La simplification du juris civile grâce à Galla Placidia
La monarchie impériale catholique de Théodose Ier manquait d’une législation unifiée par les empereurs du IVe siècle, aussi GalIa Placidia voulait-elle unifier le juris civile au moins pour les procès de droit privé, sans doute plus nombreux dans la partie occidentale, à cause des invasions et des usurpations du temps d’Honorius, que dans l’empire d’Orient. La loi de 426, conçue sous son autorité et adressée de Ravenne par Valentinien III au sénat de Rome, règle et simplifie la jurisprudence, constituant ainsi une première tentative de "loi générale".
Le médaillon de Ténès
En 1936, on a retrouvé à Ténès, l’antique Cartennae, en Algérie, un trésor important, comportant des bagues, des bracelets d’or, des fibules, une ampoule d’argent ornée d’un chrisme, des médaillons. Jacques Heurgon a daté ces objets du IVe siècle et du premier quart du Ve siècle. L’un des médaillons, en or, est orné de trois croix et porte le buste d’une impératrice, qui paraît être Galla Placidia. L’hypothèse retenue est qu’il s’agit du trésor d’une famille romaine liée à Galla Placidia, fuyant l’approche des Wisigoths en 410. Réfugiée en Afrique, cette famille a dû subir en 429 l’invasion des Vandales.
Fille de l’empereur Théodose Ier, petite-fille de l’empereur Valentinien Ier, empereur romain d’Occident, Galla Placidia a vécu dans un contexte violent, au milieu des troubles politiques et religieux du Ve siècle. Sa vie, pleine de rebondissements et de périls, lui a fait connaître le pouvoir, la captivité et l’exil et sa personnalité n’est pas moins exceptionnelle.
Sous le règne de Théodose, la situation de l’empire romain est complexe. Théodose a réunifié l’empire divisé par Dioclétien, après avoir vaincu l’empereur d’Orient Maxime en 393 et l’usurpateur Eugène en 394. Avant de mourir, il partage à nouveau l’empire entre ses deux fils : Honorius est empereur d’Occident, Arcadius empereur d’Orient. Il fait de la religion chrétienne la seule autorisée dans tout l’empire, soutenant le christianisme nicéen contre les diverses hérésies et notamment l’arianisme.
L’empire romain s’étend encore jusqu’au Rhin, à l’Euphrate et en Afrique du Nord, mais les populations barbares s’agitent, en particulier les Wisigoths et les Parthes. Théodose s’efforce d’assimiler les populations germaniques, face aux menaces d’invasion. Il accorde ainsi sa confiance à Stilicon, fils d’une Vandale, à qui il marie sa nièce, Serena.
Théodose, veuf avec deux fils, épouse la très jeune Aelia Galla qui lui donne une fille, Galla Placidia, en 388. L’enfant a six ans lorsque sa mère meurt d’une fausse couche. Galla est élevée par sa cousine Serena et vit ses premières années à Constantinople, où son père lui fait don de terres et d’un palais. Elle a été baptisée à sa naissance, reçoit une éducation soignée et souscrit au christianisme nicéen qu’elle défendra toute sa vie.
À la mort de Théodose, en 395, ses fils héritent du pouvoir. Du fait de sa double ascendance impériale, Galla Placidia est un parti convoité. Le tout-puissant général Stilicon, que Théodose avait chargé avant de mourir de veiller sur les deux jeunes empereurs, projette le mariage de son fils Euchère avec la jeune fille. Mais il est victime d’une réaction hostile aux Barbares, financée par l’aristocratie ; soupçonné de vouloir instaurer une dictature militaire, il est exécuté en 408. Honorius a laissé faire, y voyant une occasion de se libérer de la tutelle de Stilicon. Sa sœur, Galla Placidia se range à ses côtés. Alors âgée de vingt ans, elle représente son frère, resté à Ravenne, devant le sénat de Rome et soutient la condamnation par le Sénat de Serena, l’épouse de Stilicon, qui est également exécutée.
La mort de Stilicon fragilise l’empire qui avait sous sa férule résisté aux poussées de divers peuples barbares, et notamment aux incursions en Italie d’Alaric et de ses Wisigoths. Ne trouvant plus de résistance sérieuse, Alaric va pouvoir en 410, après un siège de deux ans, envahir et piller Rome.
