Les inscriptions d’Athènes en l’honneur du Toulousain Quintus Trébellius Rufus Entre Toulouse et Athènes : le trajet politique, religieux et culturel d’un riche notable de Narbonnaise sous Domitien

1 E. Beulé 1853, p. 340, sans plus de précision.

2 Voir N. Papazarkadas 2012. Le bloc, découvert à Plaka (Athènes), est cassé à gauche, mais reste très important (longueur : 1,47m pour la partie qui subsiste, peut-être les deux-tiers ; hauteur : 0,29). Les 3 lignes sont les suivantes :

[. . . . . . . . εὐ]εργέτην [ vacat ? ]

[. . . . . . . . . ]ον Ῥοῦφον τὸν ἑαυ[. . . . . . ]

[. . . . . . . . . . ]οις [ vacat ]

En début de ligne 2, il faut peut-être suppléer Τρεβέλλι]ον. En fin de ligne 2, Papazarkadas propose ἑαυ[τῶν ou ἑαυ[τῶν ἄρχοντα (en rapprochant, pour la formule, IG II2 3672) ; et, en début de ligne 3, θε]οῖς (en rapprochant IG II2 3618, l. 7-10, et 5019).

Le texte est trop lacunaire pour que le titulaire puisse être identifié avec certitude.

3 J’ai enregistré l’inscription de l’Acropole d’après IG II2 4193, en la transcrivant en minuscules, et l’inscription de l’agora d’après Aymard 1946 (reproduisant Oliver 1941) et D. J. Geagan 2011 - en rejetant le Ῥώμης ajouté à la ligne 8 par Oliver et Geagan. Les points souscrits signalant les lettres douteuses ont été remplacés par des italiques.

4 Notre point de départ, pour dater l’archontat de Domitien, est le créneau établi par Paul Graindor (1931, p. 19) : « ce fut en tout cas entre 84/5 et 92/3, et plus près de 84 que de 92 » [à cause de la Lex Salpensana, qui, entre 81 et 83, consacre et règle l’acceptation par l’empereur du duovirat honorifique dans les municipes]. Simone Follet (1976, p. 319) resserre et précise ce créneau : « dans une année impaire de l’intervalle 85/6-91/2 ». Cela désigne les quatre années 85/6, 87/8, 89/90, 91/2. Troisième indice : dans la Vie d’Apollonios de Tyane de Philostrate (VIII, 16), un jeune homme venu assister aux Jeux olympiques dit que Domitien a été archonte éponyme d’Athènes (voir ci-dessous note 89). Il s’agit nécessairement des Jeux ouvrant la 218è Olympiade (90-95), en l’an 90 de notre ère. L’archontat de Domitien, antérieur à 90 et devant être placé dans une année impaire du créneau 85/6-91/2, daterait donc soit de 85/6, soit de 87/8, à la rigueur de 89/90 (son archontat aurait été encore en cours au début de l’année 90, s’achevant avant la célébration des Jeux). Quatrième indice : deux années d’« anarchie » sont connues à Athènes sous le règne de Domitien : l’une en 83, l’autre entre 86/7 et 95/6 (v. ci-dessous note 62). L’acceptation de l’archontat d’Athènes par l’empereur protégé d’Athéna/Minerve a pu avoir pour but de compenser une de ces défaillances, peut-être dès 85/6.

5 L’année 92/3 pour Elias A. Kapetanopoulos 1992-1998, « The Reform of the Athenian Constitution under Hadrian », Horos, 10-12, p. 234 : voir IG II2 1997, 2893, 4481 (trois inscriptions qui sont datées de l’archontat de Rufus, ἐπὶ Τριβελίου Ῥούφου ἄρχοντος, ἄρχοντος Τρεβελλίου Λαμπτρέως, ἐπὶ ἄρχοντος Κοίντου Τρεβελλίου Λαμπτρέως) ; et Fouilles de Delphes III : Epigraphie 2, 66, l. 11-13 = G. Colin, Inscriptions du Trésor des Athéniens, Paris, 1909-1913. L’année 91/2 pour Sean G. Byrne 2003, Roman Citizens of Athens, Dudley, Mass., p. 453 ; et pour Geagan 2011, p. 218 (« probably in 91/2 »).

6Lex de flaminio provinciae Narbonensis : CIL XII, 6038 = ILS 6964.

7 Suétone, Vesp. 23, 8 : Vae, inquit, puto deus fio »).

8 Voir ci-dessous n. 46.

9 L’argumentaire de J.-M. Pailler (repris de 1989 à 2016) est complet dès 1989. D. Fishwick reprend sa démonstration entre 1970 à 1978 (en 1970 et 1972 dans Historia, en 1978 dans A.N.R.W. II, 16, 2) et il la synthétise en 1998 (p. 107-112). Son grand argument tient à une clause de la Lex Narbonensis (l. 11-13) qui spécifie qu’un prêtre du culte provincial, à sa sortie de charge, doit être honoré d’une statue donnant son nom, celui de son père, son origine et l’année de sa charge ; selon lui, plusieurs dédicaces à des flamines provinciaux prouvent que c’est à partir du début du règne de Vespasien que cette prescription est appliquée : quatre dédicaces découvertes en Bétique (trois à des prêtres provinciaux, la première datant de Nerva, une quatrième à un prêtre local) ; trois dédicaces locales d’Afrique proconsulaire qui sont datées selon une “ère”, commençant en 70-72, une ère qui serait religieuse et non politique ; une série de plus de soixante-dix dédicaces à des prêtres provinciaux d’Espagne Citérieure, qui commencerait vers 70. Fishwick ajoute à cette liste une inscription d’Emérita (Lusitanie), qui est la dédicace provinciale d’une protomé d’or à Titus (en 77/8), et deux inscriptions de Gaule qui disent à quelle date consulaire deux prêtres de l’Autel des Trois Gaules ont occupé leur fonction (en 74 et en 75). En fait, si on les reprend l’une après l’autre, les dates restent peu sûres, sauf pour les trois derniers exemples, qui, éloignés du sacerdoce provincial, ne sont guère probants. Les exemples de J.-M. Pailler sont, eux aussi, de date mal assurée. Dans le plus remarquable (p. 174, 178), la dédicace de Castulo (CIL II, 3271), l’ordre de succession des charges est susceptible d’une double interprétation. Ce texte mutilé fait connaître (partiellement) la carrière d’un inconnu (de rang équestre) qui fut, apparemment, le premier flamine de la province de Bétique : « …du fisc et curateur du divin Titus en Bétique, préfet de Galice, préfet du fisc des Césars Empereurs en Germanie, tribun de la VIIIè légion, premier flamine augustal en Bétique » [ …fisci et curatori divi Ti(ti) in Baetica, prae(fecto) Galeciae, pre(fecto) fisci Germania Caesarum Imp(eratorum), tribuno leg(ionis) VIII, flamini augustali in Baetica primo (la suite étant peut-être martelée)]. Il est généralement admis que ce fragment de cursus suit l’ordre chronologique : la première fonction indiquée daterait du temps du défunt Titus (devenu divus) et la carrière culminerait avec le flaminat provincial, dont le dédicataire inconnu a été le premier titulaire (nécessairement sous Domitien, le nom de l’empereur maudit ayant pu être martelé). Mais, dans cet ordre ascendant, la préfecture du fisc, qui se situe sous les Caesares imperatores pose problème, car les deux Césars devraient être, dans ce cas, Titus et son frère Domitien, Titus se mettant à s’associer son frère (ce qui est improbable en soi et impossible si le divus Titus est déjà mort). Il est donc possible que le fragment de carrière soit présenté en ordre chronologique inverse, le flaminat provincial précédant le cursus administratif proprement dit. Le flaminat provincial se situerait sous Vespasien, le cursus administratif commencerait sous Vespasien avec le tribunat militaire et se poursuivrait avec les préfectures et les curatèles, tout d’abord sous les Caesares imperatores (dans ce cas, il s’agirait de Vespasien et de Titus, qui, selon Suétone, V. Tit. 6, 1-2, fut étroitement associé au pouvoir de son père), puis sous Titus, devenu divus au moment de la gravure. Enfin, dans le début perdu de l’inscription auraient figuré les fonctions exercées sous Domitien, les plus hautes. Dans le même sens irait le fait que, sous les Flaviens, dans les carrières équestres, les postes militaires (comme le tribunat de légion) semblent devoir être occupés avant les postes civils (comme la préfecture du fisc). Mais tout ce raisonnement reste fragile, vu le nombre de paramètres et l’incertitude des données. Malheureusement, la pierre est depuis longtemps perdue et la copie date du XVIè s. Dans le doute, nonobstant nos propres objections, nous nous en tenons à l’opinion la plus courante : la dédicace est gravée, comme partout ailleurs, à l’issue du flaminat provincial. Le flaminat de Bétique (Hispania Ulterior) serait donc bien le sommet de cette carrière équestre provinciale. Pour l’Afrique proconsulaire aussi, comme le fait observer J.-M. Pailler (p. 181), nous connaissons le nom de celui qui fut le premier à occuper le flaminat provincial : L. Calpurnius Augustalis, qualifié, dans une inscription de Thubursicu Numidarum (ILAlg I, 1295), de [sacerdoti ?] pr(ovinciae) Af[ricae pr]imo. Mais l’inscription n’est pas datée.

10 Trente ans est un âge trop bas : « on aurait de toute évidence exigé plus de maturité et d’autorité extérieure chez le premier titulaire de la plus haute charge de la province » (Aymard 1946, p. 516-517).

11 D. Fishwick (1998, p. 107) observe que l’écart temporel entre le flaminat et l’archontat de Rufus « peut être réduit à 10/15 ans, parce que ses honneurs en Gaule semblent de mémoire relativement récente, comme cela est rappelé dans la lettre du Conseil de Narbonnaise ».

12Fishwick 1998, p. 96-102.

13 Pailler 1989, p. 174, 178, ci-dessus note 9.

14 Fishwick (1998, p. 102) cite deux exemples, en Narbonnaise, d’un flamine provincial qui, sous Trajan, fut curator de cités, dans un cas Aix, dans l’autre Cavaillon, Avignon et Fréjus : CIL XII, 3212, cf. p. 836 (eq. p. habens, curator Aquensi coloniae datus ab Imp. Trai.) ; CIL XII, 3275 (= ILS, 6980, 6980a), cf. p. 837 (equum p.(ublicum) habens, curator Cabell. Avenniens. Foroiuliens.). Autre exemple en Afrique proconsulaire (CIL VIII, 16472, cf. p. 2722 = ILTun 1647) : un prêtre de la province qui peut avoir occupé (après son flaminat ?) deux postes de procurateur (le texte est corrompu).

15 Voir le commentaire des lignes 36-37.

16 Parmi les étapes possibles, militaires et administratives, d’un cursus équestre, la fonction de curator ou corrector d’une ou de plusieurs cités d’une province correspondrait bien aux compétences administratives et financières acquises par Rufus dans son cursus municipal. L’exemple “littéraire” le plus fameux est la lettre que Pline adressa à son ami Quinctilius Valérius Maximus, lorsqu’il fut envoyé par Trajan dans la province d’Achaïe comme corrector/διορθωτής des cités libres, Athènes comprise (VIII, 24), lettre où il lui conseille de respecter « l’ancienne gloire des cités » et de ne pas leur arracher « l’ombre qui subsiste et le nom qui est le seul reste de leur liberté ». Maximus n’était sans doute pas un tendre et Epictète (peut-être déjà protégé par Hadrien) lui fait la leçon d’une façon beaucoup plus brutale (Arrien/Epictète, Entretiens, III, 7, 30-36). La mission de Maximus se situe entre 103 et 109 (le livre VIII de Pline fut publié vers 107). A supposer que Trébellius Rufus ait eu une telle mission, il semblerait s’en être mieux tiré (selon la Lettre des Toulousains).

17 Dès 14 ap. J.-C., par une décision commune d’Auguste et de Tibère (peu avant la mort d’Auguste), les citoyens romains de Narbonnaise reçurent le droit de se porter candidat aux magistratures de Rome et donc d’accéder à la classe sénatoriale, trente-quatre ans avant que les citoyens romains des Trois Gaules n’obtiennent ce droit, en 48 (après le fameux discours prononcé par Claude devant un Sénat très réticent, le discours connu par les Tables de bronze de Lyon, CIL XIII 1668, et par Tacite, Ann. XI, 23-25).

Au plus haut niveau d’une carrière équestre, celui qu’aurait pu atteindre Rufus à Rome et auquel il semble avoir renoncé, se situe, par exemple, la carrière équestre de Lucius Volusius Maecianus (entre la fin du règne d’Hadrien et le début du règne de Marc Aurèle), qui est connue par une inscription d’Ostie ( 1955, 179 = 2002, 276 Ostia). Maecianus atteignit le rang sénatorial en étant successivement responsable de la poste impériale (le cursus publicus) et de plusieurs bureaux palatins (les bibliothèques-archives, a censibus/recensement, a libellis/requêtes), et enfin pontife mineur, préfet de l’annone, préfet d’Egypte, préfet du trésor de Saturne et consul désigné. Un cas “historico-littéraire” de hautes fonctions équestres, sous Marc Aurèle, Commode et Septime Sévère, est celui du richissime chevalier Larensius, le protecteur d’Athénée, auteur du Banquet des Sophistes. Selon Athénée, il fut « procurateur de notre seigneur l’empereur en Mésie et à la tête des affaires de cette province » (IX, 398d-e : ἐπιτροπεύων ἐν Μοισίᾳ τοῦ κυρίου αὐτοκράτορος καὶ προιστάμενος τῶν τῆς ἐπαρχίας ἐκείνης πραγμάτων) ; à Rome, « chargé des cérémonies et des sacrifices par l’universellement excellent empereur Marc Aurèle, aussi bien les rites grecs que les rites romains» (I, 2c). Selon l’Histoire Auguste (Comm. 20, 1-2), il était, au moment de l’assassinat de Commode, « procurateur du patrimoine » (il gérait les biens personnels de l’empereur). Selon son épitaphe (CIL 2126 = 32401 = ILS 2932), cet « incomparable époux » était encore « pontife mineur » au moment de sa mort.

18 L’immense reconnaissance des Athéniens pourrait, par exemple, s’expliquer par une aide de cet homme riche et expérimenté dans une affaire politico-financière. Mentionnons, à titre d’exemple, le conflit (obscur) qui opposa à ses compatriotes, devant l’empereur, le richissime Athénien Tibérius Claudius Hipparchos (le grand-père du fameux Hérode Atticus, ami de Marc Aurèle), conflit qui, à Rome ou à Athènes, s’acheva par la condamnation du potentat pour « menées tyranniques » et par la confiscation et la vente de ses biens (Philostrate, Vies des sophistes, II, n°1, 547). Suétone parle d’un procès d’Hipparchos devant Vespasien (V. Vesp., 13, 3). Mais P. Graindor (1930 [Un miliardaire antique…], p. 14-16 ; 1931, p. 19-21) situe la condamnation sous Domitien, en 92/93, en s’appuyant sur la Chronique d’Eusèbe et sur l’indication ajoutée au texte d’Eusèbe par Saint Jérôme dans sa traduction latine (Hieron. Chron., p. 191 Helm). 92/93, c’est une année où Rufus résidait probablement à Athènes après son archontat, puisque c’est l’une des deux années proposées pour son archontat. Même si Rufus n’est pas intervenu dans cette éclatante affaire, il n’a pu l’ignorer.

19 L’une des conditions pour être initié était de parler grec et il semble évident que Rufus, archonte d’Athènes, le parlait parfaitement, comme les Romains et les provinciaux cultivés de son temps.

20 Plutarque de Chéronée, qui pourrait avoir à peu près le même âge que Rufus, séjourne souvent à Athènes (il est aussi allé à Alexandrie et il a voyagé en Italie, à Rome et sur les champs de bataille de 69). Dans ses Questions de table, vers la fin de sa vie, il raconte les banquets cultivés qui ont réuni, au long des années, des notables grecs et romains distingués et cultivés, y compris des personnages de haut rang (un grand prêtre de la province d’Achaïe, deux ministres et conseillers, l’un de Vespasien, l’autre de Trajan, le prince Philopappos de Commagène), souvent à l’occasion de festivités, à Athènes et Eleusis, à Corinthe pour les Jeux Isthmiques, à Elis/Olympie, dans la station thermale d’Edepse, en Eubée. On a établi avec certitude que ces réunions se sont étendues sur trente à quarante ans, à partir de circa 80. Mais Rufus n’est pas nommé parmi les quelque quatre-vingts convives intervenants. Le seul Gaulois qui figure parmi eux (vers la fin de l’œuvre) est le fameux Favorin d’Arles (v. 80-v. 150), l’ami de Plutarque et d’Aulu-Gelle, qui appartient à la “jeune génération”.

21 Voir ci-dessous la n. 77. Dans la dédicace de sa Bibliothèque, Pantainos se dit « prêtre des Muses amies du savoir et fils de Flavios Ménandros, chef d’Ecole » (ὁ ἱερεὺς Μουσῶν φιλοσόφων Τ. Φλάβιος Πάνταινος, Φλαβίου Μενάνδρου διαδόχου υἱός). Ce « prêtre des Muses philosophes » est probablement enseignant et son père était ou avait été, en tant que « diadoque (successeur) », à la tête d’une des quatre Ecoles philosophiques d’Athènes (on ignore laquelle). En fondant sa Bibliothèque, Pantainos doit rendre public l’accès à ses propres livres.

22 Plus loin, au contraire (l. 33), dans l’expression ἐπα[νίε]σαν καὶ χρυσ[οφορίαν (si la restitution est correcte), ἐπανίεσαν semble la traduction littérale du latin concesserunt (si l’usage de l’imparfait est grec, l’utilisation de ἐπανίημι, concéder, semble inhabituelle en grec dans le cas d’une magistrature ou d’un honneur). Cela pourrait indiquer que la Lettre ronflante des décurions toulousains n’a pas été écrite directement en grec, mais qu’elle est traduite du latin.

23 Voir ci-dessous notes 63-64.

24 Voir la liste des prêtresses de cultes publics en Gaule que donnent Rémy et Mathieu (2009, p. 199) : sauf dans le cas d’une inscription mutilée (antistita deae […]), la prêtresse est dite ailleurs sacerdos Minervae et Dianae, sacerdos Dianae, sacerdos Isidis, etc.

25 La liste des flaminiques des Gaules donnée par Rémy et Mathieu 2009 (p. 197-198) contient 22 exemples de flaminicae Aug., dont deux sont flaminica divae Aug. et une flaminica divae <…>. En Espagne Fishwick 1998 (p. 85, n. 11) signale deux exemples de femme sacerdos divae Augustae (CIL II, 1571 ; AÉp 1984, 9) et un exemple de flamen divae Augustae (CIL II, 194 = ILS 6986).

26 Un exemple en Arles : flaminica designata coloniae Deae Augustae Vocontiorum. Pour la Grèce (Livie), voir n. 28.

27 Domitia reçut dès 83 le titre d’Augusta (Suétone, V. Dom. 3, 2). Cette épouse rejetée, puis reprise, resta toujours menacée.

28 A Athènes, le mot θεά est attesté pour Livie (Graindor 1931, p. 113), de même que θεός pour César et pour Auguste (IG II2, 4180 : ἱερέα θεοῦ Ἰουλίου καὶ ἱερέα θεοῦ Καίσαρος Σεβαστοῦ, ca 50-60). Sur le culte de Livie, de son vivant ou après sa mort, voir les réf. données par Fishwick (1998, n. 11).

29 Antonia Minor (36 av. J.-C.-37 ap. J.-C.), fille de la généreuse Octavie (la sœur d’Auguste) et de Marc-Antoine, épousa Drusus “l’Ancien” le jeune frère de Tibère, le vainqueur des Germains (Claudius Drusus Nero, 38 av. J.-C.-9 ap. J.-C.). Elle éleva son petit-fils Caligula, qui, à son accession (en 37), la proclama Augusta, mais la poussa ensuite au suicide. Claude, son fils, à son accession (en 41), réhabilita sa mémoire. Quant à Drusus, c’est lui qui fonda à Lyon, le 1er août de l’an 12 avant notre ère, l’autel de Rome et d’Auguste où se réunissaient chaque année, à cette date (jour du Genius Augusti), les délégués des soixante peuples-civitates des Trois Gaules (Aquitaine, Lugdunaise et Belgique).

30 A Castel-Roussillon, a été retrouvée l’épitaphe d’une fl[ami]nica An[to]niae Au[g.](ustae) (entre 50 et 100) : Rémy et Mathieu 2009, p. 197. Antonia Minor figure aussi dans le groupe des têtes impériales du forum de Béziers (actuellement au Musée Saint-Raymond de Toulouse), c’est-à-dire dans le groupe impérial fondateur de la Colonie de Béziers (sur le plan symbolique). Ou, du moins, l’identification de la tête est très probable : voir Balty-Cazes 1995, p. 104-109.

31 A Athènes, Antonia eut un grand-prêtre de son culte (IG II2, 3535, en 57, ou peu d’années avant) : un très grand personnage, Tibérius Claudius Novius, est « stratège des hoplites, prêtre à vie d’Apollon Délien, agonothète des Grandes Panathénées…, grand-prêtre d’Antonia Augusta… » (ἀρχιερέα Ἀντωνίας Σεβαστῆς, l. 11). A un autre moment, elle eut une prêtresse, qui avait son siège de proèdre au théâtre de Dionysos : IG II2, 5095 (ἹΕΡΗΑΣ Θ-- ἈΝ[Τ]ΩΝΙΑΣ, « [siège] de la divine Antonia »).

32 Rappelons toutefois que le temple dont les vestiges apparurent en 1613 dans le lit de la Garonne, lors de la rupture de la tête de digue du Bazacle, a été considéré par les contemporains de l’événement comme un temple de Minerve, à cause de fragments de corniches sculptées de « hiboux » et de « chouettes » (Catel 1629) et d’« une statue qu’on jugeait être de Pallas » (Laroche-Flavin 1627). Les raisons de l’identification de la statue ne sont pas précisées : s’agissait-il d’une statue du type Palladion (ci-dessous n. 84 et n. 80 fin) ? L’attribution du temple à Minerve fut évidemment influencée par le « Palladia Tolosa » de Martial (IX, 99, ci-dessous n. 95). Voir H. Molet 2001 : le temple se trouvait à la pointe d’une petite île séparant deux bras antiques de la Garonne ; quadrangulaire, il avait peut-être 16 à 18 m de hauteur avec des colonnes de marbre noir d’une dizaine de mètres et une parure de plaques de marbre de couleur (gris, vert et rouge), de forme carrée, ronde ou losangée, dont quelques-unes, réutilisées entre 1613 et 1615 pour décorer l’Hôtel-de-Pierre, sont encore visibles sur deux des façades de la cour intérieure. Un fragment de frise à personnage (n°214) et un fragment d’architrave (n°215, actuel 30020) se trouvent dans les réserves du Musée Saint-Raymond.

33 L’un des plus connus est C. Julius Antiochos Epiphanès Philopappos, roi de Commagène : en 72, il perdit son petit royaume client (rattaché à la Syrie par Vespasien) et il quitta Samosate, sa capitale, pour aller finir sa vie à Athènes. Il fut archonte à Athènes (entre 75 et 87) et y mourut (entre 114 et 116). Les ruines de son tombeau sont toujours visibles sur la Colline des Muses.

34 Voir, pour les statues d’empereurs (au Ier s.), Graindor 1931, p. 1-12, 17 ; 113-116. Tibère et Claude, par exemple eurent droit à des séries de statues, Claude étant même qualifié de « sauveur du monde ». Néron, qui resta longtemps populaire en Grèce pour avoir proclamé, dans son grand voyage de 67, la province d’Achaïe libre et exempte d’impôts (une liberté que Vespasien révoqua peu après), eut droit, sur l’architrave du Parthénon, au-dessus de l’entrée, à une dédicace à l’αὐτοκράτωρ μέγιστος, fixée en lettres de bronze ; elle fut arrachée après sa mort (les trous de scellement ont permis d’en reconstituer la majeure partie). Lorsqu’un empereur, à sa mort, est frappé de damnatio memoriae, ses statues sont détruites (ou le visage mutilé) et son nom est partout martelé et effacé. Ainsi, de Caligula, ne subsiste qu’une seule base « au sauveur et bienfaiteur ». De Domitien, certainement honoré de toutes les façons à Athènes, la “cité de Minerve”, il ne reste aucune trace. Dans tout l’empire, ses centaines de statues furent détruites dans une sorte de furie collective (Pline, Panég. Trajan, 52).

35 Athènes semble être, vers la fin du Ier s., dans une situation financière et économique difficile, pour son approvisionnement, sans doute aussi à cause de ses charges, ses fêtes nombreuses, le grand nombre de monuments à entretenir. Cf. Dion de Pruse, Disc. XXXI, 123 « (les Athéniens) réduits à la dernière extrémité » ([Ἀθηναίοις] τοῖς ἐσχάτως ἀπολωλόσι) ; Philostrate, Vies des sophistes, I, n°23, 526 : émeute du pain au cours de laquelle le sophiste Lollianos faillit être lapidé ; appel de Lollianos à des donateurs privés devant l’incapacité du trésor athénien à payer un cargo de blé thessalien ; « projet [peu clair] de vendre les îles par manque d’argent » (τοῖς Ἀθηναίοις ἀπορίᾳ χρημάτων βουλευομένοις πῶλειν τὰς νήσους) [il ne s’agissait pas d’une petite île à vendre à un riche armateur, comme la moderne Skorpios, mais, apparemment, de rien de moins que Salamine]. V. Graindor 1931, p. 131-132.

36 La tribu de Rome à laquelle appartient Rufus, en tant que citoyen romain, n’est malheureusement pas indiquée par l’inscription. Si ce n’était pas la Voltinia (dans laquelle sont inscrits les Toulousains qui deviennent citoyens romains), cela voudrait dire que la famille Trébellius est d’origine italienne (ou qu’elle est originaire d’une cité autre que Toulouse). L’onomastique ne permettrait pas davantage, dans ce cas, de préciser de quelle région d’Italie venait la famille, tant le gentilice Trébellius semble fréquent.

37 Aucune confiscation de terres à l’issue de la révolte des Tectosages (en 106) n’est connue pour Toulouse. Il y a bien un ager cimbricus que Marius confisqua après sa victoire et fit assigner par lots à ses vétérans, en 100 av. J.-C. [Appien, B.Civ., I, 29]. Mais ces terres se situeraient en Gaule Cisalpine, plutôt qu’en Transalpine. A si haute époque, une deductio lointaine, dans une Narbonnaise au statut encore mal précisé, paraît improbable. De toute façon, l’accaparement des terres par les Italiens a commencé (en dehors même des confiscations) dès le début de la conquête, comme le montrent le Pro Quinctio et le Pro Fonteio de Cicéron (Goudineau 1998, p. 137, 216).

38 Le gentilice Trébellius est, en principe, purement romain. Toutefois Delamarre pense à une origine gauloise pour un autre nom de famille bien romain, Trébonius ou Trébonianus (chef de village ?). Faudrait-il penser, pour Trébellius, aux racines gauloises *treb- (lieu habité, village) et *belo- / bello- /beli- (fort, puissant) (voir Delamarre 2003, p. 301 et p. 72). Un nom bien latin peut d’ailleurs cacher une origine indigène. C’était peut-être le cas pour Antonius Primus “Beccō”, le “Bec-de-coq” en gaulois (voir ci-dessous la n. 119). Le nom de Trébellius n’était peut-être pas rare dans la Narbonnaise celto-ibère et celto-aquitaine. Un village des Fenouillèdes, dans la partie languedocienne des Pyrénées orientales, porte le nom de Trévillac (languedocien Trévilhac, catalan Trévillach), qui doit venir de *Trebelliacum, la Villa de Trébellius.

39 Dans ce cas de figure, le premier Trébellius citoyen romain aurait obtenu la civitas à titre personnel, par la grâce d’un chef d’armée ou sur proposition d’un gouverneur ou d’un haut fonctionnaire romain, peut-être simplement à cause de son appartenance à la classe décurionale. C’est à ce « patron », personnage de haut rang, qu’il devrait le nom de Trébellius, puisqu’il n’a pas pris le nom d’un empereur, comme Julius (César et Auguste), ou Claudius (Claude ou Néron), ou Flavius (les Flaviens). Peut-être, cependant, l’accès à la citoyenneté à l’occasion d’un recensement ne s’accompagnait-il pas toujours de l’attribution du nom de l’empereur. Pour la date, on peut penser au moment où, en 27 av. J.-C., Auguste lui-même, selon Dion Cassius (LIII, 22) « vint dans les Gaules et y passa du temps, parce que (…) les affaires y étaient encore en désordre (ἀκατάστατα) à cause des guerres civiles qui avaient immédiatement suivi la conquête ; il fit le dénombrement des Gaules et régla leur état civil et politique » (αὐτῶν [i.e. τῶν Γαλατίων] καὶ ἀπογραφὰς ἐποιήσατο καὶ τὸν βίον τήν τε πολιτείαν διεκόσμησε). Au cours de ce conventus de 27 (à Narbonne probablement) organisant la province de Narbonnaise à peu près dans les limites de l’ancienne Transalpine, fut décidé un premier recensement général. Quinze ans plus tard, Drusus “l’Ancien”, en charge des Trois Gaules, y organisa, en 13 avant notre ère, un census qui provoqua des troubles (d’où la convocation des dirigeants des cités à Lyon, en 12, pour la création de l’Autel fédéral d’Auguste : Tite-Live, Periochae, 139 ; Dion Cassius, LIV, 32 ; cf. Suétone, V. Claud. 2, 1). Mais ce recensement concerna-t-il la Narbonnaise ? Même problème pour le recensement des Trois Gaules effectué sous Néron en 61 (M. Trébellius Maximus étant, pour la Lyonnaise, le legatus Augusti propraetor ad census). Le recensement suivant eut lieu en 92, sous Domitien.

40 Voir ci-dessous la n. 57.

41 Cf. R. Hanslik, RE, VI, A, 2, col. 2265-2266.

42 Tacite, Ann. XIV, 46, 2. 

43 Tacite, Hist. I, 60, 3 ; II, 65, 6.

44 Un Trébellius Maximus (qui est peut-être déjà Marcus) intervint au sénat en 41, au moment de l’assassinat de Caligula (Flavius Jos., Ant. Jud., XIX, 185).

45 Sa fortune doit remonter à son père ou aux générations précédentes. L’origine et la nature de cette fortune, qui semble importante, sont évidemment impossibles à préciser : revenus fonciers sûrement, mais aussi négoce, mines, “production industrielle” comme les céramiques de Montans, entreprenariat et travaux publics, ferme des impôts, prêts bancaires… La base de l’immense richesse des aristocraties renouvelées et romanisées qui dominent tous les peuples-cités de l’empire est foncière, mais leurs investissements sont divers. En Narbonnaise, les bouleversements économiques et sociaux, dans le demi-siècle autour de notre ère, sont d’une telle ampleur (Goudineau 1998, p. 216-219) que tout est possible. [Pas au Ier siècleToulouse est un lieu de ”rupture de charge“, où le vin italien venu de Narbonne est embarqué sur la Garonne, et un carrefour de routes sur l’isthme gaulois, vers les cités de la province d’Aquitaine, les voisins immédiats (Rutènes de Segodunum/Rodez, Cadurques de Divona/Cahors, Nitiobriges d’Aginnum/Agen, Ausques d’Eliberris/Auch, Elusates d’Elusa/Eauze, Convènes de Lugdunum) et les voisins plus lointains (les riches civitates de l’Aquitaine océanique). Avant même la conquête, le port fluvial situé à Saint Roch, à cinq kilomètres au-dessous de l’oppidum de Vieille-Toulouse, est sûrement un centre prospère d’échange, de stockage et de redistribution.] Quelle que soit la source d’enrichissement de la famille Trébellius, il est très probable que notre Rufus possède à la fois une domus urbaine à Toulouse et une villa à la campagne (un domaine rural comportant une maison de modèle italien, peut-être semblable à ce que fut la première villa de Montmaurin, sans l’aspect palatial qu’elle prit plus tard). S’il a atteint l’âge de la retraite ou s’il a fait le choix de se retirer, c’est normalement en Narbonnaise qu’il a “pris sa retraite”, sur ses terres, comme font les nobles romains (voir ci-dessous le commentaire des lignes 39-40 de la base de l’agora et les notes 103, 106 [4è exemple], 109). Certes, il n’est pas exclu que Trébellius ait choisi, comme d’autres (Arrien au IIè s.), de finir sa vie à Athènes, mais son enracinement à Toulouse et en Narbonnaise semble trop fort pour qu’il ait abandonné sa « patrie ».

46 Suétone, V. Dom., 13, 4 (« Aussi fut-il décidé que désormais personne, dans un écrit ou un entretien, ne le désignerait autrement ») ; Dion Cassius, LXVII, 13 (« Celsus, se prosternant, l’appela à plusieurs reprises son maître et son dieu [δεσπότην τε καὶ θεόν], noms que d’autres lui donnaient déjà »).

47 Suétone, V. Dom., 23, 2. Dans l’historiographie sénatoriale (et même moderne), Domitien prendra place à tout jamais parmi les empereurs maudits, en compagnie de Caligula, Néron, Commode et Caracalla (voir, par exemple, Aurélius Victor, 39, 4 ; et l’Histoire Auguste : Clodius Albinus, 13, 5 ; Alex. Sév., 65, 5 ; Div. Claude, 3, 6 ; Carus, Carin et Num. 1, 3 ; 3, 3). Tout près de Toulouse, un petit fragment d’une inscription sur bronze - apparemment un rescrit impérial adressé aux décurions -, a fait supposer que l’inscription avait été brisée et jetée, ce qui pourrait être interprété comme une trace de la damnatio memoriae de Domitien (cf. Pailler 2015, p. 206-208).

48 Voir ci-dessous le commentaire des lignes 39-40.

49 Voir supra n. 9 sur la date de la Lex de flaminio provinciae Narbonensis,.

50 Voir supra n. 9 pour les premiers grands prêtres de Bétique et d’Afrique (CIL II 3271, ILAlg I 1295). Exemple féminin sur une inscription d’Avenches, dans le dernier quart du Ier s. : une Julia Festilla est honorée comme flaminica prima Aug(usti) ou Aug(ustae) (Rémy-Mathieu 2009, p. 131, 197). C’est ainsi que le nom du premier prêtre de l’Autel fédéral de Lyon est devenu historique : C. Julius Vercondaridubnus, Eduen (Tite-Live, Per. 139).

Cette indication de priorité est aussi révélatrice de la compétition qui existe parmi les membres de la nouvelle aristocratie provinciale, pour occuper les fonctions civiles ou sacerdotales les plus hautes, dans leur cité et dans leur province (et à Lyon, pour les Trois Gaules). Tout en rehaussant le prestige de leur « patrie » ou de leur tribu, ils affichent leur prééminence (et, pour les Trois Gaules, leur appartenance au cercle suprême des primores Galliarum qui se réunissent tous les ans autour de l’Autel fédéral).

51 Cf. CIL XI, 3103 : [sacerdos] Caeninensis a pon[tificibus factus] ; cf. CIL VI 1598 = ILS 1740. Un autre chevalier de Narbonnaise, originaire d’Arles, appartint à la confrérie (CIL XII, 671). Sur la confrérie, voir les réf. de Labrousse 1968, p. 527, n. 55-58 ; Fishwick 1998, p. 87, n. 14-17.

52 D. Fishwick (p. 87) note que d’autres prêtres provinciaux de Narbonnaise semblent avoir occupé des sacerdoces à Rome (notamment la fonction de luperque) avant même d’entamer une carrière municipale (CIL XII 3183 = ILS 5274 ; CIL XII 3184 = ILS 6981) et que le sacerdoce caninensien prend place, en général, entre la carrière municipale et la carrière administrative.

53 Cf. CIL VI, 29688 ; XII, 2235, 3275, 4393 ; XIII, 1695 etc (voir in Goudineau 1998, p. 243, les photos 1 et 2). Citons, à titre d’exemple d’inscriptions comportant la formule, les deux inscriptions en l’honneur de Marcus Luctérius Léon fils de Luctérius Senicianus (ce « lion » bien apprivoisé est sûrement le descendant de Luctérius [en gaulois Lucterios ou Luxterios, “le Lutteur”], le chef cadurque qui rejoignit Vercingétorix et qui fut, à Uxellodunum/le Puy d’Issolud, le dernier champion de la liberté gauloise, cf. César, BG, VIII, 34-35 et aliud). La stèle de Cahors et le bloc de Lyon indiquent que Léon, « ayant rempli toutes les charges dans sa patrie » (omnibus honoribus in patria [ou apud suos] functo) est devenu « prêtre (sacerdos) de l’Autel d’Auguste au Confluent de la Saône et du Rhône » : CIL XIII, 1541 (provenant de Pern, près de Cahors, Musée Henri-Martin, Cahors) et A.Ép. 1955, 212 (Lyon, bloc de l’ancien pont de la Guillotière, provenant du district fédéral des Trois Gaules à Condate).

La reprise insistante de cette formule est importante, car elle indique que les membres de la nouvelle aristocratie gauloise, avant de briguer de hautes charges, font le choix ou ont l’obligation de passer par une implantation politique locale, ce qui les place en position de médiateurs obligés entre le pouvoir impérial et les populations et ce qui arrange aussi le pouvoir impérial qui a absolument besoin de ces intermédiaires.

54 L’expression honores omnes, dans l’inscription d’Athènes, doit désigner en premier lieu la succession des magistratures du cursus municipal, mais il y rentre aussi d’autres charges, comme « curateur des citoyens romains » ou « sévir augustal (sexvir augustalis) » (ce collège de six prêtres, choisis par les décurions, avait la charge du culte de Rome et de l’empereur et sa famille ; l’abondance des inscriptions témoigne du succès de cette institution apparue sous Tibère… qui occasionnait des évergésies nombreuses !). Voir Mavéraud-Tardiveau 2016 (p. 365-367), citant deux exemple de sévir et curateur : à Avaricum/Bourges (CIL XIII 1194) et à Lousonna/Lausanne (CIL XIII, 5026).

55 Lucien, 11-Eloge de la patrie ; Ménandros in Spengel, Rhetores Graeci, vol. III, p. 329-367.

56 Cf. Dion de Pruse, 44, 6 ; Plutarque, V. Démost. 2, 2.

57 La date de la promotion de Toulouse au rang de Colonia (de droit romain) reste incertaine (cf. Labrousse 1969, p. 491-493). Pline l’Ancien (23-79) fait figurer Toulouse, « frontalière de l’Aquitaine », dans sa liste des 29 oppida latina de Narbonnaise (III, 32-37). Cette liste des cités de droit latin de Narbonnaise, à l’époque flavienne, semble remonter, pour l’essentiel, à la grande lex provinciae d’Auguste, fixant le statut de la province et retouchée ou complétée au fil des années (Gros 2008, p. 25). Toulouse n’est explicitement mentionnée comme colonie que dans un texte plus tardif, le Manuel de Géographie de Claudius Ptolémée (II, 10, 6), écrit vers 130 ou 140 (II, 10, 9). Il se peut donc que Toulouse ne soit devenue Colonia que sous Domitien, peut-être même sous Trajan ou Hadrien.

