutes les sources de l’autorité - y compris celle de l’art et de sa théorie. Les catégories esthétiques elles-mêmes ne peuvent que s’y déplacer.

C’est sous le signe de l’ambivalence que se place la relation du témoin à l’art et la littérature, comme le caractère tourmenté du rapport du rescapé au monde de la culture. Au-delà de l’antinomie entre la fonction d’attestation propre au témoignage et la fonction d’invention et de virtualisation propre à l’art, cette ambivalence est un héritage de l’inhumain. La désappartenance à l’humanité fait de l’appartenance à la littérature une question, une épreuve, un essai.

Il faut donc considérer ce que fait écrire cette ambivalence, et ce que chaque œuvre vise en se faisant lire. Chaque texte a sa stratégie d’écriture et de lecture, dont le degré réflexif et critique est variable. Transporter l’expérience dans le domaine de l’art peut faire tirer de l’insoutenable un effet plus ou moins soutenable ou un sens plus ou moins lisible. Le traitement littéraire de la violence, qu’il soit confié plutôt au domaine du mythe ou plutôt à celui du logos, reste un défi majeur. Celle-ci peut se formuler à l’aide du concept hérité de catharsis13, sous condition d’une reformulation qui donne là encore un rôle décisif au lecteur : soit que la catharsis lui soit visiblement refusée, soit qu’il soit désigné comme le seul capable, par sa réception, de procéder à cette « purification » - celle du témoignage en tant que tel : le lecteur, appelé à porter la charge en sa part symbolique, devient celui par qui l’auteur – mais aussi le monde - peut se libérer quelque peu.

Certains textes semblent refuser toute catharsis par des procédés narratifs, métaphoriques et prosodiques calculés, qui aggravent l’opacité du réel et produisent des effets de cruauté ironique (Tadeusz Borowski, Piotr Rawicz) : c’est là une manière d’initier le lecteur au monde de la catharsis impossible. D’autres tentent d’élaborer les conditions d’une nouvelle catharsis, soit par un travail de clarification et de spéculation soucieux de ses limites, où le récit et l’essai s’entremêlent (P. Levi, R. Antelme, J. Améry, R. Klüger), soit par la reprise et le retournement poétiques de schèmes littéraires d’origine religieuse (Itzak Katzenelson, Zalman Gradowski), soit par le mime formel d’une nouvelle radicalité négative, dont la codification, fortement réflexive, peut être poétique (P. Celan) ou narrative et ironique (I. Kertész, V. Chalamov). Dans tous les cas, cette catharsis est entièrement fonction du lecteur : c’est cela même qui la rend utopique.

- 4 Dès lors qu’est perçue comme insoutenable la prétention des témoignages à s’inscrire dans la littérature, l’éviction de la réalité peut passer par un déni de littérature. De l’interdiction de faire de l’art ou de la littérature on passe à l’affirmation que ceci n’en est pas. Le témoignage se voit alors réduit au statut de document, dont le destin est d’être archivé. Or l’archivation du témoignage, phénomène historiographique classique, mais aussi post-catastrophique, relève en un certain sens de la Catastrophe elle-même14. La « honte du témoin » (M. Nichanian) ramené à l’archive devient le signe d’un contresens épistémologique si ce témoignage prétend faire ou être aussi de la littérature.

Refuser alors cette prétention, c’est affirmer quelque chose de la littérature, mais aussi de son histoire et de son étude. Une certaine représentation héritée des frontières du « littéraire » s’y confirme, qui comprend le refus d’en changer. En changer obligerait à traverser d’autres frontières : celles du champ catégoriel qui réfléchit l’objet littéraire dans une période historique donnée. Ce type de position absolutise un mode de périodisation, tout en retirant un immense corpus à l’histoire littéraire. Cela suppose de ne pas lire ces textes, ou de ne pas les lire comme ce qu’ils sont et veulent être : autre chose qu’un document d’histoire ou d’éthique. L’histoire, à la fois figée et niée, se voit sacrifiée au mythe d’une identité et d’une continuité que la littérature aurait vocation à assurer. Or si la littérature s’est toujours souciée de l’identité de l’expérience humaine, c’est à partir de sa diversité historique et de ses particularités individuelles.

