Nous avons vu dans le mythe de Narcisse comment le regard qu’on jetait sur soi-même pouvait être mortel. Nous allons parler maintenant d’un autre regard mortel, celui qui vient de l’autre et qui peut donner la mort.
Le mythe de Persée, comme tous les mythes archaïques grecs montre cet effort pour se dégager du désordre, de l’animalité, du chaos, de cette indifférenciation dont tous les hommes viennent, où ils retournent après la mort, et où ils risquent de s’engloutir s’ils ne sont pas vigilants. Nous allons dans le cas de Persée essayer de mieux… percer la nature de cet autre qui terrifie.
I Le Mythe
À l’origine il y a un héros, Persée, qui est enfanté, et qui grandit dans des conditions étranges. Sa mère est Danaé. Et Danaé avait été enfermée par son père dans une chambre souterraine parce qu’on lui avait prédit que le fils né de Danaé le tuerait. Or Zeus, qui avait vu Danaé, la convoitait. Il arriva donc à s’introduire sous la forme d’une pluie d’or dans cette chambre souterraine (le régal des peintres !) et c’est ainsi que Danaé donna naissance à Persée. Le grand-père entend l’enfant crier ! Et il met dans un coffre qu’il jette à la mer l’enfant et sa mère. Ils sont recueillis sur l’île de Sériphos par un pêcheur qui l’élève comme son fils. Mais le tyran de l’île convoite sa mère, et dans des versions qui diffèrent selon les auteurs le jeune Persée se voit contraint de ramener au tyran la tête de Méduse, autrement le roi épousera Danaé.
Méduse était un monstre à tête de femme. Elles étaient trois sœurs, les Gorgones, trois monstres qui vivaient dans l’extrême occident, du côté de la Nuit. Elles avaient des serpents en guise de cheveux, des écailles au cou, une bouche édentée. La plus terrible était donc Méduse : si on croisait son regard on restait pétrifié.
Persée donc commence par aller trouver les Grées. Leur nom leur vient du fait qu'elles sont nées déjà ridées et avec des cheveux gris. Elles n'avaient en outre qu'une dent et un œil pour elles trois, qu'elles se partageaient à tour de rôle : tandis que l'une veillait, pouvait se restaurer et interdire le passage menant vers leurs sœurs les Gorgones (dont elles étaient les seules à connaître le repaire), les deux autres dormaient. Elles vivaient dans une grotte située très loin vers le couchant, dans un endroit où il faisait presque toujours nuit.
Persée va donc chez les Grées, et au moment où elles échangent leur oeil et leur dent uniques, il s’en empare, et promet de les leur rendre si elles lui indiquent où se trouvent non seulement les Gorgones mais aussi les Nymphes qui possèdent des objets magiques capables de les vaincre. Une fois le renseignement donné, Persée va dérober aux Nymphes quatre objets : un bonnet du dieu des morts qui le rend invisible et le protège des rayons de la mort (il se fait mort en quelque sorte pour ne pas mourir), des sandales ailées (pour aller et revenir rapidement), une besace (pour y enfermer la tête de Méduse qu’il aura tuée), et une faucille pour la décollation de la tête.
Muni de ces objets il arrive enfin au repaire de Méduse : là, partout des rochers qui ressemblent à des silhouettes humaines l’entourent (ce sont tous les hommes pétrifiés par le regard de Méduse). Persée pénètre de nuit dans l’endroit, et il va affronter Méduse, non sans avoir poli son bouclier de bronze (ça pourrait faire un bon spot publicitaire pour le miror ou autre produit d’entretien !). Car ce bouclier devient un vrai miroir qui sera l’arme avec laquelle il tuera Méduse. Mais ici les versions diffèrent : soit que détournant les yeux pour ne pas voir le visage de Méduse, il montre au monstre son propre reflet, et la Méduse se voyant dans le miroir est paralysée d’horreur (cf. toujours la nouvelle de Lovecraft) et Persée en profite pour la décapiter, soit qu’il ne combatte Méduse que par son bouclier-miroir interposé, autrement dit il ne voit que l’image de Méduse, et non Méduse elle-même, or une image de Méduse n’a pas le pouvoir de Méduse.
