Nous proposons la découverte d’un extrait d’une comédie Térence et plus généralement de la comédie latine en observant une page de manuscrit enluminé.
Documents et supports utilisés :
- une page du manuscrit du Phormion de Térence sur le site Gallica de la Bibliothèque nationale de France.
- les commentaires de Donat aux comédies de Térence présentés et traduits sur le site HyperDonat de l’Université Jean Moulin Lyon III (Bruno Bureau, Christian Nicolas et Maud Ingarao).
N. B. On attribue à Aelius Donatus, né vers 320 à Tipasa (Numidie, aujourd’hui en Algérie) et mort vers 380, un Ars grammatica (traité de grammaire) et un Commentum Terentii (commentaires sur la vie et les œuvres de Térence) qui ont fait autorité pendant tout le Moyen Âge.
Le commentaire de Térence est en réalité le résultat d'une compilation de commentaires dont il est difficile de préciser l'origine et la date exacte. La part remontant au grammairien Donat est également difficile à préciser.
Compétences à mettre en œuvre :
- Retrouver des informations ;
- Traduire et commenter ;
- Utiliser des documents et supports variés : manuscrit (texte et image), éléments traduits et commentés sur un site spécialisé.
1. Le résumé dans la marge
On peut commencer par déchiffrer le texte dans la marge du manuscrit, dans le coin supérieur gauche, à la hauteur des personnages.
On le retrouve dans la Praefatio (III, 2) du commentaire de Donat.
On constate qu’il s’agit d’un résumé de présentation du « deuxième acte » de la pièce.
On rappelle à l’occasion qu’il n’y a pas de division ni en acte ni en scène dans les pièces de théâtre telles qu’elles sont conçues et jouées à l’origine (voir Structure dramatique » dans le « Petit dictionnaire pour découvrir le théâtre latin »).
Les premiers mots : secundi actus tenor
Le nom masculin tenor - de teneo, "je (con)tiens" - désigne un déroulement continu, sans interruption ni temps mort, qui "tient" le spectateur attentif.
2. L’identification des trois personnages en scène et de l’action représentée
• Les 3 personnages :
DEMIPHO, SENEX
PHEDRIA (également écrit Phaedria dans le manuscrit), ADULESCENS
GETA, SERVUS
• L’action représentée : une vive altercation
Le senex (le "vieux" Démiphon) s’emporte contre l’adulescens (le "jeune homme" Phédria) et le servus (l’"esclave" Géta). Son poing droit levé et fermé concrétise clairement sa colère.
On retrouve les éléments donnés par le résumé : adventum senis turbulentum et ejusdem jurgium adversus Getam ac Phedriam.
On note le vocabulaire de l’agitation perturbatrice (turbulentum) et de la dispute (jurgium).
Pour l’explication des types et fonctions des personnages, on se reporte à l’article « La comédie latine : intrigues et personnages ».
Pour le résumé de l’intrigue, on peut consulter la préface de Donat (II).
3. Le texte
On déchiffre les premiers mots de Démiphon (DEM) sous l’enluminure :
Itane tandem uxorem duxit Antipho...
On reconnaît à l’occasion l’expression uxorem ducere : se marier.
En tapant dans un moteur de recherche « Phormion + uxorem duxit », on retrouve très facilement la situation de la page manuscrite dans la pièce : vers 231 - 244.
Il s’agit bien d’une réplique de Démiphon, ce qui correspond au début de l’acte II, scène 1, selon l’indication dans la marge.
DEM. Itane tandem uxorem duxit Antipho iniussu meo ?
Nec meum imperium, age mitto imperium, non simultatem meam
revereri saltem ! non pudere ! o facinus audax, o Geta
monitor ! GET. Vix tandem. DEM. Quid mihi dicent aut quam causam reperient ?
demiror. GET. Atqui repperi jam : aliud cura. DEM. Anne hoc dicet mihi :
"Invitus feci : lex coegit" ? Audio, fateor. GET. Places.
DEM. Verum scientem, tacitum causam tradere adversariis,
etiamne id lex coegit ? PHA. Illud durum. GET. Ego expediam : sine !
DEM. Incertum est quid agam, quia praeter spem atque incredibile hoc mihi obtigit :
ita sum irritatus animum ut nequeam ad cogitandum instituere.
