Texte à traduire - Le mythe de l'âge d'or d’après Tibulle
En 29 av. J.-C., le poète Tibulle s’embarque pour la Grèce, où l’attend son protecteur, le consul Messalla, qui a entrepris une expédition en Orient ; mais le jeune homme tombe malade, et doit s’arrêter dans l’île de Corcyre (l’actuelle île de Corfou, en mer Ionienne). Là, loin de l’Italie et de son amie Delia, il éprouve la peur de la mort et la nostalgie du pays natal. Cette épreuve lui inspire cette élégie où il décrit l’antique âge d'or, cette époque heureuse des premiers temps de l’humanité, où les voyages sur mer et les guerres n'existaient pas.
1 Quam bene Saturno vivebant rege, priusquam
tellus in longas est patefacta vias !
Nondum caeruleas pinus contempserat undas,
effusum ventis praebueratque sinum,
5 nec vagus ignotis repetens compendia terris
presserat externa navita merce ratem.
I llo non validus subiit juga tempore taurus,
non domito frenos ore momordit equus,
non domus ulla fores habuit, non fixus in agris,
10 qui regeret certis finibus arva, lapis ;
ipsae mella dabant quercus, ultroque ferebant
obvia securis ubera lactis oves.
Non acies, non ira fuit, non bella, nec ensem
inmiti saevus duxerat arte faber.
15 Nunc Jove sub domino caedes et vulnera semper,
nunc mare, nunc leti mille repente viae.
Parce, pater : timidum non me perjuria terrent,
non dicta in sanctos impia verba deos.
Quod si fatales jam nunc explevimus annos,
20 fac lapis inscriptis stet super ossa notis :
« Hic jacet immiti consumptus morte Tibullus,
Messallam terra dum sequiturque mari. »
Albius Tibullus, Elegiarum libri, I, 3, v. 35-56.
[V. 1-16 : passage à traduire]
[V. 17-22 : passage traduit : ] Épargne-moi, père des dieux ! Ma conscience sans reproche n'éprouve pas les terreurs qui suivent les parjures ou les paroles impies prononcées contre la sainteté des dieux. Que si j'ai rempli maintenant le nombre fatal de mes années, permets que ces mots soient inscrits sur la pierre qui couvrira mes restes : « Ici repose Tibulle, enlevé par une mort cruelle, tandis qu'il suivait Messalla sur terre et sur mer. »
Tibulle, Élégies, I, 3, v. 35-56, traduction de Max Ponchont, Paris, Les Belles Lettres.
Exemple d’introduction :
- Présentation de l'auteur, du contexte et de l’œuvre
- Situation de l'extrait et résumé ; mise en perspective par rapport au thème du chapitre (« décadence et mythe de l'âge d'or »)
- Annonce du plan qui sera suivi dans ledéveloppement
Le poète Tibulle, qui vécut dans la seconde moitié du Ier siècle av. J.-C., composa plusieurs livres d'élégies, portant principalement sur les thèmes de la nature, des sentiments humains, et de l'amour. Dans le troisième poème du livre I, le poète évoque une maladie qui, en 29 av. J.-C., l'obligea à s’arrêter à Corcyre lors d'un voyage vers l’Orient entrepris pour rejoindre son protecteur, le consul Messalla. Il éprouve à cette occasion la peur de la mort et la nostalgie du pays natal, ce qui le conduit à exprimer son regret de l'âge d'or, époque lointaine et bienheureuse où les voyages sur mer n'existaient pas, et où les hommes vivaient en totale sécurité. L’intérêt du poème réside, tout d’abord, dans la fer, thème traditionnel de la poésie de ce temps traité en conformité avec les caractéristiques habituelles du mythe ; mais cette élégie n’est pas aussi convenue qu’il y paraît : elle prend tout son sens dans le contexte historique et politique des guerres civiles, puisque le thème de l’âge d’or lui confère une portée morale, et fait écho également avec l’histoire personnelle de Tibulle.