Avec la modernité européenne, cette évidence s’est transformée en tâche : il fallut le sentiment d’une crise décisive de l’expérience pour que la littérature s’inquiète de sa tradition brisée, mais continue d’œuvrer à partir de là, à une transmission désormais destructrice. Elle le fit sous la forme d’avant-gardes fanfaronnes, pathétiques ou formalistes, qui toutes s’efforcèrent de rejoindre librement ce qui semblait être un destin historique : celui de l’Occident. La littérature dont il est ici question, née de ruptures historiques plus profondes, radicalise cette inquiétude par une autre hantise de la transmission qui la fait œuvrer là aussi à partir de là, c’est-à-dire de la scission d’humanité. Cette reprise de l’effort littéraire n’a donc pas le même sens, le texte devant reconstruire le sentiment même d’une continuité humaine. La crise de l’histoire littéraire ne peut alors se penser qu’à l’intérieur d’une rupture anthropologique plus large, qui n’en pose pas moins des problèmes de forme.

Même si ceux-ci sont fort secondaires au regard du malheur vécu, ils deviennent décisifs au regard du besoin vital de transmission. Dès lors que ce besoin se prolonge en désir de vie et tâche d’existence, l’intention littéraire se précise et se concrétise au fil de celle-ci, au point de poser la question d’un changement de métier : c’est ce qui s’est passé dans le cas de Primo Levi, qui s’amusait de ses différents métiers - chimiste, écrivain, témoin – et pour qui lire, comme écrire, fut aussi une manière de comprendre le « métier des autres ».

Affirmer, ainsi, que les textes de Primo Levi ne sont pas de la « littérature », c’est méconnaître le caractère d’œuvre du travail d’écriture effectué par Levi à ce sujet, de plus en plus consciemment au long de son existence. Et lorsqu’il s’agit d’auteurs comme Imre Kertész, Jean Cayrol ou Piotr Rawicz, pour qui la tâche de témoigner devait passer par le détour allusif, la métaphore analogique et la forme artistique, le déni de littérature devient un déni de réalité : celle du texte lui-même. Or ce déni-là est intenable dans la perspective même de l’héritage humaniste moderne : celui de la philologie.

La tâche critique, ici, consiste précisément à rendre ce corpus au domaine de la philologie. Mais une philologie repensée à l’aide du bilan qu’ont dressé ces auteurs – à partir d’une expérience qui ne fut pas seulement historique, mais linguistique et poétique, exerçant une certaine critique de la culture, sur un mode parfois singulièrement radical et réfléchi (Améry, Kertész, Celan, Chalamov). Tel est l’effort poursuivi par Jean Bollack en exégète de Paul Celan, après l’avoir été des Tragiques et des présocratiques grecs. Dans son travail, l’héritage philologique allemand est fortement infléchi, sinon renversé, par l’héritage celanien. L’œuvre de Celan y est interprétée comme celle d’un lecteur qui détruit par sa langue la culture de l’assassin. L’analyse, à même les textes, de « l’herméneutique poétique » de Celan, lui fait faire une critique en règle des effets de l’influence heideggerienne dans les modes de réception européens15.

De telles entreprises critiques montrent combien le retour à l’humanisme puisé aux sources de la philologie allemande, tel que l’a prôné et illustré Edward Saïd à la fin de sa vie, ne suffit pas à refonder la philologie aujourd’hui ; et la revendication d’une nouvelle « littérature mondiale », héritant de la Mimesis d’Erich Auerbach par-dessus la Weltliteratur de Goethe est elle-même sujette à malentendu, dès lors que cette mondialisation de l’espace littéraire ne prend pas fondamentalement acte de ces ruptures, dont ne saurait rendre compte le paradigme « postcolonial »16.

C’est autrement que cette problématique dépasse les frontières de l’Occident. L’intégration du témoignage dans l’institution « littéraire » se déroule diversement selon l’événement et le lieu, mais semble poser toujours problème. Lorsque certains « radiés » d’Hiroshima entreprirent de témoigner littérairement de ce cataclysme, à travers une construction stylistique fortement subjective, étrangère à l’horizon d’attente japonais, ils subirent de plein fouet le refus académique du Japon d’alors, davantage encore que les effets de la censure américaine. Ces textes furent de facto rejetés, jugés étrangers à un patrimoine littéraire national avant tout destiné à la conservation d’un système social et culturel fortement normé17.

