Le mythe d'Europe dans la littérature

Littérature grecque ancienne 


A l'époque archaïque, le nom d'Europe est attribué à plusieurs personnages féminins.

En zone péninsulaire et dans les îles de la mer Égée, le nom d'Europe évoque
une " déesse de la mer ".

- Ainsi la Théogonie d'Hésiode la présente comme l'une des Océanides, fille de Thétys et d'Océan.
- Pindare (Pythique, IV, 44) et Apollonios de Rhodes (Argonautiques, I, 181) en font l'épouse de Poséidon et la mère de l'un des Argonautes : Euphémos.
"... vint aussi Euphémos, le plus rapide des coureurs qu'à Poséidon avait enfanté Europé..."
Les plus anciennes représentations de l'enlèvement d'Europe, comme la métope de l'acropole de Sélinonte (temple Y), évoquent un autre personnage : la fille du roi de Tyr ou de Sidon, ravie par Zeus métamorphosé en taureau, qui vint d'Orient en Occident, plus précisément en Crète, où elle s'unit au dieu et donna naissance à une progéniture masculine de sang royal (cf. Hésiode, Fragments).

La légende d'Europe et le continent du même nom

L'évocation du nom d'Europe en Béotie, en Macédoine et en Thrace correspond au périple de Cadmos, le frère de la princesse phénicienne, pour retrouver celleci.
D'après la Suite Pythique, l'oracle de Delphes aurait conseillé à Cadmos de se laisser guider par une vache dont les flancs étaient marqués d'un signe blanc, pareil à un croissant de lune et de fonder une ville là où l'animal se coucherait sur le sol : ainsi naquit la ville de Thèbes. La Béotie pourrait correspondre à la limite occidentale du périple de Cadmos tandis que la Thrace en constituerait la borne orientale. Quelques oeuvres d'art consacrées à l'enlèvement d'Europe jalonnent ce parcours et témoignent de la notoriété de la légende de l'enlèvement d'Europe dans cette région, notamment une métope décorant un vase béotien du VIIe siècle av. J.-C., originaire de Ténos (Paris, BnF, 640 av. J.-C. - Catalogue des vases peints de la Bibliothèque de France). Les relations privilégiées entre la Crète et le sanctuaire de Delphes au VIIIe siècle av. J.-C. pourraient avoir favorisé la diffusion de la légende en Grèce centrale. L'une des références les plus anciennes à l'Europe, en tant que zone géographique, se rencontre dans l'Hymne homérique à Apollon (fin du VIIIe siècle- début du VIIe siècle av. J.-C.) où le dieu déclare vouloir construire un temple à Delphes " pour ceux qui habitent le gras Péloponnèse, comme ceux d'Europe et des îles ceintes de flots ". Au Ve siècle, des limites sont fixées à l'Europe : elle est séparée de l'Asie par le Phase ou le Tanaïs (ancien nom du Don) et s'étend de l'Adriatique à la mer Noire. Elle s'oppose à l'Asie, le monde barbare des Perses. Mais les auteurs grecs n'ont aucune idée des origines du nom "Europe" ni de ses liens éventuels avec celui de la princesse phénicienne, ce qu'exprime Hérodote (Histoires, IV, 45) au Ve siècle av. J.-C. :

" Pour l'Europe, de même que nul ne sait si elle est entourée d'eau, on est sans lumière sur l'origine de son nom et sur celui qui le lui imposa, à moins de dire que le pays reçut ce nom de la tyrienne Europé ; elle aurait en ce cas été auparavant anonyme, comme les autres parties du monde. Mais il est certain que cette Europé était originaire d'Asie, et qu'elle ne vint jamais dans ce pays que les Grecs appellent présentement Europe ; elle vint seulement de Phénicie en Crète ".
L'établissement d'un lien entre la mythologie et la géographie C'est à l'époque hellénistique que le rapport entre la géographie et la mythologie est clairement établi. Dans le long poème qu'il consacre à Europe, le poète alexandrin Moschos de Syracuse (IIe siècle av. J.-C.) lui prête, dans la nuit qui précède son enlèvement par Zeus, un songe prémonitoire : [Europé] " crut voir deux terres se disputer à son sujet, la terre d'Asie et la terre d'en face, leur aspect était celui de femmes. L'une avait les traits d'une étrangère ; l'autre ressemblait à une femme du pays ; elle s'attachait plus fort à la jeune fille, comme à sa fille, représentait qu'elle l'avait mise au jour et que seule elle avait pris soin d'elle ; mais l'autre, la saisissant de force de ses mains puissantes, l'entraînait sans qu'elle résistât, et déclarait que, de par la volonté de Zeus
porteur d'égide, il était décidé qu'Europé lui appartenait. " Ce récit pourrait avoir une signification politique et manifester le désir des lettrés alexandrins de sceller l'union des Grecs contre les Barbares. L'antagonisme entre les deux continents subsiste au 1er siècle av. J.-C., mais le centre de gravité européen se déplace progressivement vers l'Occident. Ainsi le géographe Strabon déplace la frontière occidentale de l'Europe vers les colonnes d'Hercule et l'Atlantique : " Si l'on pénêtre par le détroit des Colonnes d'Hercule, l'on navigue en ayant à droite la Libye jusqu'au cours du Nil, à gauche, de l'autre côté du chenal, l'Europe jusqu'au Tanaïs. L'un et l'autre continents se terminent à l'Asie.