Exemple de développement :
I. – Un thème traditionnel : le mythe des âges
1) Une élégie qui s’inscrit dans une longue tradition littéraire :
Dans les vers 1 à 16, le poète évoque l'âge d'or et l'âge de fer en reprenant les éléments du mythe tel qu’il est raconté, par exemple, chez le poète grec Hésiode. En effet,
- les noms des divinités qui président à l’âge d’or, puis à l’âge de fer, sont citées explicitement : Saturno rege (v. 1) fait référence à l’âge d’or, premier âge de l’humanité d’après Hésiode (Saturne étant l’équivalent latin du dieu grec Cronos) ; Jove sub domino (v. 15) fait référence à l’âge de fer, dernier âge de l’humanité (Jupiter étant l’équivalent latin du dieu grec Zeus). Zeus / Jupiter est évoqué à nouveau dans la prière de Tibulle, qui s’adresse explicitement, à partir du v. 17, au pater < deorum > (v. 17 : Parce, pater > apostrophe + impératif), c’est-à-dire Jupiter.
- les différents âges sont évoqués chronologiquement, comme chez Hésiode : l’âge d’or est situé dans un passé lointain, comme le montrent les indications temporelles (v. 2 : priusquam ; v. 7 : illo tempore), l’emploi de l’imparfait (vivebant, v. 1 ; dabant et ferebant, v. 11), du plus-que-parfait (nondum… contempserat… praebueratque, nec… presserat, v. 3-6) et du parfait de description (non… subiit, non… momordit, non… habuit, v. 7-9), tandis que l’âge de fer est associée au présent de l’énonciation (adverbe nunc, v. 15 et 16 ; présents de l’indicatif à partir du v. 15 : verbe être sous-entendu dans les v. 15-16, puis non me… terrent, « ne m’effraient pas », hic jacet, « ici repose »).
2) Une élégie construite sur l’opposition de l’âge d’or et de l’âge de fer :
Comme dans le mythe, également, âge d’or et âge de fer sont opposés point par point : on note des expressions parallèles et opposées qui structurent le poème (l’ablatif absolu Saturno rege, v. 1, et Jove sub domino, v. 15 ; les compléments circonstanciels de temps illo tempore, v. 7 et nunc, v. 15-16). Le poète évoque donc, chronologiquement, l’âge d’or puis l’âge de fer.
a) Vers 1-14 : l’âge d’or
On note la présence des trois caractéristiques essentielles de l’âge d’or :
- la proximité des hommes et des dieux : le v. 1 laisse entendre que les hommes vivaient à proximité de Saturne, qui était leur roi (rege).
- la générosité de la nature, qui donne tout d’elle-même, sans culture : les aliments mentionnés sont naturels et produits sans intervention humaine (le miel, mella, v. 11 ; le lait, lactis, v. 12) et plusieurs expressions insistent, par leur répétition, sur la spontanéité du don (ipsae… quercus, v. 11 ; ultroque, v. 11 ; obvia, v. 12 ; les chênes, quercus, et les brebis, oves sont les sujets des verbes dabant et ferebant). Le rythme binaire des vers 11-12 (dabant quercus… -que ferebant… oves : 2 verbes à l’imparfait + 2 sujets au pluriel) contribue à donner l’idée de la sérénité, de l’équilibre qui régnaient alors.
- les hommes vivent dans l’oisiveté, sans soucis (securis, v. 12) ; leur vie est exempte de dangers. L'abondance des mots négatifs définit l'âge d'or par l’absence de dangers et permet de faire ressentir au lecteur la plénitude de cette période de bonheur en l’opposant à tout ce qu’il connaît : la navigation n’existait pas (v. 3 : nondum… pinus contempserat), ni le commerce (v. 5-6 : nec… presserat… navita… ratem), ni l'agriculture (non validus subiit juga… taurus, v. 7), ni l’élevage (non… momordit equus, v. 8), ni la propriété (non domus… habuit, non fixus… lapis…, v. 9-10) ; il n'y avait aucun conflit, aucune guerre entre les hommes (non acies, non ira fuit, non bella, nec ensem…, v. 13-14 → la fin de l’évocation de l’âge d’or se termine par une accumulation de négations, au v. 13).
b) V. 15-16 : l’âge de fer
Le vers 15, avec l'adverbe de temps nunc en tête de vers (répété deux fois au vers suivant), oppose brutalement le passé (l’âge d’or) et l’âge de fer (le présent). On note la présence des caractéristiques essentielles de l’âge de fer :
- la rupture de la proximité entre hommes et dieux, suggérée par l’emploi du terme à connotation péjorative dominus (v. 15 : Jove sub domino), qui désigne le maître par rapport à un inférieur (un esclave par ex.), alors que Saturne, lui, était un roi (Saturno rege, v. 1), sorte de figure paternelle.