L’inhumain illisible. La pertinence.

Si l’acte de la communication, dans le témoignage, contient l’intention de dire et démentir à la fois l’inhumain, cet acte ne garantit en rien sa réussite : cet ordre de l’inhumain, qu’il échappe ou non à l’écriture, restera toujours en partie intact. Mais ce fait n’abolit nullement la part de démenti que constituent ces textes. Or ce démenti tient dans le mode de subjectivation de l’énoncé, et dans le sens donné à la forme du texte qui témoigne. L’énoncé en revanche continue d’être insoutenable, et son texte illisible, si cette subjectivation n’a pas lieu : s’il ne produit ni ne déclenche aucun regard ni aucune pensée sur les faits, s’il ne parvient ou n’essaie pas de construire un lieu propre à la reconstruction du lien.

Lorsque cette tentative a lieu mais n’aboutit pas, c’est que l’effort d’énonciation se heurte à la fois au réel et à la littérature sans pouvoir maîtriser l’un par l’autre : la construction littéraire ne parvient pas à créer la tension du sens et du non-sens, du connu et de l’inconnu, du familier et de l’atroce, propre à restituer le vertige de l’expérience à penser. Le sociologue Michel Borwicz18, lui-même rescapé, a étudié en pionnier cette production testimoniale : étudiant dès l’après-guerre les « écrits des condamnés à mort sous l’occupation nazie », il tenta de comprendre à la fois la fonction du passage à l’écriture chez des non- écrivains19, et la maladresse ou l’échec littéraire de nombreux témoignages. Borwicz semble repérer trois « réussites » d’écriture – c’est-à-dire de transmission : celle qui, chez certains auteurs confirmés, fait trouver des équivalents formels et modes de transposition expressifs adéquats au réel ; celle qui semble naître au contraire d’une étrangèreté aux techniques littéraires et à l’intention littéraire – comme dans certains récits d’enfants, curieusement précis et dépouillés ; enfin le jeu ironique ou parodique sur les formes détournées – en particulier populaires, comme dans certaines chansons et comptines de ghettos.

Mais souvent, le témoignage sacrifie à une expressivité littéraire convenue, qui ne donne que l’idée d’horreur sans pouvoir en faire partager le sentiment, ce qui supposerait de mettre en forme le contenu chaotique de l’expérience ; une narration énumère les faits et en accentue certains par des effets rhétoriques qui échouent à transmettre l’effroi comme à clarifier l’expérience. L’échec repose à la fois sur une idée reçue de la littérature, et sur l’idée que les faits en eux-mêmes suffiront à bouleverser le lecteur. Mais ces faits, tout terribles qu’ils soient, ou précisément par cet excès qui les constitue, ne sont pas assimilables sans un tri sémantique et une traduction symbolique : leur énumération, et même leur dramatisation en surface, risquent de provoquer la gêne, voire l’ennui ou le dégoût - à la fois des faits et du texte. Nul n’a mieux dit que Georges Pérec, dans son texte sur L’Espèce humaine20, combien les faits ne parlent pas d’eux-mêmes, et comment la littérature remplit ici sa tâche : rendre lisible le témoignage en faisant imaginer et interpréter l’expérience vécue. Cela suppose, chez Antelme, de faire parler certains faits et d’en sacrifier beaucoup, de renoncer aux descriptions d’atrocités pour faire émerger la réalité du camp à travers l’animation infinitésimale d’un sens : la construction d’un enchaînement de faits assimilables en contenu de conscience, et même en projet de pensée, par un va et vient entre le particulier et l’exemplaire.

Chez Antelme, ansi, c’est à travers un certain sacrifice des faits que se construisent en même temps l’utopie de « l’espèce humaine » et la transmissibilité du texte. La construction d’un sens passe forcément par un témoignage sélectif, voire « clandestin » (Jean Cayrol), qui peut aller jusqu’au « refus de témoigner » (Ruth Klüger). Imre Kertész a choisi, lui, l’« atrophie systématique » du contenu autobiographique de son expérience, pour composer la structure sérielle adéquate à son « roman d’un sans-destin »21. Il n’est pas indifférent que ces auteurs aient écrit leur texte en tant que lecteurs de témoignages, y compris non littéraires : à l’illisibilité de témoignages factuels impropres à la transmission, ils opposent l’artifice nécessaire à la construction d’un sens.