J.-M. Pailler (1988, p. 102) rappelle que « au cours de son histoire, Toulouse a été tour à tour ville libre comme capitale des Volques Tectosages au IIIè s. av. J.-C. ; cité “fédérée” alliée de Rome au IIè s. (avant 121 peut-être, avant 106 en tout cas) ; cité stipendiaire soumise à Rome après la révolte matée cette année-là par Caepio ; cité de droit latin enfin, sans doute à partir de César. La promotion suprême au rang de colonie… fait de tous les citoyens de Toulouse, et non plus seulement des magistrats, des citoyens romains à part entière ». Rappelons qu’Auguste, entre 10 et 5 av. J.-C., avait transféré la population depuis les collines de Pech David (Vieille-Toulouse), sinon depuis la terrasse basse de Saint-Roch, jusqu’à la terrasse en bord de Garonne (Narbonne aussi est une ville neuve, si le vieux nom de Naro, cité des Néroncen, a commencé par désigner l’oppidum de Montlaurès ; c’est le cas aussi d’Aix, remplaçant Entremont, de Lugdunum Convenarum, qui est une fondation pompéienne, et de bien d’autres cités). La Toulouse du temps des Flaviens est à la fois une ville carroyée et architecturalement toute neuve (avec des constructions qui figurent parmi les plus imposantes de la Gaule du Ier s.) et probablement une cité nouvellement de droit romain.

Notons que Domitien n’est certainement jamais venu à Toulouse et qu’il ne semble guère s’être attardé en Gaule, à l’aller ou au retour de ses campagnes sur le Rhin (en 70, contre Cérialis [sa marche aux côtés de Mucien, en tant que jeune César, s’arrêta à Lyon : Tacite, Hist., IV, 85-86, et Suétone, V. Dom., 2,1] ; en 83 contre les Chattes ; en 89, contre Saturninus révolté et les Chattes). Frontin (Stratag. I, 8, 1) dit que, afin de surprendre les Germains (en 83), « l’Empereur César Domitianus Augustus Germanicus… cacha son départ à l’aide de l’opération de recensement des Gaules » (profectionem suam censu obtexuit Galliarum).

58 Le nom de la tribu Voltinia figure dans diverses inscriptions funéraires du Ier siècle de notre ère : sur des tombes de légionnaires originaires de Toulouse qui sont morts en Germanie supérieure, en Germanie inférieure, en Pannonie, en Maurétanie Tingitane ; dans des épitaphes de Toulousains décédés à Aix-en-Provence, à Pesaro, à Rome ; dans l’épitaphe d’un magistrat municipal, un questeur (peut-être questeur au trésor public) qui a été découverte à Toulouse, au quartier des Récollets, vers 1782 (CIL XII, 5387 ; photo in Pailler 2015, avec la traduction du texte due à Robert Sablayrolles). Voir Labrousse 1968, p. 493, 495-496.

59 Sur la base de l’agora (ligne 29), les magistrats toulousains sont désignés collectivement par le mot οἱ ἄρχοντες et l’assemblée municipale est appelée « la βουλή des Toulousains ».

60 Sur l’énormité que peuvent atteindre en Gaule les dons et les summae honorariae (ou ad honorem), voir Goudineau 1998, p. 266 : autour de 100 000 sesterces dans plusieurs cités, et, pour les dons, jusqu’à un million ou deux millions de sesterces. Les chiffres sont supérieurs à ceux de l’Italie ou de l’Afrique. Le meilleur exemple de cursus local et provincial et de l’évergétisme qu’il implique est celui de C. Julius Rufus, de la cité des Santons, qui accéda en 19 à la fonction suprême de prêtre de l’Autel à Lyon et qui construisit à la fois le premier amphithéâtre de Lyon (ILTG 217) et, à Saintes, l’arc dédié à Tibère, Drusus et Germanicus, ainsi qu’un pont (CIL XIII, 1036). Julius Rufus se dit fièrement fils de C. Julius Otuaneunos, fils de G. Julius Gedomo, fils d’Epotsorovidos, et cette filiation montre que la romanisation est complète en moins de quatre générations.

61 P. Graindor 1931 (p. 73) signale un archonte éponyme de la fin du Ier s. qui, à son entrée en charge, a fait distribuer [à chaque citoyen athénien] un médimne de blé [52 litres] et quinze drachmes (ἄρξαντα τὴν ἐπώνυμον ἀρχὴν ἐπὶ μεδίμνῳ καὶ δεκαπέντε δραχμαῖς) (BCH XIX, 1895, p. 113).

62 L’année 83/84 et une autre année entre 86/87 et 95/96 (cf. IG II2, vol. 3, Archontum tabula, p. 790).

63 Il est à noter que, dans le texte, le qualificatif ὕπατος est utilisé avec deux sens quelque peu différents. A la l. 7, il fait partie de la longue titulature du prêtre caenininsien (ὕπατον Καινεινῆνσιν) et, qualifiant le prêtre du plus haut rang de cette confrérie sacerdotale du Latium, il traduit nécessairement, comme on l’a vu, un mot latin comme maximus (comme pour le pontifex maximus). Mais à la l. 13, dans le titre du prêtre de Drusus à Athènes, ὕπατος ne qualifie pas le prêtre, mais le personnage divinisé (ἱερέα Δρούσου Ὑπάτου). Le titre du prêtre apparaît sur trois autres inscriptions (voir note suivante), et dans deux d’entre elles, la formule est entièrement au génitif (ἱερέως Δρούσου ὑπάτου), de sorte que le mot ὑπάτου pourrait qualifier soit Drusus, soit son prêtre. Mais ici, la répétition du mot ὑπάτου, et pas ὑπάτον, sur les bases A et B ne laisse pas place au doute : le mot qualifie Δρούσου (ἱερέα Δρούσου Ὑπάτου) et il n’y a pas de faute du lapicide. D’autre part, il est peu probable, selon nous, que ὕπατος soit ici la traduction grecque du mot latin consul et qu’il s’agisse d’un culte de Drusus consul (comme les commentateurs le répètent jusqu’à Geagan 2011, p. 218, « priest of the consul Drusus »). L’épithète grecque, depuis toujours utilisée pour Zeus-Très haut, a donc été utilisée, à Athènes, pour le personnage divinisé de la famille impériale. Difficile, dans ces conditions, de dire si le nom de la prêtrise est purement athénien ou s’il s’agit de la traduction en grec du nom d’une prêtrise latine. Si le titre grec est traduit du latin, le mot grec ὕπατος pourrait correspondre, là encore, à Maximus (comme pour Jupiter Optimus Maximus) et ὕπατος aura été préféré à μέγιστος pour traduire sacerdos Drusi Maximi.

64 Voir IG II2, 1968 : « Sous Mithridatos, archonte et prêtre de Drusus-Hypatos … » (Ἐπὶ Μιθριδάτου ἄρχοντος καὶ ἱερέως Δρούσου Ὑπάτου [l’archontat de ce Mithridatos n’est pas daté]) ; IG II2, 1990 : même formule (Ἐπὶ Θρασύλλου etc. [l’archontat de ce Thrasyllos date de 61, sous Néron]) ; IG II2, 4188 : Γάιον Καρρείναν Γάιου υἱὸν Σεκοῦνδον τὸν ἐπώνυμον ἄρχοντα καὶ ἱερέα Δρούσου Ὑπάτου. Ce dernier exemple est particulièrement intéressant à cause de la personne du dédicataire : Secundus Carrinas fut chargé par Néron de piller les statues des dieux dans les provinces d’Achaïe et d’Asie (Tacite, Ann., XV, 45, 2). Voilà donc, sous Néron déjà, un Romain obscur, mais ayant la faveur de l’empereur, que les Athéniens ont élu archonte éponyme, afin de s’attirer ses bonnes grâces (les statues offertes sont beaucoup plus souvent des statues “de routine”, honorant le légat ou le proconsul ou un haut fonctionnaire).

65 L’emplacement de ce temple n’est pas connu, mais Pausanias, dans sa description de l’agora, en parle après l’Eleusinion (« un peu plus loin… »), ce qui semble indiquer que le temple était à l’est de l’agora, dans le secteur de l’Eleusinion, sous le flanc nord-ouest de l’Acropole (les traces de l’Eleusinion se trouvent sur le côté est de la voie panathénaïque, après les restes du Mur de Valérien quand on va vers l’Acropole).

66 Le siège, toujours en place de nos jours, porte l’inscription ΙΕΡΕΩC ΕΥΚΛΕΙΑC ΚΑΙ ΕΥΝΟΜΙΑC (IG II2, 5059). Une trentaine de prêtres avaient droit à cet honneur.

67 Le sens de διὰ βίου est étudié par S. Follet 1976, p. 145-147 : « L’âge ou les infirmités pouvaient assurément provoquer certaines démissions… Mais l’expression διὰ βίου a sûrement son plein sens dans la majorité des cas ». Plutarque, dans le Si les gens âgés doivent s’occuper des affaires publiques, s’efforce de convaincre son ami Euphanès, vieil homme politique athénien, de ne pas renoncer à ses fonctions (792 F), y compris à sa délégation « à vie » (διὰ βίου) au conseil amphictionique (794 A-B).

68 Fishwick note (1998, p. 92-93, avec les réf. utiles) que, dans la grande inscription d’Ephèse (IEphesus 27, l. 419-421, ci-dessous note 73) figurent des chrysophores de la déesse qui ont pour fonction de porter dans les assemblées et les jeux les représentations et images précieuses faisant partie de la donation de Vibius Salutaris (ὅπως ἐχῇ τοῖς χρυσο/φ[οροῦσι τῇ θεῷ φέρειν εἰς τὰς] ἐκκλησίας καὶ τοὺς ἀγῶνας / τὰ ἀπεικ[ον]ίσματα καὶ <τὰς> εἰκόνας...). La chrysophorie de Rufus à Athènes doit être différente de cette tâche modeste, mais le sens que possède le mot à Ephèse suggère qu’à Athènes aussi la chrysophorie est liée au service d’une divinité (probablement Athéna dans ce cas) ou qu’elle a un caractère sacré.

69 Il y a peut-être une petite malice des Athéniens dans l’octroi à ce chevalier gaulois apparemment richissime et porteur de l’anneau d’or, de cette chrysophorie plutôt rare, tant le goût des Gaulois pour l’or était quasi mythique (Goudineau 1998, p. 55-56, 61). L’impôt sur les riches negotiatores s’appelle en latin aurum negotiatorum et en gréco-latin chrysargyrion (selon Camille Jullian, Gallia, 1892, p. 90).

70 D. Fishwick (p. 92) note qu’il serait possible, à cette l. 33, de rétablir ἐπῄ[νε]σαν (ils ont fait son éloge) au lieu de ἐπα[νίε]σαν (ils lui ont concédé), ce qui pourrait indiquer que, devant l’Ecclésia, Rufus a fait l’objet d’un éloge public en même temps qu’il était couronné.

71 Sur les divers mots grecs servant à désigner une statue (ἀνδριάς, εἰκών, ἄγαλμα), voir E. Benveniste, « Le sens du mot ΚΟΛΟΣΣΟΣ et les noms grecs de la statue », RPh 1932, 118-135. Ici ἀνδριάντες et εἰκόνες sont équivalents, ou bien ἀνδριάντες désigne des statues en pied et εἰκόνες des bustes (Fishwick 1998, p. 89 : « usually busts »).

72 C’était le lieu d’implantation normal, comme Pline le Jeune le rappelle pour Rome aussi : Lettres, II, 7, 6-7.

73Die Inschriften von Ephesos I a (Bonn, 1979), n° 27, l. 85-88 : …τετει[μῆσ]θαι τ[αῖς κρ]ατίσταις τιμ[αῖς, εἰκόνω]ν τε ἀναστάσε/σιν ἔν [τε τ]ῷ ἱερῷ τῆς Ἀρτέμιδο[ς καὶ ἐν τοῖ]ς ἐπισημοτάτοις / τόποις τῆς πόλεως (voir, sur ce texte, J. H. Oliver, The Sacred GerusiaHesperia Suppl. VI, 1941, p. 55-85). G. Vibius Salutaris, à qui ces honneurs sont attribués, est un personnage de rang équestre qui avait assumé des charges militaires et des procuratèles (l. 15 sq). Salutaris, en plus de dédicaces antérieures, a promis de doter la cité de neuf figurines d’Artémis, dont l’une d’or et d’argent, et de vingt autres statuettes d’argent de Trajan, Plotine, le Sénat, l’Ordre équestre, le Peuple romain et les corps représentatifs de la cité des Ephésiens, tout cela accompagné d’une fondation de 20 000 deniers, avec une longue liste de bénéficiaires comprenant les membres de la Boulè et de la Gérousia, les citoyens d’Ephèse et divers fonctionnaires. Les statuettes de Salutaris étaient destinées au « trésor » du temple d’Artémis, qui, comme tous les thesauroi de temples, devait être régulièrement grossi par des dons d’objets en métaux précieux, les uns importants, d’autres plus modestes.

74 Philostrate, V. Soph., I, n° 23, 527 fin : « Il y avait deux statues de lui (εἰκόνες) à Athènes, l’une sur l’agora, l’autre dans le petit bois sacré que, dit-on, il avait planté personnellement » (dans ce cas, Lollianos avait sûrement élevé à ses frais cette seconde statue). Il avait, semble-t-il, une troisième statue sur l’Acropole (selon IG II2, 4211). Le cas de Lollianos est instructif en ce qui concerne les évergésies qui valaient à leurs auteurs une ou plusieurs statues honorifiques. Lollianos (Publius Hordeonius Lollianus, PIR2 H 203) occupa la première chaire de rhétorique créée à Athènes (une chaire municipale qui précéda la création de la chaire impériale ou qui devint plus tard la chaire impériale, par un changement du mode de rétribution). En tant que stratège des hoplites (chargé des approvisionnements), il eut à calmer une émeute pour le pain (voir supra la n. 35). Un autre grand sophiste, Favorin d’Arles, eut au moins une statue à Athènes (Philostrate, I, n° 8, 490) et une autre à Corinthe (Corinthiacos, ci-dessous n. 126), qui, toutes deux, furent détruites au moment où il fut relégué à Chios par Hadrien.

75 Πρὸς δὲ τὸ φανερὰν γενέσθαι τὴν τε πρὸς τὴν πόλιν μεγαλοψυχίαν αὐτοῦ καὶ τὴν πρὸς τὴν θεὸν εὐσεβείαν... (IEphesus 27, l. 117-118 ; voir supra note 73).

76 La mention de ces vertus dans les “attendus” d’une dédicace ou d’un décret est, en principe, plus commune. Dans les inscriptions athéniennes de l’époque, les Romains honorés d’une dédicace le sont « pour leur mérite », « pour leur mérite et leur bienveillance » ou « pour leurs bienfaits » (ἀρετῆς ἕνεκα, ἀρετῆς καὶ εὐνοίας ἕνεκα, ou εὐεργησίας ἕνεκα) : IG II2, 4099-4229.

77 A titre de comparaison, on peut rappeler le don d’une Bibliothèque que Flavius Pantainos fit à sa cité d’Athènes (sur l’agora, juste au sud de la stoa d’Attale). La dédicace écrite sur le linteau, au dessus de l’entrée, montre l’ampleur des constructions dont on ne voit aujourd’hui que le plan et les vestiges (colonnades, salle principale et décoration, c.-à-d. revêtement des murs, sol, statues etc) : « A Athéna Poliade, à l’empereur César Auguste Nerva Trajan Germanicus et à la cité des Athéniens, le prêtre des Muses amies-du-savoir, T. Flavius Pantainos, fils de Flavius Ménandros, chef de l’Ecole, a dédié, sur ses propres ressources, avec ses enfants Flavios Ménandros et Flavia Secundilla, les stoas extérieures, le péristyle, la librairie avec les livres, ainsi que tous les embellissements qui s’y trouvent (τὰ ἔξω στοάς, τὸ περίστυλον, τὴν βυβλιοθήκην μετὰ τῶν βυβλίων, τὸν ἐν αὐτοῖς πάντα κόσμον, ἐκ τῶν ἰδίων, μετὰ τῶν τέκνων…ἀνέθηκε) (in R. E. Wycherley, The Athenian agora, Vol. III, Literary and Epigraphical Testimonia, 19732 : n° 464 = Agora Inscr. I, 848). Pantainos, archonte autour de 100 (IG II2 2017) est un quasi contemporain de Rufus et la titulature de Trajan, Nerva Germanicus, permet de dater la construction du début de son règne, entre 98 et 102.

78 Pantainos associe son fils et sa fille à la consécration de sa Bibliothèque (voir n. précédente).

Les femmes qui sont honorées d’une dédicace à Athènes, « pour leur prudence » ou « leur prudence et leur sagesse » (σοφρωσύνης ἕνεκα ou σοφρωσύνης καὶ σοφίας), sont souvent les filles d’un Romain illustre (IG II2, 4230-4255), certaines accédant même à la prêtrise d’Athéna Poliade. Exemple : IG II2, 4242, Ier s. p.C., « Julia Lépida, fille de Silénus Torquatus, ἱέρεια Ἀθηνᾶς Πολιάδος ».

79 Il n’y aurait pas non plus, dans les cités de Narbonnaise, d’exemple d’un culte adressé à la seule dea Roma (Pailler 1989, p. 187, citant A. Aymard et E. Demougeot).

80 A Rome, Minerve était une déesse officielle. Vénérée depuis très longtemps dans la Triade Capitoline, elle avait aussi, de façon autonome, ses propres temples. Avant Domitien, l’empereur “minervien”, Claude déjà fit frapper une grande quantité de monnaies au type de Minerve (Depeyrot 2014, p. 130-131). Sur Minerve en Gaule romaine, voir Mavéraud-Tardiveau 2016. En Gaule, le culte de la Minerve “romaine” semble s’être répandu d’autant plus facilement, comme culte officiel, que une ou plusieurs des déesses gauloises qui ont été assimilées à Minerve, étaient en grand honneur dans diverses régions. Comme chacun le répète, Minerve est la seule déesse que nomme César parmi les dieux gaulois (B.G. VI, 17). En Narbonnaise et dans les Trois Gaules, plus de cent statues et bas-reliefs et plus de quatre-vingts inscriptions ont été répertoriés. Le type iconographique, très conventionnel, est celui de la déesse gréco-romaine en armes, ce qui a pu faire penser que l’assimilation de déesses celtiques à Minerve a été relativement limité. Parmi les nombreuses inscriptions votives, figurent, dans la zone au sud de Toulouse, une inscription en l’honneur de Minerva Regina chez les Convènes (CIL XIII, 177, Lugdunum Convenarum/Saint Bertrand de Comminges), une autre à Minerva Belisama chez les Consorani (CIL XIII, 8, Saint-Lizier) - qui est peut-être la même déesse que la Βηλησαμα d’une inscription gallo-grecque de Vaison (photo in Goudineau 1998, p. 94). Ces deux inscriptions ont pu faire penser qu’une certaine concentration du culte de Minerve existait dans la civitas des Convènes et dans la civitas des Consorani, en Couserans, cette dernière rattachée à la province d’Aquitaine (le nom antique de Saint-Lizier n’est pas établi). Mais nous n’avons conservé qu’une seule inscription honorifique en l’honneur d’une prêtresse de Minerve, et encore est-elle dite « prêtresse de Minerve et de Diane » (sacerdos Minervae et Dianae, Antibes : Rémy et Mathieu 2009, p. 199). La vénération de Minerve semble parfois être liée au culte impérial : [Nu]minibus [A]ugu(storum… [Min]ervae sacrum, « Consacré aux puissances divines des Augustes et à Minerve » (Argentomagus/Argenton-sur-Creuse, in Mavéraud-Tardiveau, p. 368) ; Augu[sto ou bien [Numinibus] Augu[storum sacrum deae Miner]vae…(Nantes, très lacunaire, in Bedon-Mavéraud 2016 : Florian Blanchard, p. 501).

Sur l’existence possible d’un temple de Minerve à Toulouse, situé à la Daurade ou au Bazacle (supra n. 32), voir H. Molet 2001, J.-M. Pailler 2002, p. 298-299 et p. 301 (H. Molet). A supposer que le temple ait été bâti sous Domitien, l’épouse de Trébellius Rufus aurait pu faire partie des premières prêtresses. La mention de la prêtresse toulousaine d’Athéna sur l’inscription d’Athènes (s’il s’agit bien du nom de la déesse) montre bien que ce culte municipal de Minerve/Athéna est, à Toulouse comme ailleurs, un culte officiel. Sur la mise en place de ce culte à Toulouse, on ne peut, une fois de plus, que multiplier les hypothèses. La première est que, dans cette ville neuve, créée par Auguste et recevant le titre de Palladia sous les Flaviens, il s’agit du culte d’une Minerve “romaine”, pas de l’interpretatio romana d’une déesse indigène (ce qui n’empêche pas, bien sûr, l’existence, dans la cité, de cultes populaires semi-indigènes comme celui de Silvanus/Sucellus, dieux de corporations ou divinités locales des pagi, les subdivisions de la cité). L’adoption de ce culte officiel et la construction d’un temple de la déesse (s’il s’agit d’elle) ont une signification éclatante. On connaît, par exemple, par Pline l’Ancien (XXXIV, 45), la colossale statue de culte de Mercure que les Arvernes, dans la première moitié du Ier siècle, ont commandée, pour 40 millions de sesterces, au sculpteur grec Zénodoros, dans leur nouvelle capitale d’Augustonemeton/Clermont-Ferrand (le travail dura dix ans et c’est à Zénodoros que Néron confia ensuite la réalisation de son Colosse, qui donna son nom au Colisée). A Toulouse Palladienne, pour une Minerve officielle, les décurions auraient choisi avec soin le modèle de la statue de culte et le sculpteur. Et, puisqu’on est dans la pure hypothèse, on peut même imaginer une Minerve-Palladion ou une Minerve palladienne, une statue de culte de style grec archaïsant, comparable à la Minerve conservée de Limonum/Poitiers. L’archaïsme raffiné de la statue de Poitiers (dont la fonction est discutée) « convenait parfaitement au type de sacralité et de pietas voulu par le nouveau régime » [i.e. celui d’Auguste] (J. Hiernard 2016). La statue de Poitiers n’est pas datée de façon sûre dans le Ier siècle ; son style archaïsant a perduré.

81 J.-M. Pailler (1989, p. 187-188, 4.-La femme du flamine ») a montré à quel point la « constitution » organisant le culte impérial à Narbonne, qui émane directement de la chancellerie romaine (supra n6), attribue à l’épouse du flamine (uxor flaminis) une place éminente, reprenant le modèle du couple formé par le flamine et la flaminique de Jupiter à Rome : l’épouse du flamine de Narbonnaise « ne sera pas astreinte à prêter serment, elle ne touchera pas un cadavre (…) ; dans les spectacles publics de la province, une place (…) lui sera réservée ». Le chapitre d’Aulu-Gelle (X, 15) qui décrit le lien religieux unissant le flamine de Jupiter et son épouse, à Rome (le flamen Dialis et la flaminica Dialis), indique le caractère indissoluble de ce couple sacerdotal : « Si le flamine perd son épouse, il quitte sa fonction. Que le mariage du flamine soit rompu, si ce n’est par la mort, cela n’est pas permis ». Le chapitre présente aussi plusieurs règles et interdits immémoriaux qui entourent le couple : le flamen Dialis, par exemple, ne doit pas toucher de cadavre et on ne peut lui demander de prêter serment, pas plus qu’à une vestale (sacerdos Vestae ou vestalem). Le statut de l’épouse du flamine de Narbonnaise est quelque peu comparable aussi à celui de la grande Vestale, gardienne à Rome du Palladion, l’idole sacrée d’Athéna-Minerve. L’importance de sa position a fait penser à Rémy et Mathieu (2009, p. 130-131) qu’elle était elle-même une véritable flaminique (flaminica) « au moins chargée du culte des impératrices divinisées ». Mais Fishwick (1998, p. 88-89, réf. in note 21) objecte que, si la flaminique d’une province, elle-même élue par le conseil provincial, est normalement l’épouse du flamine provincial, il existe au moins un exemple (en Espagne Citérieure, la Tarraconnaise), où cela ne semble pas être le cas (CIL II, 4246) et un autre exemple où le mari n’a été élu flamine provincial qu’après la mort de sa femme flaminique (A.Ép., 1928, 197).

82 Ce groupe familial de trois statues est comme la “traduction grecque” des stèles ou reliefs en ronde-bosse gallo-romains qui représentent un homme entouré par sa femme et son fils (pour ce type de relief, cf. les deux exemplaires, reproduits par Rémy et Mathieu (2009, p. 90-91), de Saint-Ambroix et Langres : Espérandieu IX, 6692, et IV, 3265).

83 Un groupe familial de ce genre se trouvait, sur les marches du péristyle de la Bibliothèque de Pantainos. La Bibliothèque fut construite vers 100 (supra n. 77), mais le groupe est beaucoup plus tardif (on sait que le frère de l’épouse statufiée, Casianos Philippos, vivait vers 230, cf. J. M. Camp, The Athenian Agora, 19922, p. 196). Les inscriptions et statues honorant des femmes sont courantes à Athènes, mais elles sont personnelles (statues de prêtresses d’Athéna Polias ou autres ; nobles Romaines : IG II2, 4230-4255). Les membres d’une famille athénienne qui s’illustre sont plutôt représentés séparément. Voir, par exemple, Puech 2002 : n°252 (« A Aelia Cèphisodora…épouse du sophiste Julius Théodotos, qui fut stratège des hoplites, archonte roi et héraut de l’Aréopage…pour sa sagesse, son mérite et sa fécondité ») : l’époux, Théodotos, premier titulaire de la chaire impériale de rhétorique d’Athènes (lors de sa création, vers 174), eut de son côté sa statue, de même que le fils du couple (n°251 et 253) ; n°30, la femme du sophiste Valérius Apsinès (un ami de Philostrate, au IIIè s.).

84 Cette statue veillant sur le sommeil de l’empereur devait appartenir à l’un des types de représentation de la déesse. Le premier type iconographique auquel on pense est le Palladion, la statue mythique à laquelle la déesse devait son nom de Pallas Athéné. Depuis la Grèce archaïque, c’est une image de la déesse en armes, presque grandeur nature, debout, immobile, pieds joints, casquée, le bouclier au bras gauche et la lance brandie (cf. LIMC II, 1 et 2, « Athéna » 67-81 et 90-108 ; « Minerva », 227-235 et 236-252). La lance brandie aurait protégé le sommeil de l’empereur. Rappelons que le Palladion était censé être tombé du ciel à Troie et avoir été emporté en Italie par Enée. Sur des monnaies de César, visant à proclamer que les Julii descendent de Vénus, l’avers représente la tête de Vénus et le revers Enée (le père d’Ascagne/Iule), qui porte sur son dos le vieil Anchise son père (l’époux de Vénus) et qui tend devant lui le Palladion. La scène a une énorme signification symbolique : elle rappelle (avant même que l’Enéide soit écrite) non seulement que Rome est, à l’origine, une nouvelle Troie, fondée par l’ancêtre mythique de l’imperator, mais aussi qu’Athéna-Minerve est la patronne de Rome, comme elle le fut de Troie. Sous l’empire, le Palladion, fétiche et talisman protecteur, était toujours conservé précieusement à Rome, au cœur du forum romain, dans le temple de Vesta, véritable “foyer domestique” de la Ville, sous la garde de ses prêtresses (Domitien a puni de mort, à deux reprises, les Vestales, puis la grande Vestale, qui avaient failli à leur vœu de chasteté, mettant en péril la Ville et l’empereur : Suétone, V. Dom., 8, 4-5). C’était la plus précieuse de toutes les reliques, œuvres d’art, dépouilles et curiosités de toutes sortes qui étaient entassées dans les temples comme dans des musées (Rutledge 2012, p. 162-165, cf. R. Turcan, L’archéologie dans l’Antiquité, Paris, Les Belles Lettres, 2014).

L’autre type iconographique possible, avec ses nombreuses variantes, est celui de Minerve au repos ou en veille, en appui sur une jambe, l’autre jambe légèrement pliée. Voir, e.g., la Minerve du forum de Nerva (ci-dessous n. 91 et Fig. 3) et la Minerve figurant en pied sur les monnaies de Domitien (ci-dessous n. 93 et Fig. 4).

85 Selon Philostrate, Domitien, en se défendant contre son assassin, appela Athéna à l’aide (V. Apoll. Tyan. VIII, 25, 2 : ἐκαλεῖ δὲ καὶ τὴν Ἀθηνᾶν ἀρωγόν). Philostrate dit même que Domitien se disait fils d’Athéna (ibid. VII, 24). Quant au rêve prémonitoire de l’empereur, les représentations de Minerve sur un char sont assez rares dans l’art romain (LIMC II, « Minerva », 253, 255). Une autre version de ce rêve se trouve chez Suétone, V. Dom. 15, 7 : « Il rêva que Minerve, pour laquelle il avait un culte superstitieux (quam superstitione colebat), sortait de son sanctuaire <en pleurant ?> et en disant qu’elle ne pouvait pas le défendre plus longtemps, parce que Jupiter l’avait désarmée ». Les deux versions du rêve rentrent dans le cadre des messages oniririques envoyés par un dieu à un homme (depuis le temps de l’Iliade). Ce genre de rêve signale en particulier qu’un dieu tutélaire abandonne une ville menacée et “passe à l’ennemi” (exemple célèbre à Tyr in Plutarque, V. Alex. 24, 6-7). La version de Suétone est, en cela, la plus “orthodoxe” des deux : Minerve est, en quelque sorte, forcée de rallier le camp sénatorial, ennemi de Domitien. Cela explique que Nerva, le successeur “sénatorial” de Domitien, se soit approprié la déesse protectrice en donnant son propre nom au Forum transitorium construit par Domitien, sur lequel se dressait le nouveau temple de Minerve. Quant aux Athéniens ou aux Toulousains, il leur aura suffi de “rallier le camp de Nerva” pour conserver la protection d’Athéna-Minerve.

86Tu mihi, tu Pallas Caesariana, veni (VIII, 1, v. 4). Voir aussi les deux épigrammes ”albaines” : IX, 23 et 24 (le sculpteur qui reçoit la couronne de Pallas pour son portrait du Dominus).

87 Suétone, V. Dom. (4, 11). Dion Cassius (LXVII, 1) donne à ces fêtes annuelles le nom de Panathénées. Les Quinquatries étaient célébrées chaque année pendant cinq jours à partir du 19 mars « jour anniversaire de la naissance de Minerve » et les quatre derniers jours [sc. au temps d’Auguste] étaient consacrés à des combats de gladiateurs (Ovide, Fastes, III, 809-814 ; cf. Suétone, V. Aug., 71, 4-6). Mais Ovide rappelle (ibid., 5-8) que Minerve est aussi la déesse des arts libéraux. Un débat existe sur la Minerve que vénérait Domitien. Pour certains, c’est avant tout la déesse guerrière. Mais les empereurs, depuis Auguste, sont soucieux de leur double image de chefs de guerre triomphants et de protecteurs des arts et des lettres. Et Domitien plus que tout autre. Dans quelle divinité cette double fonction aurait-elle pu mieux s’incarner que dans Athéna ? Domitien a bien lu les Fastes d’Ovide : pour les Quinquatries, tandis que, les jeux donnés à Rome célèbrent la déesse guerrière, il crée, dans sa villa palatiale des Monts Albains, des Panathénées qui célèbrent aussi le rôle culturel de la déesse. Plus généralement, le souci de culture de Domitien ne peut qu’être lié à sa vénération d’Athéna. Il s’efforça, par exemple, de reconstituer les bibliothèques publiques détruites dans le grand incendie de Rome sous Néron, en 64, et dans le grand incendie du Champ de Mars sous Titus, en 80 (où disparut la bibliothèque du portique d’Octavie) : « il fit rechercher des exemplaires [sc. des ouvrages disparus] dans tout l’empire et envoya à Alexandrie une mission chargé de copier et de corriger des textes » (Suétone, V. Dom., 20, 3). Il surveille d’ailleurs de près la vie intellectuelle : selon Suétone (10, 2), il n’hésite pas à faire crucifier des libraires qui ont fait recopier l’ouvrage historique d’un certain Hermogène de Tarse (ce n’est pas le rhéteur surdoué de Philostrate).

88 Coarelli 1994, p. 56b. Le colosse est représenté aussi sur des monnaies. Il commémorait les victoires germaniques de l’empereur et dut être détruit dès 96. Ce colosse de Domitien pacator était différent de sa statue de Baïes (où son visage a été remplacé par le visage de Nerva), qui provient du sacellum des Augustales de Misène (découvert dans la mer en 1968). A Misène, l’empereur, sur le modèle de l’Alexandre au Granique de Lysippe, brandit une lance et son cheval est cabré (Museo archeologico dei Campi Flegrei).

89 Philostrate, V. Apollonios de Tyane, VIII, 16 : « Parmi les visiteurs venus d’Athènes [à Olympie, pour les Jeux], lorsqu’un petit jeune homme prétendit qu’Athéna était particulièrement favorable à l’empereur (νεανίσκου δὲ τῶν ἡκόντων Ἀθήνηθεν μαλ´εὔνουν τὴν Ἀθῆναν εἶναι τῷ βασιλεῖ φήσαντος)… ; et lorsqu’il prétendit que la déesse avait raison de le faire, puisque l’empereur avait été l’archonte éponyme d’Athènes (καὶ δίκαια πράττειν τὴν θεὸν φήσαντος, ἐπειδὴ καὶ ὁ βασιλεὺς τὴν ἐπώνυμον Ἀθηναίοις ἤρξεν)… », le Sage lui répond que les Athéniens, qui avaient autrefois honoré d’une statue les tyrannicides, « font désormais aux tyrans l’honneur d’être leurs archontes bel et bien élus (τυράννους λοιπὸν χαρίζονται τὸ κεχειροτονημένους αὐτῶν ἄρχειν) ». Ces visiteurs venus d’Athènes qui affluent à Olympie sont « les Athéniens les plus distingués et la jeunesse qui vient de toute la terre séjourner à Athènes » (οἱ ἐπικυδέστατοι Ἀθηναίων... καὶ νεότης ἡ ἐξ ἁπάσης τῆς γῆς Ἀθήναζε φοιτῶσα, c. 15, 2).

90 Suétone, V. Dom., 5, 2.

91 Il n’en reste aujourd’hui que deux colonnes, mais le temple était bien conservé jusqu’au début du XVIIè s. (cf. Coarelli 1994, p. 82-83). Une statue de Minerve figure sur l’attique. La déesse est de face, drapée dans une tunique et un ample manteau rejeté en arrière par-dessus l’épaule gauche, reposant sur la jambe gauche, la jambe droite légèrement pliée (Fig. 3).

92 Coarelli 1994, p. 190, 206 (la première église Santa Maria sopra Minerva, Piazza della Minerva, à côté du Panthéon, fut bâtie au VIIIè s. près des ruines du temple ; à Assise, une autre église Santa Maria sopra Minerva, également dédiée à la Sainte Vierge, a conservé la façade hexastyle d’un temple de Minerve Chalcidica également construit par Domitien ; pour une représentation possible de la Minerve Chalcidica de Rome sur une monnaie, cf. LIMC II, Minerva 201.) Deux autres temples de Minerve, à Rome, étaient dus à Domitien. L’un se trouvait dans le palais même, la superbe Domus Flavia du Palatin (Coarelli, p. 104). L’autre était sur le Forum romain, au sud du temple des Dioscures (Coarelli, p. 60).

93 Voir [in Geneviève 2000, p. 30 (Cat. n° 174) ; Pailler 2015, p. 196 ; ci-dessous Fig. 4] la photo d’une monnaie “fleur de coin” de Domitien trouvée à Ancely (Toulouse), datée de 93/94. Au revers, figure Minerve en pied, entourée d’une partie significative de la titulature de l’empereur qui s’identifie à elle : IMP(erator) XXII, COS(ul) XVI, CENS(or) P(erpetuus), P(ater) P(atriae) ; à l’avers, autour de la tête laurée, se trouve le début de la titulature : IMP(erator) CAES(ar) DOMIT(ianus) AUG(ustus), GERM(anicus), P(ontifex) M(aximus), TR(ibunicia) P(otestate) XIII). La déesse est représentée la tête de profil, le corps de trois-quarts face, casquée et armée de la lance, artistement drapée dans une tunique et un manteau dégageant l’épaule gauche, fièrement campée sur une ligne de sol et légèrement penchée en arrière, le bras doit retenant la lance et le bras gauche sur la hanche. La pose est si expressive que la figure pourrait s’inspirer d’une statue - pourquoi pas celle que Domitien conservait dans sa chambre ou celle que la colossale statue équestre de l’empereur présentait sur sa main gauche (ci-dessus n. 84 et 88) ?

94 C’est le vers 3 de la fameuse épigramme IX, 99.

95 C’est le nom proposé, exempli gratia, par J.-M. Pailler, sur le modèle d’autres fondations semblables, notamment les fondations d’époque flavienne (1988, n. 35, p. 108) : Avenches est, sous Vespasien, Colonia Pia Flavia Constans Emerita Helviorum foederata (CIL XIII, 5089) ; le chef-lieu des Tricastins [Saint-Paul-Trois-Chateaux] est Colonia Flavia Tricastinorum [v. Labrousse 1968, n. 42, p. 491-492], etc. Le modèle remonte à Auguste. Parmi les fondations ou refondations coloniales de « Jules le Père » (César) ou d’Auguste, Narbonne, la vieille Colonia Narbo Martius de Domitius Ahenobarbus (en 118) devient (après la deuxième déduction coloniale en faveur des vétérans de la Xème légion) Colonia Iulia Paterna Narbo Martius Decumanorum, avec Claudia qui entre dans cette titulature sous Claude ; Arles est Colonia Iulia Paterna Arelatensium Sextanorum. Aix, qui, en 122 (après la destruction d’Entremont, l’oppidum des Salyens/Sallaviens) a été fondée par C. Sextius Calvinus sous le nom d’Aquae Sextiae Sallaviorum, prend sous Auguste le nom de Colonia Iulia Augusta Aquae Sextiae. La titulature est parfois plus simple : Béziers, fondation de César ou d’Octave Auguste, est en abrégé CVIB, ce qui correspond au nom développé Colonia Urbs (ou Victrix) Julia Baeterrae (CIL XII, 4230, 4238).

Martial qualifie Toulouse de Palladia (IX, 99 « Marcus, gloire incontestée de Toulouse Palladienne ») exactement comme il appelle Narbonne Paterna (VIII, 72, 4 : docti Narbo Paterna Votieni, « Narbonne Paterna-patrie du docte Votiénus »). Et de même que le titre Paterna fait partie (en dehors du jeu de mots) de la titulature officielle de Narbonne, il semble bien que Palladia faisait partie du nom officiel de Toulouse, quel qu’en soit l’intitulé exact.

96 Ausone, Commémoration des professeurs de Bordeaux, 17, 7 ; Parentalia, 3, 1 ; Sidoine Apollinaire, VII-Panég. Avit., v. 436.

97 Sur Rufus, ἀρχιερεὺς πρῶτος, voir ci-dessus le commentaire des l. 6-7 de la base de l’Acropole.

98 Il transforma aussi en temple de la gens flavia la maison familiale où lui-même était né (Suétone, V. Dom. 1, 1 ; 15, 4).

99 Paradoxalement, on n’arrive pas à reconstituer le participe (?) s’achevant en -ινωμένης (ou -Λινωμένης) qui qualifie σεμνότητος. Il semble venir d’un verbe en -ινάομαι (ou -ινόομαι) et on attend un mot signifiant « vénérée » ou « vénérable ». On pense à ΤΙΜωμένης (ou ὑπερτιμωμένης), mais le mot semble faible.

100 Cf., e.g., Plutarque, De superst. 168d (τὴν τοῦ θεοῦ σεμνότητα) et V. Démétr. 2, 2 (βασιλικὴ σεμνότης). Pour le complément abstrait, cf. Isocrate, Démonicos, 6 (πλοῦτος κακίας μᾶλλον ἤ καλοκαγαθίας ὑπηρέτης ἐστίν).