- la présence constante de la souffrance et de la mort, explicitement évoquées par les champs lexicaux (caedes, vulnera, v. 15 ; leti, v. 16). Le poète rend les vers 15 et 16 plus violents encore par l'absence de verbes (la phrase est elliptique du verbe « être », qui est sous-entendu) et par l’hyperbole leti mille… viae.
- la fin du bonheur qu’apportaient aux hommes la paix et l’harmonie avec la nature. Les v. 15 et 16 invitent le lecteur à relire les vers 1 à 14, qui portaient déjà, en creux, une description de l’âge de fer (en tant que contre-modèle de l’âge d’or) : les termes caedes et vulnera (v. 15) nous renvoient au champ lexical de la guerre et de la violence employé dans les vers 13-14 (acies, ira, bella, ensem, inmiti, saevus) ; les termes mare et viae rappellent les champs lexicaux de la navigation (longas vias, v. 2 ; caeruleas undas, v. 3 ; pinus, v. 3 ; effusum sinum, v. 4 ; ventis, v. 4 ; vagus navita, v. 5-6 ; ratem, v. 6) et du commerce (compendia, v. 5 ; externa merce, v. 6). La rupture de l’harmonie avec la nature est notamment soulignée par l’opposition entre tellus (la terre, v. 2) et la mer (mare, v. 16) : la terre symbolise l’immobilité des hommes, qui n’ont pas à chercher ailleurs leur subsistance, tandis que la mer symbolise les voyages et le danger. Cette rupture de l’harmonie avec la nature est également perceptible à travers les termes qui suggèrent l’idée d’une violence exercée par les hommes sur la nature (tellus… patefacta, v. 2 : la terre est ouverte, profanée par les routes ; in longas vias : la préposition in exprime ici une idée de division ; la navigation méprise – verbe contemnere – les ondes, v. 3).
→ Transition : Tibulle reprend donc un thème mythologique traditionnel, celui du mythe des âges et de l’opposition entre âge d’or et âge de fer. Cependant, il le traite d’une manière originale.
II. – Une élégie à portée morale et psychologique
Dans le passage qui précède l’extrait, Tibulle évoque les sentiments qui ont inspiré cette évocation de l’âge d’or : seul et malade, il éprouve la peur de la mort et la nostalgie du pays natal. En retour, l'évocation de cet âge d'or lui permet de revenir, par contraste, à l'époque présente : il ne s’agit donc pas uniquement d’un poème mythologique, mais d’un poème ancré dans le présent de son auteur.
1) La critique de la société :
À travers le thème mythologique des différents âges de l’humanité, Tibulle se livre à un véritable réquisitoire contre la société de son temps, à laquelle il reproche
- sa soif de nouvelles richesses (compendia, v. 5 ; merce, v. 6) et de conquêtes lointaines (longas vias, v. 2 ; ignotis terris, v. 5 ; externa merce, v. 6 ; mare, v. 16).
- le règne de l'instinct de propriété, du désir de possession, de l’égoïsme, symbolisés par les portes des maisons et les pierres servant à limiter les terrains (fores, v. 9 ; certis finibus, v. 10).
- sa violence : la cupidité et l’égoïsme engendrent la violence, exercée à la fois sur les animaux et sur les hommes : domestication des animaux (le taureau, taurus, v. 7 et le cheval, equus, v. 8, sont associés à un champ lexical de la soumission : subiit, juga, domito, frenos), conflits et souffrance chez les hommes (champ lexical de la guerre : acies, bella, ensem, de la violence et de la cruauté : ira, immiti, saevus, caedes, vulnera).
→ Pour les lecteurs contemporains de Tibulle, la description de l’âge de fer renvoie, implicitement, aux troubles socio-politiques qui ont agité l’empire romain pendant les longues années de guerres civiles (en –29, Octave est désormais seul au pouvoir, mais la paix n’est pas totalement rétablie).
