Il faut reconstruire Carthage

Patrick Voisin place au cœur des Humanités notre appartenance à un terreau commun, celui de «l’Euroméditerranée », lieu de rencontre entre le Nord et le Sud, et non seulement foyer important de la latinité antique, mais aussi vivier de confrontations multiples entre différentes cultures, de métissage et d’acculturation. Il analyse les points de convergence entre civilisations chrétienne et musulmane qui permettent d’envisager l’appartenance à une même tradition, celle de l’Euroméditerranée, qui rassemble l’Europe gréco-latine et les pays du bloc arabopersan antique. Il relit les textes antiques relatifs à l’Afrique dans une « perspective africaine » et non plus romaine.

« Il y a une tradition vivante, commune à toute l’Europe et à tous ses citoyens, venant de la Méditerranée. La Méditerranée antique, ce n’est pas seulement la Grèce classique et la Rome républicaine, c’est un espace-temps plus large, se prolongeant dans le monde byzantin et la latinité médiévale, et tenant compte des relations entre l’Europe et le monde arabo-musulman ; il convient de faire l’inventaire complet des cultures de la Méditerranée dans leur contiguïté avec le latin et le grec (…) »

« Les langues anciennes ont plus que jamais leur raison d’être ( …) pour travailler à la convergence des cultures dans le respect mutuel de leurs valeurs propres, grâce à un enseignement des origines communes qui dépasse et transcende les ruptures de l’histoire. Il ne s’agit pas de retrouver une identité culturelle niant les évolutions de l’histoire mais de construire une citoyenneté culturellement plurielle et ouverte, dans la confrontation du passé et du présent.»

« Il existe de façon évidente un creuset commun objectif de valeurs partagées par tous les habitants de l’aire méditerranéenne ; une même civilisation faite d’une foule de diversités réunissait autrefois l’Europe, la Méditerranée, l’Asie Mineure. Cet héritage, que la Méditerranée porte toujours en son sein, ainsi que l’étude des langues et cultures de l’Antiquité, peuvent contribuer à construire une «interculturalité », non pas dans le cadre d’un simple système qui mettrait en relation des cultures différentes venues d’ailleurs, mais dans la dynamique d’un processus qui favoriserait la prise en compte et la valorisation de tous les éléments culturels qui existent dans chacun des pays de part et d’autre de la Méditerranée. » « Pour cette civilisation méditerranéenne, produit de cultures partagées, c’est par les langues que le partage passe. Paradoxalement c’est parce que ces langues anciennes sont aujourd’hui très lointaines dans le temps, tant dans leur fonctionnement que dans les valeurs qu’elles véhiculent, pour un adolescent originaire de la rive sud ou de la rive nord, qu’elles peuvent redevenir familières par la réappropriation d’un passé commun. »

« Ce retour aux langues et cultures antiques (grecque, libyenne, punique, latine, berbère …), qui ont longtemps connu des échanges dans un passé lointain permet d’éviter d’être confronté au soupçon que portent en elles, pour une part, les langues modernes qui furent les langues fréquemment assimilées à des processus de colonisation. Cette démarche est double, à la fois anthropologique et linguistique. »

Patrick Voisin, Il faut reconstruire Carthage, Méditerranée plurielle et langues anciennes, L’Harmattan, collection Kubaba, Paris, 2007

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