101 Ce sens de ἴσος, proposé par Fishwick, est bien attesté à l’époque pour caractériser un magistrat équitable : cf. Plutarque, Préc. pol. 807a ou V. Thémist. 2, 5 : ἴσος ἅπασι. Cette qualité appréciée des administrés est un thème d’éloge. Pline, par exemple, loue l’intégrité (integerrime) avec laquelle Térentius Junior a rempli ses charges (Lettres, VII, 25, 2, ci-dessous note 103).

102 Sur la possibilité d’une carrière équestre provinciale de Rufus, voir supra « L’ensemble des l. 1-15 : c ».

103 Honestam quietem huic nostrae ambitioni dicam an dignitati constantissime praetulit (Pline le Jeune, Lettres, I, 14, 5). Pline consacre aussi une Lettre (VII, 25) à Térentius Junior, qui « après s’être acquitté avec une parfaite exactitude (integerrime) des charges militaires des chevaliers et même de la procuration de la province de Narbonnaise, s’est retiré dans ses terres et a préféré aux honneurs qui l’attendaient une vie de loisir parfaitement tranquille » (Terentius Iunior equestribus militiis atque etiam procuratione Narbonensis provinciae integerrime functus, recepit se in agros suos paratisque honoribus tranquillissimum otium praetulit). Pline est sidéré par sa culture et sa parfaite maîtrise du latin et du grec : « On dirait qu’il vit à Athènes et non dans son domaine » (Athenis vivere hominem, non in villa, putes). Les gens cultivés n’atteignaient pas tous ce niveau exceptionnel, mais il est clair que c’était l’idéal culturel des élites. Sur l’idéalisation culturelle de la Narbonnaise égalant ou dépassant ses maîtres romains, voir ci-dessous la n. 122.

104 Vers 3-4 : Marcus Palladiae non infitianda Tolosae / gloria quam genuit Pacis alumna Quies.

105 Rufus a connu et probablement fréquenté Antonius Primus, le glorieux général, qui, septuagénaire vers 90, sous Domitien, vivait toujours à Toulouse. Et il a au moins entendu parler du choix de Minicius Macrinus, princeps de l’ordre équestre dont lui-même faisait partie.

106 Le troisième exemple est le plus célèbre. C’est celui de Julius Agricola (40-93), le beau-père de Tacite. Le sénateur, originaire de Fréjus, qui fit ses études à Marseille, eut une éclatante carrière. Il fut très tôt légat d’Aquitaine (73-76), consul (76 ?), puis légat de Bretagne (77-84). Mais après ses (trop) brillants succès militaires en Bretagne et en Ecosse, il fut rappelé par Domitien et écarté, à quarante-quatre ans, de la vie publique. « Il s’enfonça (dit Tacite), dans le calme et la retraite, modeste dans son train de vie, affable dans ses propos… » (tranquillitatem atque otium penitus hausit, cultu modicus, sermone facilis…, V. Agr. 40,5). Il y avait été discrètement poussé par des confidents de Domitien (42, 3) : « Ils lui vantèrent le repos et la retraite (quietem et otium laudare) et offrirent leur aide pour faire agréer son refus » (le refus d’un nouveau poste de proconsul… que l’empereur ne voulait en aucun cas le voir occuper !) ».

Le quatrième exemple se trouve chez Dion Cassius (LVII, 11) : il s’agit de Lucius Proculus, « sénateur âgé qui vivait la plupart du temps à la campagne ». Domitien le força quelque temps à reprendre du service à ses côtés contre Antonius Saturninus, le légat de Germanie supérieure révolté (en 89). Il retourna vite dans ses terres et ne revint jamais auprès de l’empereur.

Le cinquième exemple est celui de Silius Italicus (26 ?-102) le poète et homme d’Etat influent dont Pline le Jeune (Ep. III, 7) nous a laissé la rubrique nécrologique : cet autre protecteur de Martial, consul ordinaire en 68, jouant un rôle politique en 69, proconsul d’Asie sous Vespasien, prit en Campanie une retraite dont rien ne put le faire sortir, « pas même le retour du nouvel empereur » (Trajan en 99).

Le sixième exemple est constitué, à un niveau socialement moins élevé et matériellement plus modeste, par le poète Martial lui-même (Marcus Valérius Martialis, ca 40-ca 104), dont nous avons le petit éloge funèbre de Pline (Lettres, III, 21) : ce fils « des Celtes et des farouches Ibères » (Epig. X, 78), né à Bilbilis en Tarraconnaise (près de Calatayud, province de Saragosse), qui vint à Rome en 64 et y resta trente-quatre ans, rentra en 98 dans sa patrie, qu’il idéalisait beaucoup depuis Rome (X, 96), dont il vante encore à Juvénal, après son retour, le calme paysan (XII, 18), mais où il semble s’ennuyer ferme, même en préparant son livre XII (« En un mot, tout ce que j’ai quitté par lassitude, je le regrette comme si j’en avais été dépouillé », XII, Dédicace, 3, cf. XII, 21).

Le septième exemple, plus hypothétique, est celui de Frontin (Sextus Iulius Frontinus, c. 35/40-c. 103). Probablement originaire de Narbonnaise (à cause de son nom), cet ami de Pline le Jeune et de Martial eut une brillante carrière politique et militaire sous Vespasien (il fut consul, puis légat de Bretagne en 76-78). Il fut peut-être encore en faveur auprès de Domitien jusqu’en 86. Mais on ne sait plus rien de lui pendant la dernière partie du règne, ce qui a fait supposer qu’il s’était retiré de la vie publique dans sa villa d’Anxur (Martial, X, 58), se consacrant à ses travaux littéraires, et notamment à la rédaction des Stratagèmes. Nerva le rappela en 96 et il devint un proche de Trajan.

Un huitième exemple, plus ancien (sous Néron) est signalé par Tacite (Hist., II, 86, 6-7), celui de Cornélius Fuscus, d’illustre naissance : « Dans sa prime jeunesse, par amour du repos, il avait renoncé à faire partie de l’ordre sénatorial » (Prima iuventa, quietis cupidine, senatorium ordinem exuerat) ; il reprit du service sous Galba et, nommé procurateur de Pannonie et Mésie, joua, en 69, un rôle non négligeable dans l’armée flavienne d’Italie, ce qui lui valut les insignes de la prêture en 70 (ibid. IV, 4, 5).

107 Sénèque (7,1), en bon philosophe, part (sans le nommer) de la pensée d’Aristote sur les trois genres de vie (Aristote, Ethique à Nicomaque, I, 5 ; X, 7, 4-9 sur le θεωρητικὸς βίος, la « vie contemplative »). Mais, en bon moraliste romain, défenseur d’un stoïcisme pratique, il montre que la contemplation ne doit pas être coupée de l’action, ni l’action de la contemplation (7, 3), que l’otium ne doit pas être subi, mais choisi (8, 1), et qu’il doit être mis, par l’écriture, au service de toute l’humanité (6).

108 Les philosophes ”professionnels”, soupçonnés d’hostilité au pouvoir impérial, ont mauvaise presse sous les Flaviens et Domitien finit par les exiler tous de Rome et d’Italie (Suétone, V. Dom., 10, 5 ; Dion Cassius, LXVII, 13).

109 Pline le Jeune consacre plusieurs de ses Lettres à décrire avec admiration la vie idéale que des amis âgés et retraités mènent dans leur domaine : III, 1 ; IV, 23 ; VII, 25 (voir supra note 103). Il est possible aussi qu’un certain “repli” des élites provinciales sur leurs domaines campagnards, en Gaule et en Narbonnaise, s’explique, en dehors de la volonté d’échapper aux charges municipales, par un désir d’explorer, à l’écart des incertitudes de la politique et de l’histoire, un champ “non civique” de la personnalité - un désir qui s’appuie sur un imaginaire bucolique ancien. Ces élites enracinées dans le terroir de leur cité font le choix d’une vie heureuse dans leurs villas rurales (cf. Goudineau 1998, p. 266-267). Sur ce bonheur des élites, qui affichent un épicurisme sage, voir les mosaïques d’Autun : ci-dessous note 120.

110 Tacite permet de comprendre que, dans le cas de Primus, le “choix du repos” fut quelque peu dicté par un manque d’enthousiasme de Vespasien à son égard. Le nouveau maître devait trop sa victoire à ce Toulousain, excellent général très populaire dans l’armée, qui parlait un peu trop de son rôle récent, qui aimait un peu trop l’argent et traînait une condamnation dans une vieille affaire.

111 Voir supra les notes 34 et 47.

112 Le jeune Domitien avait réussi à échapper au siège et à l’incendie du Capitole par les Vitelliens, puis à se cacher plusieurs jours (son oncle Sabinus, le frère aîné de Vespasien, fut capturé et tué) ; il rejoignit le quartier général des chefs d’armée de son père dès qu’ils furent maîtres de Rome, après de violents combats de rue (Tacite, Hist., III, 74, 1 ; 86, 8 ; Suétone, V. Dom., 1, 4-5). Vespasien ne rentra que beaucoup plus tard, à l’automne 70, de la guerre de Judée et d’Alexandrie.

113 J. H. Oliver in Hesperia XX, 1951, p. 348 ; D. J. Geagan, in A.N.R.W., II, 7, 1, 1979, p. 387.

114 Les nobles romains sont bilingues d’une manière quasi obligatoire. L’appartenance à la classe dominante est conditionnée par le fait d’avoir parcouru un cursus d’études gréco-latines : l’enseignement du grammaticus (le professeur de grammaire et de lettres de “premier cycle”), puis l’enseignement du rhetor (le professeur de rhétorique de “second cycle”), des enseignements qui reposent sur l’étude des auteurs grecs et latins. Le même système s’est immédiatement mis en place dans les provinces, notamment en Gaule et en Espagne. Il s’agit d’un véritable marqueur socio-culturel, qui permet (en principe) de distinguer, d’une part, vers l’extérieur de l’empire, les “Romains” du dedans et les Barbares du dehors (le critère ethnique du temps de la République est en voie d’extinction), et, d’autre part, à l’intérieur de l’empire, les couches dominantes “cultivées” et les masses populaires “incultes”, artisans, boutiquiers, paysans et esclaves. Dès le Ier s. av. J.-C., par exemple, la mode, dans la bonne société, étant à la bibliophilie, les plus riches possèdent deux bibliothèques, l’une d’auteurs latins, l’autre d’auteurs grecs. Trimalchion, le grotesque nouveau riche de Pétrone, se vante même d’en avoir trois. Sous l’empire, les grandes bibliothèques publiques, toujours latines et grecques, sont nombreuses, du moins à Rome.

115 Pour Vespasien, cf. Suétone, V. Vesp., 18-19.

116Hist. III, 3, 1 ; 20 ; 24, 32, 1 ; 60, 4-8.

117 Vespasien est agacé par les initiatives et l’ambition urgente de son fils cadet, éclatantes dès ses dix-huit ans, en 70 : Suétone, V. Dom . 2,2 ; Tacite, Hist., 51,5-52,4 ; Dion Cassius, LXVI, 2,3 ; 10,1 ; cf. Martial, IX, 101, 15-16.

118 Martial, X, 73 ; cf. IX, 99 ; X, 23 ; X, 32. Pailler 2016, p. 210.

119 Le gaulois était toujours parlé à Toulouse au Ier siècle. C’est Suétone (V. Vitellius, 18) qui nous apprend que « (Antonius Primus), qui était né à Toulouse [au début du règne de Tibère], avait porté dans son enfance le surnom de Beccus, ce qui signifie “Bec de coq” » ([Antonius Primus] cui, Tolosae nato, cognomen in pueritia “Becco” fuerat : id valet “Gallinacei rostrum”). Il s’agit bien d’un mot gaulois qui a fini par s’imposer en gallo-romain. Voir Delamarre 2003, s.v. beccos (p. 210). Le nom Beccō est attesté par ailleurs sur une inscription de la région de Toulouse : CIL XII, 5381 (une dédicace au dieu Silvain, le dieu au maillet, interprétation de Sucellus ; origine commingeoise probable). Au IIIè s. encore, dans un contexte différent, à un moment où les voyantes et devineresses se réclament du vieux savoir druidique, une « femme druidesse » (mulier Dryas) annonce sa mort à Alexandre Sévère (en 235) « en langue gauloise » (Gallico sermone) (Hist. Aug., V. Alex. Sev., LX, 6) ; et Aurélien, peu avant sa mort (275), consulte sur sa succession « les druidesses gauloises » (Gallicanas dryadas) - leur langue n'est pas précisée (H.A., V. Aur., XLIV, 4)

120 Lorsque Strabon, en 18 de notre ère, écrit le livre IV de sa Géographie, il fait, à propos de Marseille, un constat qui semble concerner toutes les cités de Gaule (chap. 1, 5) : à l’imitation de Marseille, où tous les citoyens de bonne famille s’adonnent à l’art oratoire et à la philosophie, et dont les écoles attirent les Romains les plus en vue, « (les Gaulois), vivant dans la paix, consacrent volontiers leur loisir à ce genre de vie studieux, et il ne s’agit pas seulement d’individus isolés, mais de leçons publiques : ils accueillent des sophistes qui sont rétribués les uns par des particuliers, les autres par la cité, comme les médecins » (<Οἱ Γαλάται>, εἰρήνην ἄγοντες, τὴν σχολὴν ἄσμενοι πρὸς τοὐς τοιούτους διατίθενται βίους, οὐ κατ´ἄνδρα μόνον, ἀλλὰ καὶ δημοσίᾳ· σοφιστὰς γοῦν ὑποδέχονται, τοὺς μὲν ἰδίᾳ, τοὺς δὲ [αἱ πόλεις] κοινῇ μισθούμενοι, καθάπερ καὶ ἰατρούς). Et, un peu plus loin (chap. 1, 14), après avoir parlé des violents Tectosages du temps passé, il évoque leur nouvelle vie de “civilisés” dans des termes semblables, qui impliquent une éducation “scolaire” : « Aujourd’hui où (…) ils disposent de loisir, ayant abandonné le métier des armes, ils exploitent activement leur contrée et développent la vie politique » (νῦν (...) ἄγοντες σχολὴν ἀπὸ τῶν ὅπλων, ἐργάζονται τὴν χώραν ἐπιμελῶς καὶ τοὺς βίους κατασκευάζονται πολιτικούς).

Rappelons que Lucien, dans ses débuts, vers la moitié du second siècle de notre ère, a été sophiste itinérant en Gaule et qu’il y a gagné beaucoup d’argent en enseignant la rhétorique (28-La double accusation, 27 ; 65-Apologie, 15 ; cf. 5-Héraclès). Dans l’Apologie, une fois devenu en Egypte, sur le tard, un fonctionnaire romain bien payé, il dit à son ami Sabinus : « Je serais fort étonné que tu blâmes ma vie actuelle, puisque ce serait blâmer un homme que tu sais avoir gagné jadis des salaires énormes pour ses leçons publiques de rhétorique, à l’époque où tu m’as rencontré, en allant voir l’Océan occidental tout en visitant la Celtique, moi qu’on comptait parmi les sophistes les mieux payés » (Σοῦ μέντοι καὶ θαυμάσαιμ´ ἂν ἐπιτιμῶντός μου τῷ νυνὶ βίῳ, εἴ γε ἐπιτιμῴης ὃν πρὸ πολλοῦ ᾔδεις ἐπὶ ῥητορικῇ δημοσίᾳ μεγίστας μισθοφορὰς ἐνεγκάμενον, ὁπότε, κατὰ θέαν τοῦ ἑσπερίου Ὠκεανοῦ καὶ τὴν Κελτικὴν ἅμα ἐπιών, ἐνέτυχες ἡμῖν τοῖς μεγαλομίσθοις τῶν σοφιστῶν ἐναριθμουμένοις). Comme Strabon (IV, 1, 14) dit de Toulouse qu’« (elle) est bâtie sur la section la plus étroite de l’isthme qui sépare l’Océan de la mer baignant Narbonne » et que Lucien parle de l’océan comme de l’Océan occidental (ἑσπέριος Ὠκεανός), et non l’Océan extérieur, il semble que Sabinus a pris le chemin le plus court vers l’Océan, par “l’isthme gaulois”, la route de l’Aude et de la Garonne depuis Narbonne, qui permet de rejoindre, par Toulouse, les civitates océaniques de la province d’Aquitaine, Bituriges, Santons, Pictons etc. L’autre route vers l’Océan, la route nord, beaucoup plus longue, était la route du Rhône, allant de Marseille vers Arles, Vienne, la capitale allobroge, Lyon, la “capitale fédérale”, et, au-delà, vers les cités de Lugdunaise et de Belgique et vers la (Grande) Bretagne. Notons au passage que Lucien parle bien de l’océan occidental, ce qui montre que sa “carte de la Gaule” n’est pas la carte ancienne de Strabon et Posidonios, pour qui l’océan constitue le côté nord du quadrilatère gaulois et les Pyrénées le côté ouest. Ce modèle a été supplanté par celui de Pline, qui redresse en partie la figure de la Gaule et connaît la position occidentale de la façade océanique. Bref, Sabinus, s’il gagnait l’Océan par la voie la plus courte, a pu rencontrer Lucien en train de donner des conférences en grec… à Toulouse ou à Bordeaux ! Mais Lucien ne nomme aucune des cités gauloises où il a travaillé.

Quant au témoignage (isolé) de Lucien, dans l’Héraclès (4), il présente un autre grand intérêt. Lucien dit avoir vu en Gaule un tableau représentant le dieu celtique Ogmios-Hercule comme un vieillard qui entraîne avec lui des hommes consentants et joyeux, grâce à des chaînettes d’or qui vont de sa langue à leurs oreilles. Un Celte instruit et parlant grec lui aurait expliqué ce que signifiait cet « Héraclès-le Discours ». Il importe peu, ici, que Lucien ignore ou réduise les puissances primitives d’un dieu gaulois mal connu de lui (et de nous), qu’il réinvente à son usage. Ce qui importe, c’est qu’il montre, avec cette image frappante, l’importance qu’avait l’éloquence pour les Gaulois (peut-être déjà inscrite dans le rôle essentiel que les druides donnaient à la parole dans leur enseignement). Certes, Lucien pensait probablement aussi au très renommé et très savant sophiste gaulois Favorin d’Arles (v. 80-v. 150), qui avait peut-être écrit sur Héraclès (cf. Plutarque, Quaest. Rom. 28, 271 B-C) et dont Aulu-Gelle dit (XVI, 3) : « Cet homme au langage d’une extrême douceur tenait mon âme sous le charme et je le suivais où qu’il aille, littéralement enchaîné à sa langue (quasi ex lingua prorsum ejus capti prosequebamur) ». Quoi qu’il en soit, il apparaît que l’ancienne tradition indigène d’éloquence n’a pu que favoriser l’étude et l’enseignement précoces de l’art oratoire par les rhéteurs gaulois (cf. Grimal 1981, p. 124-126). Certains d’entre eux étaient déjà fort célèbres dès le Ier siècle. La “magie” de l’art oratoire, aussi vieille que Gorgias et Platon, est naturalisée gauloise par l’image de Lucien. Il n’est donc pas étonnant que cette image d’Hercule-Discours ait eu en France, au XVIè s., un grand succès chez les penseurs et les graveurs et qu’elle ait servi de référence à Du Bellay dans sa Défense et illustration.

121 Tacite (Ann. III, 43) mentionne, à propos de l’occupation d’Autun par les insurgés de Sacrovir, « les rejetons de la plus haute noblesse des Gaules qui y étudiaient les arts libéraux » (nobilissimam Galliarum subolem liberalibus studiis ibi operatam).

A Autun, qui était la nouvelle capitale des Eduens (Augustodunum a succédé à Bibracte), ont été découverts (en 1965 et 1990) les étonnants panneaux de mosaïque de la “maison des auteurs grecs” (IIè s.). Y figurent le poète archaïque du vin et de l’amour, Anacréon, avec le texte grec des fgts 396 et 429 Page, PMG ; le philosophe Epicure, avec le texte de la Maxime capitale 5 Arrighetti ; et Métrodore, le disciple d’Epicure, avec le texte de la Sentence vaticane 14 Arrighetti d’Epicure. Ces panneaux montrent une excellente connaissance des auteurs grecs chez ces élites gauloises, une connaissance dont les élites de la Lugdunaise n’avaient pas l’exclusivité en Gaule et qui remonte certainement plus haut que le IIème siècle. Voir l’Annexe ci-dessous.

122Italia verius quam provincia, selon le mot de Pline l’Ancien (HN, III, 31). C’est une sorte de lieu commun sur les élites de Narbonnaise et chaque Romain distingué s’ébahit à son tour de leur culture grecque et latine (voir ci-dessus, n. 103, la Lettre que le neveu, Pline le Jeune, consacre à Térentius Junior).

123L. Statius Ursulus <Tolosanus celeberrime in Gallia rhetoricam docet>. L’ouvrage de Suétone est un Sur les professeurs de grammaire et de rhétorique dont la fin est perdue, avec 11 sur 16 des notices de rhéteurs. Mais les noms ont subsisté grâce à un Index précédant le texte dans le codex qui nous a rendu le début de l’ouvrage (ce codex du IXè/Xè s., retrouvé au XVè s. en Allemagne, est lui-même aujourd’hui perdu). La phrase ajoutée, qui fait du L. Statius Ursulus de l’Index un Toulousain de l’époque de Néron, est tirée de la traduction latine faite par Jérôme de la Chronique d’Eusèbe : Jérôme a ajouté au texte d’Eusèbe de brèves indications qu’il est allé chercher dans l’ouvrage de Suétone. Le texte latin exact de Jérôme est : Statius Surculus, Tolosanus etc (Saint Jérôme, Chronic., ad ann. Abrah. 2073 = Patrologie Latine, XXVII, c. 452). Cassiodore, à son tour, dans sa Chronique, reprend l’indication, sous la forme : Ursulus, Tolosensis etc (Chronicon 673, édit. Mommsen, Monumenta Germaniae Historica, Auctores Antiquissimi, XI, 1893, p. 138). Le souvenir d’Ursulus, beaucoup célébré depuis la Renaissance, est suspendu à la répétition mécanique (sauf pour le cognomen) d’une indication très mince.

A cause du nom Statius Surculus, on a imaginé, dès le temps de Lactantius Placidus (Vè s.), que le poète Stace était toulousain. Au XIII è et XIV s., Dante le répète (Purg. XXI, str. 30) et Boccace aussi (Amorosa visione, c. V : E Statio di Tolosa ancora caro…), comme le feront les premiers chroniqueurs toulousains. Stace n’est pas seul. Les chroniqueurs répètent aussi, probablement à cause du nom du grammairien Virgile de Toulouse (vers 600 de notre ère) que le poète Virgile a été formé à Toulouse par les grammairiens de Pech David antique. La légende peut remonter fort loin et certaines élucubrations de ce Virgile de Toulouse lui-même annoncent les élucubrations des chroniqueurs toulousains (voir D. Tardi, Les Epitomae de Virgile de Toulouse, Essai de traduction critique, Paris, Boivin, 1928, spéc. le c. XV, p. 126, « De catalogo grammaticorum »).

124 Voir, sur Ursulus, Labrousse 1968, p. 506-507. Les tria nomina du rhéteur prouvent qu’il était citoyen romain. Mais même son cognomen n’est pas sûr, puisque, sur vingt-trois copies du codex archétype de Suétone (aujourd’hui perdu), dix-huit donnent la leçon Ursulus (une lectio facilior, puisque le nom est commun), quatre la leçon Ursilus et une, enfin, la lectio difficilior Uesulus. Il est possible que le manuscrit archétype perdu ait porté la leçon Uesulus. Comme me le fait remarquer J.-M. Pailler, on ne peut donc exclure qu’il s’agisse d’un cognomen gaulois formé sur le thème uesu-, dont dérivent des noms propres comme Uesus, Uesuccius, Uisurio etc (cf. Delamarre 2003, s.v. uesu,“valable, bon, digne de”, p. 318). Cela dit, Vesulus n’est connu que comme nom de montagne (le Mont Viso), alors qu’Ursulus est le nom qui figure chez Cassiodore et un nom bien attesté par ailleurs (c’est notamment le nom d’un professeur de grammaire ami d’Ausone, à Trèves… ce qui a pu jouer en faveur du choix de ce nom pour le rhéteur toulousain du Ier s. !).

Ursulus peut prendre place parmi les célèbres orateurs, avocats et professeurs gaulois du Ier siècle dont les noms et parfois la carrière sont bien connus, parce qu’ils sont allés exercer brillamment leur activité à Rome : sous Tibère, Votiénus Montanus, né à Narbonne (selon St Jérôme), qui est l’ami de Sénèque le Père (Controv. IX, Préf. 1 ; 5, 15 ; et passim) et qui fut exilé en 24 (Tacite, Ann. IV, 42) - Narbonne où brille, sous Domitien, son fils ou son petit-fils (Martial, VIII, 72, 5-6) ; en 44 ou autour de cette date, P. Clodius Quirinalis, d’Arles, qui enseigne la rhétorique à Rome (selon Jérôme) ; depuis le règne de Tibère jusqu’à celui de Néron, Gn. Domitius Afer, de Nîmes, dont le talent est admiré par Quintilien et Tacite jeune (mais dont l’arrivisme est fustigé par le Tacite des Annales, aux livres IV et XIV, et par Dion Cassius, au livre LIX, 19-20) ; sous Néron, Julius Africanus, que loue Quintilien (X, 1, 118 ; VIII, 5, 15) et dont Julius Secundus écrivit l’éloge (selon Tacite jeune) ; enfin les deux maîtres que le jeune Tacite met en scène, à la date de 75, dans le Dialogue des orateurs (cf. II, 1), Marcus Aper, « né dans une cité fort peu en faveur », qui n’est pas identifiée (7,1), et Julius Secundus, qui fut un ami fidèle de Quintilien (X, 1, 120 ; 3, 12). La Narbonnaise ou la Gaule du Ier s. formaient assez de professeurs pour pouvoir en exporter à Rome. Et aussi l’Espagne Citérieure ou Tarraconnaise, patrie de Quintilien, le maître des études de rhétorique à Rome sous Vespasien, patrie aussi de Martial.

125 Cf. Grimal 1981, p. 126-127.

126 Il suffit, pour s’en rendre compte de lire les mots que Favorin d’Arles, quelque trente-cinq ans plus tard, dans un auto-éloge qui, sur la plan de la rhétorique, est un modèle de l’“asianisme” gaulois, prête à sa propre statue à Corinthe (Discours aux Corinthiens, 27) : « Voilà justement la mission pour laquelle il (Favorinos) semble avoir été fait par les dieux comme à dessein : auprès des Grecs, pour que les indigènes de Grèce aient en lui la preuve que, pour être considéré comme Grec, il n’y a aucune différence entre l’éducation et la naissance (ἵνα ἔχωσιν οἱ ἐπιχώριοι τῆς Ἑλλάδος παράδειγμα ὡς οὐδὲν τὸ παιδευθῆναι τοῦ φῦναι πρὸς τὸ δοκεῖν διαφέρει) ; auprès des Romains pour éviter que, s’abritant derrière leur rang, ils ne dédaignent l’éducation en considération de leur rang ; auprès des Gaulois, pour qu’absolument aucun Barbare, en ayant sous les yeux son exemple, ne refuse l’éducation grecque ». L’Arlésien aurait pu prêter le même discours aux statues du Toulousain à Athènes (qu’il a pu voir).

Cette mosaïque de cités-peuples qu’est devenu l’empire romain, espace “mondialisé” où l’empereur garantit la domination des riches ou richissimes oligarchies (si elles jouent le jeu), la paix intérieure entre les peuples et la paix civile dans les cités, a pour ciment idéologique, avec le culte impérial, la παιδεία, la culture gréco-romaine partout adoptée, de l’Atlantique au Proche-Orient, par des élites qui sont socialement unifiées (tout en restant fières de leur tribu et de leur cité, leur “petite patrie”). Le personnage de Rufus est, pour les “patries gauloises”, emblématique.

127 De ce “moment hellénisant” à Toulouse et, plus généralement, de l’attachement des élites de la cité à la culture hellénique qui les valorise et les distingue, témoigne aussi le colossal tronçon de relief représentant une Amazonomachie, le combat des Grecs et des Amazones (il fut récupéré dans le quai en 1709, dans le même secteur que les morceaux de colonnes et fragments architecturaux apparus en 1613 au Bazacle, supra n. 32). Le tronçon, appartenant peut-être à un monument funéraire, est difficile à dater, mais il semble bien être du Ier siècle de notre ère (entre l’époque d’Auguste et la fin du siècle).

Quintus Trébellius Rufus est un Toulousain qui, à Athènes, à la fin du Ier s. de notre ère, fut honoré par le Conseil de l’Aréopage et la Boulè de deux statues sur l’Acropole et d’un groupe familial sur l’agora. Les trois bases portent une dédicace qui donne une liste des fonctions remplies par ce personnage à Toulouse, à Rome et à Athènes (il était citoyen romain et citoyen athénien), dédicace suivie, sur la base de l’agora par deux Lettres, l’une de l’Assemblée provinciale de Narbonnaise (illisible), l’autre du Conseil municipal de Toulouse. Les bases de l’Acropole ont été découvertes « entre les Propylées et le Parthénon »1. La base de l’agora se trouvait, semble-t-il, en face du Métrôon, au bord de la route nord-sud (elle a été reconstruite à l’extrémité nord du long monument des Héros éponymes). Par ailleurs, un long bloc de marbre, découvert en 2001, porte une dédicace où on lit le nom Rufus (Ῥοῦφον) : le dédicataire ou le dédicant était peut-être à nouveau Trébellius Rufus2.

Les textes figurant sur les bases sont conventionnels, comme tous les textes honorifiques sur pierre. Leur contenu les rend pourtant exceptionnels. Ils constituent le seul témoignage direct sur un notable de Toulouse au début de notre ère et le témoignage le plus significatif sur Toulouse à cette époque. Celui de l’agora est le seul où on entende en quelque sorte directement (mais en grec) la voix des autorités toulousaines de ce temps lointain.

Date : 91/2 ou 92/3 de notre ère.

TEXTE3 ET TRADUCTION

Les deux bases de l’Acropole [IG II2 4193 A et B] (Fig. 1)

Les deux bases, connues depuis les premières fouilles de l’Acropole, portent le même texte et se complètent (A est cassée et la partie gauche de B a disparu). Le texte a pu être intégralement reconstitué (ici le lignage est celui de la base A).

 

Ή ἐξ Ἀρείου πάγου βουλὴ καὶ

ἡ βουλὴ τῶν ἑξακοσίων

καὶ ὁ δῆμος ὁ Ἀθηναίων

 

Κόιντον Τρεβέλλιον Ῥοῦφον

Κοίντου υἱὸν Λαμπτρέα, ἀρχι-

ερέα πρῶτον ἐπαρχείας τῆς

ἐκ Ναρβῶνος, καὶ ὕπατον Και-

νεινῆνσιν ἱερῶν δήμου Ῥωμαί-

ων, καὶ πάσαις τειμαῖς ἐν τῇ

πατρίδι Τολώσῃ τετειμημέ-

νον, καὶ ἄρχοντα ἐπώνυμον

ἐν Ἀθήναις, καὶ ἱερέα Δρούσου

Ὑπάτου, καὶ ἱερέα Εὐκλείας καὶ

Εὐνομίας διὰ βίου, καὶ χρυσοφο-

ρίᾳ διὰ βίου τετειμημένον καὶ

ψηφίσματι ἀναθέσεως ἀνδρι-

άντων καὶ εἰκόνων ἐν παντἰ να-

ῷ καὶ ἐπισήμῳ τῆς πό[λ]εως [τ]ό-

πῳ, μεγαλοψ[υ]χ[ίας καὶ ἀρετῆς]

[κ]αὶ εὐνοίας [τῆς εἰς ἑαυτούς].

 

Le Conseil de l’Aréopage

le Conseil des Six-cents

et le peuple des Athéniens.

 

Quintus Trébellius Rufus,

fils de Quintus, du dème de Lamptrai,

premier grand-prêtre de la province

de Narbonnaise, prêtre suprême

Caninensien pour les rites du peuple des Romains,

honoré de tous les honneurs dans sa

patrie, Toulouse,

archonte éponyme

à Athènes, prêtre de Drusus-

Très haut, prêtre d’Eucléia et

d’Eunomia à vie, honoré à vie

du droit de porter des vêtements d’or ;

selon le décret autorisant la consécration

de statues et d’images dans tout

temple ou lieu insigne de la cité,

à cause de sa grandeur d’â<me, de son mérite>

et de sa bienveillance <à leur égard>.

La base de l’agora (Fig. 2)

Quarante-huit fragments inscrits (dont un non jointif) et beaucoup d’autres non inscrits d’une base en marbre pour trois statues ont été découverts par la fouille américaine en 1933, dispersés autour du Métrôon. Publiée en 1941, la base porte les débris d’un texte très mutilé en trois parties. La partie supérieure, en grandes capitales, porte un texte identique aux textes de l’Acropole, sauf pour les trois lignes finales en l’honneur de l’épouse [?] et du fils de Rufus. Les deux textes de la partie inférieure, écrits côte à côte en petites capitales, sont deux Lettres, l’une adressée par l’Assemblée provinciale de Narbonnaise aux deux Conseils d’Athènes, l’autre adressée par le Conseil municipal de Toulouse à ces mêmes Conseils d’Athènes. L’addition de telles Lettres à une dédicace semble rare (il n’y en a pas d’autre exemple à Athènes, pour les Romains, dans les IG II2, 4099-4192).

 

Base de l'Agora

I. Partie supérieure : la dédicace (lignes 1-10)

(Les lignes 1-7, très fragmentaires, reprennent à l’identique les l. 1-18 de la base de l’Acropole et, seules, les l. 6-7 sont reproduites ici. Les lignes finales 8-10 sont nouvelles).

6 [καὶ χρυσ]οφο[ρίᾳ δ]ιὰ β[ίο]υ τετειμημένον καὶ ψηφίσματι ἀ[ναθέσε]ως ἀ[νδριάντων]

7 [καὶ εἰκό]νω[ν ἐν παντἰ ναῷ καὶ ἐπισήμῳ τῆ]ς [πόλεως τόπῳ - - - - - - - - - - - - ]

8 [ - - - -] Τρε[βελλίου Ῥο]ύφου γ[υν]αῖκ[α ἱ]έρειαν [ἐν Τ]ολώσῃ θεᾶς [Ἀθηνᾶς - - - -]

9 [ - - - -] Τρε]βελλ[ί]ον Ῥού[φ]ον Μάξιμ[όν] υἱὸν [τοῦ Τρ]εβελλίου Ῥ[ούφου, φιλίας τῆς]

10 εἰς [τοὺς Ἀθηνα]ί[ους

Ligne 8 Ἀθηνᾶς Aymard : Ῥώμης Oliver Σεβαστῆς (i.e. Livia, Augusti uxor) vel Ἀντωνίας (i.e. Antonia Minor, Drusi uxor) suspicor.

6 honoré à vie du droit de porter des vêtements d’or ; selon le décret autorisant la

consécration de statues

7 et d’images dans tout sanctuaire ou lieu insigne de la cité,

8 […] <épouse> de Trébellius Rufus, prêtresse à Toulouse de la déesse <Athéna>

9 […] Trébellius Rufus Maximus, fils de Trébellius Rufus, <pour son amitié>

10 à l’égard <des Athén>i<ens>.

 

Partie inférieure gauche : Lettre de l’Assemblée provinciale de Narbonnaise (lignes 11-28)

(Les lignes 15-28, dont ne subsistent que de rares mots lisibles, ne sont pas reproduites ici. Signalons la présence des mots ]ναῷ en bout de l. 20 et ]ψηφισ[ (probablement ψήφισμα ou ψηφίσματι) dans l’avant-dernière ligne de la Lettre.

11 [Τὸ κοι]ν[ὸν Να]ρβωνητῶν ἐπαρχείας [τῇ ἐξ Ἀρείου Πά-]

[γου β]ου[λῇ καὶ τ]ῇ βουλῇ τῶν [ἑξ]ακοσίων

χαίρειν

14 [ . . . ]ν[. . . . . . . ἀρ]χιερέα πρῶτο[ν ἡμ]έτερο[ν - - - - - - - - ]

11 L’Assemblée de la province des Narbonnais <au Conseil de

l’Aréopage> et au Conseil des Six-Cents

salut

[14 …] notre premier grand-prêtre […]


Partie inférieure droite : Lettre de l’assemblée municipale de Toulouse (lignes 29-47)

(Les lignes 41-45, dont ne subsistent que des mots épars, ne sont pas traduites ni interprétées. Le fragment écrit non jointif n’est pas reproduit.)

29 [Οἱ] ἄρχον[τες καὶ] ἡ [β]ουλὴ Τολωσί[ων τῇ ἐξ Ἀ]ρείου Π[άγου βουλῇ κ]αὶ τῇ βουλῇ τῶν ἑ[ξακοσίων καὶ τῷ δή-]

30 μῳ τῷ [Ἀθηνα]ίων [χαίρειν]

Πλειστ[ὴν ὑμεῖν] χάριν ο[ἴ]δαμεν α[. . .]ασικ[ . . . . . . ca. 12 . . . . . . . Τ]ρεβελλίου Ῥο[ύφου . . . . . . .ca. 11. . . . . . . . .]

Τὰς γ[ινομένας τ]ιμὰ[ς] εἰς δι[άκοσμ]ον τῆς ἡμ[ετέρα]ς δόξης ἐ[πιγ]εινώσκομε[ν . . . . . . . . . .ca. 14 . . . . . . . . . . .]

αυτο[ . . . . . . . . . . . . . . ]νκΙ[ . . . ]αβ[ . . ] ν οἵους ἀνασ[τέφ]οντες ἐπα[νίε]σαν καὶ χρυσ[οφορίαν . . . . . ca. 10. . . . . . .]

[ - - - - - - - - - - - - -]θασεν · [ε]ἰς κοινὴν τοίνυν εὐκλείαν ὁ ἡμ[έ]τερος Ῥοῦφος [- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -]

[ - - - - - - - - - - - - -]δε καὶ Ῥ[ού]φῳ ὅτι εἰς ἅμιλλαν πόλεων φιλεῖτα[ι]· εἰς γἀρ ταύτας τ[ὰς - - - - - - - - - - - - - - - -]

35 [ - - - - - - - - - - - διεκ]όσμησεν, οὐ παρ´ ἡμεῖν δὲ μόνον ἐπιφανὴς ἀλλὰ καὶ ἐν λα[ις ἐπαρχείαις - - - - - - - -]

[ - - - - - - - - - - - - - ]Λινωμένης σεμνότητος ἴσος ὑπηρέτης [κα]ὶ τῶν Σεβα[στῶν - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -]

[ - - - - - - - - ]Η[.] ΣΔ[. δι]ηνεκῆ ἱεροσύνην τειμᾶται τὸ λοιπὸν α[ὐ]τῷ τῆς εὐδοξ[ίας - - - - - - - - - - - - - - - - - - -]

[ - - - - - - - - - -]ροτη[ - - - ]Τ[- - - -κ]εράσαντες ἔσχη[νται] καὶ συνκλητ[- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -]

[ - - - - - - Ῥωμαίω[ν - - - ]σθα[- - - - - - - - - - -ἐ]πε[θ]ύμησεν ἡσυχίαν ι[- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -]

40 [ - - - - - - ]υς ἡμῶ[ν- - - - - σα[.]ου[- - - - - - - - - - - -] ἐπορίσατο ἀσπ[- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - ]

[. . . . . . . . ]ΤμαΛΟ[. .3-4. .]νταστερου[ . . ] κα[- - - - - - - - ]κης εἰς τὴ[ν κοι[νἠν - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -]

[- - - - - - - - - - -]ος δεχομ[. .>3-4. . ] τον τ[- - - - - - - - -] κα[ὶ] Ἀθηναιο[- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - ]

[- - - - - - - - - - - ]τελεσαν[. .3-4. . ]τ[.]ν[ - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -]

[- - - - - - - - - - - - ]ου[.]πΛ[ - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -]

Ligne 32 ἐ[πιγ]εινώσκομεν L. Robert : ἐ[γγ]εινώσκομεν Oliver | 33 ἐπα[νίε]σαν Oliver : ἐπή[ινε]σαν coni. Fishwick | χρυσ[οφορίανscripsi : χρυσ[οφορία Oliver| 36 ὅλα[ις ἐπαρχείαις Oliver : ὅλη[ι τῆι ἐπαρχείαι Robert | 37 ]ΛιΝωμένης : ΤιΜωμένης suspicor.

