Notes
- Cette paix ne durera malheureusement pas longtemps. Les cités membres de la ligue péloponnésienne, alliées de Sparte, n’ont pas été incluses dans le traité, de sorte qu’après une période de guerre froide, les hostilités reprennent de plus belle. Les épisodes les plus marquants sont ensuite l’expédition de Sicile, désastreuse pour les Athéniens, puis le coup d’État des Quatre-cents, qui renversent la démocratie et la remplacent par une oligarchie, d’ailleurs vite renversée à son tour. Vient enfin la défaite finale d’Athènes, Sparte ayant repris des forces grâce à une alliance avec le roi de Perse. Athènes est forcée de capituler, et Sparte lui impose un second coup d’État, le régime oligarchique des Trente. S’ensuit une guerre civile au terme de laquelle la démocratie est rétablie.
- On voit que le problème de la nourriture est un thème structurant de la pièce dès le début, et fait partie des premières motivations de Trygée, pour s’opposer aux privations ordinaires en temps de guerre.
La pièce prend tout son sens politique des circonstances particulières dans lesquelles elle fut jouée, et qui expliquent que la Nature et ses dons en soient un acteur essentiel.
En 421 en effet, Athènes et Sparte, épuisées par dix ans de guerre, décident d’une trêve et engagent des pourparlers de paix. La pièce d’Aristophane est représentée tout exprès durant ces pourparlers, afin de faire pression sur les négociateurs : il s’agit pour le poète d’inspirer aux Athéniens une telle nostalgie et un tel désir de paix, qu’ils se décident enfin à voter pour un heureux dénouement ; la paix dite de Nicias (stratège athénien du parti des modérés) est effectivement conclue peu après1.
Question : que peut-on penser en général des rapports entre la littérature et la politique ? Dans une pièce ultérieure (Les Grenouilles), Aristophane développe sa conception du rôle du Poète dans la cité.
L’examen de la pièce va nous permettre de situer le passage étudié, et en même temps d’observer la composition des comédies d’Aristophane.
1) Prologue (v. 1-300) : présentation du sujet de la comédie et engagement de l’action.
Les dialogues alternent avec des parties chantées appelées « mélodrames » (du mot μέλος, qui a donné en français « mélodie »).
L’acteur principal et héros de la pièce, le vigneron Trygée, aidé de ses deux serviteurs, entreprend de monter au ciel à cheval sur un escarbot (gros hanneton, bousier : le mot français est dérivé du latin scarabeus). Il veut supplier Zeus de rétablir la paix. Son jeune fils vient lui demander des explications sur cette étrange équipée ; Trygée répond que l’idée de l’escarbot vient d’Ésope, et qu’après être monté au ciel, au lieu de l’entendre toujours réclamer du pain, il lui rapportera du gâteau2. Trygée arrive enfin devant la maison de Zeus. Hermès, qui en est le portier, lui apprend que la Paix a été enfermée dans une caverne sous la garde de Polémos (la Guerre), sur ordre de Zeus, indigné du comportement des humains. Trygée décide donc d’aller la délivrer, avant que Polémos ait pu avec son pilon broyer toutes les cités grecques dans son mortier (métaphore culinaire qui annonce par contraste les agapes du temps de paix).
2) Parodos (v. 301-458) : entrée du chœur (en dansant) sous la conduite du coryphée.
Le chœur est composé de laboureurs athéniens avec quelques paysans laconiens, béotiens, argiens et mégariens (parti pris de panhellénisme). Il s’agit d’enlever les rochers qui obstruent l’entrée de la grotte pour délivrer la Paix. Hermès promet de ne pas avertir Zeus de l’opération ; reste à amadouer le gardien Polémos. Heureusement, celui-ci a perdu ses « pilons » (toujours la métaphore culinaire, restée vivante dans le vocabulaire moderne de la politique), en la personne des deux dirigeants les plus bellicistes d’Athènes et de Sparte, Cléon et Brasidas, morts au combat tout récemment.
Question : rôle du chœur dans le théâtre antique.
3) Agôn (v. 459-728) : scène d’action et de lutte.
Oh, hisse ! Des câbles ont été attachés à la dalle qui clôt le fond de la grotte, dernier obstacle avant d’atteindre la prisonnière. Oh, hisse ! Comme les représentants des autres cités renâclent (façon de donner à Athènes le premier rôle dans la conclusion de la paix de Nicias), Trygée interpelle et encourage tout le monde ; puis les laboureurs athéniens redoublent d’efforts et la Paix apparaît, saluée par Trygée de façon bien agreste : Ô potnia botruodôre (Ὦ πότνια βοτρυόδωρε), « Ô Souveraine donatrice des grappes de raisin... » (v. 520) ! Le chœur lui aussi s’adresse à elle : « Les vignes et les jeunes figuiers et les plantes de toute sorte te recevront avec un joyeux sourire » (v. 596-600).
