L'héritage

L’héritage est au cœur des relations entre les membres de la famille antique. Sa transmission motive en grande partie les questions du mariage et des enfants et elle est source de la plupart des conflits intrafamiliaux qui émaillent la documentation historique. L’héritage se retrouve donc au cœur des stratégies individuelles et collectives des familles dont le but est de le conserver et de le faire fructifier de génération en génération.

Les héritiers

Des codes législatifs comme la loi des XII Tables (Rome, 450 environ avant. J.-C.) ou le code de Gortyne (Crète, vers 450 avant. J.-C.) établissent le fonctionnement de la désignation des héritiers par cercles concentriques autour du détenteur du patrimoine, généralement le chef de famille.

- Viennent en premier lieu les descendants masculins directs, les fils, les petits-fils voire les arrière-petits-fils. En Grèce, ils doivent impérativement être légitimes pour avoir droit à l’héritage. 

- S’il n’y a pas de descendants directs, l’héritage passe au plus proche parent masculin : le frère ou le neveu. À défaut, l’héritage peut passer aux cousins, jusqu’au sixième degré de parenté, d’abord du côté du père puis à défaut, du côté de la mère.

- En l’absence de descendants, l’héritage peut parfois passer aux ascendants : le père ou l’oncle paternel.

- En cas d’absence d’héritier au sein de la famille au sens strict, c’est la famille au sens large qui devient héritière. En Grèce, la phratrie peut ainsi récupérer un héritage qui n’a pas trouvé d’héritier.

- En dernier recours, c’est la cité ou l’État qui récupère l’héritage vacant.

Modalités de l’héritage

La loi générale 

Cette répartition de l’héritage qui valorise en priorité la transmission patrilinéaire et les héritiers les plus proches s’applique automatiquement dans le cadre d’un héritage rendu disponible par la mort d’un chef de famille. Lorsqu’il y a des descendants directs, l’attribution de l’héritage est généralement peu conflictuelle. L’héritage est attribué à part égale aux héritiers qui appartiennent au même échelon de la lignée. Ainsi, si le défunt a trois fils, l’héritage est divisé en trois parts égales, s’il n’a plus de fils mais cinq petits-fils, l’héritage est divisé en cinq parts égales, et ainsi de suite. Il en résulte un morcellement du patrimoine hérité, ce qui n’est pas sans poser des soucis à la famille. Lorsqu’il n’y a pas de descendant direct, la situation est bien plus compliquée. À Athènes, les héritiers potentiels sont alors contraints d’intenter une action en justice pour obtenir, par décision judiciaire, l’attribution de l’héritage. Cela peut mener à des conflits familiaux qui doivent se régler par procès. À Rome, les conflits de ce type sont moins systématiques du fait d’un recours plus fréquent au testament. Lorsque les héritiers existent mais son mineur, un tuteur est désigné parmi les membres masculins de la famille, soit par testament, soit par un magistrat pour gérer le patrimoine jusqu’à leur majorité.

Le testament 

À Rome, l’héritage est avant tout attribué par testament. Il permet au testateur de décider de la répartition de ses biens entre ses différents héritiers potentiels, d’avantager un héritier par rapport aux autres pour limiter la dispersion du patrimoine et d’inclure les fils non légitimes dans le partage des biens. À Athènes, le testament permet en théorie de désigner son héritier en cas d’absence de descendant direct, notamment en adoptant à titre posthume un héritier choisi dans la famille plus large pour lui faire revenir le patrimoine. Néanmoins, jusqu’à l’époque hellénistique, le testament suscite dans le monde grec bien plus qu’à Rome d’intenses contestations de la part des autres membres de la famille et est souvent cassé par le tribunal au profit de la transmission via la stricte lignée paternelle.

L’héritage pour les filles 

Si l’héritage revient en priorité aux hommes, les femmes n’en sont pas complètement exclues mais elles reçoivent généralement une part moindre de l’héritage et leur implication dans ces mécanismes est plus complexe, aussi bien quand elles sont en position de le transmettre que de le recevoir. À Rome, les femmes peuvent aussi bien recevoir que transmettre le patrimoine même si la quantité de l’héritage est parfois limitée et encadrée par les lois. À Athènes dans la période classique, en théorie, les femmes ne peuvent pas être héritières ni transmettre de patrimoine à leurs enfants. Dans les faits, la dot constitue au moment du mariage leur part du patrimoine de leur père, qu’elles reçoivent en une fois et de son vivant et qui vise à leur assurer un certain confort de vie. De la même façon, à la mort de leur mari, les femmes peuvent recevoir un douaire, une part du patrimoine conjugal qui leur permet de se remarier avantageusement. À l’époque hellénistique, les femmes peuvent en plus de leur dot recevoir par testament de leur père un héritage, comme leurs frères. Dans certains cas, plus rares, elles peuvent même transmettre à leurs fils des biens tenus de leur père. Dans tous les cas, la place des femmes dans les mécanismes de l’héritage est avant tout pensée comme une courroie de transmission du patrimoine entre un ascendant masculin et un descendant masculin : elles reçoivent pour le transmettre à leur fils.

Contenus de l’héritage

L’héritage dans le monde antique se compose d’un patrimoine matériel et d’un patrimoine immatériel, tout aussi importants l’un que l’autre dans la pérennité de la famille et de la société.

Le patrimoine matériel se compose en priorité de biens visibles par la sphère publique, qui sont fonciers et immobiliers : la maison familiale, les terres arables, les ateliers d’artisanat, la boutique et les navires de commerce. En théorie, à Athènes, les femmes n’ont pas le droit de posséder de propriété foncière. Dans les faits, des solutions de contournement leur permettent de déroger à la règle. S’ajoutent aux biens visibles les biens invisibles, comme le mobilier, les esclaves, les bijoux et objets précieux, les vêtements, de l’argent liquide. Ces biens invisibles sont particulièrement importants dans la composition de la dot et du douaire des femmes. À mi-chemin entre patrimoine matériel et patrimoine immatériel se trouvent les capitaux investis par l’ascendant, dont l’héritier devient dépositaire.

La transmission du patrimoine immatériel est essentiel dans la pérennité, génération après génération du groupe familial. Il s’agit de la transmission du nom (prénom du grand-père, nom de famille au travers des tria nomina à Rome ou de l’appellation « fils de » en Grèce), transmission de l’appartenance aux groupes civiques et politiques du père (inscription dans la phratrie ou dans le dème à Athènes, inscription dans la tribu à Rome, inclusion dans les réseaux de sociabilité du père), transmission de la religion et de la mémoire familiale (culte aux ancêtres, culte aux divinités de la famille, culte aux divinités du foyer) et transmission de valeurs, de qualités et de comportements proprement familiaux permettant la reconnaissance de l’individu comme appartenant à telle famille plutôt qu’à telle autre.

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