Agora : Filmer le renversement du monde - Alejandro Amenábar, 2010

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Les passages suivants sont un condensé du début de l’article complet, qui analyse, en s’appuyant sur des extraits ciblés, la narration et les enjeux majeurs du film. L’article dans son intégralité est disponible sur le site de l’académie de Versailles à l’adresse suivante : La Page des Lettres de l'Académie de Versailles.

 

Après un âge d’or dans les années 1950 et 1960, le genre du péplum n’existe plus dans les années 1990 ou 2000 que sous la forme de résurgences, parmi lesquelles Pompéi (2015), Gladiator (2000), et surtout Agora (2010). Ce dernier centre sa narration sur deux thèmes peu traités jusque là dans le genre : le passage de relais entre le polythéisme finissant et le christianisme triomphant, sur fond de controverses scientifiques sur le géocentrisme.

Son réalisateur, le chilien Alejandro Amenábar, parfois accusé de faire des Chrétiens des personnages repoussoirs, se défend de tout point de vue revendicatif sur la religion, et pointe avant tout une fidélité aux sources disponibles sur le contexte des affrontements religieux à Alexandrie au tournant des IVe et Ve siècles de notre ère, sous les Théodosiens. Point pivot de cet affrontement, le personnage d’Hypatie d’Alexandrie1 est aussi représenté comme un archétype de la sagesse antique. Ce film permet donc d’aborder et de comprendre les mutations religieuses et culturelles dans le monde de l’Antiquité tardive, de même que pour illustrer ce que pourraient avoir été les interrogations scientifiques de l’époque d’un point de vue astronomique. En ce sens, il se trouve en cohérence avec plusieurs entrées du programme de LCA en classe terminale : Méditerranée, entrée grands sites archéologiques, interrogations scientifiques, interrogations politiques. De plus, le fait qu’il se situe à Alexandrie permet de questionner la répartition des pouvoirs dans l’Empire d’après la Tétrarchie, et d’envisager les rapports entre l’hellénisme et Rome à la fin de l’Empire romain.

Synopsis

Dans l’Alexandrie de la fin du IVe siècle de notre ère, les partisans du polythéisme, réunis dans le Sérapéum, annexe de la bibliothèque d’Alexandrie, se sentant menacés, décident de mener une action coup-de-poing contre les Chrétiens, dont l’importance ne cesse de croître dans la ville. Ayant mal jugé de leur position dominante, ils se retrouvent enfermés dans le Sérapéum, encerclés par les Chrétiens, et notamment les Parabalani2, sorte de milice chrétienne partageant son temps entre les actions caritatives et la propagation musclée de la foi chrétienne, sous les ordres d’Ammonius. Désavoués par l’Empereur, les Polythéistes doivent laisser les Chrétiens disposer du Sérapéum et accepter que leur domination s’achève.

En parallèle, Hypatie d’Alexandrie, fille de Théon, le directeur du Sérapéum, donne des cours de niveau universitaire sur les principes ptoléméens du géocentrisme : reposant sur l’idée que le monde est parfait, et sur son corollaire, que le cercle en est la parfaite manifestation, elle enseigne l’idée que le modèle géocentrique de Claude Ptolémée est le plus adapté à la représentation du cosmos, même s’il ne laisse pas de soulever quelques interrogations chez ses étudiants, notamment Oreste, futur gouverneur, et Synésios de Cyrène, futur évêque de Ptolémaïs.

Après la prise du Sérapéum, Hypatie continue ses recherches, mais en cherchant à résoudre les difficultés posées par les épicycles de Ptolémée, elle se rapproche petit à petit d’une conception héliocentrique de l’univers, et donc de la position d’Aristarque de Samos (IIIe siècle avant notre ère), pourtant depuis longtemps tombée en désuétude.

Malheureusement pour elle, le poids des Chrétiens à Alexandrie grandit de plus en plus, et l’évêque Cyrille, plus intransigeant que son prédécesseur, exige non seulement la démission d’Hypatie, sous prétexte que c’est une femme qui outrepasse les prérogatives de son genre, mais aussi la soumission d’Oreste, c’est-à-dire la soumission du pouvoir politique au pouvoir religieux. Indigné qu’Oreste refuse de se soumettre à Cyrille et préfère protéger une femme qui sort du rôle que sa religion voudrait lui imposer, Ammonius l’agresse, et finit exécuté. Cyrille le canonise sur-le-champ sous le nom de Saint Thaumasios.

Le film se termine sur la victoire du camp des fanatiques chrétiens qui mettent à mort Hypatie au moment même où elle découvrait une étape décisive pour démontrer la validité des théories héliocentristes d’Aristarque.

Un film militant ?