La lecture fait problème, d’autre part, lorsque le témoin n’essaie pas de construire ce lien avec son lecteur, par un sentiment d’impuissance ou d’inutilité. On peut soutenir qu’un témoignage illisible est un texte qui ne produit aucune subjectivation, ni pour soi, ni pour le lecteur, et donc aucun lien C’est ce témoignage sans âme, ou sans état d’âme, qui rend les récits des « bourreaux » les plus pénibles à lire, sinon illisibles De tels énoncés ont une utilité réelle hors même du champ juridique, puisqu’ils permettent de saisir le mode de production de l’événement historique mais ils le font sans créer aucun événement de conscience – sinon par réaction négative et dégoût.

Lisant ces documents, on peut reconstituer des logiques d’extermination et de déshumanisation sans en réaliser la compréhension. Non que le discours ici désigne les limites de toute compréhension possible, puisqu’il reste au contraire étranger à la nécessité de comprendre quoi que ce soit. La perspective d’un sens n’est pas reconstituée car elle ne semble pas faire défaut Celui pour lequel la tuerie était un « travail » ne peut, sauf crise ou conversion - rare et suspecte22 - reconstituer d’autre horizon de sens que le cadre sociopolitique qui le fit agir Cadre dont il continue de se réclamer comme d’un argument explicatif, mais aussi justificatif, arguant que sa péremption historique n’invalide pas en droit ce bouclier d’impunité Ainsi l’explication vient barrer tout questionnement

La désubjectivation qui sévit ici n’est pas celle qui fait du témoin de l’intémoignable un sujet, au sens paradoxal où en parle Giorgio Agamben dans Ce qui reste d’Auschwitz23, en faisant du « témoin intégral » selon Levi le modèle de la subjectivité éthique Ces témoignages-ci, qui de ce point de vue n’en sont d’ailleurs même pas, représentent une aberration : ils peuvent, au-delà de la déposition judiciaire, conduire à l’écriture d’un texte – comme dans les mémoires de Rudolf Hoess - sans qu’aucun travail de la conscience ni de la pensée ne s’y construise.

Si l’analyse sémantique de ces textes a l’utilité d’une interprétation idéologique et d’un instrument de réflexion éthique, elle ne relève plus d’aucune philologie. On est même tenté de penser que ces documents d’inhumanité font ressaisir a contrario la teneur d’humanité qui peut persister dans l’activité philologique. C’est en revanche le rôle du collecteur et transcripteur de témoignages, par ses questions et ses commentaires, puis de l’éditeur, par son accompagnement critique, de rendre lisible le texte en le mettant en perspective historique, mais aussi éthique, soit par le jugement, soit par l’interrogation : celle du sens absent, ou intermittent, et de la conscience éteinte, ou clivée.

C’est ce que fait Claude Lanzmann ou faisant entendre, par ses questions en écho, la surdité des propos des nazis qu’il interroge dans Shoah. C’est ce que fait Jean Hatzfeld dans son recueil Une saison de machettes (Seuil, 2000), en enveloppant d’une glose interrogative ces discours atterrants de quiétude et parfois d’euphorie. C’est ce que fait Rithy Panh dans son documentaire S 21 La machine de mort khmère rouge24, en faisant voir les gestes des anciens tortionnaires à travers le regard d’un ancien prisonnier, qui était alors peintre et le resta : le lien avec le spectateur, que le réalisateur laisse à dessein longtemps à l’abandon, se renoue discrètement par cet homme capable, malgré sa colère, d’introduire une distance méditative avec le système que formèrent ici bourreaux et victimes.