 

29 Les magistrats et le Conseil des Toulous<ains au Conseil de l’A>réopage, au Conseil des <Six-Cents et au peu->

30>

ple <des Athén>iens, <salut

Nous vous savons un gré extrême [. . . . . . . . . . . . . .] de Trébellius Rufus [. . . . . . . . . . . . . . . . . . . ]

Nous <reconnaissons> que les honneurs <décernés> contribuent <à orner n>otre réputation [. . . . . .]

[. . . . ] tels que, en le couronnant, ils lui ont concédé aussi la chrysophorie [. . . . . ]

35 [. . . . . . . . . . . . . . ] C’est donc vers une gloire commune que notre Rufus [. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ]

[. . . . . . . . . . . . . . .] et pour Rufus, le fait qu’il est aimé au point de susciter une rivalité entre cités. Car

pour ces […]

[. . . . . .] a été un ornement, et ce n’est pas seulement chez nous qu’il est un personnage éclatant mais

dans <des provinces> entières[. . . . . . . .]

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . un juste serviteur de la majesté <de… ?> et des Augu[stes . . . . . . . . . . . . . . . .]

[. . . . . . . . . ] il est honoré de la prêtrise perpétuelle pour le restant? de sa gloire [. . . . . . . . . . . . . . . . ]

[. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . <en mêlant…> et le Sénat [. . . . . . . . . . . . . . . . .]

40 [. . . ] des Romains [. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ] il a désiré le repos [. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ]

COMMENTAIRE EXPLICATIF

Bases de l’Acropole

L’ensemble des lignes 1-15 : a) l’ordre des fonctions dans le texte

Le texte des deux bases attribue à Trébellius Rufus une double série de fonctions politiques et religieuses, les unes en Narbonnaise et à Rome, les autres à Athènes. Il est généralement admis (notamment par D. Fishwick) que les deux séries sont rangées selon un ordre chronologique, qui ne peut être qu’un ordre chronologique inverse, le flaminat de Narbonnaise et l’archontat d’Athènes étant, dans chaque série, la fonction la plus récente en même temps que la plus haute. Mais, s’il est vraisemblable que l’ensemble des fonctions athéniennes ait suivi dans le temps l’ensemble des fonctions “latines”, l’ordre de préséance aussi imposait, au moins autant que la chronologie et la géographie, de les présenter en second. De même, dans chacune des séries, la chronologie n’est pas le seul principe d’ordre. Dans la série latine, il semble impossible de savoir si le sacerdoce du Latium est antérieur au flaminat de Narbonnaise, ou même à la totalité des fonctions municipales à Toulouse : ce qu’on sait par ailleurs de carrières équestres qui se déroulent entre la Narbonnaise et Rome (Rufus est chevalier) laisse planer l’incertitude. Dans la série athénienne, l’archontat et la prêtrise de Drusus sont souvent exercés ensemble, dans la même année (comme on le verra). Quant à la prêtrise à vie d’Eucléia et d’Eunomia, on peut, certes, admettre que Rufus ne l’a assumée qu’après son année d‘archontat. Mais, de toute façon, puisque l’ordre chronologique n’est pas évident pour le lecteur de l’inscription, ce sacerdoce ne pouvait être mentionné qu’après le prestigieux archontat.

Considérons l’ensemble du dispositif, dans l’ordre d’apparition de ses différents éléments :

- au début, l’identité de Quintus Trébellius Rufus (l. 4-5) : sa citoyenneté romaine (les tria nomina), puis sa citoyenneté athénienne (le dème athénien) ;

- en tête des titres, deux fonctions religieuses “latines”, classées par ordre d’importance (l. 6-8) : tout d’abord, le sacerdoce provincial du culte impérial, puis un antique sacerdoce de la confédération latine dont le centre doit être Albe (le lieu où aime séjourner Domitien) ;

- vient alors, comme un socle des hautes fonctions “latines”, le rappel du cursus municipal à Toulouse, à l’aide d’une formule qui est la traduction en grec de la formule utilisée dans les inscriptions latines (l. 9-10) ;

- suit la liste des fonctions athéniennes (l. 11-15), classées, elles aussi, par ordre d’importance : la fonction politique la plus haute, puis les deux sacerdoces, le sacerdoce impérial de Drusus, lié à l’archontat, et le sacerdoce civique “athénien” d’Eucléia et Eunomia ;

- enfin les honneurs décernés, privilège et statues.

Il y a une sorte de symétrie, entre les fonctions “latines” et les fonctions “grecques” : du côté “latin”, la prêtrise du culte provincial de l’empereur (a), la “présidence” des prêtres caninensiens du Latium (b), les magistratures toulousaines jusqu’à la plus haute (le quattuorvirat ou le duovirat) (c) ; du côté “grec”, la plus haute magistrature athénienne, l’archontat (c), la prêtrise d’un culte impérial consacré à Drusus (a), la prêtrise d’Eucléia et Eunomia (b).

On peut s’expliquer que la symétrie ne soit pas parfaite :

- d’un côté, le flaminat provincial et la prêtrise latine constituent un “bloc religieux”. De plus, il peut exister entre les deux sacerdoces un lien caché plus subtil : comme les deux cultes, à Narbonne et à Albe, existent tous deux par la volonté de l’empereur régnant (Domitien, ou Vespasien puis Domitien), réorganisés ou valorisés par lui, les deux premiers titres de Rufus mettent en exergue la nouvelle politique religieuse impériale. Que le cursus “local” de Rufus à Toulouse ne soit mentionné qu’après sa fonction de flamine provincial, est, par ailleurs, en stricte conformité avec le code des inscriptions latines de Gaule, où la mention « omnibus honoribus in patria functus » vient toujours après la mention d’un grand sacerdoce provincial ou fédéral ;

- de l’autre côté, à Athènes, l’archontat et la prêtrise de Drusus semblent former un bloc de deux fonctions indissociables ou souvent exercées ensemble. Et le culte du personnage appartenant à la famille impériale passe avant le culte civique purement athénien.

Il y a aussi une unité idéologique profonde entre les deux ensembles : d’un côté comme de l’autre, les fonctions politiques sont étroitement liées aux fonctions religieuses. La religion sert à enraciner le politique dans le plus lointain passé. C’est vrai pour la prêtrise latine, qui est censée remonter à un passé immémorial. C’est vrai pour la prêtrise d’Eucléia et Eunomia : deux entités qui symbolisent, à Athènes, le bon ordre et la gloire aristocratiques ; un culte qui se réclame de Marathon (selon Pausanias), et non de Salamine, c’est-à-dire de la victoire au corps à corps remportée par les hoplites, les fantassins appartenant aux premières classes censitaires, et non de la victoire remportée par les rameurs de la flotte appartenant à la dernière classe. C’est vrai pour les cultes “modernes”, la prêtrise de Drusus, qui répond au flaminat de Narbonne. Le culte impérial en particulier, culte de l'empereur régnant et de sa dynastie, mais aussi culte de personnalités divinisées de la famille impériale, comme Drusus, est une religion officielle et universelle. Municipal et provincial, investissant partout l’espace public, il garantit l’ordre politique et social et l’ordre religieux (les cultes des cités).

L’ordre dans lequel sont énumérées les fonctions ne doit donc rien au hasard. Mais le principe organisateur n’est pas chronologique. L’ordre est “démonstratif”, hiérarchique et politico-religieux, aussi bien entre les deux séries qu’à l’intérieur de chacune d’elles.

L’ensemble des lignes 1-15 : b) les problèmes de datation

Puisque le texte des bases ne fournit aucune date, ce n’est que du dehors qu’on peut tenter de reconstituer la carrière de Rufus. A quelle date occupe-t-il les différentes fonctions énumérées, en particulier les deux plus hautes, le flaminat de Narbonnaise et l’archontat d’Athènes ? Comment se succèdent dans le temps les diverses fonctions ? Pour l’archontat, une datation précise est possible ; pour la date du flaminat provincial, le créneau est beaucoup plus large.

- Pour dater l’archontat athénien de Rufus, il faut tenir compte de la date de l’archontat de Domitien, car il est raisonnable de penser que l’archontat de Rufus - le moment où le Toulousain est honoré à l’égal de l’empereur -, se situe après l’archontat de l’empereur. Domitien est le premier des empereurs à avoir accepté ou à avoir décidé d’occuper la plus haute magistrature athénienne. La date de son archontat se situe en 85/6 ou en 87/8, selon notre calcul4. Quant à Rufus, P. Graindor (p. 144) situait la date de son archontat entre 85/86 et 94/95, et longtemps on s’en est tenu à ce créneau assuré. Plus récemment ont été proposées les dates de 91/92 ou 92/93, qui semblent assez sûres5.

- Pour dater le flaminat de Narbonnaise, dont Rufus a été le premier titulaire, le problème est plus complexe. Il faut parvenir à dater la « constitution impériale » organisant le culte impérial dans la province (et notamment le flaminat), dont le texte non daté a été retrouvé à Narbonne6. Le seul moyen d’y parvenir est de dater les nombreuses dédicaces consacrées à des prêtres du culte impérial dans les provinces de Bétique et d’Afrique proconsulaire en particulier, parce que ces dédicaces impliquent, dans chacune des provinces concernées, une loi du même modèle et de la même date que la Lex Narbonensis. Mais ces inscriptions étant elles-mêmes difficiles à dater, cela ne fait que multiplier le problème. La seule certitude, actuellement du moins, est que le culte provincial a été organisé après 69 et avant Trajan (au moins pour la Narbonnaise et la Bétique), c’est-à-dire sous les Flaviens. Mais lequel des Flaviens a organisé, ou plutôt réorganisé sur le même modèle, le culte impérial de ces diverses provinces ? Est-ce Vespasien, l’empereur qui, au moment de mourir, eut le mot ironique « Malheur ! Je crois que je deviens dieu ! »7, ou bien son fils Domitien, qui se faisait appeler de son vivant Dominus et Deus8. Un long et vigoureux débat s’est engagé sur ce point, où sont intervenus les meilleurs spécialistes. Il a opposé en particulier J.-M. Pailler, qui montre que le culte fut organisé sous Domitien (81-96), à une date inconnue, et D. Fishwick, qui maintient que l’organisation date du début du règne de Vespasien, vers 729. Pour reconstituer les étapes de la carrière de Trébellius Rufus, archonte à Athènes en 91 ou 92, la date où il a inauguré le flaminat de Narbonnaise a une importance capitale. Dans le premier cas, celui de la création du flaminat au début du règne de Vespasien, vers 72, l’écart entre son inauguration du flaminat et son archontat athénien serait de vingt ans environ. Dans le second cas, celui de la création sous Domitien, l’écart ne serait que de dix ans au plus. Quant à l’âge de Rufus à chaque étape, tout ce qu’on peut raisonnablement en dire, c’est qu’il commencé vers vingt-cinq ans un parcours municipal à Toulouse qui peut avoir duré douze à quinze ans et qu’il a au moins une quarantaine d’années au moment où il devient grand-prêtre à Narbonne10. Mais impossible de dire, même approximativement, quel âge il a lorsqu’il devient archonte à Athènes et au moment où les Athéniens lui élèvent des statues. Comme la dédicace précise qu’il a été le premier grand-prêtre de Narbonnaise, c’est que plusieurs autres ou beaucoup d’autres lui ont déjà succédé. Est-il alors dans la cinquantaine ou la soixantaine ? De plus, tout calcul, en dehors de l’incertitude sur la date du flaminat, doit intégrer une autre inconnue : on ne sait pas si Rufus a eu un cursus administratif romain (nous verrons que c’est possible), et, s’il en a eu un, on en ignore la durée et on ignore si ce cursus se situe avant le flaminat (ce qui serait, selon nous le plus probable) ou après le flaminat.

En fonction de la multiplicité des hypothèses, on peut modéliser la carrière de Rufus de multiples façons. Voici, à titre d’exemples, deux modèles, fondés sur les deux dates possibles du flaminat.

- Si Rufus a inauguré le tout nouveau flaminat de Narbonnaise vers 71 ou 72, disons à quarante ans, au terme de sa carrière municipale, ses douze à quinze ans de carrière municipale se situeraient sous Néron, disons vers 56-68 ; il serait né vers 31 et aurait douze à quinze ans de moins que le plus célèbre Toulousain de l’époque, le général Antonius Primus, lequel est âgé de soixante-quinze ans vers la fin du règne de Domitien ; il serait archonte vers soixante ans.

- Si Rufus a inauguré le flaminat sous Domitien, au plus tôt vers 83, son cursus municipal à Toulouse se situerait vers 70-82, sous Vespasien et Titus ; il serait né vers 45, il appartiendrait à la génération de Plutarque (av. 50-ap. 120) et de Domitien lui-même (51-96) et aurait vingt-cinq ans à trente ans de moins que Primus ; il serait archonte avant cinquante ans.

Faute de certitudes, qu’est-ce qui est le plus vraisemblable ? Selon nous, c’est le modèle dans lequel dix ans au plus, et non vingt ans, séparent le flaminat et l’archontat de 91 ou 92. C’est pourquoi nous inclinons à penser que la Lex Narbonensis date de Domitien, que Rufus a inauguré le flaminat de Narbonnaise sous Domitien et qu’il n’a pas attendu d’avoir soixante ans (ou beaucoup plus) pour devenir archonte, en 91 ou 9211. Toutefois, ce second modèle reste hypothétique et le devient encore plus si on veut y insérer une carrière administrative (de durée inconnue) avant ou après un flaminat daté de ca 83 : soit entre le cursus municipal et le flaminat, à la fin du règne de Vespasien et sous Titus (ce qui vieillit d’autant le Toulousain et son cursus municipal), soit entre le flaminat et l’archontat, sous Domitien, entre ca 83 et 91 ou 92. Ce qui reste sûr, c’est cette “date-butoir” de l’archontat, 91 ou 92. La date est significative. Comme Domitien règne depuis dix ans et que Rufus, comme archonte d’Athènes, succède à l’empereur adorateur d’Athéna, il est très probable que le chevalier toulousain est, à cette date, un homme de Domitien.

L’ensemble des lignes 1-15 : c) une carrière administrative et militaire de rang équestre ?

La logique politico-religieuse du texte de la dédicace peut-elle expliquer l’absence d’allusion à une carrière romaine de rang équestre ? La possibilité d’une telle carrière est plutôt rejetée par les spécialistes, sauf par D. Fishwick12. Pourtant, cette carrière administrative pourrait avoir pris place après le cursus municipal, comme nous venons de le voir : soit avant le flaminat provincial, soit après le flaminat. Le cursus municipal de Rufus, à Toulouse, l’aurait parfaitement préparé à la gestion des affaires à l’échelle des provinces, puisque, comme nous le verrons, les notables toulousains ont eu à gérer de très importants travaux, financièrement très lourds, dans leur ville toute neuve. J.-M. Pailler13 a attiré l’attention sur l’inscription de Castulo, où figure le fragment d’un cursus provincial équestre dont le sommet est le flaminat de la province de Bétique (si le cursus n’est pas présenté en ordre inverse). Serait-il possible que Rufus, premier flamine de Narbonnaise, ait eu une carrière administrative comparable à celle de l’inconnu de Castulo, premier flamine de Bétique, son contemporain exact ? Le cursus de l’inconnu, avant qu’il ne devînt flamine, comprend successivement une curatèle en Bétique (la gestion des biens impériaux), une préfecture du fisc en Germanie (la responsabilité pour la province de la caisse du trésor impérial, alimentée par les impôts) et le tribunat militaire de la VIIIè légion (stationnée à Argentorate/Strasbourg). C’est une carrière typique de notable local promu chevalier par l’empereur, une carrière qui, dans ce cas, commence par des fonctions civiles et se continue par une fonction militaire, qui se déroule dans plusieurs provinces et qui dépend entièrement de l’empereur - c’est lui seul qui nomme, promeut ou révoque. Le cas de ce chevalier espagnol est le seul connu pour le Ier siècle, mais il n’est pas isolé. D’autres exemples sont connus au IIè s.14Or un indice repéré par Fishwick peut faire penser que Rufus a bien eu un cursus équestre de ce genre. Il se trouve dans la Lettre du Conseil municipal de Toulouse qui, sur la base de l’agora, est gravée à la suite de la dédicace (l. 37) : Rufus est « un personnage éclatant (ἐπιφανής) dans <des provinces> entières » (ἐν λα[ις ἐπαρχείαις]) - si le pluriel ὅλαις, restitution d’Oliver, est correct. Compte tenu de l’enflure du style, cela semble signifier que Rufus a eu un cursus qui l’a conduit dans plusieurs provinces. La même Lettre municipale fournit un second indice à la ligne suivante (l. 38) : Rufus a été un juste serviteur de la majesté <de… ?> et des Augu[stes (…σεμνότητος ἴσος ὑπηρέτης [κα]ὶ τῶν Σεβα[στῶν). L’expression, que la mutilation du texte rend difficile à interpréter, sera analysée plus loin15.Disons simplement ici que les Augustes sont nécessairement les empereurs, que, si la carrière équestre romaine de Rufus existe, elle se situe sous les Flaviens et que, par conséquent, les Augustes sont Vespasien, Titus et Domitien ou bien Titus et Domitien. Mais il est, bien sûr, impossible de préciser les étapes d’un cursus équestre qui reste hypothétique16.

Le point le plus intéressant serait de savoir si le chevalier toulousain aurait pu finir à Rome au plus haut niveau, s’élevant jusqu’au rang de sénateur (puisque l’empereur peut, par adlectio, élever un chevalier au rang de sénateur, sans qu’il ait jamais exercé une magistrature curule)17 ? La Lettre du Conseil toulousain fournit un indice qui ne va pas dans ce sens (l. 40) : « il a désiré le repos ». Nous verrons que cela indique plutôt un renoncement de Rufus et une retraite peut-être anticipée.Ce que fut la vie de Rufus après son archontat de 91 ou 92, les bases d’Athènes n’en disent rien, en dehors de ce « repos » qui semble indiquer qu’il s’est retiré. A-t-il vécu dans une sorte de retraite cultivée, à Athènes ou à Toulouse ou entre les deux cités, ayant renoncé à toute carrière administrative ? Impossible de le savoir et impossible, a fortiori, de dire où et quand il est mort.

>Il reste que l’hypothèse d’un cursus équestre provincial de Rufus pourrait permettre de chercher une solution à un autre problème chronologique : comment s’articulent son cursus “latin”, culminant avec le flaminat, et son cursus athénien ? La réponse à cette question pourrait être que Rufus est venu pour la première fois en Achaïe ou à Athènes afin d’y occuper une charge administrative romaine et que c’est alors qu’il s’est lié avec les milieux dirigeants athéniens. Et si hypothétique que soit l’origine de son lien avec Athènes, une question large se pose. Puisque Rufus bénéficie, selon toute apparence, du soutien du pouvoir impérial, puisqu’Athènes, de son côté, lui témoigne une reconnaissance particulièrement vive, est-il possible que le chevalier romain, citoyen de Rome et d’Athènes, n’ait joué aucun rôle de médiation entre la cité et les autorités romaines ? Doit-il à ses évergésies seulement les honneurs qu’il reçoit ? Mais, tenter de répondre à cette question serait entrer dans l’imaginaire, à supposer qu’on n’y soit pas déjà18.

Le dernier problème chronologique est celui de la durée du séjour à Athènes. Car si, à Athènes, l’archontat (auquel la prêtrise de Drusus semble liée) est une magistrature annuelle, les autres honneurs décernés le sont pour une longue durée. La prêtrise d’Eucléia et d’Eunomia et la chrysophorie sont attribuées « à vie ». La chrysophorie (le port de vêtements brodés d’or) distingue d’une façon durable, dans l’espace public et les moments festifs, un citoyen athénien. Il ne semble guère possible que la citoyenneté athénienne et un sacerdoce à vie soient attribués à un personnage qui ne serait que de passage dans la cité. De plus, la multiplicité des honneurs décernés, leur extension à la femme et au fils du bienfaiteur, le fait que Rufus consacre au moins trois statues de lui et de sa famille semblent indiquer qu’il a vécu à Athènes avec sa famille et que ses « bienfaits » se sont étendus sur une période assez longue. Il se peut, en particulier, qu’un espace de temps sépare les bases de l’Acropole, où Rufus est seul nommé, et la base de l’agora, où figurent sa femme et son fils. Mais tout cela aussi reste hypothétique.

La même ombre entoure la vie que Rufus a menée à Athènes. Par exemple, on peut imaginer qu’il s’est fait initier à Eleusis, comme l’avaient fait avant lui tant de Romains distingués, depuis Cicéron et Atticus, Antoine et Auguste19. Qui a-t-il fréquenté dans la capitale intellectuelle ? A-t-il, par exemple, connu quelques-uns des nombreux et très distingués personnages qui apparaissent comme convives dans les Questions de table de Plutarque20 ? A-t-il rencontré Plutarque lui-même, le moraliste et historien qui est rapidement devenu un des maîtres à penser de la bonne société grecque et romaine et un philosophe de l’histoire menant une réflexion unificatrice sur la vie des grands hommes romains et grecs ? A-t-il connu Flavius Pantainos, archonte vers 100, grand bienfaiteur d’Athènes et homme de culture21. Une fois encore, il est impossible de répondre. Au moins est-il à peu près certain que Rufus a côtoyé, sinon fréquenté, ce milieu où se construit la culture nouvelle de l’empire.

L’ensemble des lignes 1-15 et la ligne 8 de la base de l’agora : d) les problèmes de texte et de traduction et les enjeux de la transposition en grec des titulatures latines

Au début de l’inscription, les tria nomina et le patronyme de Rufus sont écrits en grec sous la forme : Κόιντον Τρεβέλλιον Ῥοῦφον Κοίντου υἱὸν. Le codage est de modèle grec. Dans les inscriptions latines, le nom comporte des abréviations et il est au datif. Ici, l’équivalent latin serait « Q. Trebellio Quinti f. ». Dans les inscriptions grecques, le verbe final, ἀνέθηκεν, ἀνέθηκαν (« a consacré », « ont consacré »), est le plus souvent omis, à moins que le dédicant ne veuille préciser que le monument est érigé « à ses frais » (ἐκ τῶν ἰδίων ἀνέθηκεν). La formule πάσαις τιμαῖς ἐν τῇ πατρίδι τετιμημένον est la traduction de omnibus honoribus in patria sua functo. L’équivalent littéral de τετιμημένος serait honoratus22.

Les titres de Trébellius Rufus qui viennent ensuite sont la traduction ou la transposition en grec de titulatures latines. Mais la retraduction en latin de ces titulatures reste incertaine. Or, ce problème, qui semble a priori négligeable, peut apparaître subitement capital, comme on va le voir. Considérons tout d’abord la traduction en grec des titres latins de Rufus, puis le titre de prêtresse de sa femme à Toulouse, qui pose un problème de fond.

Pour Rufus, le premier titre, ἀρχιερεὺς τῆς ἐπαρχείας ἐκ Ναρβῶνος (« grand prêtre de la Province rattachée à Narbonne », l. 5-6), ne présente pas de difficulté particulière en ce qui concerne l’original en latin. Le flaminat provincial est peut-être une nouveauté, mais le grec peut utiliser le mot courant ἀρχιερεύς (“archiprêtre”) pour le désigner, en faisant de ce mot grec l’équivalent des mots latins flamen augustalis ou sacerdos Augusti. En revanche, le second titre, celui de « prêtre suprême Caninensien » est unique et il ne devait pas exister d’équivalent d’usage courant dans la terminologie religieuse de langue grecque. Pour désigner le “président” de cette confrérie sacerdotale latine, le traducteur a donc dû soit inventer un noble équivalent grec du titre latin, soit, plus simplement, faire une traduction mot-à-mot de la titulature latine. Le résultat, à savoir ὕπατος Καινεινῆνσις ἱερῶν δήμου Ῥωμαίων (« <prêtre> suprême des rites du peuple des Romains », l. 7-9), serait, dans ce cas, la traduction littérale d’une formule latine qu’il faut reconstituer : quelque chose comme sacerdos maximus (ou summus) Caeninensis Romanorum sacrorum. Enfin, il est difficile de dire si le titre de ἱερεὺς Δρούσου ὑπάτου (« prêtre de Drusus-Très haut », l. 12-13), qui désigne un sacerdoce de Drusus l’Ancien, est traduit du latin23.

Sur la base de l’agora (l. 8), c’est la prêtrise féminine qui pose problème. La façon de traduire le mot ἱέρεια, dans l’expression γυναῖκα ἱέρειαν ἐν Τολώσῃ θεᾶς [...] (« femme prêtresse à Toulouse de la divine <...> »), a une grande importance et elle dépend de la reconstitution hypothétique du nom de la déesse. La « femme prêtresse » est probablement l’épouse de Rufus. Mais quelle est la « divinité » dont la mutilation du texte a fait disparaître le nom ? Le lien entre Athènes et Toulouse que tisse tout le texte suggère qu’il s’agit d’Athéna et, donc, qu’il faut rétablir ἱέρεια θεᾶς Ἀθηνᾶς, qui serait simplement la traduction de sacerdos deae Minervae, « prêtresse de la déesse Minerve ». La précision « à Toulouse » (ἐν Τολώσῃ) ne fait évidemment pas partie du titre latin. C’est une addition destinée au lecteur athénien, ce qui montre bien qu’on a affaire à une adaptation. Mais pourquoi préciser, à Athènes, qu’Athéna est une déesse ? Les inscriptions athéniennes disent simplement des prêtresses (athéniennes) d’Athéna qu’elles sont « prêtresses d’Athéna Poliade » (ἱέρεια Ἀθηνᾶς Πολιάδος). Et, en Gaule, dans les inscriptions du même genre, le nom d’une déesse n’est pas non plus précédé du pléonastique dea24. Il s’agit donc, à nouveau, soit d’une adaptation, soit d’une traduction littérale. Ou bien l’addition de θεᾶς à Ἀθηνᾶς rappelle au lecteur grec, qui ignore presque tout de la religion des Gaules et qui est tout prêt à croire à son caractère barbare, que les Gaulois aussi adorent la déesse Athéna, qu’il y a une équivalence entre Minerva et Ἀθηνᾶ. Ou bien, simplement, ἱέρεια θεᾶς Ἀθηνᾶς (ἐν Τολώσῃ) est, comme on l’a vu, la traduction exacte de sacerdos Deae Minervae (in Tolosa).

Mais le problème se complique quand on se souvient que le mot grec ἱέρεια sert aussi à traduire le mot latin flaminica, flaminique, qui désigne couramment, dans les inscriptions latines de Gaule romaine, une prêtresse du culte impérial municipal. D’autre part, le mot θεά, dans les inscriptions grecques, ne correspond pas seulement au substantif latin dea (déesse), mais aussi à l’adjectif diva (divine), qui qualifie, dans les inscriptions de Gaule, l’Augusta divinisée, l’impératrice. En Gaule, en effet, le titre flaminica Aug.(ustae) est bien attesté dans les inscriptions honorifiques et les épitaphes, avec la variante plus rare flaminica divae Aug. (ustae) 25. En Gaule ou en Espagne, le mot dea peut, lui aussi, être utilisé comme qualificatif de l’impératrice, comme le mot θεά l’est en Grèce26. Ainsi donc, le titre de la prêtresse toulousaine à rétablir sur la base de l’agora pourrait être ἱέρεια θεᾶς [Σεβαστῆς], qui serait la traduction exacte de flaminica divae Augustae. De même que Rufus est, à Narbonne, flamine augustal de la province, de même qu’il est à Athènes le prêtre de Drusus, le second fils de Livie et le fils adoptif d’Auguste, de même l’épouse de Rufus, qui, à Narbonne, n’est que l’épouse du flamine, serait, à Toulouse, flaminique de la divine Augusta. Et plutôt qu’à l’impératrice régnante, Domitia, l’épouse de Domitien27, il faut penser à Livie, l’épouse Auguste, qui eut ses prêtres et prêtresses, aussi bien en Gaule qu’en Grèce28, d’autant qu’Auguste est le fondateur de la nouvelle Toulouse et Drusus le ”fondateur” du culte d’Auguste en Gaule. Principale difficulté : ἱέρεια θεᾶς Σεβαστῆς ne semble pas attesté en grec, de sorte qu’on ignore comment se disait en grec flaminica divae Augustae.

Ajoutons une dernière possibilité, tout aussi intéressante, mais tout aussi incertaine (tant il est délicat de suppléer une lacune dans un texte mutilé). Notre Rufus est prêtre de Drusus l’Ancien à Athènes. Or l’épouse de Drusus, Antonia Minor, proclamée Augusta en 3729, reçut un culte aussi bien en Gaule30qu’à Athènes31. Il existe donc une possibilité pour que l’épouse de Rufus ait été, à Toulouse, prêtresse d’Antonia, avec le titre de flaminica divae Antoniae (flaminique de la divine Antonia). Dans ce cas, il faudrait rétablir, sur la pierre de l’agora, le nom d’Antonia : ἱέρεια ἐν Τολώσῃ θεᾶς [Ἀντωνίας]. Antonia, dans trois des inscriptions concernant ses prêtres et prêtresses, l’une latine, les deux autres athéniennes, est désignée deux fois avec son titre officiel d’Augusta ou Σεβαστή (une flaminica Antoniae Augustae à Castel-Roussillon et un ἀρχιερεὺς Ἀντωνίας Σεβαστῆς à Athènes), et une fois (semble-t-il) avec le qualificatif θεά, équivalent de diva (c’est la ἱέρηα θ[εᾶς] Ἀντωνίας à laquelle un siège de proèdre était réservé au théâtre de Dionysos à Athènes). Le titre attesté en latin de flaminica divae Antoniae correspond au ἱέρεια θεᾶς Ἀντωνίας gravé sur le siège du théâtre de Dionysos et le titre serait le même dans l’inscription de Trébellius Rufus, ἱέρεια ἐν Τολώσῃ θεᾶς Ἀντωνίας, l’addition de ἐν Τολώσῃ servant et à éviter toute confusion (la Gauloise n’occupe pas la prêtrise d’Antonia d’Athènes) et à souligner en même temps le parallélisme entre Athènes et Toulouse.

Ἱέρεια θεᾶς Σεβαστῆς (flaminica divae Augustae) ou ἱέρεια θεᾶς Ἀντωνίας (flaminica divae Antoniae) ? L’un ou l’autre de ces titres créerait un parallélisme entre Rufus et son épouse, soit entre le flamine de l’empereur à Narbonne et la flaminique d’une impératrice à Toulouse, soit entre le grand-prêtre de Drusus à Athènes et la flaminique d’Antonia (l’épouse de Drusus) à Toulouse. Dans les deux cas, que la Toulousaine soit prêtresse de Livie ou d’Antonia (et non d’Athéna), la présence du culte impérial, qui est la ”cause première” du texte, y serait encore accrue.

Pourtant, au terme de ce long examen des diverses façons de restaurer le nom de la déesse et de traduire le mot grec ἱέρεια, nous avons préféré rétablir le nom d’Athéna et retenir la formule prêtresse d’Athéna. Pourquoi ? Simplement parce que, entre toutes les hypothèses historiques, logiques et politiques, c’est la restauration du nom d’Athéna qui s’accorde le mieux avec la volonté évidente de l’auteur de l’inscription : établir un lien ou un ensemble de liens entre Toulouse et Athènes sous le patronage de l’empereur. Il est logique, pour un Toulousain qui, dans la cité d’Athéna, s’affiche sur l’agora, de proclamer que Toulouse possède aussi un culte d’Athéna. Et il est plus glorieux, pour le Toulousain d’Athènes, de présenter son épouse comme « prêtresse d’Athéna à Toulouse » plutôt que comme « prêtresse d’Antonia » (ou de Livie). D’autre part, Athéna, qui était la déesse poliade de Troie, avec sa statue tombée du ciel (le Palladion), est devenue une déesse poliade de Rome, après qu’Enée eut ramené en Italie le Palladion, ce Palladion qui était toujours conservé à Rome comme la plus précieuse des reliques. Sous l’égide d’Athéna, Rome a succédé à Troie. Or, à une époque où Domitien donne au culte officiel de Minerve un éclat particulier, en prétendant être lui-même le favori de Minerve, et où Toulouse est appelée par Martial Palladia Tolosa, « Toulouse cité de Minerve-au-Palladion » (que ce soit son nom officiel ou un hommage à sa culture), il semble historiquement vraisemblable, sinon politiquement indispensable, d’indiquer à Athènes qu’Athéna/Minerve est honorée à Toulouse et que Toulouse est une nouvelle cité d’Athéna. Mais le vraisemblable n’est pas toujours le vrai et, de même qu’il n’existe aucune inscription donnant à Toulouse le nom officiel de Tolosa Palladia, il ne subsiste à Toulouse aucune trace épigraphique ou archéologique d’un culte de Minerve32 (pas plus que d’un culte de Livie ou d’Antonia).

Lignes 1-3 : l’Aréopage, la Boulè et le peuple des Athéniens

Au Ier siècle, dans la province d’Achaïe (province sénatoriale depuis 27 av. J.-C., sauf pour la période de 15 à 44, où elle devint province impériale), Athènes a le statut de « cité fédérée et libre ». Athènes a donc conservé son autonomie interne (en principe) et elle a gardé ses institutions démocratiques anciennes. En fait, sa constitution est devenue oligarchique. Le rôle de l’Aréopage, formée des anciens archontes, s’est considérablement accru et n’est plus seulement judiciaire, celui de la Boulè a diminué. Les grandes familles monopolisent les Conseils et les hautes fonctions politiques et sacerdotales. Dans la hiérarchie des magistratures, l’archonte éponyme, qui donne son nom à l’année attique, est, dès la fin du IIè s. av. J.-C., le magistrat qui occupe le rang le plus haut.

Athènes est le foyer symbolique de la παιδεία qui est désormais le signe distinctif des élites de l’empire “mondialisé” et elle n’est plus qu’une ville universitaire. Son prestige intellectuel et artistique, à Rome et dans monde méditerranéen, est immense. De très nombreux jeunes nobles y accourent de tout l’empire pour y faire ou y achever leurs études, notamment les jeunes Romains, comme le montre, dès le Ier s. avant notre ère, la correspondance de Cicéron. Les gens célèbres, les grands aristocrates romains et grecs d’Orient, les souverains doivent la visiter33. Sous l’empire, du moins à partir d’Hadrien, les empereurs vont placer la glorieuse cité au centre de leur politique culturelle et religieuse. A partir de Domitien, ils acceptent le titre d’archonte éponyme et, au IIè s., Hadrien, puis Marc Aurèle et Commode jeune se font initier à Eleusis, comme l’avaient fait beaucoup d’illustres visiteurs depuis le Ier siècle av. J.-C.

Athènes, de son côté, couvre d’honneurs ces maîtres tout-puissants et leurs protégés, ainsi que les riches citoyens ou les visiteurs fortunés, qui rivalisent de « bienfaits » à son égard et, à leurs frais, ornent la ville de somptueux édifices et monuments. Depuis longtemps habituée à aduler les rois hellénistiques, Athènes multiplie, comme toutes les cités grecques d’Orient, les statues des empereurs et célèbre leur divinité34. Les « bienfaiteurs » athéniens ou étrangers bénéficient, eux aussi, d’honneurs multiples. Et le discours honorifique gravé sur les bases de leurs statues ou sur des stèles éternise leurs titres, leurs évergésies, leur excellence morale, légitimant le pouvoir de tous ceux qui dominaient la société, tout en leur dictant les comportements les mieux adaptés aux intérêts de leur classe sociale… et de la cité d’Athènes 35!

Ligne 4-5 : Quintus Trebellius Rufus, fils de Quintus

Les tria nomina, conformes à l’usage onomastique romain (sous la République et au début de l’empire), sont un marqueur de la latinité originelle ou de la romanisation culturelle de la famille de Rufus, ainsi que de sa position sociale. Le nom gentilice Trébellius est un nom de famille romain attesté depuis l’époque républicaine en Italie. A quelle époque et comment la famille de Rufus a-t-elle reçu la citoyenneté romaine ? Il est impossible de choisir entre deux possibilités. Ou bien le Toulousain descend d’une famille d’immigrés venus d’Italie, déjà citoyens romains au moment de leur installation à Toulouse, qui se sont intégrés à l’aristocratie terrienne locale36. Plutôt que d’improbables colons37, c’étaient, dans ce cas, des negotiatores, ces marchands, hommes d’affaires et banquiers italiens, qui, dès avant la conquête, étaient des intermédiaires partout présents en Narbonnaise. Ou bien le Toulousain est d’origine gauloise et il appartient à une de ces puissantes familles qui se sont parfaitement romanisées en quelques générations38. Dans ce cas, c’est l’un des ancêtres de Rufus, appartenant à l’une des trois ou quatre générations précédentes, qui a obtenu la citoyenneté romaine39. La seule chose sûre, c’est que Rufus, qu’il soit d’origine latine ou qu’il appartienne à l’indigénat romanisé, fait partie de l’aristocratie toulousaine et qu’il est riche, ou même très riche, comme on le verra.

Le patronyme de Rufus, « fils de Quintus », montre que le père, qui porte déjà le praenomen de Quintus, possédait probablement déjà la citoyenneté romaine. En effet, bien que le nomen et le cognomen du père ne soient pas précisés, il semble porter les tria nomina. La reprise du praenomen Quintus indique, en principe, que Rufus est le fils aîné ou le fils unique de son père. Quant au fils de Rufus, son praenomen est effacé sur la base de l’agora (l. 9), mais il y a de bonnes chances pour que ce Trébellius de la troisième génération (qui a pour cognomina Rufus Maximus) ait porté à son tour le prénom de Quintus (Κόιντος), tant notre Rufus (Quintus 2) semble soucieux de signaler la continuité familiale, en ligne patrilinéaire, dans la gens Trébellius.