Quamobrem omnes, cum secundae res sunt maxume, tum maxume
meditari secum oportet quo pacto advorsam aerumnam ferant,
pericla exilia damna : peregre regrediens semper cogitet
aut filii peccatum aut uxoris mortem aut morbum filiae, [...]
La fin de la réplique de Démiphon figure sur la page suivante :
communia esse haec, fieri posse, ut ne quid animo sit novum ;
quidquid praeter spem eveniat, omne id deputare esse in lucro.
On relève quelques archaïsmes propres à la langue latine au IIe siècle avant J.-C. :
- maxume pour maxime
- advorsam pour adversam
- pericla pour pericula
On propose de traduire le début du texte vers à vers :
La traduction peut se poursuivre en utilisant le site Hyperdonat comme guide.
Quelques remarques :
imperium
On peut faire relever le terme imperium qui renvoie au pouvoir absolu (avec droit de vie et de mort) du paterfamilias dans la société romaine. On voit comment ici le vieux Démiphon reconnaît que son « autorité souveraine » a été bafouée (on retrouve le principal ressort comique des comédies latines).
Vix tandem
L’intervention en aparté de l’esclave Géta permet de retrouver les caractéristiques du servus dans la comédie latine (voir « La comédie latine : intrigues et personnages »).
On comprend le jeu comique grâce au commentaire de Donat.
Vix tandem (vers 234)
1 "vix tandem" convenit hoc dictum ei, qui jam pridem se male audire putat, et ideo sero videtur ad hunc senex pervenisse, cum ille metuens se primum ad accusationem crederet. 2 An "vix tandem" ad hoc pertinet, quia ille monitor dixit ? quasi dicat : uix tandem factum est, ut me senex laudare coepisset, quia monitor quamuis in contrarium dixerit, tamen nomen est laudis. 3 vix tandem εἰρωνεία, quasi paene me oblitus est. 4 An quia tarde ad seruum peruenit senex, quem ille ob conscientiam a se coepturum esse credebat ?
1 "vix tandem" ce propos lui est adapté : depuis quelque temps déjà, il pense qu’il va être grondé, et c’est précisément pour cela qu’il lui semble que le vieillard a mis du temps à en venir à mentionner sa personne, alors que, parce qu’il avait peur, il croyait qu’il serait le premier à être accusé. 2 Ou bien "vix tandem" se rapporte-t-il au fait que l’autre a dit "monitor" ? Comme s’il disait : "enfin (vix tandem) c’est arrivé, le vieillard s’est mis à faire mon éloge", parce que monitor - bien que le vieillard l’emploie de façon péjorative - est un nom connoté positivement. 3 "vix tandem" : ironie (εἰρωνεία), comme s’il disait "il m'a presque oublié". 4 Ou bien parce que le vieillard met du temps à en venir à l'esclave, alors que lui, à cause de son sentiment de culpabilité, croyait qu'il allait commencer par lui ?
N. B. "Monitor" n’est en soi un terme ni péjoratif ni flatteur. Si Donat y voit une connotation flatteuse, on peut supposer que c’est en raison des qualités prêtées à celui qui conseille ou qui accompagne (sens premier de "monitor"), qui sont souvent la sagesse et la clairvoyance.
Prolongement ludique : verum aut falsum
On observe les trois personnages sur le manuscrit et on répond par verum (vrai) ou falsum (faux) aux affirmations suivantes.
1. Demipho senex est.
2. Phedria Getaque servi sunt.
3. Titus Maccius Plautus hanc fabulam composuit.
4. Adulescens dextram ad servum porrigit.
5. Phedria inter senem servumque stat.
6. Quattuor histriones in scaena sunt.
7. Senex pugnum facit : cum servo pugnare paratus est.
8. Adulescenti toga est.
Réponses
- Verum : senex ("le vieux") est un « caractère », à lire sous le nom du personnage.
- Falsum : seul Géta est esclave.
- Falsum : la pièce est de Térence.
- Falsum : Phédria fait le geste (dextram porrigere, tendre la main droite) vers Démiphon et non vers l’esclave.
- Verum : le jeune homme est entre les deux autres personnages.
- Falsum : il n’y a que trois (tres) acteurs (histriones) sur scène.
- Verum : l’expression pugnum facere signifie « serrer le poing », à rapprocher de « faire le coup de poing » (ce qui permet de faire le lien entre pugnus, « le poing » et pugnare, se battre).
- Verum : on observe le drapé de la toge de Phedria ; on repère la construction esse + datif pour exprimer la possession.