Hélène, la plus belle reine du monde, fléau de Troie

Après Homère, les auteurs reprennent le personnage d'Hélène.

Chez Hérodote : Hélène en Égypte, une rationalisation du mythe

On trouve mention d’un séjour d'Hélène en Égypte - évoqué rapidement par l’Odyssée : elle y a pris le népenthès (le chanvre) -, notamment chez Hérodote. Au livre II (CXII-CXX) de son Enquête, l’historien l’assimile à une  « Aphrodite étrangère » honorée en Égypte, à Canope. Selon un récit local, les deux amants en fuite y auraient été arrêtés, et Pâris renvoyé seul à Troie. Hérodote estime cette version cohérente : si Hélène s’était réellement trouvée à Troie, il aurait été invraisemblable que les Troyens assiégés ne la rendent pas. Stésichore le reprend (et selon la légende en aurait été puni) ainsi que Platon (La République, Livre IX, 586c).

Chez Euripide

Dans Les Troyennes, Euripide reprend la tradition où Hélène apparait clairement comme une femme coupable d’adultère, condamnée par Ménélas et par Hécube. Il existe une tragédie éponyme, où Euripide reprend la version "égyptienne". Dans ce drame assez fantaisiste, Hélène aime Ménélas et repart avec lui.

Chez les sophistes : les Éloges de Gorgias et d’Isocrate

Les deux orateurs entreprennent d’innocenter Hélène en louant la puissance de sa beauté et en vantant les qualités de ses amants. En ce qui concerne l’enlèvement par Pâris, qu'elle soit séduite par l’amour ou par la force, Hélène est avant tout victime. Il s’agit certes d'une position plus rhétorique que féministe, mais les deux orateurs attaquent ainsi, dans une sorte de défi, l’image de la femme qui est censée représenter l’infidélité. Isocrate, en particulier, ira jusqu'à faire d'Hélène un symbole du panhellénisme, puisqu’elle a permis l’union des Grecs contre les Troyens, devenus des "barbares" dans l’imaginaire de son siècle.

À l’époque impériale

Il existe de nombreuses versions du mythe et beaucoup de tentatives rationalisantes pour l'amender. Parmi les ouvrages où Hélène apparait, citons la Suite d’Homère de Quintus de Smyrne (IIIe-IVe après J.-C.), où elle est vivement critiquée pour son immoralité (nous sommes ici loin d’Homère) et Les Héroïques de Philostrate (IIIe siècle après J.-C.) où l’auteur la fait vivre sur "l’île blanche", une sorte de séjour des bienheureux, mariée éternellement à Achille.

Fille de Zeus 

Hélène est la fille de Zeus, le roi des dieux de l'Olympe, et de la princesse Léda, fille de Thestios, roi d'Étolie. Zeus apparut sous la forme d'un cygne à Léda. Celle-ci donna naissance à deux paires de jumeaux : Hélène et Pollux, les enfants de Zeus, et Castor et Clytemnestre, les enfants de son mari, le roi de Sparte Tyndare.

L’archétype de la beauté féminine

La figure d’Hélène parait tout d’abord stéréotypée dans le mythe : les Chants cypriens (épopée grecque perdue, dont témoigne la Chrestomathie de Proclos résumée dans la Bibliothèque de Photios) la désignent comme la plus belle femme du monde ; elle est le prix bien connu du jugement de Pâris, offert par Aphrodite, déesse avec laquelle Hélène entretient un lien particulier. Le cycle troyen fait ainsi d'elle une récompense (le cadeau d'Éris, la Discorde) aux conséquences redoutables et une cause de la guerre de Troie.

Dès son jeune âge, Hélène attire les regards par sa beauté et suscite le danger, pour elle-même et pour ses prétendants : Thésée l’enlève (Vie de Thésée, Plutarque), avant que ses frères Castor et Pollux ne la délivrent. Lorsque son père Tyndare lui cherche un mari, un grand nombre de prétendants accourent. La liste figure dans Apollodore (Bibliothèque, III, 10, 8), dans le Catalogue des femmes (fr. 68), chez Hygin (Fables, LXXXI, XCVII). Cette compétition entre les rois et les princes met en danger l’harmonie des royaumes grecs. Ce n’est que sur le conseil d’Ulysse que Tyndare fait prêter un serment liant tous les prétendants à l’heureux élu : ainsi étaient-ils tenus de venir en aide à Ménélas, roi de Sparte et désormais époux d'Hélène, si un malheur devait lui arriver. Sage précaution, dessinant le motif de l’alliance achéenne pour la future guerre de Troie.