« Alaric courut droit à Rome, l’assiégea et la mit à sac. Il emporte un butin énorme et il enlève Placidia, sœur d’Honorius, qui était à Rome à ce moment. » (Olympiodore de Thèbes, Histoire romaine, Bibliothèque de Photius, 80)
Commence alors une période difficile pour Galla Placidia. Résidant à Rome, elle devient prisonnière des Wisigoths d’Alaric. Expérience terrible, elle doit suivre les déplacements de leur troupe. Alaric, néanmoins, la traite avec égard, en otage, afin d’obliger Honorius à faire la paix. Ainsi Galla Placidia doit-elle suivre l’armée des Goths en Italie du Sud et en Espagne et, après la mort subite du roi wisigoth à l’automne, elle suit les étapes du camp d’Athaulf, beau-frère et successeur d’Alaric.
Selon divers auteurs, une entente sentimentale, mais aussi une affinité politique s’établissent entre le conquérant et sa prisonnière. Un double mariage est célébré : selon Jordanès, l’union à la manière des Goths est célébrée en 411 à Forli, non loin de Ravenne. Olympiodore de Thèbes décrit le somptueux mariage à la romaine célébré à Narbonne en 414.
« Placidia assise dans l’atrium orné à la manière romaine, et en costume royal, Athaulf s'assit près d'elle, vêtu, lui aussi, du manteau et des autres habits en usage chez les Romains. Entre autres présents, il offrit à sa fiancée cinquante beaux jeunes gens vêtus d'une robe de soie, et portant chacun dans leurs mains deux grands plateaux, chargés l'un d'or, l'autre de pierres de haut prix ou plutôt sans prix, dépouilles de Rome enlevées par les Goths lors de la prise de cette ville. Puis on dit des épithalames, dont Attalus récitait les premiers vers et que continuaient Rusticius et Phœbadius ; et le mariage s'accomplit au milieu des jeux et de la joie, où se confondaient barbares et Romains. » (Histoire romaine, Bibliothèque de Photius, 80)
Ce mariage, s’il avait une dimension affective, permettait aussi à Athaulf d’espérer pour sa descendance future une double légitimité, auprès des Goths mais aussi aux yeux des Romains, grâce sa femme. Devenue reine romaine de Wisigoths indépendants, Galla encourage son époux dans sa politique de rapprochement avec Rome.
Mais le monde romain demeure hostile aux Goths qui doivent partir en Aquitaine puis en Espagne pour trouver leur subsistance. Galla Placidia suit son époux à Barcelone et en 415 elle met au monde un fils, Théodose. Une nouvelle période sombre se profile pour la jeune femme qui n’a pas trente ans. Le bébé meurt bientôt et Athaulf est assassiné. Son remplaçant, Sigéric la traite en esclave et l’oblige à marcher à pied devant son cheval. Sigéric, bientôt assassiné, est remplacé par un proche d’Athaulf qui, en échange d’une rançon, va libérer Galla Placidia. Celle-ci retrouve Rome et l’empereur son frère après six ans d’absence.
À cette époque, Rome se reconstruit et Constance, le général en chef d’Honorius, est l’étoile montante. Honorius, dont il est l’homme de confiance, impose à sa sœur de l’épouser. Mais le mariage n’est célébré qu’au printemps 417 car Galla Placidia s’efforce de retarder un remariage, par fidélité à Athaulf et par conviction : de nombreux chrétiens étaient hostiles aux secondes noces et exaltaient l’état de veuvage, conformément aux avis de Jérôme, d’Augustin et du pape. Cependant la fille de Théodose a dû voir dans cette union la possibilité de servir les intérêts de la Rome chrétienne et de l’orthodoxie nicéenne. Le mariage est donc célébré avec grand éclat. De cette union naissent d’abord une fille, Honoria, puis, en 419, un garçon, Valentinien.
Galla Placidia influe sur les décisions et la gestion de l’empire de Constance. C’est surtout dans le domaine religieux que son autorité s’exerce. Elle soutient l’épiscopat africain dans son refus du pélagianisme, qui prône une sorte de stoïcisme chrétien ignorant la Grâce. À la mort du pape Zosime, en 418, devant les difficultés de succession, elle s’implique dans le choix de son successeur. Sous son influence, avec l’appui d’Augustin et d’Aurélius, respectivement évêques d’Hippone et de Carthage, c’est un adversaire des Pélagiens, Boniface, qui est élu.