Mais cette mise à distance suppose une différenciation éthique claire entre deux types de témoins. Or ce seuil tend à se brouiller dans les témoignages d’expériences plus ambiguës : celles, dans les camps nazis, des victimes émanant de ce que Levi appelé la « zone grise », et en particulier des membres de Sonderkommando. Ces témoignages, lorsqu’ils sont recueillis et retranscrits sous leur forme orale25 produisent un type d’illisibilité réelle lorsqu’ils racontent en détail la mécanique des gestes et le traitement des corps, sans livrer au lecteur aucun appui - sinon par signes intermittents, que le lecteur attend, comme incarcéré lui aussi dans ce monde déserté : faits et gestes narrés, voire mimés, paraissent se répéter dans le texte sans chambre d’écho subjective. Aucune relation intime ne s’établit entre l’homme qui brûlait les corps et l’homme à qui l’on raconte comment on les brûlait, car celui qui raconte semble devoir continuer de brûler les corps en pensée. L’effort de lecture s’exténue alors dans le tunnel qu’est devenu ce composé d’horreur et d’ennui : il faut chercher quelque chose de précis, être mû par un objectif critique extérieur pour continuer de lire.

Le camp nazi est l’univers où il n’y a « pas de pourquoi » (Levi). Ce travail de désémantisation semble se perpétuer dans la description d’un comment26. Il en est de même, dans Une Saison de machettes, des considérations des tueurs sur le cou des humains ou des chèvres, bien que certains de ces témoignages, plus troublants, montrent la capacité de produire un discours humain une fois l’acte accompli, sans pourtant que l’acte ne soit regretté ni mis en cause : c’est ici la réalité stupéfiante d’un clivage assumé, non- problématique, qui produit l’effroi. Si le livre d’Hatzfeld reste lisible, alors qu’il lui échappe en partie au plan éthique, c’est aussi parce qu’il utilise, au cours de son commentaire, les témoignages des victimes extraits du premier livre, Dans le nu de la vie. Récits de marais rwandais (Seuil, 2000). Or ces récits, eux, ont pour particularité de reposer constamment la question du sens et de la possibilité de l’inhumain. Jusque dans sa mélancolie abyssale, ce premier livre est plus lisible que le second. Cette lisibilité a même été perçue, de manière d’ailleurs problématique, comme celle d’un livre de littérature, alors que les rescapés n’y avaient aucunement le projet d’en faire. Il ne furent pas auteurs de ce livre, ni probablement même les lecteurs.

A l’opposé, on ne peut douter du plein statut d’auteurs comme Primo Levi, Imre Kertész ou Cornelia Edwarson, qui devinrent écrivains en témoignant de leur expérience, ni de Robert Antelme, Varlam Chalamov, Ruth Klüger, ou Itzak Katzenelson, qui l’étaient déjà auparavant. Dès lors que le texte témoigne non seulement d’une expérience de l’inhumain, mais d’une intention de la mettre en forme littéraire, dès lors que le travail de transmission se pense résolument dans l'ordre poétique, qu'en est-il de la relation au texte désignée par le terme d’"illisibilité"?

A cette question, on ne peut répondre qu’en lisant chaque texte, observant ce que chaque auteur rend lisible ou illisible dans ses propres textes, mais aussi dans le monde des textes qui l’ont précédé et l’entourent. C’est ici qu’il faudrait revenir au jugement de Primo Levi sur « l’écriture obscure » de Paul Celan27. Les verdicts d’illisibilité sont toujours, on l’a dit, hautement subjectifs. La « clarté » de Levi exigeait de son « lecteur parfait » un effort de compréhension critique mené jusqu’aux limites de lui- même ; le « parler ombre » de Celan imposait à « un autre »28 parfois nommé « personne » une lecture critique réfléchissant le statut de l’art après la Catastrophe.

La construction d’un modèle de lisibilité sui generis alla de pair, chez Levi, avec un art d’écrire en lisant sans fin les « autres », poètes et savants réunis dans un rêve d’alliance entre la « littérature » et la
« science », en vue d’une « redéfinition de la culture »; chez Celan, elle fit élaborer une poétique de l’énigme chargée de rendre lisible la « mémoire des dates »29 en rendant illisible l’histoire – y compris littéraire - qui mena jusqu’à l’événement sans le voir ; celle qui va son cours aujourd’hui en faisant comme si on pouvait ne l’avoir pas vu.

Paru dans L’illisible, textes réunis par Liliane LOUVEL et Catherine RANNOUX, La Licorne, Presses Universitaires de Rennes, 2006, pages 171-185.