Notons que ces deux versions reflètent l’ambiguïté du concept de l’image, ou de la représentation en général : un signe, une image est-elle un reflet différent de la chose qui alors disparaît (Mallarmé : l’absente de tous bouquets) (le mot chien ne mord pas) ou bien l’image restitue-t-elle la chose au point d’en faire apparaître l’essence (cf. l’icône et l’iconoclasme : les uns soutenant que l’image détenait du sacré donc qu’il fallait l’adorer, les autres que ce n’était qu’un simple reflet et c’était être idolâtre que de l’adorer). Dans la première version (Méduse meurt de se voir, l’image est la chose elle-même ; dans la seconde, Persée substitue à Méduse son image pour pouvoir la battre, l’image n’a plus de pouvoir)
En tout cas Persée d’une manière ou de l’autre réussit son coup, il met la tête dans la besace et s’engage sur le chemin du retour où il délivre Andromède du dragon qui la menaçait (son père l’avait attaché à un rocher pour satisfaire Poséidon) cf. les nombreux tableaux (ou Saint George et le dragon), il va rapporter la tête au roi, qui dès qu’il la voit est transformé en pierre : le pouvoir de Méduse ne disparaît pas avec sa mort, et Persée préfère en faire don à Athéna qui la mettra désormais au centre de son égide, de son bouclier, pour terroriser l’adversaire.
Il nous faut donc voir ce qu’est ce pouvoir terrifiant de Méduse.
II L’autre et le monstre
La monstrueuse laideur de Méduse et son regard aveuglant en font une représentation de l’autre, dans sa différence absolue et terrifiante, l’autre, c’est justement ce qui n’a aucun rapport avec nous-mêmes, avec l’humanité, l’homme possédé par la fureur bestiale, ou l’homme qui n’est plus en vie : la bête ou le cadavre.
- La Bête : pour les Grecs c’est l’image du combattant en proie à la fureur guerrière, celui qui ne se maîtrise plus et qui comme Méduse paralyse l’adversaire (cf. le bouclier) : celui qui au lieu de s’élever au-dessus de ces forces destructrices de mort qui frappent aveuglément rejoint le lieu de la confusion, du désordre, du chaos primitif (gorgos en grec veut dire impétueux)
- La mort : toujours invisible, et jamais accessible au regard, comme Hadès lui-même : Méduse dans l’Odyssée est gardienne des lieux terrifiants, les Enfers ou les confins nocturnes du monde : on ne peut à la fois voir la mort et être vivant.
Le rapport de Persée à Méduse, c’est la lumière de la connaissance qui veut aller éclairer le chaos, dissiper les ténèbres et aller voir ce qu’est ce visage pour mieux le réduire (gorgos veut dire étymologiquement sauvage).
Mais voir c’est être vu, et le mythe de Méduse signifie que celui qui va au-delà des apparences, qui voit ce qu’il ne doit pas voir, ce regard insoutenable de la négativité, il devra précisément être capable de le soutenir. Méduse est ainsi cette force pétrifiante à laquelle se heurte celui qui veut éclairer de son regard la nuit hostile : la pétrification signifie ce retour au chaos qu’on voulait éviter, c’est courir le risque d’être pris par ce que l’on voulait prendre.