2) La plainte élégiaque :
D’autre part, Tibulle insère ce développement sur le mythe des âges dans une élégie, genre poétique qui se caractérise souvent par l’expression de sentiments individuels, sur un mode plaintif. L’originalité du poème consiste dans le fait que Tibulle s’est approprié un thème mythologique pour le traiter en lien avec son histoire personnelle.
- On note la présence du poète à partir du v. 17, avec l’emploi de la 1ère personne : non me… terrent (« ne m’effraient pas »), si… explevimus (« nous » de majesté = je → « si j’ai rempli »). Tibulle fait aussi allusion, explicitement, à sa situation présente puisqu’il cite Messalla, qu’il accompagne dans son expédition militaire en Orient (v. 22 : Messallam… dum sequitur : « pendant qu’il suit Messalla... »).
- Le texte présente, à partir du vers 15, un registre pathétique : le ton dominant est celui de la plainte. Les phrases des v. 15-16, elliptiques du verbe, expriment la tristesse, en mimant des exclamations ; la plainte du poète s’exprime aussi par les hyperboles caedes et vulnera semper et leti mille repente viae. À partir du vers 17, on remarque l’apostrophe pater (s.-e. deorum : Tibulle s’adresse à Jupiter, père des dieux) et plusieurs phrases exclamatives (quam bene…, v. 1), dont certaines comportent des impératifs exprimant la prière : parce, « épargne-moi » (v. 17) et fac + subj., « fais/permets que... » (v. 20).
- Les thèmes évoqués dans les derniers vers du texte sont eux aussi caractéristiques de l’élégie :
* l’appel aux dieux : le champ lexical de la religion est présent dans ce passage, avec pater < deorum >, v. 17 ; perjuria, « parjures » (mot qui contient la même racine que jus, la justice), v. 17 ; dicta impia, « les paroles impies » ; in sanctos deos, « contre la sainteté des dieux ».
* la crainte de la mort : le champ lexical de la mort est présent dans ce passage avec l’impératif parce, v. 17 et les expressions fatales… annos (« les années fixées par le destin », v. 19) et immiti morte (« par une mort cruelle », v. 21). Tibulle va jusqu’à mettre en scène sa mort en composant son épitaphe : « Hic jacet Tibullus…, « Ici repose Tibulle… » (v. 21 et 22).
* la nostalgie du pays natal et d'un passé révolu, qui apparaît notamment dans le texte de l’épitaphe imaginée par le poète, à travers le rappel de l’expression traditionnelle terra marique, « sur terre et sur mer », à l’ablatif C. C. de lieu (l’ellipse de la conjonction -que et la séparation des deux ablatifs expriment peut-être l’agitation provoquée par les voyages lointains et la souffrance ressentie par le poète, ballotté sur les terres et sur les mers).
* l’amour de la nature et d’une vie simple. En analysant ce que le poète rejette (les voyages lointains, la guerre) et ce qu’il regrette au contraire (l’âge d’or), on voit apparaître dans ce poème la conception du bonheur chez Tibulle : une vie proche de la nature (le champ lexical de la nature est constamment présent jusqu’au vers 12, et associé à un vocabulaire mélioratif évoquant la paix, la force, la fertilité (tellus, v. 2, est le nom donné par les Romains à la déesse Terre, souvent associée à l’idée de générosité, de fertilité ; les ondes sont qualifiées de caeruleas, v. 3 ; le taureau est qualifié de validus, v. 7 ; les mamelles des brebis sont qualifiées d’obvia, « offertes »), et une vie simple, menée dans le respect des dieux (v. 17-18 : timidum… deos : « Ma conscience sans reproche n’éprouve pas les terreurs qui suivent les parjures ou les paroles impies prononcées contre la sainteté des dieux »).
Exemple de conclusion :
- Bilan des idées et procédés principaux
- Exemples d’ouvertures possibles (sur d’autres œuvres : textes, peintures, films, etc.)