Littérature latine

Ovide, dans Les Métamorphoses (Livre II), écrit un récit de l'enlèvement d'Europe par Zeus qui sera une source d'inspiration privilégiée pour les poètes et les peintres jusqu'au XVIIIe siècle. Mais il associe également le mythe à la géographie : dans les Fastes (Livre V), le nom de la fille de Sidon est attribué à " la troisième partie du monde " : " fille de Sidon, Jupiter te rend mère, et tu donnes ton nom à l'une des trois parties du monde ". De même Horace, dans le Livre III des Odes (A Galatéa), conclut son récit de l'enlèvement par les plaintes amères d'Europe et l'intervention de Vénus : [3, 27, 73] " Tu ne sais pas que tu es l'épouse du victorieux Jupiter. Cesse tes sanglots, apprends à bien porter ta haute fortune. Une part du monde prendra ton nom." Ainsi la littérature antique nous a transmis un double visage d'Europe : celui du récit de l'amour de Jupiter pour une princesse phénicienne et celui d'un continent. Littérature française
" Le Moyen-Âge rhéabilite la mythologie en y cherchant et en y trouvant des vérités cachées, non seulement historiques, physiques ou morales, mais même religieuses qui en font une sorte de bible païenne préfigurant la révélation chrétienne. Les Métamorphoses d'Ovide, dont le Livre I raconte la création du monde jusqu'au déluge, dans un récit parallèle à celui de la Genèse, retiennent particulièrement l'attention et voient naître, en marge de la copie manuscrite du texte latin, les premiers commentaires moralisants ou allégorisants. " (cf. Françoise Lecoq, " Europe "moralisée", imitation et allégorisation ", in D'Europe à L'Europe, Centre André Piganiol, Tours, 1998, p. 263).
Différentes grilles de lecture, sans rapport entre elles, sont appliquées au mythe d'Europe : - lecture naturelle (ou physique), lecture historique : Europe fut enlevée par un
roi, le roi de Crète, dans un navire dont la proue portait l'emblème d'un taureau ; - lecture morale : la fable d'Europe est un avertissement aux jeunes filles coquettes qui abandonnent la protection de leurs foyers pour se laisser séduire et emporter vers la vaste mer des vices ; - lecture chrétienne : Europe représente l'humanité ; l'amour de Jupiter pour Europe est l'amour de Dieu pour les hommes ; la métamorphose de Jupiter en taureau est une figure de l'incarnation et révèle la double nature humaine et
divine du Christ ; la traversée de la mer correspond à la passion du Christ mort et ressuscité et la Crète symbolise le monde céleste. Parmi les éditions des  Métamorphoses, nombreuses au Moyen-Âge, il faut distinguer L'Ovide moralisé, une traduction d'Ovide en langue d'oïl et en vers, dont l'auteur reste anonyme (sans doute un clerc bourguignon qui écrit entre 1291 et 1328). La légende elle-même se développe sur 153 vers (contre 41 dans Les Métamorphoses d'Ovide). Alors qu'Ovide arrêtait son récit sur l'image de la traversée marine, l'Ovide moralisé le poursuit avec l'arrivée en Crète, les noces, la naissance de Minos, la mention du continent Europe et avec un commentaire qui explicite la signification religieuse du mythe. La Renaissance se caractérise par une approche philologique des textes grecs et latins. Europe est présente dans les traductions des Anciens : les deux premiers Livres des Métamorphoses d'Ovide par Clément Marot (1556), l'Europé de Moschos par Jean-Antoine de Baïf (1552), les Odes anacréontiques par Rémi Belleau (1556). La poésie antique est une source d'inspiration, aux XVIIIe et au XIXe siècles, pour Chénier : L'enlèvement d'Europe, traduit de Moschos, et le petit poème "Sur un groupe de Jupiter et d'Europe", Leconte de Lisle : L'enlèvement d'Europeia, Louis Bouilhet : Europe.
Europe est aussi, dans les poésies du XVIe siècle à l'époque contemporaine, un motif littéraire utilisé le plus souvent pour manifester le pouvoir de la passion ou exalter l'amour. L'image de Zeus emportant Europe à travers les flots est évoquée avec une grande force en quelques vers par Hugo dans "Le Rouet d'Omphale" (Les Contemplations, 1855) ou par Rimbaud dans Soleil et Chair.

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