Notes 

  1. Sur ces problèmes de terminologie, je me permets de renvoyer à mon texte « La ‘vérité’ du témoin comme schisme littéraire », in Les camps et la littérature. Une littérature du XXe siècle, La Licorne, n°51, dirigé par Dominique MONCOND’HUY et Daniel DOEBBELS, 1999, pp 55-79 (réédition réactualisée à paraître en 2006), ainsi qu’à « Testimony, Fiction and Poetry. Theoretical Debates and Critical Approaches », in History of the Shoah. The Crisis of Europe. The Extermination of the Jews and the Memory of the Twentieth Century,3 vol dirigés par M. Cattaruzza, M. Flores, S. L. Sullam, E. Traverso, à paraître chez Publisher UTET-Garzanti, 2006.
  2. Le témoignage est entendu ici comme récit d’attestation dont le narrateur est présent à l’événement raconté.
  3. au prix d’une idéalisation du témoignage comme acte éthique, sinon religieux. Voir le récent livre de Jean-Pierre Pierron, Passage de témoin Une philosophie du témoignage, Paris, Cerf, 2006.
  4. Voir Françoise Carasso, Primo Levi. Le Parti-pris de la clarté. Paris, Belin, 1997. Et C. Coquio, « Accréditation et tranmission », Actes du colloque L’Accréditation du témoignage, organisé les 20-21-22 janvier 2005 à l’Université de Poitiers par Luc Vigier et Dominique Moncond’huy, à paraître ; et « Introduction » aux Œuvres de Primo Levi, Bouquins-Laffont, 2005, pp I-XXVII.
  5. Sur la naissance et l’évolution de ce phénomène, voir les propositions de Jean-Louis JEANNELLE, « Pour une tentative d’histoire du genre testimonial », Littérature, n°135, septembre 2004, pp 87-117. Voir étalement les textes mentionnés en note 1.
  6. J ’évoquerai ailleurs ce contrepoint, qui mérite une étude autonome.
  7. De ce point de vue, l’œuvre d’Antelme est un contre-Blanchot, quel que soit le silence d’Antelme après L’Espèce humaine, et malgré les liens qui unissent l’un à l’autre – qui passent entre autres par Dionys Mascolo
  8. J’ai tenté d’analyser les raisons et effets du « malentendu » dans l’ensemble des études et débats relatifs au génocide dans « Du malentendu », in C. COQUIO éd., Parler des camps, penser les génocides, Paris, Albin-Michel, 1999.
  9. Pour une présentation historique de ces thèses, voir Enzo TRAVERSO, « L’impératif catégorique d’Adorno », in L’Histoire déchirée. Essai sur Auschwitz et les intellectuels. Paris, Cerf, 1997, pp 123-143 ; pour leur situation dans la littérature allemande et confrontation avec Paul Celan, voir Andrea LAUTERWEIN, « De certains tremblements de mémoire dans la littérature », in Essai sur la mémoire de la Shoah en Allemagne fédérale (1945- 1990), Kimé, 2005, pp 97-166.
  10. Terme employé parfois aussi pour récuser toute approche critique ou posture scientifique, l’une étant d’ailleurs rabattue sur l’autre (voir la critique de l’obscénité du « désir de comprendre » selon Claude Lanzmann).
  11. Voir la critique de ces thèses et de « l’école du silence » que fait Karla GRIERSON dans sa thèse, Discours d’Auschwitz Littérarité, représentation et symbolisation dans les récits de déportation du complexe auschwitzien (1955-1995) et leurs exégèses Thèse soutenue en novembre 1997 à Paris III
  12. Jean CAYROL, « Témoignage et littérature », Esprit, avril 1953, pp 575-577.
  13. J’ai abordé cette question à propos de l’usage qu’en a fait la philosophie (« Récits de rescapés : y a-t-il une philosophie des témoignages ? », in A. TOMICHE et Ph. ZARD, Littérature et philosophie, Presses Universitaires d’Arras, 2003) et à propos d’Imre Kertész ( « ‘Naturellement’. Déportation et acceptation », art. cit.)
  14. Cf Marc NICHANIAN, La Perversion historiographique, Ed Lignes, 2006