Quel était le statut de Trébellius père (Quintus 1), déjà citoyen romain ? Si Toulouse, au temps de Trébellius père, est encore de droit latin40, la citoyenneté romaine du père signifie qu’il a été magistrat (lui ou son propre père) et qu’il fait partie de la classe décurionale. En principe, il est même possible d’imaginer que Trébellius père (lui ou son propre père), en application du privilège accordé par Auguste aux citoyens romains de Narbonnaise dès l’an 14, ait eu un cursus romain et fût de rang sénatorial. Le problème se pose parce que Geagan termine son texte de 2011 (p. 219) avec une phrase où il fait de Marcus Trébellius Maximus, consul suffect en 56, « un ancêtre » de notre Rufus. Ce Marcus Trébellius est un personnage de haut rang41 : homo novus, consul suffect avec Sénèque en 56, il fut chargé, en 61, pour la première des Trois Gaules, la Lyonnaise, du census, le recensement des hommes libres et de leur fortune42; puis devenu pour cinq ans, de 64 à 69, légat de Bretagne (éreinté par Tacite pour sa cupidité), il prit, en 69, le parti de Vitellius43; il fut enfin frère Arvale en 72. Certes, le cognomen de ce grand personnage, Maximus, expliquerait que notre Rufus ait donné à son fils, en plus de son propre surnom, le surnom de Maximus. Mais il semble impossible que Marcus Trébellius Maximus soit « l’ancêtre » de notre Rufus, puisque, dans ce cas, il faudrait qu’il soit le père de Quintus 1 et le grand-père de Quintus 2, notre Rufus. Il n’est pas possible que la carrière de Rufus, qui va du règne de Néron ou de Vespasien au règne de Domitien, soit si proche dans le temps de celle de ce “grand-père” présumé, qui s’étend jusqu’au début du règne de Vespasien. Au mieux, Marcus ne pourrait appartenir qu’à une branche collatérale44. Il existe encore une autre possibilité : ce puissant M. Trébellius Maximus serait le « patron » qui, dans les années 60 (peut-être à l’occasion du census des Trois Gaules, en 61), aurait donné à Quintus Trébellius, père de Rufus, la citoyenneté romaine et son nom. Mais même cette hypothèse ne tient guère. Les Trois Gaules ne sont pas la Narbonnaise et ce recensement général sous Néron semble trop tardif : si la citoyenneté romaine des Trebellii de Toulouse ne datait que de 61, notre Trébellius Rufus, qui est né avant 61, serait donc né pérégrin. Concluons : la parenté de Rufus avec le sénateur du temps de Néron est plus que douteuse et le rang sénatorial ancien de sa famille peu crédible.

En revanche, il est certain que notre Rufus est chevalier. Son appartenance à l’ordre équestre est rendue certaine par sa fonction de flamine. Le brevet de chevalier n’étant pas héréditaire, rien ne permet de supposer que le père le possédait déjà. L’entrée dans l’ordre équestre, la première des noblesses d’empire, se fait sur une base censitaire. L’empereur peut attribuer l’anneau d’or à un personnage d’une relative pauvreté, comme le montre le cas du poète Martial. Mais, normalement, il faut posséder une fortune de 400 000 sesterces au moins. Trébellius est donc riche45. Mais la fortune ne suffit pas. La faveur de l’empereur est nécessaire : c’est lui qui, en tant que censeur perpétuel, délivre le brevet. Rufus, probablement le premier chevalier de sa famille, fait donc partie, à Toulouse, des citoyens fortunés et des citoyens qui bénéficient de la faveur de l’empereur. Les Flaviens se sont appuyés sur l’ordre équestre et sur la petite bourgeoisie italienne et provinciale dont venait leur propre famille, tout particulièrement Domitien contre le sénat et l’aristocratie sénatoriale. L’empereur autocrate, le ”Néron chauve” de Juvénal, se disait « Dominus et Deus »46 et le Sénat maudit sa mémoire après son assassinat47.

Rufus est-il entré dans l’ordre sénatorial ? Certes, le chevalier aurait pu être directement inscrit par l’empereur dans l’album sénatorial, selon la procédure de l’adlectio. Mais dans l’inscription de l’agora, à la fin de la Lettre du Conseil municipal de Toulouse, la mention du repos choisi par Rufus, précédant la mention du sénat, semble indiquer qu’il a refusé l’adlectio (ou n’en a pas bénéficié)48.

Ligne 5 : Lamptrai

Après le nom romain de Rufus, l’inscription indique qu’il est citoyen athénien. Elle le fait, comme dans toute inscription athénienne, en indiquant le nom du dème où il est inscrit. Le dème de Lamptrai, au sud de l’Hymette, est un dème appartenant à la trittys côtière de la tribu Erechthéis.

Lignes 6-7 : premier grand-prêtre de Narbonnaise

La première fonction indiquée est la très haute fonction de grand prêtre du culte impérial pour la province de Narbonnaise (flamen augustalis). Rufus en fut le premier titulaire, mais la date de son flaminat reste mal établie49. L’indication qu’il fut le premier est significative à tous égards. Etre le premier prêtre (ou la première prêtresse) d’un culte impérial est un honneur supplémentaire, au niveau municipal, provincial ou (en Gaule) fédéral, et les inscriptions ne manquent pas de le signaler comme un titre50. Le Toulousain a été jugé le plus digne d’être mis, dans sa province, à la tête d’une structure importante et nouvelle, dans le cadre légal d’une réorganisation du culte impérial au moins à l’échelle de plusieurs provinces d’occident (Narbonnaise, Bétique, Afrique proconsulaire). Preuve qu’il a toute la confiance de l’empereur. La position occupée par Trebellius dans le culte impérial, ciment de l’empire, est certainement la première cause des honneurs que lui décerne Athènes, ses bienfaits à l’égard de la cité ne venant qu’en second.

Lignes 7-9 : prêtre suprême caninensien pour les rites du peuple des Romains

La forme latine développée de ce titre n’apparaît dans aucune inscription latine. Caenina était une ville du Latium disparue depuis longtemps, mais des sacerdoces du même genre sont attestés pour d’autres très antiques cités latines (Albe la Longue, Cabum). Le sacerdoce caninensien était l’un des sacerdoces secondaires, mais prestigieux, que, à Rome, le collège des pontifes (c’est-à-dire l’empereur) accordait aux chevaliers51. Non seulement Rufus appartient à la confrérie, mais il en assume la présidence. La principale ou l’unique fonction de ces prêtres était, semble-t-il, de participer aux Féries Latines des Monts Albains. Ce qu’il est difficile de préciser, c’est si Rufus a été nommé à la tête des prêtres caninensiens avant ou après avoir été élu flamine provincial de Narbonnaise52. Ce qui est sûr, en revanche, c’est que les deux sacerdoces sont délibérément associés dans la dédicace (par ordre d’importance) : le tout nouveau flaminat impérial de la province, au moment même où il est créé, et le vénérable sacerdoce archaïsant du Latium unifié, censé être très ancien. Comme, depuis Auguste, les empereurs, et en particulier Domitien, développent et organisent le culte impérial tout en ranimant et en restaurant les rituels “vieux-romains” (non sans multiplier, dans une synthèse originale, les emprunts à la tradition grecque), il semble clair que les deux sacerdoces “latins” de Rufus et finalement l’ensemble de ses fonctions sacerdotales reflètent parfaitement la politique religieuse du pouvoir impérial, et en particulier la politique de Domitien.

Lignes 9-10 : honoré de tous les honneurs dans sa patrie, Toulouse

La formule grecque πάσαις τιμαῖς ἐν τῇ πατρίδι τετιμημένον est la traduction de la formule latine omnibus honoribus in patria functo, qui est, avec sa variante omnibus honoribus apud suos functo, la formule des inscriptions de Narbonnaise et des Trois Gaules, utilisée notamment pour le prêtre de Rome et d’Auguste à Lyon53. La formule toute faite signale que Rufus est passé, comme il convient, par toutes les étapes d’une carrière municipale avant de devenir ἀρχιερεύς (flamine augustal)54. L’addition de Τολώσῃ à πατρίδι précise, à l’intention du lecteur athénien de la base, la cité d’origine du grand prêtre de Narbonnaise.

Dans la formule latine traduite en grec, le mot « patrie » est important. Rufus affiche à Athènes son « patriotisme » toulousain - auquel la Lettre des Toulousains fait écho dans la suite de l’inscription (l. 32). L’amour de la patrie, loué par les inscriptions (en Grèce φιλόπατρις ou φιλόπολις εἶναι), est un titre de gloire pour les élites de l’empire. Il s’inscrit partout dans l’espace public, sur les monuments publics offerts, par l’omniprésence des statues, soigneusement peintes, dressées sur des socles couverts d’inscriptions à la gloire des évergètes ; il s’exprime probablement aussi par voie d’affiche et par des proclamations, en ce qui concerne les distributions d’argent ou de céréales et les munera. C’est un grand thème oratoire. Lucien lui consacre un opuscule et le rhéteur Ménandros décrit toutes les façons de louer les cités55. Les moralistes aussi, tels Dion de Pruse ou Plutarque, prônent l’amour de la patrie ou l’enracinement dans la « petite patrie », qui prend, dans ce cas, un caractère sentimental56. Cet amor civicus a perduré jusqu’aux IVè et Vè s. de notre ère. Mais pour Rufus, l’importance (présumée) des dépenses engagées par lui en faveur d’Athènes est aussi le signe de son philhellénisme. Athènes, la capitale culturelle où il affiche son patriotisme toulousain, était pour lui comme une seconde patrie, une “patrie culturelle”.

Au début de l’empire, sous Auguste, Toulouse a encore le statut de civitas de droit latin. Seuls, les décurions sont citoyens romains. C’est, semble-t-il, seulement sous les Flaviens qu’elle reçoit le statut de colonie romaine (« colonie honoraire », sans envoi de vétérans, sans “déduction” et confiscation de terres)57. Les citoyens romains de Toulouse sont inscrits à Rome dans la tribu Voltinia58.

Le pouvoir local à Toulouse comprend :

- six magistrats, qui sont, d’après de rares inscriptions mutilées, deux questeurs financiers et quatre quattuorviri (dont deux édiles et deux “duoviri jure dicendo”) ;

- un « sénat » ou « curie », assemblée municipale de décurions, composée des anciens magistrats59.

Les conditions de cens et d’âge pour accéder aux magistratures sont inconnues. Il est possible qu’on n’accède au duovirat qu’à l’âge minimum de trente-trois ans, si le modèle est celui du cursus honorum romain.

Les magistrats et les conseillers, tous des notables, constituent une bourgeoisie municipale. Riches propriétaires fonciers, ils ont l’obligation (comme ailleurs dans l’empire) de faire un don d’argent (summa honoraria) au moment de leur entrée en charge60 et ils doivent offrir des banquets ou des jeux au théâtre et à l’amphithéâtre, financer la construction ou la réparation de monuments. Ils peuvent accéder à l’ordre équestre, et même à l’ordre sénatorial depuis l’an 14. Deux chevaliers et un sénateur sont connus pour Toulouse.

L’assemblée municipale est responsable de la levée des impôts, qui sont lourds (l’impôt foncier, les redevances en nature pour l’armée et les fonctionnaires, les impôts directs sur les personnes et les biens - capitation plébéienne, impôts frappant les négociants ou les banquiers). Elle délibère sur les grands intérêts de la cité, les rapports avec le pouvoir romain (le gouverneur, le Conseil du Prince à Rome), les rapports avec l’assemblée provinciale à Narbonne, avec les autres cités-peuples de Narbonnaise et des Trois Provinces des Gaules, avec les cités-peuples des autres provinces de l’empire (ambassades, délégations, lettres officielles). Maîtresse de son budget (vérifié de temps à autre par un curateur impérial), elle règle les affaires municipales : l’utilisation des terres communales ou la gestion des surfaces non bâties à l’intérieur de l’enceinte, le contremarquage de monnaies courantes en bronze frappées dans d’autres cités (destiné à identifier la monnaie “officielle” par un timbre DD, decreto decurionum), la voirie, la gestion de l’eau (aqueducs, fontaines, égouts, thermes), le financement à moitié public de grammairiens ou de rhéteurs, la construction des temples, théâtre et monuments (arcs de triomphe, portiques), souvent avec l’aide de l’empereur (dons, exemptions fiscales). Souveraine en matière religieuse, l’assemblée organise les cultes des dieux et le culte impérial, fixe le calendrier religieux et décide les rites et le déroulement des cérémonies et sacrifices. Au Ier s., les décurions et magistrats de Toulouse, dont font partie Rufus et peut-être déjà son père, sont sûrement très absorbés par l’importance des aménagements édilitaires et par le programme de constructions très ambitieux de leur cité toute neuve, sortie de terre ex nihilo : l’enceinte (sous Tibère) ; la cloaca maxima (repérée sous la place Esquirol) et le réseau d’égouts ; un théâtre ; le grand amphithéâtre et les thermes de Purpan-Ancely (construits dans les années 40-50) ; le temple colossal d’un forum probablement gigantesque, avec portiques et basiliques (c’est le temple découvert sous la place Esquirol, construit sous Auguste ou peut-être entre 60 et 100)… Rufus a fait partie de ceux qui ont géré tout cela, dans les années 70-80 au moins. Voilà ce que recouvre la discrète formule πάσαις τιμαῖς ἐν τῇ πατρίδι Τολώσῃ τετιμημένος, omnibus honoribus in patria sua Tolosa functus.

Lignes 11-12 : archonte éponyme à Athènes

L’archontat éponyme est la charge athénienne la plus haute et la plus prestigieuse, la μεγίστη ἀρχὴ (Dion Cassius), le summus magistratus (Histoire Auguste). Charge annuelle non renouvelable, l’archontat est très honorifique, mais aussi très coûteux. Il s’accompagne presqu’obligatoirement de lourdes dépenses61. Les candidats sont si peu nombreux qu’on connaît des années d’ « anarchie » (ἀναρχία, absence d’archonte), dont deux années, précisément, sous Domitien62. C’est pourquoi Athènes propose l’archontat à de riches “étrangers naturalisés” ou, à partir de Domitien, à l’empereur lui-même. L’archontat de Trébellius Rufus signifie que le Gaulois est riche et généreux.

Ligne 12 : la prêtrise de Drusus-Très haut63

A Athènes, la prêtrise de Drusus l’Ancien (le jeune frère de Tibère et le père de Claude), qui semble avoir été instituée l’année même de sa mort, en 9 av. J.-C., dura au moins jusqu’au temps d’Hadrien. Elle semble liée à l’archontat et nous connaissons les noms d’autres archontes éponymes qui l’ont revêtue64. L’attribution de la prêtrise athénienne de Drusus à un Gaulois, en même temps que l’archontat, était particulièrement significative, puisque c’est le brillant fils cadet de Livie, fils adoptif d’Auguste, qui apaisa, unifia et fidélisa la Gaule autour du culte impérial, en créant l’autel fédéral des Trois Gaules (en 12 av. J.-C.). Trébellius, à Athènes aussi, était un représentant officiel du culte de la famille impériale, dans sa dimension historique.

Lignes 13-14 : la prêtrise d’Eucléia et Eunomia à vie

Eucléia et Eunomia, la Bonne Renommée et le Bon Ordre, sont deux entités divinisées. Le temple d’Eucléia, selon Pausanias (I, 14, 5), avait été élevé avec le butin pris aux Mèdes à Marathon65. Ce culte traditionnel a donc une signification civique, et aussi une signification historico-politique conservatrice. Le titulaire du sacerdoce disposait d’un siège de premier rang (proédrie) au théâtre de Dionysos66. Il s’agit d’une prêtrise « à vie », que le titulaire occupe en principe jusqu’à sa mort (des possibilités de désistement existent probablement)67.

Lignes 14-15 : la chrysophorie à vie

L’honneur ou le privilège de la chrysophorie n’est pas autrement connu pour Athènes. On admet que le mot désigne le droit de porter un vêtement brodé d’or, peut-être une tunique ornée ou bordée d’une bande dorée. Cet honneur semble concerner des circonstances particulières, à caractère cérémoniel ou festif68. C’est probablement dans les assemblées, au théâtre, dans les jeux, dans les processions que Rufus avait le privilège de porter une tenue d’apparat qui le distinguait fortement69. Comme la chrysophorie et la prêtrise d’Eucléia et d’Eunomia sont semblablement attribuées « à vie », on peut se demander si les deux ne sont pas liées, la tenue d’or faisant partie (comme la proédrie au théâtre) des privilèges attachés à cette prêtrise.

A propos de la chrysophorie, la Lettre des Toulousains ajoute une intéressante précision (l. 33) : « en le couronnant, ils lui ont concédé aussi la chrysophorie » (ἀνασ[τέφ]οντες ἐπα[νίε]σαν καὶ χρυσ[οφορίαν). La ligne est fort mutilée, mais elle mentionne bien l’attribution d’une couronne, dont le texte de la dédicace ne fait pas état, peut-être parce qu’il s’agit d’un honneur occasionnel, par exemple une couronne d’or au moment où, à l’assemblée, fut votée la chrysophorie70.

Lignes 16-19 : le décret autorisant la consécration de statues ou d’images en tout temple et tout lieu insigne d’Athènes

Le décret des Conseils, mentionné sur chacune des trois bases, permet à Rufus de consacrer (probablement à ses frais) des statues ou images de lui (ἀνδριάντες ou εἰκόνες)71 en n’importe quel temple (ναός) ou lieu « insigne » d’Athènes. L’implantation des statues honorifiques dans un lieu public fréquenté ou illustre - à Athènes l’Acropole, l’agora, une bibliothèque, un portique - est normale72. L’implantation dans un temple, s’il s’agit bien de l’édifice lui-même et non du sanctuaire, est moins claire. S’agissait-il du vestibule d’un grand temple (le pronaos), d’une chapelle en forme de niche (naïskos) ou d’un relief en forme de naïskos qui se trouvait dans la cella (le naos), ou encore d’un emplacement à l’extérieur, contre les murs latéraux du sekos ou sur les degrés ? Le fait de laisser par décret le choix à Rufus lui-même (semble-t-il) pour consacrer des statues de lui (ou de qui il voudrait) là où il voudrait et sans limitation dans le temps est un honneur certainement réservé aux grands « bienfaiteurs ». Cela explique que Rufus fit ériger au moins trois statues, deux de lui sur l’Acropole et une de lui avec sa femme et son fils sur l’agora. D. Fishwick a rapproché cet honneur considérable des honneurs attribués, dans des termes très proches, à un grand bienfaiteur de la cité d’Ephèse, en 104, sous Trajan : « … qu’il soit honoré des honneurs les plus hauts, comprenant l’érection de statues dans le sanctuaire d’Artémis et dans tous les lieux insignes de la cité »73. Une sorte d’équivalence entre les honneurs attribués à Trébellius Rufus et ceux que, vingt ans plus tard, Vibius Salutaris reçut à Ephèse en récompense d’une donation spectaculaire, prouve que les dépenses évergétiques de Rufus à Athènes ont été, elles aussi, très importantes. Et la répétition de l’expression où figurent ensemble temples et « lieux insignes » montre qu’il s’agit d’une formule utilisée dans le cas où étaient attribués « les honneurs les plus hauts » (αἱ κράτισται τιμαί), comme dit l’inscription d’Ephèse. La multiplication des statues honorifiques en l’honneur d’un même personnage, probablement courante pour les empereurs, était probablement beaucoup moins fréquente pour les « bienfaiteurs ». Mais elle ne devait pas être exceptionnelle. On connaît le cas de Lollianos le Sophiste qui, sous Hadrien, eut deux ou peut-être trois statues à Athènes74. Pour Trébellius le Gaulois, ce niveau de dépense est aussi le signe de son philhellénisme.

Lignes 19-20 : les « attendus »

Les honneurs décernés à Trébellius l’ont été « à cause de sa grandeur d’âme (μεγαλοψυχία), de son mérite (ἀρετή) et de son dévouement à l’égard d’Athènes (εὔνοια εἰς τοὺς Ἀθηναίους) ». Entre ces trois qualités liées, qui sont l’idéalisation d’un comportement, l’éloge de la « grandeur d’âme » du titulaire est particulièrement remarquable. La « grandeur d’âme » de Rufus est la grandeur des dépenses qu’il a engagées pour la cité, c’est de la « générosité » au sens financier du terme. D. Fishwick fait observer (p. 92) que, dans l’inscription d’Ephèse aussi, les donations généreuses de Vibius Salutaris sont attribuées à sa « grandeur d’âme » en même temps qu’à sa « piété à l’égard de la déesse » (que l’inscription est destinée à faire connaître)75. Dans le cas de Salutaris, la mention de sa « piété » semble préciser la nature de sa « générosité » évergétique : il s’agit d’une donation à caractère religieux, conservée, tout ou partie, dans le trésor du temple d’Artémis. Dans le cas de Rufus, les mots de « mérite » et de « bienveillance pour les Athéniens », qui accompagnent la mention de sa « générosité » n’ont pas ce caractère religieux, mais ils ne suggèrent rien quant au contenu de cette « générosité »76. Et comme la dédicace ne parle aucunement des évergésies de Rufus, leur nature (monument, distribution, jeux, ou autres) reste hypothétique77.

Base de l’agora

Partie supérieure

Lignes 1-10 : la reprise du texte de dédicace inscrit sur les bases de l’Acropole

Ce texte de l’agora présente, à la fin, une différence importante avec celui de l’Acropole : à la suite de la mention du décret autorisant la consécration d’une statue en tout lieu marquant d’Athènes est ajoutée la mention de deux personnages appartenant à la famille de Rufus.

Lignes 8-10 : l’épouse[?], prêtresse de la déesse Athéna[?], et le fils

La dédicace sur l’agora de cette autre statue de Quintus Trébellius Rufus s’achève donc avec la mention d’une femme (dont le nom a disparu au début de la ligne 8) et du fils de Quintus (dont le praenomen a disparu et dont ne subsistent que le gentilice et les deux cognomina, Rufus Maximus). La mention vague de leur « amitié pour les Athéniens » (φιλία εἰς τοὺς Ἀθηναίους, l. 9 - φιλία est restauré par Oliver à la ligne 9) permet de les associer à Rufus.

Pour le fils, aucune indication de fonction religieuse ou politique ne figure, ce qui veut probablement dire qu’il est encore jeune et, donc, que ses parents ne sont pas très âgés (peut-être moins de cinquante ans), comme l’a noté Aymard. Ce jeune homme pourrait être d’abord venu à Athènes comme étudiant.

Pour la femme, non seulement son nom, mais aussi les deux mots indiquant sa parenté avec le grand prêtre de Narbonnaise et le nom de la déesse dont elle est prêtresse à Toulouse ont disparu : les mots épouse et Athéna (ou Pallas) sont des restitutions modernes. En ce qui concerne la parenté, on a pensé que cette femme pourrait être la fille (θυγατέρα) de Rufus78 Mais sa place entre le père et le fils et avant le fils indique qu’il s’agit très probablement de l’épouse. En ce qui concerne la déesse dont cette femme est prêtresse à Toulouse, il doit s’agir d’Athéna. Le nom de la déesse Rome (θεᾶς Ῥώμης) a été proposé par le premier éditeur et nous-même avons pensé à Sébastè/Augusta (Livie) ou à Antonia (l’épouse de Drusus). Mais, à Athènes, aucune inscription en l’honneur de Romaines ne mentionne d’autre déesse qu’Athéna79. Il faut, dans ce cas, admettre l’existence d’un culte d’Athéna à Toulouse80.

Que signifie, au centre de l’agora d’Athènes, la mention de cette prêtresse d’Athéna ? Le fait qu’une femme investie d’une fonction religieuse soit honorée publiquement n’a rien d’exceptionnel en soi, les femmes n’ayant d’accès officiel à l’espace public que par le religieux. Ce qui importe, c’est que la femme soit identifiée (en plus de son nom que le temps a effacé) à la fois par sa qualité d’épouse de Rufus et par son sacerdoce toulousain - l’absence d’un patronyme qui compléterait son nom n’indiquant certainement pas une origine plus modeste que celle de son époux. Ce qui est signifiant, c’est que la prêtresse de Toulouse soit liée, dans la personne de son époux, au flamine provincial de Narbonne et à l’archonte investi de fonctions religieuses à Athènes. Son titre d’épouse du flamine redouble son caractère sacré81. Mais surtout la double caractérisation, au milieu de l’agora, de cette Gauloise de haut rang, comme épouse de l’ex flamine impérial de Narbonne et comme prêtresse à Toulouse d’Athéna, déesse éponyme d’Athènes (qui est aussi la protectrice officielle de Domitien), contribue à resserrer encore, sur le plan du sacré, le lien entre Athènes et Toulouse, sous le patronage de l’empereur.

L’autre fait remarquable, c’est le caractère familial fortement marqué de l’inscription honorifique de l’agora, par opposition à l’inscription de l’Acropole. Le texte en l’honneur de Rufus est le même dans les deux cas, mais, sur l’agora, la fin du texte est modifiée pour associer à Rufus son épouse et son fils. La base de l’agora était donc surmontée d’un groupe familial de trois statues82. Le fait semble peu courant, même s’il semble y avoir eu sur l’agora un exemple (nettement plus tardif) d’un groupe familial semblable83

Ligne 8 : la restitution du nom d’Athéna et le “palladisme” de Domitien

La restitution du nom d’Athéna (ou de Pallas), dans le titre sacerdotal de la prêtresse de Toulouse, est rendue plus probable encore par le fait que Domitien fit de Minerve sa déesse protectrice et la déesse tutélaire de sa famille. Il ne s’agit pas, en effet, d’un fait accessoire, mais de la mise en place, sur le plan religieux et culturel, d’un véritable “système palladien”. Dion Cassius (au début du IIIè s.), commence son livre LXVII (consacré au règne de Domitien) en rappelant que, « parmi les divinités, c’est Athéna que Domitien vénérait le plus ». Et l’un des présages qui, à l’autre bout du livre, annonce à l’empereur son assassinat prochain, est un rêve de disparition de Minerve : « Il lui sembla, pendant son sommeil, (…) que l’Athéna [i.e. la statue] installée dans sa chambre à coucher84 jetait ses armes et que, emportée sur un char tiré par des chevaux noirs, elle tombait dans un gouffre »85. De la force du lien qui unit l’empereur et sa déesse témoigne la façon dont Martial (en 94, vers la fin du règne de Domitien) apostrophe Pallas, dès la première épigramme de son VIIIème livre, juste après la dédicace du livre à l’empereur : « C’est à toi, Pallas, toi, la Protectrice de César, de venir m’assister »86. Suétone (vers 120) rappelle que l’empereur avait institué un collège chargé d’organiser dans sa villa d’Albe, pour les Quinquatries de Minerve, outre des chasses et des jeux scéniques, des concours d’éloquence et de poésie (en latin et en grec, semble-t-il)87. Stace, qui fut couronné à Albe aux jeux de Domitien, consacre la première de ses Silves au colosse équestre de Domitien, installé au centre du Forum en 91, et précise que l’empereur a la main droite levée pour interdire les combats et présente sur sa main gauche une statue de Minerve qui tend la tête de la Méduse (v. 37-40)88. A Athènes, si on se fie à un texte de Philostrate, Domitien passait pour bénéficier spécialement de la bienveillance d’Athéna89. Les constructions de l’empereur et les monnaies sont le signe éclatant de sa vénération pour la déesse. A Rome, au fond du forum transitorium, qui est son œuvre et qui prit à sa mort, quand sa mémoire fut maudite, le nom de Forum de Nerva90, il fit bâtir un temple dédié à Minerve91. Et après l’incendie qui ravagea le Champ de Mars, en 80, il fit ériger un petit temple rond de Minerve-du-Porche (Minerva Chalcidica), à l’entrée du Porticus Divorum, la place à portiques où il fit bâtir deux petits temples en l’honneur de Vespasien, son père, et de Titus, son frère92. Minerve devenait ainsi la déesse tutélaire de toute la dynastie. Quant aux monnaies, il fit, dès le début de son règne, frapper des pièces d’or (aurei) et des deniers d’argent avec, au revers, étroitement associée à son propre portrait, l’effigie de la déesse, soit en buste, soit en pied, soit combattante, soit statique93.

Ici intervient le problème posé par le nom que Martial donne à Toulouse, dans le vers où il fait l’éloge de Marcus Antonius Primus, le glorieux Toulousain qui conquit le trône pour la dynastie flavienne et se retira ensuite à Toulouse : « Marcus, gloire incontestée de Toulouse Palladienne… »94. Toulouse Palladienne, est-ce le nouveau nom officiel de Toulouse, décerné par Domitien à la cité, un raccourci d’une nouvelle titulature officielle comme Colonia Flavia Augusta Palladia Tolosa Tectosagum95 ? Ou bien est-ce simplement une froide épithète poétique utilisée par Martial pour honorer la cité de son savant ami et protecteur ? La seconde interprétation semble courte et insuffisante. Quand Martial, dans le premier vers de son livre V, s’adresse à « César » en évoquant les collines d’« Albe la Palladienne », où séjourne l’empereur, il ne parle pas que de la villa de Domitien, mais il fait évidemment allusion aux Fêtes de Minerve que l’empereur a initiées à Albe et, en fait, à tout le ”système palladien” de Domitien. Il est donc douteux que la présence dans un vers de Martial d’une épithète flatteuse, puisse, à elle seule, expliquer que le nom de Palladia Tolosa se soit imposé et qu’il ait été repris dans les quatre siècles qui suivirent, comme en témoignent Ausone et Sidoine Apollinaire96. J.-M. Pailler a montré avec des arguments convaincants qu’il s’agit bien d’un nom officiel, attribué à la cité par Domitien. Mais les noms et la procédure de nomination étaient liés, chez l’empereur autocrate, à une conception du pouvoir nouvelle et personnelle, appuyée sur une forme de dévotion ou d’obsession religieuse qui lui était propre - dont on trouve des équivalents chez Commode ou Caracalla. Une fois Domitien disparu et maudit, le caractère officiel, sinon politiquement marqué, de ce nom a dû s’estomper assez vite. Le nom des villes se simplifie. C’est en prenant un caractère traditionnel que l’épithète a perduré pour la plus grande gloire de la cité.

En ce qui concerne l’inscription d’Athènes, ce qui importe, ce n’est pas directement le nom de Palladia Tolosa, puisqu’il n’y figure pas (Toulouse y est simplement appelée Τολώση), ce sont les liens de “parenté” à la fois imaginaires et réels tissés, par l’intermédiaire de Rufus (et de son épouse), entre Toulouse et Athènes, la province de Narbonnaise et la province d’Achaïe. Le lien ainsi créé - qu’il s’appuie ou non sur un nouveau nom officiel - est concrétisé, d’une part, par les honneurs décernés par Athènes au Toulousain, d’autre part, par la Lettre que les Toulousains adressent aux Athéniens (et possiblement par la prêtrise d’Athéna exercée par l’épouse de Rufus à Toulouse). Quant à la Lettre de l’Assemblée provinciale de Narbonnaise aux Athéniens, gravée à côté de la Lettre des Toulousains, dans un parallélisme voulu, elle intègre la ”parenté” de Toulouse et d’Athènes dans un système religieux et politico-culturel plus vaste, à l’échelle des provinces et de l’empire. On voit que c’est nécessairement par la volonté de l’empereur régnant et en plein accord avec sa politique que ces échanges ont lieu et que le nom de Palladia Tolosa place Toulouse sous le patronage de la déesse tutélaire de l’empereur. S’il s’agit bien d’Athéna dans la dédicace d’Athènes, ce n’est nullement par hasard que l’épouse du “flamine de Domitien” de Narbonne est mentionnée en tant que prêtresse de la “déesse de Domitien” à Toulouse. Toulouse devient ainsi l’autre cité de Pallas, l’Athènes de la Narbonnaise.

Partie inférieure gauche : Lettre de l’Assemblée provinciale de Narbonnaise

Lignes 12-14 : le titre de la Lettre et sa première ligne

Le texte de la première Lettre, celle du Consilium Provinciae, n’est plus lisible, sauf pour les trois premières lignes (l. 11-14). La ligne 14, ἀρ]χιερέα πρῶτον ἡμέτερον, confirme que Rufus est le premier dans le temps à avoir occupé la fonction de grand-prêtre du culte impérial de la province et non pas le premier Toulousain (comme certains exégètes l’ont pensé). Le rappel insistant de cette priorité montre son importance97.

Partie inférieure droite : Lettre du Conseil municipal des Toulousains

La seconde Lettre, la Lettre de remerciement des Toulousains aux Athéniens, utilise, pour faire l’éloge de Rufus, une rhétorique quelque peu grandiloquente, autour de la notion de gloire (εὐκλεία, l. 34, εὐδοξία, l. 38). La Lettre semble se référer au moins deux fois aux honneurs mentionnés dans la dédicace, la chrysophorie (l. 33) et la prêtrise à vie (l. 38).

Lignes 31-32 : Les décurions de Toulouse expriment d’abord leur « immense gratitude » (πλειστὴν χάριν). Grande est leur fierté de voir Trébellius Rufus (« notre Rufus », l. 34) recevoir des prestigieux Conseils de l’antique Athènes des honneurs qui sont un ornement pour « notre réputation » (l. 32).

Ligne 33 :

« en le couronnant, ils lui ont concédé la chrysophorie » : voir supra le comm. des l. 14-15

Ligne 34-37 :

« une gloire commune », « aimé au point de susciter une rivalité entre cités », « illustre non seulement chez nous, mais dans des provinces entières », « juste serviteur de la majesté <de… ?> et des Augustes »

Les l. 34-36 expriment à nouveau la fierté des Toulousains, qui constatent avec emphase que « notre Rufus » bénéficie d’« une gloire commune » et que l’amour que lui portent les cités suscite – selon leur expression – une « émulation » ou « rivalité » entre elles (εἰς ἅμιλλαν πόλεων φιλεῖται), ce qui doit signifier qu’elles rivalisent d’honneurs. Un mot est repris avec insistance. Les honneurs athéniens de Rufus contribuent à « l’ornement de la réputation de Toulouse » (εἰς διάκοσμον τῆς ἡμετέρας δόξης, l. 32). Rufus, qui « est aimé à l’envi » par les cités, « en a été l’ornement » (διεκόσμησεν) (l. 34-36). Quelles cités « rivalisent » ainsi d’amour et d’honneurs ? Sûrement Athènes, Toulouse et Narbonne, avec des inscriptions honorifiques et des statues, peut-être même Rome, qui a mis Rufus à la tête d’une confrérie sacerdotale, mineure certes, mais prestigieuse.

Les l. 36-37 pourraient être très importantes, car elles semblent fournir l’explication de la « gloire commune » de Rufus. Mais la mutilation du passage les rend difficiles à interpréter. La difficulté commence avec l’affirmation que Rufus est « illustre » non seulement à Toulouse, mais « dans des provinces entières ». S’agit-il seulement d’une façon emphatique de désigner les provinces de Narbonnaise et d’Achaïe ? Ou sinon, de quelles provinces s’agit-il ? Une expression clef se trouve à la l. 37 : «...]ινωμένης σεμνότητος ἴσος ὑπηρέτης καὶ τῶν Σεβαστῶν ». Les Augustes, οἱ Σεβαστοί, ne peuvent être que les empereurs, probablement l’ensemble de la dynastie flavienne, puisque Domitien, lui-même Dominus et Deus, a initié et développé le culte de son père et de son frère, comme le montre la construction, sur le Champ de Mars, du Porticus Divorum et de ses deux temples98. Mais le lien grammatical entre les mots subsistants est peu clair. Le syntagme ἴσος ὑπηρέτης semble avoir pour complément le mot abstrait σεμνότης, lui-même précisé par un participe apposé (-ινωμένης)99 et suivi de deux compléments (x καὶ τῶν Σεβαστῶν). Le sens de σεμνότης ne fait guère problème : il s’agit de la majesté d’un dieu ou d’un roi (ici les Augustes)100. Comme les empereurs ne peuvent être associés qu’à des dieux ou à une entité divinisée, le complément disparu de σεμνότητος qui précède les Augustesdevait être un collectif divin à caractère générique (τῶν θεῶν) ou bien une entité divine comme Rome (Ῥώμης). Le mot le plus difficile est ἴσος, dont on ne sait pas s’il est une simple cheville grammaticale ou s’il a un sens plein. En apparence, ἴσος ne sert qu’à mettre sur le même plan les deux compléments (ce sont pour le sens des compléments de ὑπηρέτης) : « serviteur à égalité de la majesté de x et des Augustes ». Dans ce cas, comme la mention des Augustes fait normalement partie du nom d’une prêtrise, l’ensemble de l’expression semble renvoyer d’une manière emphatique à l’ensemble des fonctions religieuses de Rufus, ou simplement au flaminat provincial. Car « serviteur de la majesté (de Rome) et des Augustes » serait une façon noble de désigner, avec une métaphore calquée sur le titre du grand-prêtre fédéral de Lyon, le flamine de Narbonnaise : ἀρχιερεὺς (τῆς Ῥώμης ?) καὶ τῶν Σεβαστῶν traduisant sacerdos (Romae) et Augustorum (cf. l. 5-6). Toutefois, dans le contexte de la Lettre des Toulousains, celui d’un éloge de Rufus « illustre dans des provinces entières », il est possible que ἴσος signifie “droit, juste, équitable, impartial, aequusen latin”101. Dans ce cas, il ne s’agirait pas de fonctions religieuses, mais de fonctions civiles (curatèles, procuratèles, etc). C’est en tant que fonctionnaire impérial que, sous plusieurs empereurs, Rufus, « serviteur plein d’équité des Augustes », aurait assumé avec exactitude (selon les Toulousains) des charges administratives (probablement financières) dans les provinces102. A la satisfaction de tous et honoré par tous.

Ligne 38

 la « prêtrise à vie » mentionnée doit être la prêtrise d’Eucléia et Eunomia (la Bonne Renommée et le Bon Ordre) qui est mentionnée dans la dédicace - deux entités qui trouvent facilement leur place dans cette rhétorique, à côté de la « rivalité » pacifique des cités dans « l’amour » (l. 35) et la « glorification commune » (l. 34) de l’ἀρετή (l. 19) du magistrat et du prêtre du culte impérial.

Lignes 39-40 : le « désir de repos » de Trébellius Rufus

Ce « désir de repos », qui surgit vers la fin du texte, est, lui aussi, difficile à interpréter en l’absence de contexte. Ces mots semblent vouloir dire que le chevalier toulousain n’a pas accepté l’adlectio au sein du « Sénat des Romains », dont le nom mutilé apparaît à cet endroit. Le premier éditeur de la base, qui a proposé cette interprétation, cite un cas semblable, mentionné par Pline le Jeune. Sous Vespasien, le princeps de l’ordre équestre, Pater Minicius Macrinus, « ne voulut pas aller plus haut » (nihil altius voluit) ; et quand Vespasien lui proposa de le faire directement sénateur prétorien (par adlectio inter praetorios, comme s’il avait vraiment rempli toutes les magistratures jusqu’à la prêture), « il préféra, avec une extraordinaire force d’âme, un noble repos (honestam quietem) à ce que j’hésite à appeler nos honneurs ou bien nos intrigues »103.

Mais un autre cas, plus remarquable encore, est celui de l’autre Toulousain célèbre du Ier siècle, M. Antonius Primus. Ce général qui, par sa victoire de Crémone et sa prise de Rome, en 69, assura le trône impérial à Vespasien, se retira à Toulouse, d’où il continuait à communiquer, au temps de Domitien, avec ses amis de Rome. Martial évoque cet ami et protecteur de soixante-quinze ans « heureux de sa paisible vieillesse » (X, 23, 1) et, dans l’épigramme fameuse où figure le nouveau nom de Toulouse (IX, 99), il fait du vieil homme « la gloire incontestée de Toulouse Palladienne, gloire qu’enfanta Tranquillité nourrisson de Paix104 ». Chez Martial, Quies devient entité divine, mais on reconnaît bien l’honesta quies choisie par Minicius Macrinus. Le choix de l’ἡσυχία par Trébellius Rufus ressemble donc à la fois au choix de Quies qu’avait fait, quelque vingt ou vingt-cinq ans plus tôt, son aîné, le glorieux sénateur Antonius Primus, et au choix de l’honesta quies, qu’avait fait sous Vespasien, quelque dix ou quinze ans plus tôt, le princeps equestris ordinis, Minicius Macrinus105. Plusieurs autres cas de retraite, choisie ou forcée, sont connus sous Domitien106. Rufus a pu les connaître (ou entendre parler d’eux, s’il vivait à Athènes).