Le 8 février 421, Honorius proclame Constance Augustus, sa demi-sœur Augusta et son neveu nobilissime Caesar. Grâce à ce titre honorifique d’Augusta Galla Placidia voyait son prestige renforcé ; elle pouvait notamment faire frapper des monnaies à son nom.
Ainsi, Galla Placidia connaît quelques années de rayonnement et probablement de bonheur. Mais le sort lui réserve encore bien des vicissitudes. Constance meurt en 421, ce qui génère des troubles politiques et suscite le déchaînement du parti hostile aux Barbares contre son épouse qui avait autrefois épousé un Wisigoth. Désordres et violences entraînent sa disgrâce. Soupçonnée de complot, elle est exilée par Honorius avec ses enfants à Rome, puis à Constantinople où règne alors son neveu Théodose II, fils d’Arcadius.
Après une traversée de l’Adriatique pleine de dangers, les voyageurs reçoivent un accueil très réservé et doivent vivre misérablement dans le palais que possède Galla Placidia, aidés seulement des subsides que leur envoie le comte d’Afrique, Boniface, resté fidèle. Un nouveau coup de théâtre va encore changer la destinée de Galla Placidia : la mort d’Honorius, le 15 août 423. Très vite, la noblesse romaine païenne en vient à soutenir un notable de Ravenne, Jean, et à le proclamer Auguste. L’Empereur d’Orient ne peut reconnaître l’usurpateur, aussi se décide-t-il à négocier avec Galla Placidia l’instauration d’un empereur légitime en Occident.
À Thessalonique, le 23 octobre 424, GalIa Placidia est investie de la régence au nom de Valentinien III, âgé de cinq ans. Mais elle doit céder les provinces danubiennes de l’Illyricum occidental pour payer l’intervention des troupes de l’empereur d’Orient à Ravenne. Une fois l’usurpateur Jean capturé et exécuté, en 425, la régente s’efforce de s’entendre avec Aetius, le second de Jean à qui elle accorde titre et compensations matérielles. Soucieuse d’assurer à l’empire d’Occident une indépendance militaire, la régente va se doter d’une armée. Son fils Valentinien est bientôt proclamé Augustus à Rome, en octobre 425, et Galla Placidia, installée à Ravenne, sa résidence de prédilection, va gouverner directement, au milieu des rivalités et des querelles des généraux ambitieux, Aetius, Félix, Boniface…
Après le mariage de Valentinien III avec la fille de Théodose II, Eudoxia, en 437, Galla Placidia perd son pouvoir politique, mais elle réussit à sauver sa fille Honoria des foudres de son frère Valentinien contre qui Honoria avait comploté.
Elle poursuit son action de soutien à l’Église catholique. C’est ainsi qu’elle accueille à Ravenne, en 448, Germain, l’évêque d’Auxerre, venu défendre la cause des Armoricains révoltés contre les auxiliaires barbares d'Aetius. L’évêque tombe malade, elle le veille pendant sa maladie, et à sa mort s’occupe de sa sépulture.
L’action de Galla Placidia s’étend aux bâtiments religieux : elle fait construire plusieurs églises à Ravenne, dont une consacrée à saint Jean l’Évangéliste, aujourd’hui disparue, et l’église Sainte-Croix dont le narthex disparu touchait l’édifice traditionnellement considéré comme son mausolée. Elle fait bâtir à Rimini, entre 438 et 444, une église dédiée à saint Stéphane, dont elle surveille elle-même les travaux. À Rome, elle fait restaurer la Basilique Saint Paul Hors-les-murs, bâtie par Théodose Ier, et y fait ajouter un arc triomphal.
Galla Placidia meurt à Rome le 27 novembre 450. Sa mort est annoncée ainsi par un contemporain, l’Anonyme de la Chronica Galilea : « Placidia, cette année-Ià, acheva une vie irréprochable […], mourant la vingt-cinquième année du règne de l’empereur son fils. » Elle est inhumée à Rome, dans le mausolée impérial, et il semble certain que le bâtiment connu comme son mausolée à Ravenne n’a jamais accueilli sa dépouille. Elle demeure un exemple de femme aussi "sage" et avisée qu'énergique : elle a exercé une grande influence au Ve siècle, au milieu des troubles et des rivalités politiques.
Ce qu'écrit Orose :
Feminae sane ingenio acerrimae et religione satis probae…
"Une femme assurément d’esprit très pénétrant et d’une religion
tout à fait pure…"
Orose, Histoires contre les païens, VII, 43, 7