Le sujet d’Agora

Le sujet d’Agora est donc au départ un projet de film sur l’histoire de l’astronomie, qui s’est finalement réduit à un épisode schématique et emblématique de la lutte pour la connaissance et le pouvoir : dans l’Alexandrie de la fin du IVe siècle, sous Théodose, les Polythéistes (plutôt que Païens, mot connoté négativement) résistent, parfois violemment, aux tentatives hégémoniques des Chrétiens, dont les progrès dans la population menacent l’équilibre fragile de la cohabitation religieuse garantie depuis des siècles par le polythéisme. On y voit de façon accélérée mais documentée la manière dont les Chrétiens ont mis la main sur l’Empire romain, et la façon dont certains fanatiques ont attaqué les fondements d’un monde qu’ils voulaient remplacer par le leur.

Renverser les représentations du monde

Le propos d’Agora est donc de déterminer le point de bascule entre un Avant dominé par le polythéisme et le néoplatonisme, dont les valeurs sont incarnées par Hypatie d’Alexandrie, et un Après, qui plonge ses racines dans la conversion de Constantin au christianisme, vers 315, et la remise en cause progressive, mais inéluctable de l’Édit de Milan : promulgué en 312, il était censé mettre fin aux persécutions contre les Chrétiens et leur accorder la liberté de culte. À la fin du IVe siècle, on n’en est plus là : les Chrétiens sont devenus persécuteurs, et ce sont les Juifs et les polythéistes qui en font les frais. Les constitutions juridiques ne visent dorénavant plus les Chrétiens, mais les hérétiques et les polythéistes.

Plusieurs séquences d’Agora sont à ce titre dignes d’intérêt. La première est la confrontation de deux croyants en plein cœur de la ville, sur l’Agora qui donne son nom au film. Alors qu’Ammonius, un chrétien, membre des Parabalani, fait des miracles pour impressionner les foules, le polythéiste qui lui fait face, armé de sa seule raison, peine à se faire entendre, et se trouve finalement jeté dans les flammes qui jaillissent de charbons ardents répandus pour les besoins de la thaumaturgie chrétienne. Tous les arguments qu’utilise Ammonius se trouvent dans la patristique, de Tertullien à Augustin d’Hippone : les dieux païens ne seraient que des statues de pierre, ne réagiraient pas, seraient des idoles sans pouvoir, et seule la foi chrétienne ferait des miracles. Ammonius, personnage historique canonisé en Saint Thaumase (le doublage français dit Thaumasios), « celui qui fait des miracles », est finalement l’instrument du changement : en précipitant le polythéiste dans les flammes et l’humiliation, par le sarcasme et la violence, il renverse le monde ancien. En effet, ce moment du film dépeint métaphoriquement ce point charnière où la chrétienté trouve des forces inconnues pour s’implanter face au polythéisme  comme Ammonius professe sa religion face à ses adversaires.

La deuxième séquence qui montre ce passage de relais religieux est celle du pillage du Sérapéum, aussi connu comme la « petite » Bibliothèque d’Alexandrie. Alors que les polythéistes fuient l’invasion chrétienne dans le Saint des Saints de la culture gréco-romaine, la caméra, en tournant de 180° sur un mouvement elliptique, montre littéralement la bascule entre le passé, fait de culture et d’ouverture, symbolisé par les papyrus traversant l’écran, et l’avenir promis à la fruste simplicité des bêtes, ici un cavalier sur son cheval. Et en effet, cette entrée bestiale préfigure le fait que le Sérapéum serve plus tard dans le film d’enclos à bestiaux. Ce mouvement de caméra, situé un peu avant le milieu du film, sert de conclusion au premier acte où les polythéistes tentent vainement de s’opposer à la montée en puissance du christianisme, et doivent s’avouer vaincus. Ce mouvement de caméra est l’effet de mise en scène le plus révélateur des ambitions de l’auteur : sans jugement ni effet de pathos, l’œil de la caméra enregistre et souligne l’irréversible renversement du monde, qui entre dans une nouvelle phase de l’Histoire. Cette séquence montre non seulement la majesté du Sérapéum malheureusement vandalisé, mais, regardant vers le haut à travers l’oculus, semble non pas implorer l’intervention divine, mais poser la question sinon de la vacuité des cieux du moins de la raison de ce saccage.

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Une mise en scène au service de la clarté narrative

 

Un film fondé sur des sources vérifiables

Le personnage d’Hypatie d’Alexandrie.

- Un personnage idéalisé.

- Un calvaire en-deçà de la vérité ?

Les affrontements religieux au tournant du IVe siècle

 

Un film scientifique et philosophique

Ptolémée vs Aristarque

Platon et le cercle, une aporie scientifique

Civisme à l’ancienne ou civisme chrétien ?

 

Conclusion

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