Le mythe du bouclier miroir dans cette perspective représente le détour indirect par lequel on peut sans voir ni être vu s’assurer du monstre : Persée affronte de biais, par un artifice ce regard mortifère. Il méduse lui-même Gorgone, il détruit le chaos par lui-même en quelque sorte. C’est ainsi qu’il devient maître de l’effroi en ramenant cette tête qui donnant, même morte, la mort, permet de vaincre tous ses adversaires (elle était sur tous les boucliers). Persée, le héros solaire s’est emparé à son profit de cette force médusante : ce que montre le mythe, c’est qu’il s’agit de s’emparer de l’efficacité de cette invisible puissance pour la rendre bénéfique : vaincre le chaos et capter sa force pour en faire bon usage. Ce changement de signe de Méduse (porte-bonheur pour ceux qui en portent l’image) explique deux particularités du mythe :
- La première, c’est le lien entre Athéna et la Méduse : elles ont pour attribut commun le serpent, la déesse aux yeux de chouette a un même regard fascinant, même si évidemment elle ne provoque pas le même effet, et on se souvient de la présence de Méduse sur l’égide d’Athéna, qui donne à Athéna cet aspect terrifiant du monstre. Or, il existe des versions du mythe qui réunissent Athéna et Méduse : par exemple Méduse, une ravissante jeune-fille aurait été violée dans le temple d’Athéna par Poséidon et Athéna aurait puni… Méduse en métamorphosant son visage. Ainsi Athéna et Méduse semblent les deux visages indissociables d’une même puissance sacrée, et Persée, l’Apollinien, serait ce facteur de différenciation entre les deux, qui tranche entre ce chaos où bien et mal sont mêlés pour les séparer. C’est ce qui explique aussi que le héros, une fois cette force récupérée à son profit, devienne à son tour Méduse en terrifiant les autres avec cette tête qu’il brandit (comme les soldats auront eux aussi une tête de Méduse sur leur bouclier). Dans les représentations plastiques, on voit par exemple dans la sculpture de B. Cellini les deux visages de Persée et de Méduse se ressemblent. Quant à Caravage, Méduse est son auto-portrait
Elle est dans ma voix, la criarde
C’est tout mon sang, ce poison noir
Je suis le sinistre miroir
Où la Mégère se regarde ! (Baudelaire)La seconde Méduse, Le Caravage, © Wikimedia Commons
- Deuxième particularité : dans ce mythe le reflet est essentiel (même importance que dans le mythe de Narcisse) ; et le miroir permet la déculpabilisation de Persée puisque Méduse est en quelque sorte victime de son propre reflet ; contre le « mauvais œil » Persée utilise ce troisième œil qu’est le miroir pour renvoyer le maléfice d’où il vient.
Pour conclure sur cette partie, on peut dire que le mythe apprend comment terrasser le chaos sans s’attirer la mort, et sans faire disparaître non plus ce réservoir d’efficacité qu’il représente : autrement dit soit on est médusé, et le chaos est victorieux, soit on devient Méduse et on est capable d’utiliser à son profit cette efficacité (qui peut en même temps faire perdre son humanité à celui qui la possède, le risque est toujours présent, même s’il est un peu autre).
Il nous reste maintenant à éclairer un autre aspect du mythe : Méduse est une femme, pourquoi ? on pense à d’autres monstres féminins, la Sphynge, Mégère, la Chimère…
III L’Autre et la femme
Selon certains mythologues, ce mythe serait un souvenir des luttes qui opposèrent les hommes aux femmes : c’est-à-dire du passage de la société matriarcale à la société patriarcale. Et donc le mythe raconterait la fin de l’hégémonie des femmes et des cultes qu’elles pratiquaient : Méduse fille de la mer, en face de Persée, fils du Zeus-Soleil, dont la victoire va assurer le triomphe des hommes, désormais maîtres du divin.
Plus généralement la guerre des sexes est toujours latente, et si Méduse est une femme, c’est que, comme elle, la femme (du moins dans ces civilisations, et jusqu’au XXe siècle) a un aspect fascinant et dangereux. C’est pour l’homme, l’Autre énigmatique, l’autre face de l’humanité, qui lui restera toujours fermée. (Si Tirésias était aveugle, c’est qu’il avait été tour à tour homme puis femme).
Dans le poème de Baudelaire « A une passante » la beauté de la femme fait sortir de soi, est à proprement parler affolante, parce que la saisie de la différenciation essentielle entre l’autre et soi produit une fascination (voir enfin ce qui n’est pas moi) mais où je peux perdre mon moi.