  15. Jean BOLLACK, Poésie contre poésie. Celan et la littérature, PUF, 2001 ; L’Ecrit. Une poétique dans l’œuvre de Celan, PUF, 2003 ; ainsi que : Paul Celan unter judaisierten Deutschen, München, Carl Friedrich von Siemens Stiftung, 2003. L’auteur prépare actuellement une critique de l’ontologie.
  16. Sur ces questions, voir le recueil Où est la littérature mondiale ?, dirigé par Christophe PRADEAU et Tiphaine SAMOYAULT, PUV-Saint-Denis, 2005. Ces points ont été discutés par Marc NICHANIAN et Jean BOLLACK lors du débat sur « La philologie en question » qui clôturait les journées d’études « Tradition, destruction, transmission », organisées par moi-même à l’Université de Poitiers dans le cadre du Forell B3 de Poitiers et du centre Littérature et savoirs à l’épreuve de la violence politique (Paris IV, CRLC), les 24 et 25 novembre 2005.
  17. Voir Mehdi CANITROT, « Les témoignages littéraires d’Hiroshima : un exemple de déni culturel », in C. COQUIO éd., L’Histoire trouée. Négation et témoignage, L’Atalante, 2004.
  18. Michel BORWICZ, Ecrits des condamnés à mort sous l’occupation nazie (1939-1945), Paris, Gallimard, 1996 (Réédition du livre publié en 1973, texte remanié d’une thèse d’Université soutenue en lettres à la Sorbonne en 1953)
  19. J’ai abordé ce point en revenant sur le livre de Borwicz, et en évoquant certains textes de témoins de la Shoah (Simha Gutherman, Carel Perechodnik, Zalman Gradowski), dans « L’émergence d’une littérature de non-écrivains : le témoignage des catastrophes historiques », in Revue d’Histoire Littéraire de la France, n° dirigé par Eric Marty, printemps 2003.
  20. Georges PEREC, « Robert Antelme et la vérité de la littérature », in LG une aventure des années 60, Paris, Seuil, pp 87-114.
  21. Cf C. COQUIO, « ‘Naturellement’. Déportation et acceptation », in Imre Kertész, L’Animal, n° dirigé par E Laugier, février 2006.
  22. Comme le montrent certains témoignages recueillis par Yolande MUKAGASANA dans Les Blessures du silence, Actes Sud, 1999, ainsi que le recueil de Jean Hatzfeld évoqué plus bas.
  23. G AGAMBEN, Ce qui reste d’Auschwitz, Paris, Payot-Rivages, 2000.
  24. Voir l’ouvrage tiré du film, R. Panh et C. Chaumeau, La Machine khmère rouge. Monti Santesok S21. Paris, Flammarion, 2003.
  25. Certains témoignages de ce type figure dans le volume Des voix sous la cendre. Manuscrits des Sonderkommandos d’Auschwitz-Birkenau, dans la Revue d’Histoire de la Shoah, n°171, janvier 2001. Mais l’essentiel du volume tient dans ce qu’on a appelé les « Rouleaux d’Auschwitz », témoignages écrits et enfouis sous le sol par certains Sonderkommando, qui se savaient comme tous condamnés. Ces témoignages, eux, fortement écrits, donnent lieu au contraire à des formes de subjectivation littéraire, comme dans l’impressionnante prose poétique visionnaire de Zalman Gradowski.
  26. J’ai tenté d’analyser ce point à la fin de mon livre Rwanda. Le réel et les récits. Paris, Belin, 2004.
  27. Primo LEVI, « De L’écriture obscure », in Le Métier des autres. Notes pour une redéfinition de la culture, trad. M. Schruoffeneger, Folio- Essais, pp 68-77. Sur « l’obscurité » de Celan, voir François TURNER, « Le code poétique de l’extermination », et Jean BOLLACK, « La poésie déportée : Paul Celan, sa révolution », in Parler des camps, penser les génocides, op. cit.
  28. Cf Daniel BINSWANGER, « Le temps de l’autre. La poésie de Paul Celan et la question de l’histoire », Ibid.
  29. « Peut-être ce qui est nouveau dans les poèmes qu’on écrit aujourd’hui est-il justement cela : l’effort, le plus lisible entre tous, de garder la mémoire des dates ? » (Le Méridien)
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