Questions : comment invoque-t-on les dieux dans l’antiquité ? Qu’est-ce qu’une épithète cultuelle ? Quelle est la parure ordinaire de Dionysos ?
4) Parabase (v. 729-818) :
C’est la partie de la comédie où le poète présente sa pièce pour en expliquer le sujet réel (ici, mettre fin à la guerre) et la commenter, de façon mi-sérieuse, mi-plaisante. Il y a momentanément rupture de l’illusion théâtrale : il ne s’agit plus de Trygée ou autres personnages fictifs. C’est d’abord le coryphée qui, à la troisième personne, fait l’éloge du poète, de ses innovations en tant que dramaturge comique, de son courage à affronter les puissants (avec allusions polémiques, sur le ton de la moquerie et de la farce, aux personnages réels de l’actualité) ; puis au v. 754, le poète lui-même parle à la première personne, fier d’avoir tenu tête à ses adversaires politiques et d’avoir combattu sans crainte contre le monstre affreux et répugnant qu’est la guerre.
Question : la parabase comme finalité d’éducation populaire par le rire ; le poète au théâtre joue à sa manière le rôle de l’orateur à l’assemblée.
5) Conséquences de l’action (v. 819-1264) :
Trygée revient en triomphe, accompagné de Théôria et d’Opôra. Vient une succession de scènes diverses montrant les conséquences du retour de la paix.
Les serviteurs commencent à préparer la fête pour le mariage de Trygée et d’Opôra. Puis on se débarrasse des fâcheux, à commencer par le devin Hiéroclès, attiré par l’odeur de la bonne cuisine (Thucydide, dans son Histoire de la guerre du Péloponnèse, évoque les devins-charlatans intéressés qui avaient poussé les Athéniens à la guerre). Ensuite survient un Fabricant de faux, accompagné d’un fabricant de jarres : ils veulent remercier Trygée, car leur commerce artisanal d’outils et d’ustensiles agricoles va de nouveau prospérer.
C’est ici que se situe l’extrait à étudier (v. 1127-1171) : le chœur chante les joies de la paix retrouvée et de la campagne ; ici, les plantes réelles ne font qu’un avec Opôra.
Par contraste, arrive ensuite le Marchand d’armes, qui entend continuer à faire acheter par les pauvres gens ses cuirasses et ses lances ; il est accompagné d’une suite de personnages représentant les métiers de l’armement (fabricants de casques, d’aigrettes, de trompettes...). Le Marchand d’armes prend la parole et se plaint que Trygée l’a ruiné ; Trygée se moque de lui, et suggère que les cuirasses soient utilisées pour toutes sortes de sièges, y compris un siège pour les besoins naturels des paysans ; les casques, munis d’une anse, deviendront des récipients propres à divers usages, et avec les lances, on fera des échalas pour la vigne. On assiste ainsi à la reconversion de l’industrie de guerre en économie de paix.
Question : montrer que le personnage de la Paix n’est pas pour l’auteur une simple allégorie.
6) Exodos (v. 1265-1358) :
Dénouement et départ du chœur. Une fois les importuns expédiés, Trygée ne s’occupe plus que de la fête, et d’abord des enfants du village qui viennent d’entrer en scène, et qui vont eux aussi, comme son propre fils, profiter des bonnes choses retrouvées. Hélas ! les enfants entonnent les chants de guerre qu’ils ont appris à l’école (critique indirecte des programmes d’enseignement orientés vers l’héroïsme militaire), et Trygée met fin à leurs couplets. On distribue à tous des gâteaux, et Trygée ressort solennellement de sa maison en compagnie de son épouse Opôra, tandis que le chœur entonne les chants d’hyménée.
Ce mariage entre un mortel et une divinité fait figure de hiéros gamos (ἱερὸς γάμος, « mariage sacré »), spectacle qui faisait partie des rituels de fécondité et de fertilité. Les semailles étaient assimilées à la fécondation d’une femme, et le marié était parfois couvert de fruits.
Question : La composition d’une telle pièce pose le problème des origines de la comédie en Grèce, en tant que représentation et genre littéraire : mimes originaires de Sicile ; kômoï (κῶμοι, « processions joyeuses ») qui s’affrontaient rituellement sur le chemin d’Éleusis, près du pont du fleuve Céphise, en échangeant des quolibets ; dithyrambes, anciennes célébrations dionysiaques, auxquelles la Paix fait écho.
N.B. Sous le régime des colonels grecs (1967-1974) la pièce La Paix a été censurée...