Que signifie le choix de l’ἡσυχία, la ”tranquillité”, qu’a fait Rufus, ou le choix de l’honesta quies, l’« honorable repos » fait par ses prédécesseurs ? C’est le choix “philosophique” d’un genre de vie (un βίος) éloigné de la grande politique et des affaires publiques. Le problème de l’otium, qui englobe celui de l’âge de la retraite, fait partie des préoccupations des intellectuels de l’époque, Sénèque, Pline le Jeune, Plutarque. L’otium, l’éloignement des affaires (negotia), proche de l’honesta quies, est comme la transposition romaine de l’ἡσυχία, cette ”tranquillité” grecque à résonance philosophique. Sénèque avait consacré à ce genre de choix son petit De otio, Sur le loisir107. Nos sénateurs et chevaliers de l’époque flavienne ne sont pas des philosophes108. Mais, comme Pline le Jeune, Plutarque ou Antonius Primus (et Domitien lui-même), ces notables riches et cultivés affectent d’avoir pour idéal de vie une existence partagée entre les tâches politiques (ou militaires) et la culture des belles lettres. Ils conçoivent la retraite comme une période de vie consacrée à la gestion du domaine et aux travaux littéraires109. Est-il nécessaire d’ajouter que, dans certains cas, en l’absence de contexte, il est bien difficile, de savoir si ce “choix de vie”, toujours idéalisé dans les textes, était complètement volontaire ou s’il était imposé par les circonstances ou par une attitude réticente ou hostile de l’empereur110 ? En ce qui concerne Trébellius Rufus, son « désir de repos » se comprendrait bien, s’il avait été un favori de Domitien, après l’assassinat de l’empereur et la malédiction de sa mémoire, en 96111.

Politique et culture à Toulouse sous les Flaviens

Que tirer, en ce qui concerne l’hellénisme toulousain, de ces inscriptions athéniennes, à la lumière de ce que nous savons par ailleurs ? Observons tout d’abord que Trébellius Rufus, le chevalier toulousain, si glorieux sur les dédicaces de ses statues, n’est pas autrement connu, en dehors des quelques inscriptions datées de son archontat (supra n. 5). Il n’a nullement eu, sous Domitien, un rôle semblable à celui qu’avait joué, en 69, son compatriote M. Antonius Primus. Primus fut, pendant trois ou quatre mois, en 69, un personnage historique de première importance, comme on le voit par Tacite. Après 69, de rang sénatorial, revêtu des ornements consulaires, il resta un personnage puissant et influent, y compris dans sa vieillesse, comme on le voit par Martial. S’il est probable que les Flaviens s’intéressent particulièrement à Toulouse, à ses notables et (semble-t-il) à sa parure monumentale, alors que cette ville neuve, créée par Auguste, n’est encore qu’une ville d’importance moyenne, aux confins de la Narbonnaise, c’est sûrement grâce à Antonius Primus, du moins en partie. Primus a donc vraisemblablement joué un rôle dans l’ascension de Rufus. Dans le milieu décurional toulousain, il semble bien improbable que le vieux sénateur (né peu avant l’an 20) et le nouveau chevalier (son cadet de quelque trente ans) ne se soient pas rencontrés. Le dernier empereur flavien (né lui-même en 51) connaissait bien Antonius Primus, l’homme que, en décembre 69, il avait rejoint avec soulagement comme un sauveur, après avoir échappé à la mort de justesse au cours des événements dramatiques de la prise de Rome112. Quant à Rufus, rien n’indique qu’il ait eu une carrière administrative et militaire romaine, même modeste. Mais lui aussi, dans cette “nouvelle ère” symbolisée, après la fin de la guerre civile de 69, par la construction du Temple de la Paix, il collectionne des premiers rôles d’un nouveau genre : premier de sa famille à appartenir à l’ordre équestre, premier magistrat à Toulouse, premier titulaire du premier sacerdoce de sa province de Narbonnaise, probablement premier Gaulois ou premier provincial à exercer en Italie un vieux sacerdoce latin et, à ce titre, à jouer un rôle dans les Féries latines d’Albe (au cœur antique du Latium, où Domitien a sa résidence favorite et où il organise chaque année une célébration “privée” des Fêtes de Minerve) ; selon les spécialistes, premier chevalier romain à devenir citoyen d’Athènes113 ; a fortiori, probablement, premier chevalier romain, en même temps que premier Gaulois, à assumer, à l’imitation de l’empereur, la charge de premier magistrat de la cité d’Athéna, ce qui lui confère un siège de premier rang au théâtre de Dionysos. Tout se passe comme si on pensait volontiers à lui, en haut lieu, dès qu’il y avait un poste honorifique important (et coûteux) à faire occuper quelque part par l’un de ces fidèles (et riches) citoyens de Narbonnaise. Rufus, partout “premier de la classe”, bénéficie clairement d’un soutien sans faille de l’empereur. Il est assez probable que, à Rome ou à Albe, il a rencontré le Dominus et Deus en personne. Les Toulousains pouvaient être fiers d’avoir fourni à l’empire un aussi bon élève.

Pour les élites romaines, depuis l’époque républicaine, pour les empereurs depuis Auguste (à des degrés divers), pouvoir et culture sont inséparables et, dans leur conception de la culture, le latin et le grec sont étroitement unis114. Domitien en particulier, l’empereur “palladien”, se veut à la fois chef de guerre triomphant et grand protecteur des lettres et, plus encore que son père115, il a une politique culturelle forte et affichée. Ce que montrent les exemples de Primus et Rufus, les deux Toulousains d’époque flavienne, c’est à quel point, au Ier siècle, la culture gréco-romaine est profondément implantée à Toulouse, avant même qu’elle ne devienne “Toulouse la Palladienne”.

En ce qui concerne Primus, Tacite évoque plusieurs fois, au livre III des Histoires, les dons d’orateur du chef d’armée de 69, la puissance de sa parole, capable de calmer autant que d’enflammer116. Il n’est pas inconcevable que cet homme aussi cultivé et éloquent que brillant chef de guerre ait pu apparaître inconsciemment au jeune Domitien comme un père selon son cœur, à la place de son père rugueux, avec lequel, contrairement à Titus, il entretient des rapports quelque peu tendus117. Martial célèbre le vieux sénateur retiré à Toulouse, « gloire incontestée de Toulouse la Palladienne »118, comme un éloquent ami (facundus amicus) et comme un lettré (doctus). Le surnom gaulois que portait Primus enfant, Beccos, « Bec de coq » - peut-être déjà un signe de la précocité et de la vigueur de son caquet - ne pouvait plus être, au temps de Domitien, qu’un souvenir du patois de son enfance119.

Quant à Rufus, les hautes fonctions politiques et religieuses qu’il exerça à Narbonne et à Athènes témoignent de sa parfaite maîtrise du latin et du grec. Mais, tout aussi significative, dans l’inscription de l’agora, est la Lettre des Toulousains aux Athéniens. Ce n’est pas que le style plutôt pompeux de ce modeste chef d’œuvre, mal immortalisé par une gravure défaillante, soit bien admirable, du moins dans la mesure où les pauvres restes de l’inscription permettent d’en juger. C’est que cette Lettre témoigne d’un bel apprentissage de la rhétorique par les élites toulousaines de l’époque, probablement appuyé, comme ailleurs, sur l’étude du grec et des auteurs grecs.

Au moins depuis le début du Ier siècle, les cités de Narbonnaise et des Trois Gaules subventionnent des « sophistes » de langue grecque, grammairiens et rhéteurs, comme le note Strabon120. Les écoles de Marseille et d’Autun sont mentionnées pour le Ier siècle121. Mais il ne fait guère de doute que les mêmes écoles existaient à cette époque dans les autres chefs-lieux de cités, et notamment en Narbonnaise, cette province particulière qui est « l’Italie plutôt qu’une province »122. En ce qui concerne Toulouse, le hasard a fait que nous connaissons peut-être, grâce à Suétone et Saint Jérôme, le nom d’un célèbre rhéteur toulousain du Ier siècle, un professeur d’éloquence qui, vu les dates, pourrait avoir formé Trébellius Rufus et les gens de son âge : « L. Statius Ursulus <Toulousain, qui enseign(ait) la rhétorique en Gaule et avait une grande réputation> »123. Le moment où le situe Jérôme, l’Olympiade 209-1, correspond à l’année 57/58 de notre ère. Ce professeur toulousain tenait donc une école de rhétorique sous Néron (54-68), probablement à Toulouse même, et sa réputation fut assez grande pour que Suétone le classât parmi les seize grands maîtres de rhétorique auxquels il a consacré une notice. Comme cette notice est perdue, nous ne connaissons d’Ursulus que ce que dit de lui la courte phrase de Jérôme124. Par un paradoxe ironique, à supposer qu’Ursulus ait été, autour de l’an 60, le maître de Rufus et des jeunes nobles de Toulouse (ce qui est fort possible), le seul misérable reste de l’enseignement que ces jeunes gens ont reçu, ce sont les lignes 34-40 de la base de l’agora ! Une certaine enflure et l’usage de grands mots semblent d’ailleurs dans la ligne de l’asianisme empreint d’affectivité qui caractérisait, paraît-il, l’école “gauloise” de rhétorique125. Car c’est aussi le seul endroit de ce texte où un accent personnel est perceptible, derrière la rhétorique de l’éloge - qui devait faire partie de l’enseignement du maître. Pour les notables qui sont les auteurs de la Lettre, « leur » Rufus est vraiment un modèle, lui qui a été πρῶτος toute sa vie, dont l’ἀρετή est reconnue par Athènes, autorité culturelle suprême, et dont l’εὔκλεια, la gloire, rejaillit sur eux et sur leur « patrie » toulousaine. La statue ou les statues athéniennes de Rufus ont une véritable portée symbolique en ce qui concerne l’hellénisme gaulois et toulousain126. Dans cette seconde moitié du Ier siècle, au temps d’Antonius Primus, le sénateur lettré facundus et doctus qui est une vieille gloire de la cité, et au temps de Rufus, l’ex-archonte athénien statufié sur l’Acropole et sur l’agora et revêtu de l’or de sa chrysophorie, qui fut peut-être l’élève du meilleur des maîtres de rhétorique toulousains, il y a bien un moment hellénisant à Toulouse la Palladienne - la ville toute neuve que Domitien, le favori de Minerve, doit avoir aidée et favorisée127.

En guise de conclusion générale

La mutilation des inscriptions d’Athènes en l’honneur de Trébellius Rufus contraint tout interprète qui cherche à en scruter la signification à échafauder de nombreuses hypothèses, en s’appuyant sur le contexte historique, dans un véritable jeu de pistes. Le grand intérêt de ces petits textes vient de ce qu’ils sont, en raccourci, très représentatifs de la construction du système politico-religieux et culturel sur lequel se fonde la société du Haut Empire, notamment en Narbonnaise. Significative, de ce point de vue, est la mise en place d’un axe entre Toulouse, Rome et Athènes, ou plutôt le prolongement vers Toulouse de l’axe Athènes-Rome. L’intégration de Toulouse et de la Narbonnaise dans le système en construction s’incarne d’une façon si parfaite dans le personnage de Trébellius Rufus tel que le présente le texte de la dédicace et les Lettres des Conseils, que l’auteur de la dédicace doit être Rufus lui-même, qui utilise, pour s’auto-représenter, son savoir, son expérience, sa culture et sa fortune. Rufus contrôle, choisit, organise et impose l’image qu’il veut donner de lui et de la place qu’il occupe dans le nouvel ordre romain.

1 E. Beulé 1853, p. 340, sans plus de précision.

2 Voir N. Papazarkadas 2012. Le bloc, découvert à Plaka (Athènes), est cassé à gauche, mais reste très important (longueur : 1,47m pour la partie qui subsiste, peut-être les deux-tiers ; hauteur : 0,29). Les 3 lignes sont les suivantes :

[. . . . . . . . εὐ]εργέτην [ vacat ? ]

[. . . . . . . . . ]ον Ῥοῦφον τὸν ἑαυ[. . . . . . ]

[. . . . . . . . . . ]οις [ vacat ]

En début de ligne 2, il faut peut-être suppléer Τρεβέλλι]ον. En fin de ligne 2, Papazarkadas propose ἑαυ[τῶν ou ἑαυ[τῶν ἄρχοντα (en rapprochant, pour la formule, IG II2 3672) ; et, en début de ligne 3, θε]οῖς (en rapprochant IG II2 3618, l. 7-10, et 5019).

Le texte est trop lacunaire pour que le titulaire puisse être identifié avec certitude.

3 J’ai enregistré l’inscription de l’Acropole d’après IG II2 4193, en la transcrivant en minuscules, et l’inscription de l’agora d’après Aymard 1946 (reproduisant Oliver 1941) et D. J. Geagan 2011 - en rejetant le Ῥώμης ajouté à la ligne 8 par Oliver et Geagan. Les points souscrits signalant les lettres douteuses ont été remplacés par des italiques.

4 Notre point de départ, pour dater l’archontat de Domitien, est le créneau établi par Paul Graindor (1931, p. 19) : « ce fut en tout cas entre 84/5 et 92/3, et plus près de 84 que de 92 » [à cause de la Lex Salpensana, qui, entre 81 et 83, consacre et règle l’acceptation par l’empereur du duovirat honorifique dans les municipes]. Simone Follet (1976, p. 319) resserre et précise ce créneau : « dans une année impaire de l’intervalle 85/6-91/2 ». Cela désigne les quatre années 85/6, 87/8, 89/90, 91/2. Troisième indice : dans la Vie d’Apollonios de Tyane de Philostrate (VIII, 16), un jeune homme venu assister aux Jeux olympiques dit que Domitien a été archonte éponyme d’Athènes (voir ci-dessous note 89). Il s’agit nécessairement des Jeux ouvrant la 218è Olympiade (90-95), en l’an 90 de notre ère. L’archontat de Domitien, antérieur à 90 et devant être placé dans une année impaire du créneau 85/6-91/2, daterait donc soit de 85/6, soit de 87/8, à la rigueur de 89/90 (son archontat aurait été encore en cours au début de l’année 90, s’achevant avant la célébration des Jeux). Quatrième indice : deux années d’« anarchie » sont connues à Athènes sous le règne de Domitien : l’une en 83, l’autre entre 86/7 et 95/6 (v. ci-dessous note 62). L’acceptation de l’archontat d’Athènes par l’empereur protégé d’Athéna/Minerve a pu avoir pour but de compenser une de ces défaillances, peut-être dès 85/6.

5 L’année 92/3 pour Elias A. Kapetanopoulos 1992-1998, « The Reform of the Athenian Constitution under Hadrian », Horos, 10-12, p. 234 : voir IG II2 1997, 2893, 4481 (trois inscriptions qui sont datées de l’archontat de Rufus, ἐπὶ Τριβελίου Ῥούφου ἄρχοντος, ἄρχοντος Τρεβελλίου Λαμπτρέως, ἐπὶ ἄρχοντος Κοίντου Τρεβελλίου Λαμπτρέως) ; et Fouilles de Delphes III : Epigraphie 2, 66, l. 11-13 = G. Colin, Inscriptions du Trésor des Athéniens, Paris, 1909-1913. L’année 91/2 pour Sean G. Byrne 2003, Roman Citizens of Athens, Dudley, Mass., p. 453 ; et pour Geagan 2011, p. 218 (« probably in 91/2 »).

6Lex de flaminio provinciae Narbonensis : CIL XII, 6038 = ILS 6964.

7 Suétone, Vesp. 23, 8 : Vae, inquit, puto deus fio »).

8 Voir ci-dessous n. 46.

9 L’argumentaire de J.-M. Pailler (repris de 1989 à 2016) est complet dès 1989. D. Fishwick reprend sa démonstration entre 1970 à 1978 (en 1970 et 1972 dans Historia, en 1978 dans A.N.R.W. II, 16, 2) et il la synthétise en 1998 (p. 107-112). Son grand argument tient à une clause de la Lex Narbonensis (l. 11-13) qui spécifie qu’un prêtre du culte provincial, à sa sortie de charge, doit être honoré d’une statue donnant son nom, celui de son père, son origine et l’année de sa charge ; selon lui, plusieurs dédicaces à des flamines provinciaux prouvent que c’est à partir du début du règne de Vespasien que cette prescription est appliquée : quatre dédicaces découvertes en Bétique (trois à des prêtres provinciaux, la première datant de Nerva, une quatrième à un prêtre local) ; trois dédicaces locales d’Afrique proconsulaire qui sont datées selon une “ère”, commençant en 70-72, une ère qui serait religieuse et non politique ; une série de plus de soixante-dix dédicaces à des prêtres provinciaux d’Espagne Citérieure, qui commencerait vers 70. Fishwick ajoute à cette liste une inscription d’Emérita (Lusitanie), qui est la dédicace provinciale d’une protomé d’or à Titus (en 77/8), et deux inscriptions de Gaule qui disent à quelle date consulaire deux prêtres de l’Autel des Trois Gaules ont occupé leur fonction (en 74 et en 75). En fait, si on les reprend l’une après l’autre, les dates restent peu sûres, sauf pour les trois derniers exemples, qui, éloignés du sacerdoce provincial, ne sont guère probants. Les exemples de J.-M. Pailler sont, eux aussi, de date mal assurée. Dans le plus remarquable (p. 174, 178), la dédicace de Castulo (CIL II, 3271), l’ordre de succession des charges est susceptible d’une double interprétation. Ce texte mutilé fait connaître (partiellement) la carrière d’un inconnu (de rang équestre) qui fut, apparemment, le premier flamine de la province de Bétique : « …du fisc et curateur du divin Titus en Bétique, préfet de Galice, préfet du fisc des Césars Empereurs en Germanie, tribun de la VIIIè légion, premier flamine augustal en Bétique » [ …fisci et curatori divi Ti(ti) in Baetica, prae(fecto) Galeciae, pre(fecto) fisci Germania Caesarum Imp(eratorum), tribuno leg(ionis) VIII, flamini augustali in Baetica primo (la suite étant peut-être martelée)]. Il est généralement admis que ce fragment de cursus suit l’ordre chronologique : la première fonction indiquée daterait du temps du défunt Titus (devenu divus) et la carrière culminerait avec le flaminat provincial, dont le dédicataire inconnu a été le premier titulaire (nécessairement sous Domitien, le nom de l’empereur maudit ayant pu être martelé). Mais, dans cet ordre ascendant, la préfecture du fisc, qui se situe sous les Caesares imperatores pose problème, car les deux Césars devraient être, dans ce cas, Titus et son frère Domitien, Titus se mettant à s’associer son frère (ce qui est improbable en soi et impossible si le divus Titus est déjà mort). Il est donc possible que le fragment de carrière soit présenté en ordre chronologique inverse, le flaminat provincial précédant le cursus administratif proprement dit. Le flaminat provincial se situerait sous Vespasien, le cursus administratif commencerait sous Vespasien avec le tribunat militaire et se poursuivrait avec les préfectures et les curatèles, tout d’abord sous les Caesares imperatores (dans ce cas, il s’agirait de Vespasien et de Titus, qui, selon Suétone, V. Tit. 6, 1-2, fut étroitement associé au pouvoir de son père), puis sous Titus, devenu divus au moment de la gravure. Enfin, dans le début perdu de l’inscription auraient figuré les fonctions exercées sous Domitien, les plus hautes. Dans le même sens irait le fait que, sous les Flaviens, dans les carrières équestres, les postes militaires (comme le tribunat de légion) semblent devoir être occupés avant les postes civils (comme la préfecture du fisc). Mais tout ce raisonnement reste fragile, vu le nombre de paramètres et l’incertitude des données. Malheureusement, la pierre est depuis longtemps perdue et la copie date du XVIè s. Dans le doute, nonobstant nos propres objections, nous nous en tenons à l’opinion la plus courante : la dédicace est gravée, comme partout ailleurs, à l’issue du flaminat provincial. Le flaminat de Bétique (Hispania Ulterior) serait donc bien le sommet de cette carrière équestre provinciale. Pour l’Afrique proconsulaire aussi, comme le fait observer J.-M. Pailler (p. 181), nous connaissons le nom de celui qui fut le premier à occuper le flaminat provincial : L. Calpurnius Augustalis, qualifié, dans une inscription de Thubursicu Numidarum (ILAlg I, 1295), de [sacerdoti ?] pr(ovinciae) Af[ricae pr]imo. Mais l’inscription n’est pas datée.

10 Trente ans est un âge trop bas : « on aurait de toute évidence exigé plus de maturité et d’autorité extérieure chez le premier titulaire de la plus haute charge de la province » (Aymard 1946, p. 516-517).

11 D. Fishwick (1998, p. 107) observe que l’écart temporel entre le flaminat et l’archontat de Rufus « peut être réduit à 10/15 ans, parce que ses honneurs en Gaule semblent de mémoire relativement récente, comme cela est rappelé dans la lettre du Conseil de Narbonnaise ».

12Fishwick 1998, p. 96-102.

13 Pailler 1989, p. 174, 178, ci-dessus note 9.

14 Fishwick (1998, p. 102) cite deux exemples, en Narbonnaise, d’un flamine provincial qui, sous Trajan, fut curator de cités, dans un cas Aix, dans l’autre Cavaillon, Avignon et Fréjus : CIL XII, 3212, cf. p. 836 (eq. p. habens, curator Aquensi coloniae datus ab Imp. Trai.) ; CIL XII, 3275 (= ILS, 6980, 6980a), cf. p. 837 (equum p.(ublicum) habens, curator Cabell. Avenniens. Foroiuliens.). Autre exemple en Afrique proconsulaire (CIL VIII, 16472, cf. p. 2722 = ILTun 1647) : un prêtre de la province qui peut avoir occupé (après son flaminat ?) deux postes de procurateur (le texte est corrompu).

15 Voir le commentaire des lignes 36-37.

16 Parmi les étapes possibles, militaires et administratives, d’un cursus équestre, la fonction de curator ou corrector d’une ou de plusieurs cités d’une province correspondrait bien aux compétences administratives et financières acquises par Rufus dans son cursus municipal. L’exemple “littéraire” le plus fameux est la lettre que Pline adressa à son ami Quinctilius Valérius Maximus, lorsqu’il fut envoyé par Trajan dans la province d’Achaïe comme corrector/διορθωτής des cités libres, Athènes comprise (VIII, 24), lettre où il lui conseille de respecter « l’ancienne gloire des cités » et de ne pas leur arracher « l’ombre qui subsiste et le nom qui est le seul reste de leur liberté ». Maximus n’était sans doute pas un tendre et Epictète (peut-être déjà protégé par Hadrien) lui fait la leçon d’une façon beaucoup plus brutale (Arrien/Epictète, Entretiens, III, 7, 30-36). La mission de Maximus se situe entre 103 et 109 (le livre VIII de Pline fut publié vers 107). A supposer que Trébellius Rufus ait eu une telle mission, il semblerait s’en être mieux tiré (selon la Lettre des Toulousains).

17 Dès 14 ap. J.-C., par une décision commune d’Auguste et de Tibère (peu avant la mort d’Auguste), les citoyens romains de Narbonnaise reçurent le droit de se porter candidat aux magistratures de Rome et donc d’accéder à la classe sénatoriale, trente-quatre ans avant que les citoyens romains des Trois Gaules n’obtiennent ce droit, en 48 (après le fameux discours prononcé par Claude devant un Sénat très réticent, le discours connu par les Tables de bronze de Lyon, CIL XIII 1668, et par Tacite, Ann. XI, 23-25).

Au plus haut niveau d’une carrière équestre, celui qu’aurait pu atteindre Rufus à Rome et auquel il semble avoir renoncé, se situe, par exemple, la carrière équestre de Lucius Volusius Maecianus (entre la fin du règne d’Hadrien et le début du règne de Marc Aurèle), qui est connue par une inscription d’Ostie ( 1955, 179 = 2002, 276 Ostia). Maecianus atteignit le rang sénatorial en étant successivement responsable de la poste impériale (le cursus publicus) et de plusieurs bureaux palatins (les bibliothèques-archives, a censibus/recensement, a libellis/requêtes), et enfin pontife mineur, préfet de l’annone, préfet d’Egypte, préfet du trésor de Saturne et consul désigné. Un cas “historico-littéraire” de hautes fonctions équestres, sous Marc Aurèle, Commode et Septime Sévère, est celui du richissime chevalier Larensius, le protecteur d’Athénée, auteur du Banquet des Sophistes. Selon Athénée, il fut « procurateur de notre seigneur l’empereur en Mésie et à la tête des affaires de cette province » (IX, 398d-e : ἐπιτροπεύων ἐν Μοισίᾳ τοῦ κυρίου αὐτοκράτορος καὶ προιστάμενος τῶν τῆς ἐπαρχίας ἐκείνης πραγμάτων) ; à Rome, « chargé des cérémonies et des sacrifices par l’universellement excellent empereur Marc Aurèle, aussi bien les rites grecs que les rites romains» (I, 2c). Selon l’Histoire Auguste (Comm. 20, 1-2), il était, au moment de l’assassinat de Commode, « procurateur du patrimoine » (il gérait les biens personnels de l’empereur). Selon son épitaphe (CIL 2126 = 32401 = ILS 2932), cet « incomparable époux » était encore « pontife mineur » au moment de sa mort.

18 L’immense reconnaissance des Athéniens pourrait, par exemple, s’expliquer par une aide de cet homme riche et expérimenté dans une affaire politico-financière. Mentionnons, à titre d’exemple, le conflit (obscur) qui opposa à ses compatriotes, devant l’empereur, le richissime Athénien Tibérius Claudius Hipparchos (le grand-père du fameux Hérode Atticus, ami de Marc Aurèle), conflit qui, à Rome ou à Athènes, s’acheva par la condamnation du potentat pour « menées tyranniques » et par la confiscation et la vente de ses biens (Philostrate, Vies des sophistes, II, n°1, 547). Suétone parle d’un procès d’Hipparchos devant Vespasien (V. Vesp., 13, 3). Mais P. Graindor (1930 [Un miliardaire antique…], p. 14-16 ; 1931, p. 19-21) situe la condamnation sous Domitien, en 92/93, en s’appuyant sur la Chronique d’Eusèbe et sur l’indication ajoutée au texte d’Eusèbe par Saint Jérôme dans sa traduction latine (Hieron. Chron., p. 191 Helm). 92/93, c’est une année où Rufus résidait probablement à Athènes après son archontat, puisque c’est l’une des deux années proposées pour son archontat. Même si Rufus n’est pas intervenu dans cette éclatante affaire, il n’a pu l’ignorer.

19 L’une des conditions pour être initié était de parler grec et il semble évident que Rufus, archonte d’Athènes, le parlait parfaitement, comme les Romains et les provinciaux cultivés de son temps.

20 Plutarque de Chéronée, qui pourrait avoir à peu près le même âge que Rufus, séjourne souvent à Athènes (il est aussi allé à Alexandrie et il a voyagé en Italie, à Rome et sur les champs de bataille de 69). Dans ses Questions de table, vers la fin de sa vie, il raconte les banquets cultivés qui ont réuni, au long des années, des notables grecs et romains distingués et cultivés, y compris des personnages de haut rang (un grand prêtre de la province d’Achaïe, deux ministres et conseillers, l’un de Vespasien, l’autre de Trajan, le prince Philopappos de Commagène), souvent à l’occasion de festivités, à Athènes et Eleusis, à Corinthe pour les Jeux Isthmiques, à Elis/Olympie, dans la station thermale d’Edepse, en Eubée. On a établi avec certitude que ces réunions se sont étendues sur trente à quarante ans, à partir de circa 80. Mais Rufus n’est pas nommé parmi les quelque quatre-vingts convives intervenants. Le seul Gaulois qui figure parmi eux (vers la fin de l’œuvre) est le fameux Favorin d’Arles (v. 80-v. 150), l’ami de Plutarque et d’Aulu-Gelle, qui appartient à la “jeune génération”.

21 Voir ci-dessous la n. 77. Dans la dédicace de sa Bibliothèque, Pantainos se dit « prêtre des Muses amies du savoir et fils de Flavios Ménandros, chef d’Ecole » (ὁ ἱερεὺς Μουσῶν φιλοσόφων Τ. Φλάβιος Πάνταινος, Φλαβίου Μενάνδρου διαδόχου υἱός). Ce « prêtre des Muses philosophes » est probablement enseignant et son père était ou avait été, en tant que « diadoque (successeur) », à la tête d’une des quatre Ecoles philosophiques d’Athènes (on ignore laquelle). En fondant sa Bibliothèque, Pantainos doit rendre public l’accès à ses propres livres.

22 Plus loin, au contraire (l. 33), dans l’expression ἐπα[νίε]σαν καὶ χρυσ[οφορίαν (si la restitution est correcte), ἐπανίεσαν semble la traduction littérale du latin concesserunt (si l’usage de l’imparfait est grec, l’utilisation de ἐπανίημι, concéder, semble inhabituelle en grec dans le cas d’une magistrature ou d’un honneur). Cela pourrait indiquer que la Lettre ronflante des décurions toulousains n’a pas été écrite directement en grec, mais qu’elle est traduite du latin.

23 Voir ci-dessous notes 63-64.

24 Voir la liste des prêtresses de cultes publics en Gaule que donnent Rémy et Mathieu (2009, p. 199) : sauf dans le cas d’une inscription mutilée (antistita deae […]), la prêtresse est dite ailleurs sacerdos Minervae et Dianae, sacerdos Dianae, sacerdos Isidis, etc.

25 La liste des flaminiques des Gaules donnée par Rémy et Mathieu 2009 (p. 197-198) contient 22 exemples de flaminicae Aug., dont deux sont flaminica divae Aug. et une flaminica divae <…>. En Espagne Fishwick 1998 (p. 85, n. 11) signale deux exemples de femme sacerdos divae Augustae (CIL II, 1571 ; AÉp 1984, 9) et un exemple de flamen divae Augustae (CIL II, 194 = ILS 6986).

26 Un exemple en Arles : flaminica designata coloniae Deae Augustae Vocontiorum. Pour la Grèce (Livie), voir n. 28.

27 Domitia reçut dès 83 le titre d’Augusta (Suétone, V. Dom. 3, 2). Cette épouse rejetée, puis reprise, resta toujours menacée.

28 A Athènes, le mot θεά est attesté pour Livie (Graindor 1931, p. 113), de même que θεός pour César et pour Auguste (IG II2, 4180 : ἱερέα θεοῦ Ἰουλίου καὶ ἱερέα θεοῦ Καίσαρος Σεβαστοῦ, ca 50-60). Sur le culte de Livie, de son vivant ou après sa mort, voir les réf. données par Fishwick (1998, n. 11).

29 Antonia Minor (36 av. J.-C.-37 ap. J.-C.), fille de la généreuse Octavie (la sœur d’Auguste) et de Marc-Antoine, épousa Drusus “l’Ancien” le jeune frère de Tibère, le vainqueur des Germains (Claudius Drusus Nero, 38 av. J.-C.-9 ap. J.-C.). Elle éleva son petit-fils Caligula, qui, à son accession (en 37), la proclama Augusta, mais la poussa ensuite au suicide. Claude, son fils, à son accession (en 41), réhabilita sa mémoire. Quant à Drusus, c’est lui qui fonda à Lyon, le 1er août de l’an 12 avant notre ère, l’autel de Rome et d’Auguste où se réunissaient chaque année, à cette date (jour du Genius Augusti), les délégués des soixante peuples-civitates des Trois Gaules (Aquitaine, Lugdunaise et Belgique).

30 A Castel-Roussillon, a été retrouvée l’épitaphe d’une fl[ami]nica An[to]niae Au[g.](ustae) (entre 50 et 100) : Rémy et Mathieu 2009, p. 197. Antonia Minor figure aussi dans le groupe des têtes impériales du forum de Béziers (actuellement au Musée Saint-Raymond de Toulouse), c’est-à-dire dans le groupe impérial fondateur de la Colonie de Béziers (sur le plan symbolique). Ou, du moins, l’identification de la tête est très probable : voir Balty-Cazes 1995, p. 104-109.

31 A Athènes, Antonia eut un grand-prêtre de son culte (IG II2, 3535, en 57, ou peu d’années avant) : un très grand personnage, Tibérius Claudius Novius, est « stratège des hoplites, prêtre à vie d’Apollon Délien, agonothète des Grandes Panathénées…, grand-prêtre d’Antonia Augusta… » (ἀρχιερέα Ἀντωνίας Σεβαστῆς, l. 11). A un autre moment, elle eut une prêtresse, qui avait son siège de proèdre au théâtre de Dionysos : IG II2, 5095 (ἹΕΡΗΑΣ Θ-- ἈΝ[Τ]ΩΝΙΑΣ, « [siège] de la divine Antonia »).

32 Rappelons toutefois que le temple dont les vestiges apparurent en 1613 dans le lit de la Garonne, lors de la rupture de la tête de digue du Bazacle, a été considéré par les contemporains de l’événement comme un temple de Minerve, à cause de fragments de corniches sculptées de « hiboux » et de « chouettes » (Catel 1629) et d’« une statue qu’on jugeait être de Pallas » (Laroche-Flavin 1627). Les raisons de l’identification de la statue ne sont pas précisées : s’agissait-il d’une statue du type Palladion (ci-dessous n. 84 et n. 80 fin) ? L’attribution du temple à Minerve fut évidemment influencée par le « Palladia Tolosa » de Martial (IX, 99, ci-dessous n. 95). Voir H. Molet 2001 : le temple se trouvait à la pointe d’une petite île séparant deux bras antiques de la Garonne ; quadrangulaire, il avait peut-être 16 à 18 m de hauteur avec des colonnes de marbre noir d’une dizaine de mètres et une parure de plaques de marbre de couleur (gris, vert et rouge), de forme carrée, ronde ou losangée, dont quelques-unes, réutilisées entre 1613 et 1615 pour décorer l’Hôtel-de-Pierre, sont encore visibles sur deux des façades de la cour intérieure. Un fragment de frise à personnage (n°214) et un fragment d’architrave (n°215, actuel 30020) se trouvent dans les réserves du Musée Saint-Raymond.

33 L’un des plus connus est C. Julius Antiochos Epiphanès Philopappos, roi de Commagène : en 72, il perdit son petit royaume client (rattaché à la Syrie par Vespasien) et il quitta Samosate, sa capitale, pour aller finir sa vie à Athènes. Il fut archonte à Athènes (entre 75 et 87) et y mourut (entre 114 et 116). Les ruines de son tombeau sont toujours visibles sur la Colline des Muses.

34 Voir, pour les statues d’empereurs (au Ier s.), Graindor 1931, p. 1-12, 17 ; 113-116. Tibère et Claude, par exemple eurent droit à des séries de statues, Claude étant même qualifié de « sauveur du monde ». Néron, qui resta longtemps populaire en Grèce pour avoir proclamé, dans son grand voyage de 67, la province d’Achaïe libre et exempte d’impôts (une liberté que Vespasien révoqua peu après), eut droit, sur l’architrave du Parthénon, au-dessus de l’entrée, à une dédicace à l’αὐτοκράτωρ μέγιστος, fixée en lettres de bronze ; elle fut arrachée après sa mort (les trous de scellement ont permis d’en reconstituer la majeure partie). Lorsqu’un empereur, à sa mort, est frappé de damnatio memoriae, ses statues sont détruites (ou le visage mutilé) et son nom est partout martelé et effacé. Ainsi, de Caligula, ne subsiste qu’une seule base « au sauveur et bienfaiteur ». De Domitien, certainement honoré de toutes les façons à Athènes, la “cité de Minerve”, il ne reste aucune trace. Dans tout l’empire, ses centaines de statues furent détruites dans une sorte de furie collective (Pline, Panég. Trajan, 52).

35 Athènes semble être, vers la fin du Ier s., dans une situation financière et économique difficile, pour son approvisionnement, sans doute aussi à cause de ses charges, ses fêtes nombreuses, le grand nombre de monuments à entretenir. Cf. Dion de Pruse, Disc. XXXI, 123 « (les Athéniens) réduits à la dernière extrémité » ([Ἀθηναίοις] τοῖς ἐσχάτως ἀπολωλόσι) ; Philostrate, Vies des sophistes, I, n°23, 526 : émeute du pain au cours de laquelle le sophiste Lollianos faillit être lapidé ; appel de Lollianos à des donateurs privés devant l’incapacité du trésor athénien à payer un cargo de blé thessalien ; « projet [peu clair] de vendre les îles par manque d’argent » (τοῖς Ἀθηναίοις ἀπορίᾳ χρημάτων βουλευομένοις πῶλειν τὰς νήσους) [il ne s’agissait pas d’une petite île à vendre à un riche armateur, comme la moderne Skorpios, mais, apparemment, de rien de moins que Salamine]. V. Graindor 1931, p. 131-132.

36 La tribu de Rome à laquelle appartient Rufus, en tant que citoyen romain, n’est malheureusement pas indiquée par l’inscription. Si ce n’était pas la Voltinia (dans laquelle sont inscrits les Toulousains qui deviennent citoyens romains), cela voudrait dire que la famille Trébellius est d’origine italienne (ou qu’elle est originaire d’une cité autre que Toulouse). L’onomastique ne permettrait pas davantage, dans ce cas, de préciser de quelle région d’Italie venait la famille, tant le gentilice Trébellius semble fréquent.

37 Aucune confiscation de terres à l’issue de la révolte des Tectosages (en 106) n’est connue pour Toulouse. Il y a bien un ager cimbricus que Marius confisqua après sa victoire et fit assigner par lots à ses vétérans, en 100 av. J.-C. [Appien, B.Civ., I, 29]. Mais ces terres se situeraient en Gaule Cisalpine, plutôt qu’en Transalpine. A si haute époque, une deductio lointaine, dans une Narbonnaise au statut encore mal précisé, paraît improbable. De toute façon, l’accaparement des terres par les Italiens a commencé (en dehors même des confiscations) dès le début de la conquête, comme le montrent le Pro Quinctio et le Pro Fonteio de Cicéron (Goudineau 1998, p. 137, 216).

38 Le gentilice Trébellius est, en principe, purement romain. Toutefois Delamarre pense à une origine gauloise pour un autre nom de famille bien romain, Trébonius ou Trébonianus (chef de village ?). Faudrait-il penser, pour Trébellius, aux racines gauloises *treb- (lieu habité, village) et *belo- / bello- /beli- (fort, puissant) (voir Delamarre 2003, p. 301 et p. 72). Un nom bien latin peut d’ailleurs cacher une origine indigène. C’était peut-être le cas pour Antonius Primus “Beccō”, le “Bec-de-coq” en gaulois (voir ci-dessous la n. 119). Le nom de Trébellius n’était peut-être pas rare dans la Narbonnaise celto-ibère et celto-aquitaine. Un village des Fenouillèdes, dans la partie languedocienne des Pyrénées orientales, porte le nom de Trévillac (languedocien Trévilhac, catalan Trévillach), qui doit venir de *Trebelliacum, la Villa de Trébellius.