Plus encore, la femme pour l’homme, c’est toujours et avant tout la Mère. Or dans cette première société matriarcale, il était aussi naturel que le divin fût saisi comme féminin : on parle de « la Grande déesse mère » comme déesse primitive et Méduse est aussi un des aspects de cette déesse mère. Freud a écrit un texte sur le mythe de Méduse (« la tête de Méduse ») Méduse, c’est la mère castratrice qui rend impuissant, et la tête de Méduse hérissée de tous ces serpents, c’est cette mère phallique dont on va alors couper la tête pour qu’elle devienne ensuite un fétiche-porte-bonheur : un fétiche, c’est-à-dire le signe d’une perte fantasmée (pour Freud le fétiche est l’objet sur lequel se porte l’enfant quand il découvre que la mère ne possède pas de phallus, a perdu son phallus) et une perte fantasmée, c’est une perte qui n’existe que dans le fantasme) donc la tête coupée c’est à la fois le signe de la victoire sur la mère que l’enfant pensait phallique (il lui a coupé son phallus), mais aussi un porte-bonheur fétiche, parce que c’est le signe qu’il possède cet objet (dont il croyait à l’existence, le phallus, et qu’il pense pouvoir perdre lui aussi comme la mère dans son fantasme) .
Freud interprète donc ainsi le mythe : celui qui a vaincu la femme castratrice s’est armé du « fétiche » et grâce à lui (la tête hérissée de serpents-phalliques) il peut conquérir la femme, et c’est la suite du mythe de Persée : sur le chemin du retour il libère et conquiert Andromède attachée au rocher en tuant le monstre – mère-mer, double maléfique de la femme : le « fétiche » assure définitivement la victoire sur la mère et permet de posséder la femme en libérant celui qui l’arbore de la peur de la castration (craindre de perdre comme la mère le phallus)et avoir décapité la mère c’est avoir rejeté le féminin qui fait peur, dans les profondeurs obscures du monde (peur de perdre son sexe) et avoir conquis le féminin qui suscite le désir, donc avoir permis que le désir se manifeste sans entrave. De cette façon le mythe de Persée et de la méduse s’inscrit dans les mythes de passage de l’enfance à l’état d’adulte. Freud ainsi retrouve le sens le plus traditionnel de ce mythe qui, comme beaucoup d’autres, met en scène un héros qui accomplit un exploit pour devenir roi, c’est-à-dire parvenir à l’âge adulte.
IV L’autre et le réel
Mais si l’on s’avise du rapport dans le mythe entre la possession et la vision, puisque la possession de la tête de méduse (ou sur les boucliers) manifeste la possibilité de vaincre l’autre, de posséder-voir l’autre que moi sans contrepartie dangereuse (comme l’immobilisation), il est possible de donner une dernière interprétation au mythe.
En effet, s’agissant de la vue et de l’image, ce qui est en jeu, est le problème de la représentation en tant qu’une représentation substitue l’image au réel, comme a fait Persée qui devant ce Réel dangereux (Méduse) a préféré regardé son image dans le bouclier. Le mythe peut être perçu alors comme le combat de l’artiste avec ce qu’il voit, ce Réel qui peut quelquefois, quand il le voit, provoquer la paralysie de l’artiste :
« Tout tableau est une tête de Méduse, et tout peintre est Persée » dit Caravage
Tout peintre est Persée parce que représenter le Réel, c’est montrer à proprement parler tout ce qui nous en exclut (autrement ce n’est plus le Réel, c’est l’image que j’en ai), donc une matière dénuée d’esprit (cf. les noirs de Caravage). Et le réel sans l’homme c’est l’image que le peintre ramène (pas tous les peintres, une certaine catégorie de peintres), comme Persée rapporte la tête de Méduse : le peintre dans son corps à corps avec le réel le vainc pour réussir à le représenter et l’inscrire, comme un trophée, dans le bouclier-tableau où à son tour l’image fascinera ceux qui la regarderont, parce que c’est une vision que nous n’avons jamais du monde-sans-nous, mais que l’artiste a été capable de capturer sans être englouti par lui.
On retrouve ainsi la problématique de départ : qu’est-ce que la représentation en général, et une représentation artistique en particulier ? Une manière de faire prendre l’image pour la chose elle-même (terroriser l’ennemi avec l’image de Méduse sur le bouclier) : donc provoquer une sorte de fascination qui ferait perdre pied, égarerait, dissiperait les repères habituels ? Ou au contraire un reflet fondé sur l’absence de la chose, avec un ordre et une rationalité que l’artiste aurait mis dans un chaos bien maîtrisé, donc une façon de voir le réel sans perdre ses repères, comme s’il disait : « regardez bien ! ce chaos est en réalité ordonné par des lois invisibles, et je vais vous en montrer le fonctionnement dans ce tableau ». On pense aux toiles de Poussin, à la facture si classique, Poussin qui précisément disait de Caravage qu’il avait tué la peinture. Pourquoi ? Parce que Caravage n’hésitait pas à faire rentrer dans la toile la brutalité du réel. Au contraire avec Poussin l’objet est dépouillé de tout ce qui le faisait autre, étranger à nous. Il y a donc sur la toile une absence d’objet, vu que son image n’en est que son essence idéale en quelque sorte, qui a été extraite du réel. (cf. tableau de Magritte : Ceci n’est pas une pipe).