Cette élégie n’est donc pas une simple reprise du thème mythologique traditionnel du mythe des âges, puisque le poète, par le biais du mythe, nous fait part de ses sentiments personnels avec sincérité : il nous confie sa peur de la mort, sa nostalgie, son regret d'un « paradis perdu » qui revêt l’apparence de l'âge d'or. C'est une poésie intime, très humaine, mais qui comporte aussi des résonances politiques : l'évocation du mythe des âges, en opposant constamment âge d’or et âge de fer, fait implicitement référence aux troubles du temps de Tibulle ; en effet, en 29 av. J.-C., la guerre civile entre Octave et Marc-Antoine vient de s'achever – avec le suicide de Marc-Antoine et de sa maîtresse Cléopâtre en – 30, un an après la bataille d’Actium –, mais le monde n'est pas encore totalement pacifié. L'élégie se fait moralisatrice : Tibulle fait la satire de ses contemporains et espère sans doute, avec l’arrivée au pouvoir d’Octave, le retour de la paix. Ce texte fait écho à la quatrième Bucolique, composée vers – 40 : Virgile y évoquait déjà le mythe de l’âge d’or, au moment de la paix de Brindes conclue entre Octave et Marc-Antoine, dont on espérait qu’elle allait inaugurer une nouvelle ère de paix et de prospérité.
Prolongement (texte complémentaire, question et corrigé) :
Texte complémentaire. – Faut-il regretter l’âge d’or ?
Regrettera qui veut le bon vieux temps,
Et l’âge d’or, et le règne d’Astrée1,
Et les beaux jours de Saturne et de Rhée2,
Et le jardin de nos premiers parents ;
Moi, je rends grâce à la nature sage
Qui, pour mon bien, m’a fait naître en cet âge
Tant décrié par nos tristes frondeurs3 :
Ce temps profane est tout fait pour mes mœurs.
J’aime le luxe, et même la mollesse,
Tous les plaisirs, les arts de toute espèce,
La propreté, le goût, les ornements :
Tout honnête homme a de tels sentiments.
Il est bien doux pour mon cœur très immonde4
De voir ici l’abondance à la ronde,
Mère des arts et des heureux travaux,
Nous apporter, de sa source féconde,
Et des besoins et des plaisirs nouveaux.
L’or de la terre et les trésors de l’onde,
Leurs habitants et les peuples de l’air,
Tout sert au luxe, aux plaisirs de ce monde.
O le bon temps que ce siècle de fer !
Le superflu, chose très nécessaire,
A réuni l’un et l’autre hémisphère.
Voyez-vous pas ces agiles vaisseaux
Qui, du Texel, de Londres, de Bordeaux,
S’en vont chercher, par un heureux échange,
De nouveaux biens, nés aux sources du Gange,
Tandis qu’au loin, vainqueurs des musulmans,
Nos vins de France enivrent les sultans ?
Quand la nature était dans son enfance,
Nos bons aïeux vivaient dans l’ignorance,
Ne connaissant ni le tien ni le mien.
Qu’auraient-ils pu connaître ? ils n’avaient rien,
Ils étaient nus ; et c’est chose très claire
Que qui n’a rien n’a nul partage à faire.
Voltaire, Le Mondain, 1736, v. 1-35.
1. Astrée : déesse grecque, personnification de la Justice, qui correspond, dans le ciel, à la constellation de la Vierge. / 2. Rhée = Rhéa, sœur et femme de Cronos. / 3. Frondeur : qui critique le pouvoir (politique en particulier), les institutions, les modes, etc. / 4. Immonde : immoral
Question. – À quels signes voit-on que Voltaire, dans les premiers vers du Mondain, fait référence à l’âge d’or tel que l’imaginaient les Anciens ? Quel regard porte-t-il sur ce mythe ?
Corrigé. – On voit que Voltaire possède une bonne connaissance du mythe de l’âge d’or tel que nous l’ont transmis les Anciens. En effet, au vers 2, il fait référence au règne de Saturne (assimilé au dieu Cronos des Grecs), sous lequel, selon le mythe, vivait la « race d’or ».
On retrouve aussi les thèmes habituellement présents dans les évocations antiques de l’âge d’or, tels que le commerce, la navigation, les techniques ; cependant Voltaire célèbre, au lieu de les dénigrer, toutes ces inventions de la civilisation. D’une manière volontairement provocatrice, il fait l’éloge du luxe, de la légèreté, des arts et des plaisirs, et refuse la nostalgie d’un passé où les hommes vivaient dans l’ignorance. Voltaire préfère le savoir à l’ignorance, le progrès et la civilisation au bonheur primitif.
Traduction guidée, avec séquençage, vocabulaire et éléments d’analyse (exemplaire destiné à l’élève, à compléter) :
Corrigé