39 Dans ce cas de figure, le premier Trébellius citoyen romain aurait obtenu la civitas à titre personnel, par la grâce d’un chef d’armée ou sur proposition d’un gouverneur ou d’un haut fonctionnaire romain, peut-être simplement à cause de son appartenance à la classe décurionale. C’est à ce « patron », personnage de haut rang, qu’il devrait le nom de Trébellius, puisqu’il n’a pas pris le nom d’un empereur, comme Julius (César et Auguste), ou Claudius (Claude ou Néron), ou Flavius (les Flaviens). Peut-être, cependant, l’accès à la citoyenneté à l’occasion d’un recensement ne s’accompagnait-il pas toujours de l’attribution du nom de l’empereur. Pour la date, on peut penser au moment où, en 27 av. J.-C., Auguste lui-même, selon Dion Cassius (LIII, 22) « vint dans les Gaules et y passa du temps, parce que (…) les affaires y étaient encore en désordre (ἀκατάστατα) à cause des guerres civiles qui avaient immédiatement suivi la conquête ; il fit le dénombrement des Gaules et régla leur état civil et politique » (αὐτῶν [i.e. τῶν Γαλατίων] καὶ ἀπογραφὰς ἐποιήσατο καὶ τὸν βίον τήν τε πολιτείαν διεκόσμησε). Au cours de ce conventus de 27 (à Narbonne probablement) organisant la province de Narbonnaise à peu près dans les limites de l’ancienne Transalpine, fut décidé un premier recensement général. Quinze ans plus tard, Drusus “l’Ancien”, en charge des Trois Gaules, y organisa, en 13 avant notre ère, un census qui provoqua des troubles (d’où la convocation des dirigeants des cités à Lyon, en 12, pour la création de l’Autel fédéral d’Auguste : Tite-Live, Periochae, 139 ; Dion Cassius, LIV, 32 ; cf. Suétone, V. Claud. 2, 1). Mais ce recensement concerna-t-il la Narbonnaise ? Même problème pour le recensement des Trois Gaules effectué sous Néron en 61 (M. Trébellius Maximus étant, pour la Lyonnaise, le legatus Augusti propraetor ad census). Le recensement suivant eut lieu en 92, sous Domitien.

40 Voir ci-dessous la n. 57.

41 Cf. R. Hanslik, RE, VI, A, 2, col. 2265-2266.

42 Tacite, Ann. XIV, 46, 2. 

43 Tacite, Hist. I, 60, 3 ; II, 65, 6.

44 Un Trébellius Maximus (qui est peut-être déjà Marcus) intervint au sénat en 41, au moment de l’assassinat de Caligula (Flavius Jos., Ant. Jud., XIX, 185).

45 Sa fortune doit remonter à son père ou aux générations précédentes. L’origine et la nature de cette fortune, qui semble importante, sont évidemment impossibles à préciser : revenus fonciers sûrement, mais aussi négoce, mines, “production industrielle” comme les céramiques de Montans, entreprenariat et travaux publics, ferme des impôts, prêts bancaires… La base de l’immense richesse des aristocraties renouvelées et romanisées qui dominent tous les peuples-cités de l’empire est foncière, mais leurs investissements sont divers. En Narbonnaise, les bouleversements économiques et sociaux, dans le demi-siècle autour de notre ère, sont d’une telle ampleur (Goudineau 1998, p. 216-219) que tout est possible. [Pas au Ier siècleToulouse est un lieu de ”rupture de charge“, où le vin italien venu de Narbonne est embarqué sur la Garonne, et un carrefour de routes sur l’isthme gaulois, vers les cités de la province d’Aquitaine, les voisins immédiats (Rutènes de Segodunum/Rodez, Cadurques de Divona/Cahors, Nitiobriges d’Aginnum/Agen, Ausques d’Eliberris/Auch, Elusates d’Elusa/Eauze, Convènes de Lugdunum) et les voisins plus lointains (les riches civitates de l’Aquitaine océanique). Avant même la conquête, le port fluvial situé à Saint Roch, à cinq kilomètres au-dessous de l’oppidum de Vieille-Toulouse, est sûrement un centre prospère d’échange, de stockage et de redistribution.] Quelle que soit la source d’enrichissement de la famille Trébellius, il est très probable que notre Rufus possède à la fois une domus urbaine à Toulouse et une villa à la campagne (un domaine rural comportant une maison de modèle italien, peut-être semblable à ce que fut la première villa de Montmaurin, sans l’aspect palatial qu’elle prit plus tard). S’il a atteint l’âge de la retraite ou s’il a fait le choix de se retirer, c’est normalement en Narbonnaise qu’il a “pris sa retraite”, sur ses terres, comme font les nobles romains (voir ci-dessous le commentaire des lignes 39-40 de la base de l’agora et les notes 103, 106 [4è exemple], 109). Certes, il n’est pas exclu que Trébellius ait choisi, comme d’autres (Arrien au IIè s.), de finir sa vie à Athènes, mais son enracinement à Toulouse et en Narbonnaise semble trop fort pour qu’il ait abandonné sa « patrie ».

46 Suétone, V. Dom., 13, 4 (« Aussi fut-il décidé que désormais personne, dans un écrit ou un entretien, ne le désignerait autrement ») ; Dion Cassius, LXVII, 13 (« Celsus, se prosternant, l’appela à plusieurs reprises son maître et son dieu [δεσπότην τε καὶ θεόν], noms que d’autres lui donnaient déjà »).

47 Suétone, V. Dom., 23, 2. Dans l’historiographie sénatoriale (et même moderne), Domitien prendra place à tout jamais parmi les empereurs maudits, en compagnie de Caligula, Néron, Commode et Caracalla (voir, par exemple, Aurélius Victor, 39, 4 ; et l’Histoire Auguste : Clodius Albinus, 13, 5 ; Alex. Sév., 65, 5 ; Div. Claude, 3, 6 ; Carus, Carin et Num. 1, 3 ; 3, 3). Tout près de Toulouse, un petit fragment d’une inscription sur bronze - apparemment un rescrit impérial adressé aux décurions -, a fait supposer que l’inscription avait été brisée et jetée, ce qui pourrait être interprété comme une trace de la damnatio memoriae de Domitien (cf. Pailler 2015, p. 206-208).

48 Voir ci-dessous le commentaire des lignes 39-40.

49 Voir supra n. 9 sur la date de la Lex de flaminio provinciae Narbonensis,.

50 Voir supra n. 9 pour les premiers grands prêtres de Bétique et d’Afrique (CIL II 3271, ILAlg I 1295). Exemple féminin sur une inscription d’Avenches, dans le dernier quart du Ier s. : une Julia Festilla est honorée comme flaminica prima Aug(usti) ou Aug(ustae) (Rémy-Mathieu 2009, p. 131, 197). C’est ainsi que le nom du premier prêtre de l’Autel fédéral de Lyon est devenu historique : C. Julius Vercondaridubnus, Eduen (Tite-Live, Per. 139).

Cette indication de priorité est aussi révélatrice de la compétition qui existe parmi les membres de la nouvelle aristocratie provinciale, pour occuper les fonctions civiles ou sacerdotales les plus hautes, dans leur cité et dans leur province (et à Lyon, pour les Trois Gaules). Tout en rehaussant le prestige de leur « patrie » ou de leur tribu, ils affichent leur prééminence (et, pour les Trois Gaules, leur appartenance au cercle suprême des primores Galliarum qui se réunissent tous les ans autour de l’Autel fédéral).

51 Cf. CIL XI, 3103 : [sacerdos] Caeninensis a pon[tificibus factus] ; cf. CIL VI 1598 = ILS 1740. Un autre chevalier de Narbonnaise, originaire d’Arles, appartint à la confrérie (CIL XII, 671). Sur la confrérie, voir les réf. de Labrousse 1968, p. 527, n. 55-58 ; Fishwick 1998, p. 87, n. 14-17.

52 D. Fishwick (p. 87) note que d’autres prêtres provinciaux de Narbonnaise semblent avoir occupé des sacerdoces à Rome (notamment la fonction de luperque) avant même d’entamer une carrière municipale (CIL XII 3183 = ILS 5274 ; CIL XII 3184 = ILS 6981) et que le sacerdoce caninensien prend place, en général, entre la carrière municipale et la carrière administrative.

53 Cf. CIL VI, 29688 ; XII, 2235, 3275, 4393 ; XIII, 1695 etc (voir in Goudineau 1998, p. 243, les photos 1 et 2). Citons, à titre d’exemple d’inscriptions comportant la formule, les deux inscriptions en l’honneur de Marcus Luctérius Léon fils de Luctérius Senicianus (ce « lion » bien apprivoisé est sûrement le descendant de Luctérius [en gaulois Lucterios ou Luxterios, “le Lutteur”], le chef cadurque qui rejoignit Vercingétorix et qui fut, à Uxellodunum/le Puy d’Issolud, le dernier champion de la liberté gauloise, cf. César, BG, VIII, 34-35 et aliud). La stèle de Cahors et le bloc de Lyon indiquent que Léon, « ayant rempli toutes les charges dans sa patrie » (omnibus honoribus in patria [ou apud suos] functo) est devenu « prêtre (sacerdos) de l’Autel d’Auguste au Confluent de la Saône et du Rhône » : CIL XIII, 1541 (provenant de Pern, près de Cahors, Musée Henri-Martin, Cahors) et A.Ép. 1955, 212 (Lyon, bloc de l’ancien pont de la Guillotière, provenant du district fédéral des Trois Gaules à Condate).

La reprise insistante de cette formule est importante, car elle indique que les membres de la nouvelle aristocratie gauloise, avant de briguer de hautes charges, font le choix ou ont l’obligation de passer par une implantation politique locale, ce qui les place en position de médiateurs obligés entre le pouvoir impérial et les populations et ce qui arrange aussi le pouvoir impérial qui a absolument besoin de ces intermédiaires.

54 L’expression honores omnes, dans l’inscription d’Athènes, doit désigner en premier lieu la succession des magistratures du cursus municipal, mais il y rentre aussi d’autres charges, comme « curateur des citoyens romains » ou « sévir augustal (sexvir augustalis) » (ce collège de six prêtres, choisis par les décurions, avait la charge du culte de Rome et de l’empereur et sa famille ; l’abondance des inscriptions témoigne du succès de cette institution apparue sous Tibère… qui occasionnait des évergésies nombreuses !). Voir Mavéraud-Tardiveau 2016 (p. 365-367), citant deux exemple de sévir et curateur : à Avaricum/Bourges (CIL XIII 1194) et à Lousonna/Lausanne (CIL XIII, 5026).

55 Lucien, 11-Eloge de la patrie ; Ménandros in Spengel, Rhetores Graeci, vol. III, p. 329-367.

56 Cf. Dion de Pruse, 44, 6 ; Plutarque, V. Démost. 2, 2.

57 La date de la promotion de Toulouse au rang de Colonia (de droit romain) reste incertaine (cf. Labrousse 1969, p. 491-493). Pline l’Ancien (23-79) fait figurer Toulouse, « frontalière de l’Aquitaine », dans sa liste des 29 oppida latina de Narbonnaise (III, 32-37). Cette liste des cités de droit latin de Narbonnaise, à l’époque flavienne, semble remonter, pour l’essentiel, à la grande lex provinciae d’Auguste, fixant le statut de la province et retouchée ou complétée au fil des années (Gros 2008, p. 25). Toulouse n’est explicitement mentionnée comme colonie que dans un texte plus tardif, le Manuel de Géographie de Claudius Ptolémée (II, 10, 6), écrit vers 130 ou 140 (II, 10, 9). Il se peut donc que Toulouse ne soit devenue Colonia que sous Domitien, peut-être même sous Trajan ou Hadrien.

J.-M. Pailler (1988, p. 102) rappelle que « au cours de son histoire, Toulouse a été tour à tour ville libre comme capitale des Volques Tectosages au IIIè s. av. J.-C. ; cité “fédérée” alliée de Rome au IIè s. (avant 121 peut-être, avant 106 en tout cas) ; cité stipendiaire soumise à Rome après la révolte matée cette année-là par Caepio ; cité de droit latin enfin, sans doute à partir de César. La promotion suprême au rang de colonie… fait de tous les citoyens de Toulouse, et non plus seulement des magistrats, des citoyens romains à part entière ». Rappelons qu’Auguste, entre 10 et 5 av. J.-C., avait transféré la population depuis les collines de Pech David (Vieille-Toulouse), sinon depuis la terrasse basse de Saint-Roch, jusqu’à la terrasse en bord de Garonne (Narbonne aussi est une ville neuve, si le vieux nom de Naro, cité des Néroncen, a commencé par désigner l’oppidum de Montlaurès ; c’est le cas aussi d’Aix, remplaçant Entremont, de Lugdunum Convenarum, qui est une fondation pompéienne, et de bien d’autres cités). La Toulouse du temps des Flaviens est à la fois une ville carroyée et architecturalement toute neuve (avec des constructions qui figurent parmi les plus imposantes de la Gaule du Ier s.) et probablement une cité nouvellement de droit romain.

Notons que Domitien n’est certainement jamais venu à Toulouse et qu’il ne semble guère s’être attardé en Gaule, à l’aller ou au retour de ses campagnes sur le Rhin (en 70, contre Cérialis [sa marche aux côtés de Mucien, en tant que jeune César, s’arrêta à Lyon : Tacite, Hist., IV, 85-86, et Suétone, V. Dom., 2,1] ; en 83 contre les Chattes ; en 89, contre Saturninus révolté et les Chattes). Frontin (Stratag. I, 8, 1) dit que, afin de surprendre les Germains (en 83), « l’Empereur César Domitianus Augustus Germanicus… cacha son départ à l’aide de l’opération de recensement des Gaules » (profectionem suam censu obtexuit Galliarum).

58 Le nom de la tribu Voltinia figure dans diverses inscriptions funéraires du Ier siècle de notre ère : sur des tombes de légionnaires originaires de Toulouse qui sont morts en Germanie supérieure, en Germanie inférieure, en Pannonie, en Maurétanie Tingitane ; dans des épitaphes de Toulousains décédés à Aix-en-Provence, à Pesaro, à Rome ; dans l’épitaphe d’un magistrat municipal, un questeur (peut-être questeur au trésor public) qui a été découverte à Toulouse, au quartier des Récollets, vers 1782 (CIL XII, 5387 ; photo in Pailler 2015, avec la traduction du texte due à Robert Sablayrolles). Voir Labrousse 1968, p. 493, 495-496.

59 Sur la base de l’agora (ligne 29), les magistrats toulousains sont désignés collectivement par le mot οἱ ἄρχοντες et l’assemblée municipale est appelée « la βουλή des Toulousains ».

60 Sur l’énormité que peuvent atteindre en Gaule les dons et les summae honorariae (ou ad honorem), voir Goudineau 1998, p. 266 : autour de 100 000 sesterces dans plusieurs cités, et, pour les dons, jusqu’à un million ou deux millions de sesterces. Les chiffres sont supérieurs à ceux de l’Italie ou de l’Afrique. Le meilleur exemple de cursus local et provincial et de l’évergétisme qu’il implique est celui de C. Julius Rufus, de la cité des Santons, qui accéda en 19 à la fonction suprême de prêtre de l’Autel à Lyon et qui construisit à la fois le premier amphithéâtre de Lyon (ILTG 217) et, à Saintes, l’arc dédié à Tibère, Drusus et Germanicus, ainsi qu’un pont (CIL XIII, 1036). Julius Rufus se dit fièrement fils de C. Julius Otuaneunos, fils de G. Julius Gedomo, fils d’Epotsorovidos, et cette filiation montre que la romanisation est complète en moins de quatre générations.

61 P. Graindor 1931 (p. 73) signale un archonte éponyme de la fin du Ier s. qui, à son entrée en charge, a fait distribuer [à chaque citoyen athénien] un médimne de blé [52 litres] et quinze drachmes (ἄρξαντα τὴν ἐπώνυμον ἀρχὴν ἐπὶ μεδίμνῳ καὶ δεκαπέντε δραχμαῖς) (BCH XIX, 1895, p. 113).

62 L’année 83/84 et une autre année entre 86/87 et 95/96 (cf. IG II2, vol. 3, Archontum tabula, p. 790).

63 Il est à noter que, dans le texte, le qualificatif ὕπατος est utilisé avec deux sens quelque peu différents. A la l. 7, il fait partie de la longue titulature du prêtre caenininsien (ὕπατον Καινεινῆνσιν) et, qualifiant le prêtre du plus haut rang de cette confrérie sacerdotale du Latium, il traduit nécessairement, comme on l’a vu, un mot latin comme maximus (comme pour le pontifex maximus). Mais à la l. 13, dans le titre du prêtre de Drusus à Athènes, ὕπατος ne qualifie pas le prêtre, mais le personnage divinisé (ἱερέα Δρούσου Ὑπάτου). Le titre du prêtre apparaît sur trois autres inscriptions (voir note suivante), et dans deux d’entre elles, la formule est entièrement au génitif (ἱερέως Δρούσου ὑπάτου), de sorte que le mot ὑπάτου pourrait qualifier soit Drusus, soit son prêtre. Mais ici, la répétition du mot ὑπάτου, et pas ὑπάτον, sur les bases A et B ne laisse pas place au doute : le mot qualifie Δρούσου (ἱερέα Δρούσου Ὑπάτου) et il n’y a pas de faute du lapicide. D’autre part, il est peu probable, selon nous, que ὕπατος soit ici la traduction grecque du mot latin consul et qu’il s’agisse d’un culte de Drusus consul (comme les commentateurs le répètent jusqu’à Geagan 2011, p. 218, « priest of the consul Drusus »). L’épithète grecque, depuis toujours utilisée pour Zeus-Très haut, a donc été utilisée, à Athènes, pour le personnage divinisé de la famille impériale. Difficile, dans ces conditions, de dire si le nom de la prêtrise est purement athénien ou s’il s’agit de la traduction en grec du nom d’une prêtrise latine. Si le titre grec est traduit du latin, le mot grec ὕπατος pourrait correspondre, là encore, à Maximus (comme pour Jupiter Optimus Maximus) et ὕπατος aura été préféré à μέγιστος pour traduire sacerdos Drusi Maximi.

64 Voir IG II2, 1968 : « Sous Mithridatos, archonte et prêtre de Drusus-Hypatos … » (Ἐπὶ Μιθριδάτου ἄρχοντος καὶ ἱερέως Δρούσου Ὑπάτου [l’archontat de ce Mithridatos n’est pas daté]) ; IG II2, 1990 : même formule (Ἐπὶ Θρασύλλου etc. [l’archontat de ce Thrasyllos date de 61, sous Néron]) ; IG II2, 4188 : Γάιον Καρρείναν Γάιου υἱὸν Σεκοῦνδον τὸν ἐπώνυμον ἄρχοντα καὶ ἱερέα Δρούσου Ὑπάτου. Ce dernier exemple est particulièrement intéressant à cause de la personne du dédicataire : Secundus Carrinas fut chargé par Néron de piller les statues des dieux dans les provinces d’Achaïe et d’Asie (Tacite, Ann., XV, 45, 2). Voilà donc, sous Néron déjà, un Romain obscur, mais ayant la faveur de l’empereur, que les Athéniens ont élu archonte éponyme, afin de s’attirer ses bonnes grâces (les statues offertes sont beaucoup plus souvent des statues “de routine”, honorant le légat ou le proconsul ou un haut fonctionnaire).

65 L’emplacement de ce temple n’est pas connu, mais Pausanias, dans sa description de l’agora, en parle après l’Eleusinion (« un peu plus loin… »), ce qui semble indiquer que le temple était à l’est de l’agora, dans le secteur de l’Eleusinion, sous le flanc nord-ouest de l’Acropole (les traces de l’Eleusinion se trouvent sur le côté est de la voie panathénaïque, après les restes du Mur de Valérien quand on va vers l’Acropole).

66 Le siège, toujours en place de nos jours, porte l’inscription ΙΕΡΕΩC ΕΥΚΛΕΙΑC ΚΑΙ ΕΥΝΟΜΙΑC (IG II2, 5059). Une trentaine de prêtres avaient droit à cet honneur.

67 Le sens de διὰ βίου est étudié par S. Follet 1976, p. 145-147 : « L’âge ou les infirmités pouvaient assurément provoquer certaines démissions… Mais l’expression διὰ βίου a sûrement son plein sens dans la majorité des cas ». Plutarque, dans le Si les gens âgés doivent s’occuper des affaires publiques, s’efforce de convaincre son ami Euphanès, vieil homme politique athénien, de ne pas renoncer à ses fonctions (792 F), y compris à sa délégation « à vie » (διὰ βίου) au conseil amphictionique (794 A-B).

68 Fishwick note (1998, p. 92-93, avec les réf. utiles) que, dans la grande inscription d’Ephèse (IEphesus 27, l. 419-421, ci-dessous note 73) figurent des chrysophores de la déesse qui ont pour fonction de porter dans les assemblées et les jeux les représentations et images précieuses faisant partie de la donation de Vibius Salutaris (ὅπως ἐχῇ τοῖς χρυσο/φ[οροῦσι τῇ θεῷ φέρειν εἰς τὰς] ἐκκλησίας καὶ τοὺς ἀγῶνας / τὰ ἀπεικ[ον]ίσματα καὶ <τὰς> εἰκόνας...). La chrysophorie de Rufus à Athènes doit être différente de cette tâche modeste, mais le sens que possède le mot à Ephèse suggère qu’à Athènes aussi la chrysophorie est liée au service d’une divinité (probablement Athéna dans ce cas) ou qu’elle a un caractère sacré.

69 Il y a peut-être une petite malice des Athéniens dans l’octroi à ce chevalier gaulois apparemment richissime et porteur de l’anneau d’or, de cette chrysophorie plutôt rare, tant le goût des Gaulois pour l’or était quasi mythique (Goudineau 1998, p. 55-56, 61). L’impôt sur les riches negotiatores s’appelle en latin aurum negotiatorum et en gréco-latin chrysargyrion (selon Camille Jullian, Gallia, 1892, p. 90).

70 D. Fishwick (p. 92) note qu’il serait possible, à cette l. 33, de rétablir ἐπῄ[νε]σαν (ils ont fait son éloge) au lieu de ἐπα[νίε]σαν (ils lui ont concédé), ce qui pourrait indiquer que, devant l’Ecclésia, Rufus a fait l’objet d’un éloge public en même temps qu’il était couronné.

71 Sur les divers mots grecs servant à désigner une statue (ἀνδριάς, εἰκών, ἄγαλμα), voir E. Benveniste, « Le sens du mot ΚΟΛΟΣΣΟΣ et les noms grecs de la statue », RPh 1932, 118-135. Ici ἀνδριάντες et εἰκόνες sont équivalents, ou bien ἀνδριάντες désigne des statues en pied et εἰκόνες des bustes (Fishwick 1998, p. 89 : « usually busts »).

72 C’était le lieu d’implantation normal, comme Pline le Jeune le rappelle pour Rome aussi : Lettres, II, 7, 6-7.

73Die Inschriften von Ephesos I a (Bonn, 1979), n° 27, l. 85-88 : …τετει[μῆσ]θαι τ[αῖς κρ]ατίσταις τιμ[αῖς, εἰκόνω]ν τε ἀναστάσε/σιν ἔν [τε τ]ῷ ἱερῷ τῆς Ἀρτέμιδο[ς καὶ ἐν τοῖ]ς ἐπισημοτάτοις / τόποις τῆς πόλεως (voir, sur ce texte, J. H. Oliver, The Sacred GerusiaHesperia Suppl. VI, 1941, p. 55-85). G. Vibius Salutaris, à qui ces honneurs sont attribués, est un personnage de rang équestre qui avait assumé des charges militaires et des procuratèles (l. 15 sq). Salutaris, en plus de dédicaces antérieures, a promis de doter la cité de neuf figurines d’Artémis, dont l’une d’or et d’argent, et de vingt autres statuettes d’argent de Trajan, Plotine, le Sénat, l’Ordre équestre, le Peuple romain et les corps représentatifs de la cité des Ephésiens, tout cela accompagné d’une fondation de 20 000 deniers, avec une longue liste de bénéficiaires comprenant les membres de la Boulè et de la Gérousia, les citoyens d’Ephèse et divers fonctionnaires. Les statuettes de Salutaris étaient destinées au « trésor » du temple d’Artémis, qui, comme tous les thesauroi de temples, devait être régulièrement grossi par des dons d’objets en métaux précieux, les uns importants, d’autres plus modestes.

74 Philostrate, V. Soph., I, n° 23, 527 fin : « Il y avait deux statues de lui (εἰκόνες) à Athènes, l’une sur l’agora, l’autre dans le petit bois sacré que, dit-on, il avait planté personnellement » (dans ce cas, Lollianos avait sûrement élevé à ses frais cette seconde statue). Il avait, semble-t-il, une troisième statue sur l’Acropole (selon IG II2, 4211). Le cas de Lollianos est instructif en ce qui concerne les évergésies qui valaient à leurs auteurs une ou plusieurs statues honorifiques. Lollianos (Publius Hordeonius Lollianus, PIR2 H 203) occupa la première chaire de rhétorique créée à Athènes (une chaire municipale qui précéda la création de la chaire impériale ou qui devint plus tard la chaire impériale, par un changement du mode de rétribution). En tant que stratège des hoplites (chargé des approvisionnements), il eut à calmer une émeute pour le pain (voir supra la n. 35). Un autre grand sophiste, Favorin d’Arles, eut au moins une statue à Athènes (Philostrate, I, n° 8, 490) et une autre à Corinthe (Corinthiacos, ci-dessous n. 126), qui, toutes deux, furent détruites au moment où il fut relégué à Chios par Hadrien.

75 Πρὸς δὲ τὸ φανερὰν γενέσθαι τὴν τε πρὸς τὴν πόλιν μεγαλοψυχίαν αὐτοῦ καὶ τὴν πρὸς τὴν θεὸν εὐσεβείαν... (IEphesus 27, l. 117-118 ; voir supra note 73).

76 La mention de ces vertus dans les “attendus” d’une dédicace ou d’un décret est, en principe, plus commune. Dans les inscriptions athéniennes de l’époque, les Romains honorés d’une dédicace le sont « pour leur mérite », « pour leur mérite et leur bienveillance » ou « pour leurs bienfaits » (ἀρετῆς ἕνεκα, ἀρετῆς καὶ εὐνοίας ἕνεκα, ou εὐεργησίας ἕνεκα) : IG II2, 4099-4229.

77 A titre de comparaison, on peut rappeler le don d’une Bibliothèque que Flavius Pantainos fit à sa cité d’Athènes (sur l’agora, juste au sud de la stoa d’Attale). La dédicace écrite sur le linteau, au dessus de l’entrée, montre l’ampleur des constructions dont on ne voit aujourd’hui que le plan et les vestiges (colonnades, salle principale et décoration, c.-à-d. revêtement des murs, sol, statues etc) : « A Athéna Poliade, à l’empereur César Auguste Nerva Trajan Germanicus et à la cité des Athéniens, le prêtre des Muses amies-du-savoir, T. Flavius Pantainos, fils de Flavius Ménandros, chef de l’Ecole, a dédié, sur ses propres ressources, avec ses enfants Flavios Ménandros et Flavia Secundilla, les stoas extérieures, le péristyle, la librairie avec les livres, ainsi que tous les embellissements qui s’y trouvent (τὰ ἔξω στοάς, τὸ περίστυλον, τὴν βυβλιοθήκην μετὰ τῶν βυβλίων, τὸν ἐν αὐτοῖς πάντα κόσμον, ἐκ τῶν ἰδίων, μετὰ τῶν τέκνων…ἀνέθηκε) (in R. E. Wycherley, The Athenian agora, Vol. III, Literary and Epigraphical Testimonia, 19732 : n° 464 = Agora Inscr. I, 848). Pantainos, archonte autour de 100 (IG II2 2017) est un quasi contemporain de Rufus et la titulature de Trajan, Nerva Germanicus, permet de dater la construction du début de son règne, entre 98 et 102.

78 Pantainos associe son fils et sa fille à la consécration de sa Bibliothèque (voir n. précédente).

Les femmes qui sont honorées d’une dédicace à Athènes, « pour leur prudence » ou « leur prudence et leur sagesse » (σοφρωσύνης ἕνεκα ou σοφρωσύνης καὶ σοφίας), sont souvent les filles d’un Romain illustre (IG II2, 4230-4255), certaines accédant même à la prêtrise d’Athéna Poliade. Exemple : IG II2, 4242, Ier s. p.C., « Julia Lépida, fille de Silénus Torquatus, ἱέρεια Ἀθηνᾶς Πολιάδος ».

79 Il n’y aurait pas non plus, dans les cités de Narbonnaise, d’exemple d’un culte adressé à la seule dea Roma (Pailler 1989, p. 187, citant A. Aymard et E. Demougeot).

80 A Rome, Minerve était une déesse officielle. Vénérée depuis très longtemps dans la Triade Capitoline, elle avait aussi, de façon autonome, ses propres temples. Avant Domitien, l’empereur “minervien”, Claude déjà fit frapper une grande quantité de monnaies au type de Minerve (Depeyrot 2014, p. 130-131). Sur Minerve en Gaule romaine, voir Mavéraud-Tardiveau 2016. En Gaule, le culte de la Minerve “romaine” semble s’être répandu d’autant plus facilement, comme culte officiel, que une ou plusieurs des déesses gauloises qui ont été assimilées à Minerve, étaient en grand honneur dans diverses régions. Comme chacun le répète, Minerve est la seule déesse que nomme César parmi les dieux gaulois (B.G. VI, 17). En Narbonnaise et dans les Trois Gaules, plus de cent statues et bas-reliefs et plus de quatre-vingts inscriptions ont été répertoriés. Le type iconographique, très conventionnel, est celui de la déesse gréco-romaine en armes, ce qui a pu faire penser que l’assimilation de déesses celtiques à Minerve a été relativement limité. Parmi les nombreuses inscriptions votives, figurent, dans la zone au sud de Toulouse, une inscription en l’honneur de Minerva Regina chez les Convènes (CIL XIII, 177, Lugdunum Convenarum/Saint Bertrand de Comminges), une autre à Minerva Belisama chez les Consorani (CIL XIII, 8, Saint-Lizier) - qui est peut-être la même déesse que la Βηλησαμα d’une inscription gallo-grecque de Vaison (photo in Goudineau 1998, p. 94). Ces deux inscriptions ont pu faire penser qu’une certaine concentration du culte de Minerve existait dans la civitas des Convènes et dans la civitas des Consorani, en Couserans, cette dernière rattachée à la province d’Aquitaine (le nom antique de Saint-Lizier n’est pas établi). Mais nous n’avons conservé qu’une seule inscription honorifique en l’honneur d’une prêtresse de Minerve, et encore est-elle dite « prêtresse de Minerve et de Diane » (sacerdos Minervae et Dianae, Antibes : Rémy et Mathieu 2009, p. 199). La vénération de Minerve semble parfois être liée au culte impérial : [Nu]minibus [A]ugu(storum… [Min]ervae sacrum, « Consacré aux puissances divines des Augustes et à Minerve » (Argentomagus/Argenton-sur-Creuse, in Mavéraud-Tardiveau, p. 368) ; Augu[sto ou bien [Numinibus] Augu[storum sacrum deae Miner]vae…(Nantes, très lacunaire, in Bedon-Mavéraud 2016 : Florian Blanchard, p. 501).

Sur l’existence possible d’un temple de Minerve à Toulouse, situé à la Daurade ou au Bazacle (supra n. 32), voir H. Molet 2001, J.-M. Pailler 2002, p. 298-299 et p. 301 (H. Molet). A supposer que le temple ait été bâti sous Domitien, l’épouse de Trébellius Rufus aurait pu faire partie des premières prêtresses. La mention de la prêtresse toulousaine d’Athéna sur l’inscription d’Athènes (s’il s’agit bien du nom de la déesse) montre bien que ce culte municipal de Minerve/Athéna est, à Toulouse comme ailleurs, un culte officiel. Sur la mise en place de ce culte à Toulouse, on ne peut, une fois de plus, que multiplier les hypothèses. La première est que, dans cette ville neuve, créée par Auguste et recevant le titre de Palladia sous les Flaviens, il s’agit du culte d’une Minerve “romaine”, pas de l’interpretatio romana d’une déesse indigène (ce qui n’empêche pas, bien sûr, l’existence, dans la cité, de cultes populaires semi-indigènes comme celui de Silvanus/Sucellus, dieux de corporations ou divinités locales des pagi, les subdivisions de la cité). L’adoption de ce culte officiel et la construction d’un temple de la déesse (s’il s’agit d’elle) ont une signification éclatante. On connaît, par exemple, par Pline l’Ancien (XXXIV, 45), la colossale statue de culte de Mercure que les Arvernes, dans la première moitié du Ier siècle, ont commandée, pour 40 millions de sesterces, au sculpteur grec Zénodoros, dans leur nouvelle capitale d’Augustonemeton/Clermont-Ferrand (le travail dura dix ans et c’est à Zénodoros que Néron confia ensuite la réalisation de son Colosse, qui donna son nom au Colisée). A Toulouse Palladienne, pour une Minerve officielle, les décurions auraient choisi avec soin le modèle de la statue de culte et le sculpteur. Et, puisqu’on est dans la pure hypothèse, on peut même imaginer une Minerve-Palladion ou une Minerve palladienne, une statue de culte de style grec archaïsant, comparable à la Minerve conservée de Limonum/Poitiers. L’archaïsme raffiné de la statue de Poitiers (dont la fonction est discutée) « convenait parfaitement au type de sacralité et de pietas voulu par le nouveau régime » [i.e. celui d’Auguste] (J. Hiernard 2016). La statue de Poitiers n’est pas datée de façon sûre dans le Ier siècle ; son style archaïsant a perduré.

81 J.-M. Pailler (1989, p. 187-188, 4.-La femme du flamine ») a montré à quel point la « constitution » organisant le culte impérial à Narbonne, qui émane directement de la chancellerie romaine (supra n6), attribue à l’épouse du flamine (uxor flaminis) une place éminente, reprenant le modèle du couple formé par le flamine et la flaminique de Jupiter à Rome : l’épouse du flamine de Narbonnaise « ne sera pas astreinte à prêter serment, elle ne touchera pas un cadavre (…) ; dans les spectacles publics de la province, une place (…) lui sera réservée ». Le chapitre d’Aulu-Gelle (X, 15) qui décrit le lien religieux unissant le flamine de Jupiter et son épouse, à Rome (le flamen Dialis et la flaminica Dialis), indique le caractère indissoluble de ce couple sacerdotal : « Si le flamine perd son épouse, il quitte sa fonction. Que le mariage du flamine soit rompu, si ce n’est par la mort, cela n’est pas permis ». Le chapitre présente aussi plusieurs règles et interdits immémoriaux qui entourent le couple : le flamen Dialis, par exemple, ne doit pas toucher de cadavre et on ne peut lui demander de prêter serment, pas plus qu’à une vestale (sacerdos Vestae ou vestalem). Le statut de l’épouse du flamine de Narbonnaise est quelque peu comparable aussi à celui de la grande Vestale, gardienne à Rome du Palladion, l’idole sacrée d’Athéna-Minerve. L’importance de sa position a fait penser à Rémy et Mathieu (2009, p. 130-131) qu’elle était elle-même une véritable flaminique (flaminica) « au moins chargée du culte des impératrices divinisées ». Mais Fishwick (1998, p. 88-89, réf. in note 21) objecte que, si la flaminique d’une province, elle-même élue par le conseil provincial, est normalement l’épouse du flamine provincial, il existe au moins un exemple (en Espagne Citérieure, la Tarraconnaise), où cela ne semble pas être le cas (CIL II, 4246) et un autre exemple où le mari n’a été élu flamine provincial qu’après la mort de sa femme flaminique (A.Ép., 1928, 197).

82 Ce groupe familial de trois statues est comme la “traduction grecque” des stèles ou reliefs en ronde-bosse gallo-romains qui représentent un homme entouré par sa femme et son fils (pour ce type de relief, cf. les deux exemplaires, reproduits par Rémy et Mathieu (2009, p. 90-91), de Saint-Ambroix et Langres : Espérandieu IX, 6692, et IV, 3265).

83 Un groupe familial de ce genre se trouvait, sur les marches du péristyle de la Bibliothèque de Pantainos. La Bibliothèque fut construite vers 100 (supra n. 77), mais le groupe est beaucoup plus tardif (on sait que le frère de l’épouse statufiée, Casianos Philippos, vivait vers 230, cf. J. M. Camp, The Athenian Agora, 19922, p. 196). Les inscriptions et statues honorant des femmes sont courantes à Athènes, mais elles sont personnelles (statues de prêtresses d’Athéna Polias ou autres ; nobles Romaines : IG II2, 4230-4255). Les membres d’une famille athénienne qui s’illustre sont plutôt représentés séparément. Voir, par exemple, Puech 2002 : n°252 (« A Aelia Cèphisodora…épouse du sophiste Julius Théodotos, qui fut stratège des hoplites, archonte roi et héraut de l’Aréopage…pour sa sagesse, son mérite et sa fécondité ») : l’époux, Théodotos, premier titulaire de la chaire impériale de rhétorique d’Athènes (lors de sa création, vers 174), eut de son côté sa statue, de même que le fils du couple (n°251 et 253) ; n°30, la femme du sophiste Valérius Apsinès (un ami de Philostrate, au IIIè s.).

84 Cette statue veillant sur le sommeil de l’empereur devait appartenir à l’un des types de représentation de la déesse. Le premier type iconographique auquel on pense est le Palladion, la statue mythique à laquelle la déesse devait son nom de Pallas Athéné. Depuis la Grèce archaïque, c’est une image de la déesse en armes, presque grandeur nature, debout, immobile, pieds joints, casquée, le bouclier au bras gauche et la lance brandie (cf. LIMC II, 1 et 2, « Athéna » 67-81 et 90-108 ; « Minerva », 227-235 et 236-252). La lance brandie aurait protégé le sommeil de l’empereur. Rappelons que le Palladion était censé être tombé du ciel à Troie et avoir été emporté en Italie par Enée. Sur des monnaies de César, visant à proclamer que les Julii descendent de Vénus, l’avers représente la tête de Vénus et le revers Enée (le père d’Ascagne/Iule), qui porte sur son dos le vieil Anchise son père (l’époux de Vénus) et qui tend devant lui le Palladion. La scène a une énorme signification symbolique : elle rappelle (avant même que l’Enéide soit écrite) non seulement que Rome est, à l’origine, une nouvelle Troie, fondée par l’ancêtre mythique de l’imperator, mais aussi qu’Athéna-Minerve est la patronne de Rome, comme elle le fut de Troie. Sous l’empire, le Palladion, fétiche et talisman protecteur, était toujours conservé précieusement à Rome, au cœur du forum romain, dans le temple de Vesta, véritable “foyer domestique” de la Ville, sous la garde de ses prêtresses (Domitien a puni de mort, à deux reprises, les Vestales, puis la grande Vestale, qui avaient failli à leur vœu de chasteté, mettant en péril la Ville et l’empereur : Suétone, V. Dom., 8, 4-5). C’était la plus précieuse de toutes les reliques, œuvres d’art, dépouilles et curiosités de toutes sortes qui étaient entassées dans les temples comme dans des musées (Rutledge 2012, p. 162-165, cf. R. Turcan, L’archéologie dans l’Antiquité, Paris, Les Belles Lettres, 2014).

L’autre type iconographique possible, avec ses nombreuses variantes, est celui de Minerve au repos ou en veille, en appui sur une jambe, l’autre jambe légèrement pliée. Voir, e.g., la Minerve du forum de Nerva (ci-dessous n. 91 et Fig. 3) et la Minerve figurant en pied sur les monnaies de Domitien (ci-dessous n. 93 et Fig. 4).