Mais une des dernières versions de la légende de Méduse va nous permettre de saisir encore mieux cette problématique de la représentation. C’est par Aristote (politique 1341b) qu’on la connaît. Le philosophe propose de distinguer entre deux sortes de musique, celle des transports dionysiaques, (une perte de soi cf. les chants des Ménades) et celle qui sert à l’instruction. Il faut préserver cette musique utile, et bannir l’autre, et d’abord la flûte. Pour le justifier, il cite un vieux récit où l’on racontait qu’Athéna voulant imiter un son inouï, à la limite de la représentation avait inventé cet instrument. Or, qu’était ce son inouï si difficilement représentable ? Le bruit du sifflement des serpents de Méduse lors de sa décapitation ! (cf. Pindare Pythiques XII 2-3). Et comme elle jouait donc de la flûte elle vit la déformation de son visage, et trouvant que ses traits déformés ressemblaient au masque de Méduse, elle abandonna l’instrument.
Que signifie cette histoire ? Toujours la même chose, à savoir le vacillement de la différence entre Persée et la méduse, entre Athéna et Méduse : le risque pour la représentation (ici l’imitation de Méduse) de devenir vraiment la chose. Le mot chien ne mord pas disait Sartre, mais précisément tout se passe comme si on craignait qu’un chien trop bien représenté puisse mordre. Donc Aristote citait cette histoire pour montrer les dangers d’un art capable de restituer la chose dans sa présence terrifiante. Ainsi ces artistes maudits qui, à l’instar de Persée, retournent délibérément aux sources glauques de la mort pour en rapporter des têtes de Méduse, voire eux-mêmes qu’ils ne reconnaissent plus, et dont ils constatent avec effarement l’existence : Caravage : la tête de Méduse, qui est son portrait.
C’est peut-être pour tenir à distance cette présence terrifiante que pour une certaine catégorie d’artistes l’art doit rester simulacre, doit être le tombeau de la chose (cf. Les Bergers d’Arcadie de Poussin, qui montre précisément les personnages-spectateurs se pencher sur un tombeau).
Ce que nous apprend donc pour finir le mythe de Méduse, c’est cette distinction entre un art tragique, qui côtoie la mort, et un art idéaliste qui cherche à restituer l’essence invisible des choses, un art dionysiaque, d’un côté, et un art apollinien de l’autre, Dionysos, le dieu de l’ivresse, de la fascination, et Apollon, le dieu de l’ordre, de la lumière. Ce qui nous fait revenir aux Grecs et à leur art : Nietzsche a bien montré que précisément le sommet de l’art grec c’est cet équilibre entre ces deux dieux, ces deux tendances de l’art : un chaos vaincu qui devient un cosmos, c’est-à-dire quelque chose de beau. Nous retrouvons encore par là le mythe de Persée qui met en scène ce combat : Le Chaos, en grec, c’est l’ouverture béante, le gouffre, l’abîme, la bouche dentée de la Gorgone, comme l’espace ténébreux qui existait à l’origine du monde comme de chaque être, mais c’est aussi (verbe χαίνω) rester bouche bée d’étonnement : Méduse bouche béante ouverte sur l’abîme, paralyse les autres en les rendant à son image. Et « cosmos » c’est l’ordre, le bon ordre, et en particulier l’ordre de l’univers, et donc sa beauté rationnelle. En dernière analyse, on peut donc dire pour conclure que le mythe de Persée est une lecture optimiste de la puissance humaine, non pas puissance de destruction, mais intelligence capable de vaincre la mort. IL serait heureux, après nos deux guerres mondiales de toujours s’en souvenir.