Plus connu que l’enlèvement de Thésée, celui de Pâris est aussi plus ambigu sur la volonté d’Hélène : a-t-elle suivi Pâris de son plein gré (voir le face à face Hécube / Hélène dans les Troyennes d'Euripide) ou le prince troyen l’a-t-il enlevée malgré elle ? Séductrice, séduite, quoi qu’il en soit, Hélène se situe bien au sommet du désir, le moteur qui conduit à la violence et à la guerre.

Hélène chez Homère

Dans l’Iliade le traitement de cette figure de premier plan est comme souvent subtil. Peu de scènes sont consacrées à Hélène, mais ses apparitions sont à chaque fois fortes. On peut mentionner tout d'abord le chant III, nommé "le chant d’Hélène" à tel point sa présence est marquante : occupée à tisser la guerre sur une toile, elle monte sur les remparts où, après avoir suscité la convoitise des vieillards, elle nomme les chefs achéens à la demande de Priam, qui la décharge de la responsabilité du conflit :

οὔ τί μοι αἰτίη ἐσσί, θεοί νύ μοι αἴτιοί εἰσιν...

tu n’es, pour moi, coupable en rien ; les dieux sont les coupables...

Iliade, III, 163

Puis Aphrodite lui demande de rejoindre Pâris  (appelé aussi Alexandre ) revenu du combat,  et l'invite à s'unir à lui dans la chambre où ce dernier l'attend. Hélène refuse d'abord d'obéir avant de céder plus tardivement.

"Possédée des démons , pourquoi cette envie de me séduire ?"

Hélène ajoute également ces mots abrupts à l'adresse d'Aphrodite : 

Ἧσο παρ᾽ αὐτὸν ἰοῦσα, θεῶν δ᾽ ἀπόεικε κελεύθου,
μηδ᾽ ἔτι σοῖσι πόδεσσιν ὑποστρέψειας Ὄλυμπον,
ἀλλ᾽ αἰεὶ περὶ κεῖνον ὀΐζυε καί ἑ φύλασσε,
εἰς ὅ κέ σ᾽ ἢ ἄλοχον ποιήσεται ἢ ὅ γε δούλην.
Κεῖσε δ᾽ ἐγὼν οὐκ εἶμι· νεμεσσητὸν δέ κεν εἴη·
κείνου πορσανέουσα λέχος· Τρῳαὶ δέ μ᾽ ὀπίσσω
πᾶσαι μωμήσονται· ἔχω δ᾽ ἄχε᾽ ἄκριτα θυμῷ. 
         

"Va auprès d'Alexandre (Pâris), renonce aux chemins des dieux,

ne laisse pas tes pieds s'en retourner dans l'Olympe, 

mais chaque jour afflige-toi pour lui, et garde-le

jusqu'à ce qu'il fasse de toi sa femme, ou son esclave !

Là-bas, je n'irai pas, car il y aurait de quoi s'indigner ;

je ne m'intéresserai pas à son lit ! Les Troyennes, à l'avenir,

se moqueraient toutes. J'ai au cœur des souffrances sans limites." 

Iliade, III, 406-412. Traduction Pierre Judet de la Combe, Albin Michel-Les Belles Lettres, 2019.

Au chant VI, avant qu’Hector ne rejoigne Andromaque, Hélène s’adresse au héros troyen. Enfin, au chant XXIV, après Hécube et Andromaque, elle est la troisième femme à prononcer un hommage au guerrier mort. Ces deux scènes illustrent son rapport à Hector, envers qui elle s’humilie et qu’elle semble vouloir séduire (chant VI), tout en soulignant le secours qu’il lui a apporté face à l’hostilité des Troyennes.

On retrouve Hélène dans l’Odyssée. Au chant IV, alors que Télémaque, parti à la recherche de son père, reçoit l’hospitalité à la cour de Sparte, elle est aux côtés de son époux Ménélas (d’autres épopées perdues, telle Le Sac de Troie, racontaient leurs retrouvailles à l’issue du conflit). Lors du banquet, elle permet le récit au sujet d’Ulysse, en versant dans les verres le népenthès, la drogue (le chanvre)  qui ôte les maux. Dans son roman Une Odyssée, l’écrivain américain Daniel Mendelsohn en fait l’objet d’une leçon à ses étudiants, soulignant la mésentente du couple. En effet, alors qu’Hélène raconte à Télémaque comment à Troie elle a donné l’hospitalité à Ulysse déguisé en mendiant, Ménélas enchaîne par le récit de l’introduction du cheval à Troie ; il évoque les voix que les guerriers achéens cachés ont entendues : il s’agissait d’Hélène qui, imitant la voix de leurs femmes, les incitait à répondre et donc à se trahir...