85 Selon Philostrate, Domitien, en se défendant contre son assassin, appela Athéna à l’aide (V. Apoll. Tyan. VIII, 25, 2 : ἐκαλεῖ δὲ καὶ τὴν Ἀθηνᾶν ἀρωγόν). Philostrate dit même que Domitien se disait fils d’Athéna (ibid. VII, 24). Quant au rêve prémonitoire de l’empereur, les représentations de Minerve sur un char sont assez rares dans l’art romain (LIMC II, « Minerva », 253, 255). Une autre version de ce rêve se trouve chez Suétone, V. Dom. 15, 7 : « Il rêva que Minerve, pour laquelle il avait un culte superstitieux (quam superstitione colebat), sortait de son sanctuaire <en pleurant ?> et en disant qu’elle ne pouvait pas le défendre plus longtemps, parce que Jupiter l’avait désarmée ». Les deux versions du rêve rentrent dans le cadre des messages oniririques envoyés par un dieu à un homme (depuis le temps de l’Iliade). Ce genre de rêve signale en particulier qu’un dieu tutélaire abandonne une ville menacée et “passe à l’ennemi” (exemple célèbre à Tyr in Plutarque, V. Alex. 24, 6-7). La version de Suétone est, en cela, la plus “orthodoxe” des deux : Minerve est, en quelque sorte, forcée de rallier le camp sénatorial, ennemi de Domitien. Cela explique que Nerva, le successeur “sénatorial” de Domitien, se soit approprié la déesse protectrice en donnant son propre nom au Forum transitorium construit par Domitien, sur lequel se dressait le nouveau temple de Minerve. Quant aux Athéniens ou aux Toulousains, il leur aura suffi de “rallier le camp de Nerva” pour conserver la protection d’Athéna-Minerve.

86Tu mihi, tu Pallas Caesariana, veni (VIII, 1, v. 4). Voir aussi les deux épigrammes ”albaines” : IX, 23 et 24 (le sculpteur qui reçoit la couronne de Pallas pour son portrait du Dominus).

87 Suétone, V. Dom. (4, 11). Dion Cassius (LXVII, 1) donne à ces fêtes annuelles le nom de Panathénées. Les Quinquatries étaient célébrées chaque année pendant cinq jours à partir du 19 mars « jour anniversaire de la naissance de Minerve » et les quatre derniers jours [sc. au temps d’Auguste] étaient consacrés à des combats de gladiateurs (Ovide, Fastes, III, 809-814 ; cf. Suétone, V. Aug., 71, 4-6). Mais Ovide rappelle (ibid., 5-8) que Minerve est aussi la déesse des arts libéraux. Un débat existe sur la Minerve que vénérait Domitien. Pour certains, c’est avant tout la déesse guerrière. Mais les empereurs, depuis Auguste, sont soucieux de leur double image de chefs de guerre triomphants et de protecteurs des arts et des lettres. Et Domitien plus que tout autre. Dans quelle divinité cette double fonction aurait-elle pu mieux s’incarner que dans Athéna ? Domitien a bien lu les Fastes d’Ovide : pour les Quinquatries, tandis que, les jeux donnés à Rome célèbrent la déesse guerrière, il crée, dans sa villa palatiale des Monts Albains, des Panathénées qui célèbrent aussi le rôle culturel de la déesse. Plus généralement, le souci de culture de Domitien ne peut qu’être lié à sa vénération d’Athéna. Il s’efforça, par exemple, de reconstituer les bibliothèques publiques détruites dans le grand incendie de Rome sous Néron, en 64, et dans le grand incendie du Champ de Mars sous Titus, en 80 (où disparut la bibliothèque du portique d’Octavie) : « il fit rechercher des exemplaires [sc. des ouvrages disparus] dans tout l’empire et envoya à Alexandrie une mission chargé de copier et de corriger des textes » (Suétone, V. Dom., 20, 3). Il surveille d’ailleurs de près la vie intellectuelle : selon Suétone (10, 2), il n’hésite pas à faire crucifier des libraires qui ont fait recopier l’ouvrage historique d’un certain Hermogène de Tarse (ce n’est pas le rhéteur surdoué de Philostrate).

88 Coarelli 1994, p. 56b. Le colosse est représenté aussi sur des monnaies. Il commémorait les victoires germaniques de l’empereur et dut être détruit dès 96. Ce colosse de Domitien pacator était différent de sa statue de Baïes (où son visage a été remplacé par le visage de Nerva), qui provient du sacellum des Augustales de Misène (découvert dans la mer en 1968). A Misène, l’empereur, sur le modèle de l’Alexandre au Granique de Lysippe, brandit une lance et son cheval est cabré (Museo archeologico dei Campi Flegrei).

89 Philostrate, V. Apollonios de Tyane, VIII, 16 : « Parmi les visiteurs venus d’Athènes [à Olympie, pour les Jeux], lorsqu’un petit jeune homme prétendit qu’Athéna était particulièrement favorable à l’empereur (νεανίσκου δὲ τῶν ἡκόντων Ἀθήνηθεν μαλ´εὔνουν τὴν Ἀθῆναν εἶναι τῷ βασιλεῖ φήσαντος)… ; et lorsqu’il prétendit que la déesse avait raison de le faire, puisque l’empereur avait été l’archonte éponyme d’Athènes (καὶ δίκαια πράττειν τὴν θεὸν φήσαντος, ἐπειδὴ καὶ ὁ βασιλεὺς τὴν ἐπώνυμον Ἀθηναίοις ἤρξεν)… », le Sage lui répond que les Athéniens, qui avaient autrefois honoré d’une statue les tyrannicides, « font désormais aux tyrans l’honneur d’être leurs archontes bel et bien élus (τυράννους λοιπὸν χαρίζονται τὸ κεχειροτονημένους αὐτῶν ἄρχειν) ». Ces visiteurs venus d’Athènes qui affluent à Olympie sont « les Athéniens les plus distingués et la jeunesse qui vient de toute la terre séjourner à Athènes » (οἱ ἐπικυδέστατοι Ἀθηναίων... καὶ νεότης ἡ ἐξ ἁπάσης τῆς γῆς Ἀθήναζε φοιτῶσα, c. 15, 2).

90 Suétone, V. Dom., 5, 2.

91 Il n’en reste aujourd’hui que deux colonnes, mais le temple était bien conservé jusqu’au début du XVIIè s. (cf. Coarelli 1994, p. 82-83). Une statue de Minerve figure sur l’attique. La déesse est de face, drapée dans une tunique et un ample manteau rejeté en arrière par-dessus l’épaule gauche, reposant sur la jambe gauche, la jambe droite légèrement pliée (Fig. 3).

92 Coarelli 1994, p. 190, 206 (la première église Santa Maria sopra Minerva, Piazza della Minerva, à côté du Panthéon, fut bâtie au VIIIè s. près des ruines du temple ; à Assise, une autre église Santa Maria sopra Minerva, également dédiée à la Sainte Vierge, a conservé la façade hexastyle d’un temple de Minerve Chalcidica également construit par Domitien ; pour une représentation possible de la Minerve Chalcidica de Rome sur une monnaie, cf. LIMC II, Minerva 201.) Deux autres temples de Minerve, à Rome, étaient dus à Domitien. L’un se trouvait dans le palais même, la superbe Domus Flavia du Palatin (Coarelli, p. 104). L’autre était sur le Forum romain, au sud du temple des Dioscures (Coarelli, p. 60).

93 Voir [in Geneviève 2000, p. 30 (Cat. n° 174) ; Pailler 2015, p. 196 ; ci-dessous Fig. 4] la photo d’une monnaie “fleur de coin” de Domitien trouvée à Ancely (Toulouse), datée de 93/94. Au revers, figure Minerve en pied, entourée d’une partie significative de la titulature de l’empereur qui s’identifie à elle : IMP(erator) XXII, COS(ul) XVI, CENS(or) P(erpetuus), P(ater) P(atriae) ; à l’avers, autour de la tête laurée, se trouve le début de la titulature : IMP(erator) CAES(ar) DOMIT(ianus) AUG(ustus), GERM(anicus), P(ontifex) M(aximus), TR(ibunicia) P(otestate) XIII). La déesse est représentée la tête de profil, le corps de trois-quarts face, casquée et armée de la lance, artistement drapée dans une tunique et un manteau dégageant l’épaule gauche, fièrement campée sur une ligne de sol et légèrement penchée en arrière, le bras doit retenant la lance et le bras gauche sur la hanche. La pose est si expressive que la figure pourrait s’inspirer d’une statue - pourquoi pas celle que Domitien conservait dans sa chambre ou celle que la colossale statue équestre de l’empereur présentait sur sa main gauche (ci-dessus n. 84 et 88) ?

94 C’est le vers 3 de la fameuse épigramme IX, 99.

95 C’est le nom proposé, exempli gratia, par J.-M. Pailler, sur le modèle d’autres fondations semblables, notamment les fondations d’époque flavienne (1988, n. 35, p. 108) : Avenches est, sous Vespasien, Colonia Pia Flavia Constans Emerita Helviorum foederata (CIL XIII, 5089) ; le chef-lieu des Tricastins [Saint-Paul-Trois-Chateaux] est Colonia Flavia Tricastinorum [v. Labrousse 1968, n. 42, p. 491-492], etc. Le modèle remonte à Auguste. Parmi les fondations ou refondations coloniales de « Jules le Père » (César) ou d’Auguste, Narbonne, la vieille Colonia Narbo Martius de Domitius Ahenobarbus (en 118) devient (après la deuxième déduction coloniale en faveur des vétérans de la Xème légion) Colonia Iulia Paterna Narbo Martius Decumanorum, avec Claudia qui entre dans cette titulature sous Claude ; Arles est Colonia Iulia Paterna Arelatensium Sextanorum. Aix, qui, en 122 (après la destruction d’Entremont, l’oppidum des Salyens/Sallaviens) a été fondée par C. Sextius Calvinus sous le nom d’Aquae Sextiae Sallaviorum, prend sous Auguste le nom de Colonia Iulia Augusta Aquae Sextiae. La titulature est parfois plus simple : Béziers, fondation de César ou d’Octave Auguste, est en abrégé CVIB, ce qui correspond au nom développé Colonia Urbs (ou Victrix) Julia Baeterrae (CIL XII, 4230, 4238).

Martial qualifie Toulouse de Palladia (IX, 99 « Marcus, gloire incontestée de Toulouse Palladienne ») exactement comme il appelle Narbonne Paterna (VIII, 72, 4 : docti Narbo Paterna Votieni, « Narbonne Paterna-patrie du docte Votiénus »). Et de même que le titre Paterna fait partie (en dehors du jeu de mots) de la titulature officielle de Narbonne, il semble bien que Palladia faisait partie du nom officiel de Toulouse, quel qu’en soit l’intitulé exact.

96 Ausone, Commémoration des professeurs de Bordeaux, 17, 7 ; Parentalia, 3, 1 ; Sidoine Apollinaire, VII-Panég. Avit., v. 436.

97 Sur Rufus, ἀρχιερεὺς πρῶτος, voir ci-dessus le commentaire des l. 6-7 de la base de l’Acropole.

98 Il transforma aussi en temple de la gens flavia la maison familiale où lui-même était né (Suétone, V. Dom. 1, 1 ; 15, 4).

99 Paradoxalement, on n’arrive pas à reconstituer le participe (?) s’achevant en -ινωμένης (ou -Λινωμένης) qui qualifie σεμνότητος. Il semble venir d’un verbe en -ινάομαι (ou -ινόομαι) et on attend un mot signifiant « vénérée » ou « vénérable ». On pense à ΤΙΜωμένης (ou ὑπερτιμωμένης), mais le mot semble faible.

100 Cf., e.g., Plutarque, De superst. 168d (τὴν τοῦ θεοῦ σεμνότητα) et V. Démétr. 2, 2 (βασιλικὴ σεμνότης). Pour le complément abstrait, cf. Isocrate, Démonicos, 6 (πλοῦτος κακίας μᾶλλον ἤ καλοκαγαθίας ὑπηρέτης ἐστίν).

101 Ce sens de ἴσος, proposé par Fishwick, est bien attesté à l’époque pour caractériser un magistrat équitable : cf. Plutarque, Préc. pol. 807a ou V. Thémist. 2, 5 : ἴσος ἅπασι. Cette qualité appréciée des administrés est un thème d’éloge. Pline, par exemple, loue l’intégrité (integerrime) avec laquelle Térentius Junior a rempli ses charges (Lettres, VII, 25, 2, ci-dessous note 103).

102 Sur la possibilité d’une carrière équestre provinciale de Rufus, voir supra « L’ensemble des l. 1-15 : c ».

103 Honestam quietem huic nostrae ambitioni dicam an dignitati constantissime praetulit (Pline le Jeune, Lettres, I, 14, 5). Pline consacre aussi une Lettre (VII, 25) à Térentius Junior, qui « après s’être acquitté avec une parfaite exactitude (integerrime) des charges militaires des chevaliers et même de la procuration de la province de Narbonnaise, s’est retiré dans ses terres et a préféré aux honneurs qui l’attendaient une vie de loisir parfaitement tranquille » (Terentius Iunior equestribus militiis atque etiam procuratione Narbonensis provinciae integerrime functus, recepit se in agros suos paratisque honoribus tranquillissimum otium praetulit). Pline est sidéré par sa culture et sa parfaite maîtrise du latin et du grec : « On dirait qu’il vit à Athènes et non dans son domaine » (Athenis vivere hominem, non in villa, putes). Les gens cultivés n’atteignaient pas tous ce niveau exceptionnel, mais il est clair que c’était l’idéal culturel des élites. Sur l’idéalisation culturelle de la Narbonnaise égalant ou dépassant ses maîtres romains, voir ci-dessous la n. 122.

104 Vers 3-4 : Marcus Palladiae non infitianda Tolosae / gloria quam genuit Pacis alumna Quies.

105 Rufus a connu et probablement fréquenté Antonius Primus, le glorieux général, qui, septuagénaire vers 90, sous Domitien, vivait toujours à Toulouse. Et il a au moins entendu parler du choix de Minicius Macrinus, princeps de l’ordre équestre dont lui-même faisait partie.

106 Le troisième exemple est le plus célèbre. C’est celui de Julius Agricola (40-93), le beau-père de Tacite. Le sénateur, originaire de Fréjus, qui fit ses études à Marseille, eut une éclatante carrière. Il fut très tôt légat d’Aquitaine (73-76), consul (76 ?), puis légat de Bretagne (77-84). Mais après ses (trop) brillants succès militaires en Bretagne et en Ecosse, il fut rappelé par Domitien et écarté, à quarante-quatre ans, de la vie publique. « Il s’enfonça (dit Tacite), dans le calme et la retraite, modeste dans son train de vie, affable dans ses propos… » (tranquillitatem atque otium penitus hausit, cultu modicus, sermone facilis…, V. Agr. 40,5). Il y avait été discrètement poussé par des confidents de Domitien (42, 3) : « Ils lui vantèrent le repos et la retraite (quietem et otium laudare) et offrirent leur aide pour faire agréer son refus » (le refus d’un nouveau poste de proconsul… que l’empereur ne voulait en aucun cas le voir occuper !) ».

Le quatrième exemple se trouve chez Dion Cassius (LVII, 11) : il s’agit de Lucius Proculus, « sénateur âgé qui vivait la plupart du temps à la campagne ». Domitien le força quelque temps à reprendre du service à ses côtés contre Antonius Saturninus, le légat de Germanie supérieure révolté (en 89). Il retourna vite dans ses terres et ne revint jamais auprès de l’empereur.

Le cinquième exemple est celui de Silius Italicus (26 ?-102) le poète et homme d’Etat influent dont Pline le Jeune (Ep. III, 7) nous a laissé la rubrique nécrologique : cet autre protecteur de Martial, consul ordinaire en 68, jouant un rôle politique en 69, proconsul d’Asie sous Vespasien, prit en Campanie une retraite dont rien ne put le faire sortir, « pas même le retour du nouvel empereur » (Trajan en 99).

Le sixième exemple est constitué, à un niveau socialement moins élevé et matériellement plus modeste, par le poète Martial lui-même (Marcus Valérius Martialis, ca 40-ca 104), dont nous avons le petit éloge funèbre de Pline (Lettres, III, 21) : ce fils « des Celtes et des farouches Ibères » (Epig. X, 78), né à Bilbilis en Tarraconnaise (près de Calatayud, province de Saragosse), qui vint à Rome en 64 et y resta trente-quatre ans, rentra en 98 dans sa patrie, qu’il idéalisait beaucoup depuis Rome (X, 96), dont il vante encore à Juvénal, après son retour, le calme paysan (XII, 18), mais où il semble s’ennuyer ferme, même en préparant son livre XII (« En un mot, tout ce que j’ai quitté par lassitude, je le regrette comme si j’en avais été dépouillé », XII, Dédicace, 3, cf. XII, 21).

Le septième exemple, plus hypothétique, est celui de Frontin (Sextus Iulius Frontinus, c. 35/40-c. 103). Probablement originaire de Narbonnaise (à cause de son nom), cet ami de Pline le Jeune et de Martial eut une brillante carrière politique et militaire sous Vespasien (il fut consul, puis légat de Bretagne en 76-78). Il fut peut-être encore en faveur auprès de Domitien jusqu’en 86. Mais on ne sait plus rien de lui pendant la dernière partie du règne, ce qui a fait supposer qu’il s’était retiré de la vie publique dans sa villa d’Anxur (Martial, X, 58), se consacrant à ses travaux littéraires, et notamment à la rédaction des Stratagèmes. Nerva le rappela en 96 et il devint un proche de Trajan.

Un huitième exemple, plus ancien (sous Néron) est signalé par Tacite (Hist., II, 86, 6-7), celui de Cornélius Fuscus, d’illustre naissance : « Dans sa prime jeunesse, par amour du repos, il avait renoncé à faire partie de l’ordre sénatorial » (Prima iuventa, quietis cupidine, senatorium ordinem exuerat) ; il reprit du service sous Galba et, nommé procurateur de Pannonie et Mésie, joua, en 69, un rôle non négligeable dans l’armée flavienne d’Italie, ce qui lui valut les insignes de la prêture en 70 (ibid. IV, 4, 5).

107 Sénèque (7,1), en bon philosophe, part (sans le nommer) de la pensée d’Aristote sur les trois genres de vie (Aristote, Ethique à Nicomaque, I, 5 ; X, 7, 4-9 sur le θεωρητικὸς βίος, la « vie contemplative »). Mais, en bon moraliste romain, défenseur d’un stoïcisme pratique, il montre que la contemplation ne doit pas être coupée de l’action, ni l’action de la contemplation (7, 3), que l’otium ne doit pas être subi, mais choisi (8, 1), et qu’il doit être mis, par l’écriture, au service de toute l’humanité (6).

108 Les philosophes ”professionnels”, soupçonnés d’hostilité au pouvoir impérial, ont mauvaise presse sous les Flaviens et Domitien finit par les exiler tous de Rome et d’Italie (Suétone, V. Dom., 10, 5 ; Dion Cassius, LXVII, 13).

109 Pline le Jeune consacre plusieurs de ses Lettres à décrire avec admiration la vie idéale que des amis âgés et retraités mènent dans leur domaine : III, 1 ; IV, 23 ; VII, 25 (voir supra note 103). Il est possible aussi qu’un certain “repli” des élites provinciales sur leurs domaines campagnards, en Gaule et en Narbonnaise, s’explique, en dehors de la volonté d’échapper aux charges municipales, par un désir d’explorer, à l’écart des incertitudes de la politique et de l’histoire, un champ “non civique” de la personnalité - un désir qui s’appuie sur un imaginaire bucolique ancien. Ces élites enracinées dans le terroir de leur cité font le choix d’une vie heureuse dans leurs villas rurales (cf. Goudineau 1998, p. 266-267). Sur ce bonheur des élites, qui affichent un épicurisme sage, voir les mosaïques d’Autun : ci-dessous note 120.

110 Tacite permet de comprendre que, dans le cas de Primus, le “choix du repos” fut quelque peu dicté par un manque d’enthousiasme de Vespasien à son égard. Le nouveau maître devait trop sa victoire à ce Toulousain, excellent général très populaire dans l’armée, qui parlait un peu trop de son rôle récent, qui aimait un peu trop l’argent et traînait une condamnation dans une vieille affaire.

111 Voir supra les notes 34 et 47.

112 Le jeune Domitien avait réussi à échapper au siège et à l’incendie du Capitole par les Vitelliens, puis à se cacher plusieurs jours (son oncle Sabinus, le frère aîné de Vespasien, fut capturé et tué) ; il rejoignit le quartier général des chefs d’armée de son père dès qu’ils furent maîtres de Rome, après de violents combats de rue (Tacite, Hist., III, 74, 1 ; 86, 8 ; Suétone, V. Dom., 1, 4-5). Vespasien ne rentra que beaucoup plus tard, à l’automne 70, de la guerre de Judée et d’Alexandrie.

113 J. H. Oliver in Hesperia XX, 1951, p. 348 ; D. J. Geagan, in A.N.R.W., II, 7, 1, 1979, p. 387.

114 Les nobles romains sont bilingues d’une manière quasi obligatoire. L’appartenance à la classe dominante est conditionnée par le fait d’avoir parcouru un cursus d’études gréco-latines : l’enseignement du grammaticus (le professeur de grammaire et de lettres de “premier cycle”), puis l’enseignement du rhetor (le professeur de rhétorique de “second cycle”), des enseignements qui reposent sur l’étude des auteurs grecs et latins. Le même système s’est immédiatement mis en place dans les provinces, notamment en Gaule et en Espagne. Il s’agit d’un véritable marqueur socio-culturel, qui permet (en principe) de distinguer, d’une part, vers l’extérieur de l’empire, les “Romains” du dedans et les Barbares du dehors (le critère ethnique du temps de la République est en voie d’extinction), et, d’autre part, à l’intérieur de l’empire, les couches dominantes “cultivées” et les masses populaires “incultes”, artisans, boutiquiers, paysans et esclaves. Dès le Ier s. av. J.-C., par exemple, la mode, dans la bonne société, étant à la bibliophilie, les plus riches possèdent deux bibliothèques, l’une d’auteurs latins, l’autre d’auteurs grecs. Trimalchion, le grotesque nouveau riche de Pétrone, se vante même d’en avoir trois. Sous l’empire, les grandes bibliothèques publiques, toujours latines et grecques, sont nombreuses, du moins à Rome.

115 Pour Vespasien, cf. Suétone, V. Vesp., 18-19.

116Hist. III, 3, 1 ; 20 ; 24, 32, 1 ; 60, 4-8.

117 Vespasien est agacé par les initiatives et l’ambition urgente de son fils cadet, éclatantes dès ses dix-huit ans, en 70 : Suétone, V. Dom . 2,2 ; Tacite, Hist., 51,5-52,4 ; Dion Cassius, LXVI, 2,3 ; 10,1 ; cf. Martial, IX, 101, 15-16.

118 Martial, X, 73 ; cf. IX, 99 ; X, 23 ; X, 32. Pailler 2016, p. 210.

119 Le gaulois était toujours parlé à Toulouse au Ier siècle. C’est Suétone (V. Vitellius, 18) qui nous apprend que « (Antonius Primus), qui était né à Toulouse [au début du règne de Tibère], avait porté dans son enfance le surnom de Beccus, ce qui signifie “Bec de coq” » ([Antonius Primus] cui, Tolosae nato, cognomen in pueritia “Becco” fuerat : id valet “Gallinacei rostrum”). Il s’agit bien d’un mot gaulois qui a fini par s’imposer en gallo-romain. Voir Delamarre 2003, s.v. beccos (p. 210). Le nom Beccō est attesté par ailleurs sur une inscription de la région de Toulouse : CIL XII, 5381 (une dédicace au dieu Silvain, le dieu au maillet, interprétation de Sucellus ; origine commingeoise probable). Au IIIè s. encore, dans un contexte différent, à un moment où les voyantes et devineresses se réclament du vieux savoir druidique, une « femme druidesse » (mulier Dryas) annonce sa mort à Alexandre Sévère (en 235) « en langue gauloise » (Gallico sermone) (Hist. Aug., V. Alex. Sev., LX, 6) ; et Aurélien, peu avant sa mort (275), consulte sur sa succession « les druidesses gauloises » (Gallicanas dryadas) - leur langue n'est pas précisée (H.A., V. Aur., XLIV, 4)

120 Lorsque Strabon, en 18 de notre ère, écrit le livre IV de sa Géographie, il fait, à propos de Marseille, un constat qui semble concerner toutes les cités de Gaule (chap. 1, 5) : à l’imitation de Marseille, où tous les citoyens de bonne famille s’adonnent à l’art oratoire et à la philosophie, et dont les écoles attirent les Romains les plus en vue, « (les Gaulois), vivant dans la paix, consacrent volontiers leur loisir à ce genre de vie studieux, et il ne s’agit pas seulement d’individus isolés, mais de leçons publiques : ils accueillent des sophistes qui sont rétribués les uns par des particuliers, les autres par la cité, comme les médecins » (<Οἱ Γαλάται>, εἰρήνην ἄγοντες, τὴν σχολὴν ἄσμενοι πρὸς τοὐς τοιούτους διατίθενται βίους, οὐ κατ´ἄνδρα μόνον, ἀλλὰ καὶ δημοσίᾳ· σοφιστὰς γοῦν ὑποδέχονται, τοὺς μὲν ἰδίᾳ, τοὺς δὲ [αἱ πόλεις] κοινῇ μισθούμενοι, καθάπερ καὶ ἰατρούς). Et, un peu plus loin (chap. 1, 14), après avoir parlé des violents Tectosages du temps passé, il évoque leur nouvelle vie de “civilisés” dans des termes semblables, qui impliquent une éducation “scolaire” : « Aujourd’hui où (…) ils disposent de loisir, ayant abandonné le métier des armes, ils exploitent activement leur contrée et développent la vie politique » (νῦν (...) ἄγοντες σχολὴν ἀπὸ τῶν ὅπλων, ἐργάζονται τὴν χώραν ἐπιμελῶς καὶ τοὺς βίους κατασκευάζονται πολιτικούς).

Rappelons que Lucien, dans ses débuts, vers la moitié du second siècle de notre ère, a été sophiste itinérant en Gaule et qu’il y a gagné beaucoup d’argent en enseignant la rhétorique (28-La double accusation, 27 ; 65-Apologie, 15 ; cf. 5-Héraclès). Dans l’Apologie, une fois devenu en Egypte, sur le tard, un fonctionnaire romain bien payé, il dit à son ami Sabinus : « Je serais fort étonné que tu blâmes ma vie actuelle, puisque ce serait blâmer un homme que tu sais avoir gagné jadis des salaires énormes pour ses leçons publiques de rhétorique, à l’époque où tu m’as rencontré, en allant voir l’Océan occidental tout en visitant la Celtique, moi qu’on comptait parmi les sophistes les mieux payés » (Σοῦ μέντοι καὶ θαυμάσαιμ´ ἂν ἐπιτιμῶντός μου τῷ νυνὶ βίῳ, εἴ γε ἐπιτιμῴης ὃν πρὸ πολλοῦ ᾔδεις ἐπὶ ῥητορικῇ δημοσίᾳ μεγίστας μισθοφορὰς ἐνεγκάμενον, ὁπότε, κατὰ θέαν τοῦ ἑσπερίου Ὠκεανοῦ καὶ τὴν Κελτικὴν ἅμα ἐπιών, ἐνέτυχες ἡμῖν τοῖς μεγαλομίσθοις τῶν σοφιστῶν ἐναριθμουμένοις). Comme Strabon (IV, 1, 14) dit de Toulouse qu’« (elle) est bâtie sur la section la plus étroite de l’isthme qui sépare l’Océan de la mer baignant Narbonne » et que Lucien parle de l’océan comme de l’Océan occidental (ἑσπέριος Ὠκεανός), et non l’Océan extérieur, il semble que Sabinus a pris le chemin le plus court vers l’Océan, par “l’isthme gaulois”, la route de l’Aude et de la Garonne depuis Narbonne, qui permet de rejoindre, par Toulouse, les civitates océaniques de la province d’Aquitaine, Bituriges, Santons, Pictons etc. L’autre route vers l’Océan, la route nord, beaucoup plus longue, était la route du Rhône, allant de Marseille vers Arles, Vienne, la capitale allobroge, Lyon, la “capitale fédérale”, et, au-delà, vers les cités de Lugdunaise et de Belgique et vers la (Grande) Bretagne. Notons au passage que Lucien parle bien de l’océan occidental, ce qui montre que sa “carte de la Gaule” n’est pas la carte ancienne de Strabon et Posidonios, pour qui l’océan constitue le côté nord du quadrilatère gaulois et les Pyrénées le côté ouest. Ce modèle a été supplanté par celui de Pline, qui redresse en partie la figure de la Gaule et connaît la position occidentale de la façade océanique. Bref, Sabinus, s’il gagnait l’Océan par la voie la plus courte, a pu rencontrer Lucien en train de donner des conférences en grec… à Toulouse ou à Bordeaux ! Mais Lucien ne nomme aucune des cités gauloises où il a travaillé.

Quant au témoignage (isolé) de Lucien, dans l’Héraclès (4), il présente un autre grand intérêt. Lucien dit avoir vu en Gaule un tableau représentant le dieu celtique Ogmios-Hercule comme un vieillard qui entraîne avec lui des hommes consentants et joyeux, grâce à des chaînettes d’or qui vont de sa langue à leurs oreilles. Un Celte instruit et parlant grec lui aurait expliqué ce que signifiait cet « Héraclès-le Discours ». Il importe peu, ici, que Lucien ignore ou réduise les puissances primitives d’un dieu gaulois mal connu de lui (et de nous), qu’il réinvente à son usage. Ce qui importe, c’est qu’il montre, avec cette image frappante, l’importance qu’avait l’éloquence pour les Gaulois (peut-être déjà inscrite dans le rôle essentiel que les druides donnaient à la parole dans leur enseignement). Certes, Lucien pensait probablement aussi au très renommé et très savant sophiste gaulois Favorin d’Arles (v. 80-v. 150), qui avait peut-être écrit sur Héraclès (cf. Plutarque, Quaest. Rom. 28, 271 B-C) et dont Aulu-Gelle dit (XVI, 3) : « Cet homme au langage d’une extrême douceur tenait mon âme sous le charme et je le suivais où qu’il aille, littéralement enchaîné à sa langue (quasi ex lingua prorsum ejus capti prosequebamur) ». Quoi qu’il en soit, il apparaît que l’ancienne tradition indigène d’éloquence n’a pu que favoriser l’étude et l’enseignement précoces de l’art oratoire par les rhéteurs gaulois (cf. Grimal 1981, p. 124-126). Certains d’entre eux étaient déjà fort célèbres dès le Ier siècle. La “magie” de l’art oratoire, aussi vieille que Gorgias et Platon, est naturalisée gauloise par l’image de Lucien. Il n’est donc pas étonnant que cette image d’Hercule-Discours ait eu en France, au XVIè s., un grand succès chez les penseurs et les graveurs et qu’elle ait servi de référence à Du Bellay dans sa Défense et illustration.

121 Tacite (Ann. III, 43) mentionne, à propos de l’occupation d’Autun par les insurgés de Sacrovir, « les rejetons de la plus haute noblesse des Gaules qui y étudiaient les arts libéraux » (nobilissimam Galliarum subolem liberalibus studiis ibi operatam).

A Autun, qui était la nouvelle capitale des Eduens (Augustodunum a succédé à Bibracte), ont été découverts (en 1965 et 1990) les étonnants panneaux de mosaïque de la “maison des auteurs grecs” (IIè s.). Y figurent le poète archaïque du vin et de l’amour, Anacréon, avec le texte grec des fgts 396 et 429 Page, PMG ; le philosophe Epicure, avec le texte de la Maxime capitale 5 Arrighetti ; et Métrodore, le disciple d’Epicure, avec le texte de la Sentence vaticane 14 Arrighetti d’Epicure. Ces panneaux montrent une excellente connaissance des auteurs grecs chez ces élites gauloises, une connaissance dont les élites de la Lugdunaise n’avaient pas l’exclusivité en Gaule et qui remonte certainement plus haut que le IIème siècle. Voir l’Annexe ci-dessous.

122Italia verius quam provincia, selon le mot de Pline l’Ancien (HN, III, 31). C’est une sorte de lieu commun sur les élites de Narbonnaise et chaque Romain distingué s’ébahit à son tour de leur culture grecque et latine (voir ci-dessus, n. 103, la Lettre que le neveu, Pline le Jeune, consacre à Térentius Junior).

123L. Statius Ursulus <Tolosanus celeberrime in Gallia rhetoricam docet>. L’ouvrage de Suétone est un Sur les professeurs de grammaire et de rhétorique dont la fin est perdue, avec 11 sur 16 des notices de rhéteurs. Mais les noms ont subsisté grâce à un Index précédant le texte dans le codex qui nous a rendu le début de l’ouvrage (ce codex du IXè/Xè s., retrouvé au XVè s. en Allemagne, est lui-même aujourd’hui perdu). La phrase ajoutée, qui fait du L. Statius Ursulus de l’Index un Toulousain de l’époque de Néron, est tirée de la traduction latine faite par Jérôme de la Chronique d’Eusèbe : Jérôme a ajouté au texte d’Eusèbe de brèves indications qu’il est allé chercher dans l’ouvrage de Suétone. Le texte latin exact de Jérôme est : Statius Surculus, Tolosanus etc (Saint Jérôme, Chronic., ad ann. Abrah. 2073 = Patrologie Latine, XXVII, c. 452). Cassiodore, à son tour, dans sa Chronique, reprend l’indication, sous la forme : Ursulus, Tolosensis etc (Chronicon 673, édit. Mommsen, Monumenta Germaniae Historica, Auctores Antiquissimi, XI, 1893, p. 138). Le souvenir d’Ursulus, beaucoup célébré depuis la Renaissance, est suspendu à la répétition mécanique (sauf pour le cognomen) d’une indication très mince.

A cause du nom Statius Surculus, on a imaginé, dès le temps de Lactantius Placidus (Vè s.), que le poète Stace était toulousain. Au XIII è et XIV s., Dante le répète (Purg. XXI, str. 30) et Boccace aussi (Amorosa visione, c. V : E Statio di Tolosa ancora caro…), comme le feront les premiers chroniqueurs toulousains. Stace n’est pas seul. Les chroniqueurs répètent aussi, probablement à cause du nom du grammairien Virgile de Toulouse (vers 600 de notre ère) que le poète Virgile a été formé à Toulouse par les grammairiens de Pech David antique. La légende peut remonter fort loin et certaines élucubrations de ce Virgile de Toulouse lui-même annoncent les élucubrations des chroniqueurs toulousains (voir D. Tardi, Les Epitomae de Virgile de Toulouse, Essai de traduction critique, Paris, Boivin, 1928, spéc. le c. XV, p. 126, « De catalogo grammaticorum »).

124 Voir, sur Ursulus, Labrousse 1968, p. 506-507. Les tria nomina du rhéteur prouvent qu’il était citoyen romain. Mais même son cognomen n’est pas sûr, puisque, sur vingt-trois copies du codex archétype de Suétone (aujourd’hui perdu), dix-huit donnent la leçon Ursulus (une lectio facilior, puisque le nom est commun), quatre la leçon Ursilus et une, enfin, la lectio difficilior Uesulus. Il est possible que le manuscrit archétype perdu ait porté la leçon Uesulus. Comme me le fait remarquer J.-M. Pailler, on ne peut donc exclure qu’il s’agisse d’un cognomen gaulois formé sur le thème uesu-, dont dérivent des noms propres comme Uesus, Uesuccius, Uisurio etc (cf. Delamarre 2003, s.v. uesu,“valable, bon, digne de”, p. 318). Cela dit, Vesulus n’est connu que comme nom de montagne (le Mont Viso), alors qu’Ursulus est le nom qui figure chez Cassiodore et un nom bien attesté par ailleurs (c’est notamment le nom d’un professeur de grammaire ami d’Ausone, à Trèves… ce qui a pu jouer en faveur du choix de ce nom pour le rhéteur toulousain du Ier s. !).

Ursulus peut prendre place parmi les célèbres orateurs, avocats et professeurs gaulois du Ier siècle dont les noms et parfois la carrière sont bien connus, parce qu’ils sont allés exercer brillamment leur activité à Rome : sous Tibère, Votiénus Montanus, né à Narbonne (selon St Jérôme), qui est l’ami de Sénèque le Père (Controv. IX, Préf. 1 ; 5, 15 ; et passim) et qui fut exilé en 24 (Tacite, Ann. IV, 42) - Narbonne où brille, sous Domitien, son fils ou son petit-fils (Martial, VIII, 72, 5-6) ; en 44 ou autour de cette date, P. Clodius Quirinalis, d’Arles, qui enseigne la rhétorique à Rome (selon Jérôme) ; depuis le règne de Tibère jusqu’à celui de Néron, Gn. Domitius Afer, de Nîmes, dont le talent est admiré par Quintilien et Tacite jeune (mais dont l’arrivisme est fustigé par le Tacite des Annales, aux livres IV et XIV, et par Dion Cassius, au livre LIX, 19-20) ; sous Néron, Julius Africanus, que loue Quintilien (X, 1, 118 ; VIII, 5, 15) et dont Julius Secundus écrivit l’éloge (selon Tacite jeune) ; enfin les deux maîtres que le jeune Tacite met en scène, à la date de 75, dans le Dialogue des orateurs (cf. II, 1), Marcus Aper, « né dans une cité fort peu en faveur », qui n’est pas identifiée (7,1), et Julius Secundus, qui fut un ami fidèle de Quintilien (X, 1, 120 ; 3, 12). La Narbonnaise ou la Gaule du Ier s. formaient assez de professeurs pour pouvoir en exporter à Rome. Et aussi l’Espagne Citérieure ou Tarraconnaise, patrie de Quintilien, le maître des études de rhétorique à Rome sous Vespasien, patrie aussi de Martial.

125 Cf. Grimal 1981, p. 126-127.

126 Il suffit, pour s’en rendre compte de lire les mots que Favorin d’Arles, quelque trente-cinq ans plus tard, dans un auto-éloge qui, sur la plan de la rhétorique, est un modèle de l’“asianisme” gaulois, prête à sa propre statue à Corinthe (Discours aux Corinthiens, 27) : « Voilà justement la mission pour laquelle il (Favorinos) semble avoir été fait par les dieux comme à dessein : auprès des Grecs, pour que les indigènes de Grèce aient en lui la preuve que, pour être considéré comme Grec, il n’y a aucune différence entre l’éducation et la naissance (ἵνα ἔχωσιν οἱ ἐπιχώριοι τῆς Ἑλλάδος παράδειγμα ὡς οὐδὲν τὸ παιδευθῆναι τοῦ φῦναι πρὸς τὸ δοκεῖν διαφέρει) ; auprès des Romains pour éviter que, s’abritant derrière leur rang, ils ne dédaignent l’éducation en considération de leur rang ; auprès des Gaulois, pour qu’absolument aucun Barbare, en ayant sous les yeux son exemple, ne refuse l’éducation grecque ». L’Arlésien aurait pu prêter le même discours aux statues du Toulousain à Athènes (qu’il a pu voir).

Cette mosaïque de cités-peuples qu’est devenu l’empire romain, espace “mondialisé” où l’empereur garantit la domination des riches ou richissimes oligarchies (si elles jouent le jeu), la paix intérieure entre les peuples et la paix civile dans les cités, a pour ciment idéologique, avec le culte impérial, la παιδεία, la culture gréco-romaine partout adoptée, de l’Atlantique au Proche-Orient, par des élites qui sont socialement unifiées (tout en restant fières de leur tribu et de leur cité, leur “petite patrie”). Le personnage de Rufus est, pour les “patries gauloises”, emblématique.

127 De ce “moment hellénisant” à Toulouse et, plus généralement, de l’attachement des élites de la cité à la culture hellénique qui les valorise et les distingue, témoigne aussi le colossal tronçon de relief représentant une Amazonomachie, le combat des Grecs et des Amazones (il fut récupéré dans le quai en 1709, dans le même secteur que les morceaux de colonnes et fragments architecturaux apparus en 1613 au Bazacle, supra n. 32). Le tronçon, appartenant peut-être à un monument funéraire, est difficile à dater, mais il semble bien être du Ier siècle de notre ère (entre l’époque d’Auguste et la fin du siècle).

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