On peut enfin remarquer une forme de proximité (un rôle étonnamment extradiégétique) qui unit étroitement cette femme prise entre deux camps à Homère : au chant III de l’Iliade, elle tisse la guerre et nomme les guerriers, au chant XXIV, elle prononce le dernier éloge, en saluant le grand héros troyen. Au chant IV de l’Odyssée, elle permet le récit par ses charmes puissants.

Ce que chante Homère :

 

Οὐ νέμεσις Τρῶας καὶ ἐϋκνήμιδας Ἀχαιοὺς τοιῇδ᾽ ἀμφὶ γυναικὶ πολὺν χρόνον ἄλγεα πάσχειν·
αἰνῶς ἀθανάτῃσι θεῇς εἰς ὦπα ἔοικεν·

 

Il n'y a pas lieu de se révolter si  les Troyens et les Grecs aux bonnes  jambières endurent, pour une telle femme, de si longues souffrances. Terriblement, son visage, pour celui qui le contemple, est pareil à celui des déesses Immortelles. Trad. P.C.

 

Iliade, Homère, chant III, v. 156-158

Après Homère, les auteurs reprennent le personnage d'Hélène.

Chez Hérodote : Hélène en Égypte, une rationalisation du mythe

On trouve mention d’un séjour d'Hélène en Égypte - évoqué rapidement par l’Odyssée : elle y a pris le népenthès (le chanvre) -, notamment chez Hérodote. Au livre II (CXII-CXX) de son Enquête, l’historien l’assimile à une  « Aphrodite étrangère » honorée en Égypte, à Canope. Selon un récit local, les deux amants en fuite y auraient été arrêtés, et Pâris renvoyé seul à Troie. Hérodote estime cette version cohérente : si Hélène s’était réellement trouvée à Troie, il aurait été invraisemblable que les Troyens assiégés ne la rendent pas. Stésichore le reprend (et selon la légende en aurait été puni) ainsi que Platon (La République, Livre IX, 586c).

Chez Euripide

Dans Les Troyennes, Euripide reprend la tradition où Hélène apparait clairement comme une femme coupable d’adultère, condamnée par Ménélas et par Hécube. Il existe une tragédie éponyme, où Euripide reprend la version "égyptienne". Dans ce drame assez fantaisiste, Hélène aime Ménélas et repart avec lui.

Chez les sophistes : les Éloges de Gorgias et d’Isocrate

Les deux orateurs entreprennent d’innocenter Hélène en louant la puissance de sa beauté et en vantant les qualités de ses amants. En ce qui concerne l’enlèvement par Pâris, qu'elle soit séduite par l’amour ou par la force, Hélène est avant tout victime. Il s’agit certes d'une position plus rhétorique que féministe, mais les deux orateurs attaquent ainsi, dans une sorte de défi, l’image de la femme qui est censée représenter l’infidélité. Isocrate, en particulier, ira jusqu'à faire d'Hélène un symbole du panhellénisme, puisqu’elle a permis l’union des Grecs contre les Troyens, devenus des "barbares" dans l’imaginaire de son siècle.

À l’époque impériale

Il existe de nombreuses versions du mythe et beaucoup de tentatives rationalisantes pour l'amender. Parmi les ouvrages où Hélène apparait, citons la Suite d’Homère de Quintus de Smyrne (IIIe-IVe après J.-C.), où elle est vivement critiquée pour son immoralité (nous sommes ici loin d’Homère) et Les Héroïques de Philostrate (IIIe siècle après J.-C.) où l’auteur la fait vivre sur "l’île blanche", une sorte de séjour des bienheureux, mariée éternellement à Achille.

Pour aller plus loin : 

  • Sur le statut particulier d’Hélène chez Homère et sa condition « au-delà du genre » : Sylvie Perceau, « La voix d’Hélène dans l’épopée homérique : fiction et tradition », Cahiers « Mondes anciens » [En ligne], 3 | 2012.
  • En écho au vers 344 du chant VI de l'Iliade, où Hélène se nomme elle-même devant  Hector, chienne glaçante qui machine le mal, on pourra lire  une version moderne de ce mythe ancien : un roman intimiste et féministe écrit du point de vue d'Hélène. Olivier Massé, La chienne, édition AEthalides, 2021.

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