Répertoire thématique
Le bain
La couronne de Hiéron, le bain, le cri : “Eurêka !”
- Vitruve (vers 90 - vers 20 av. J.-C.), De l’architecture, IX, 9 - 12
Remarque : la fameuse anecdote du bain n’est connue que par Vitruve (IX, 10) ; elle est reprise par Plutarque.
- Plutarque, Œuvres morales, « Qu’il n’est pas même possible de vivre agréablement selon la doctrine d’Épicure », XI
Le levier
La formule : “Donnez-moi un levier et je soulèverai la Terre”
- Plutarque (vers 46 - 125), Vies parallèles des hommes illustres, “Vie de Marcellus”, XIX
- Citation d’Archimède rapportée par Pappus d’Alexandrie (IVe siècle), in Collection ou Synagogè, Livre VIII, vers 340 ap. J.-C.
- Simplicius (VIe siècle), Physica, 1110. 5
- Jean Tzetzès (vers 1110 - 1185), Chiliades, II, 129 - 130
La vis sans fin
- Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, V, 37
La sphère
- Cicéron, Tusculanes, I, 25, 63
Le siège de Syracuse, les machines d’Archimède, sa mort
Trois textes fondamentaux : deux en grec (Polybe et Plutarque), un en latin (Tite-Live).
- Polybe (vers 200 - 118 av. J.-C.), Histoire universelle, Livre VIII, 6 - 9
Remarque : son récit est considéré comme le plus fiable, car il a pu avoir accès aux témoignages de survivants du siège.
- Tite-Live (59 av. J.-C. - 17 ap. J.-C.), Histoire romaine, Livres XXIV, 34 et XXV, 30 - 31
- Plutarque (vers 45 - 120), Vies parallèles, “Vie de Marcellus”, Chapitres XVII - XXV
Remarque : deux autres historiographes de langue grecque ont aussi raconté le siège de Syracuse, mais leurs récits ont disparu.
- Diodore de Sicile (Ier siècle av. J.-C.), Bibliothèque historique, Livre XXVI, 18
- Dion Cassius (vers 155 - 235), Histoire romaine, Livre XV
Cependant, nous connaissons leurs textes sous la forme de paraphrases par deux auteurs byzantins du XIIe siècle :
- Jean Zonaras, Epitome ton Istorion, 9, 4 - 5
- Jean Tzétzès, Chiliades, Livre II, vers 109 - 128, 136 - 149
Ce sont les seules sources de l’épisode du miroir hexagonal.
Autres textes sur la mort d’Archimède :
- Cicéron (106 - 43 av. J.-C.), Contre Verrès, II, 4, 131 ; Des vrais biens et des vrais maux, V, 19
- Valère Maxime (vers 20 av. J.-C. - 50 ap. J.-C.), Des faits et des paroles mémorables, Livre VIII, chapitre VII, “De l'étude et de l'application au travail”, “Exemples étrangers”
- Pline l’Ancien (23 - 79), Histoire naturelle, Livre VII, XXXVIII, “Géométrie et architecture”
Le tombeau d’Archimède
- Cicéron, Tusculanes, V, 23, 64 - 66
Extraits
1. Vitruve, De l’architecture, IX, 9 - 12
La couronne de Hiéron, le bain, Eurêka !
Archimède a fait une foule de découvertes aussi admirables que variées. Parmi elles, il en est une surtout dont je vais parler, qui porte le cachet d'une grande intelligence. Hiéron régnait à Syracuse. Après une heureuse expédition, il voua une couronne d'or aux dieux immortels, et voulut qu'elle fût placée dans un certain temple. Il convint du prix de la main d'œuvre avec un artiste, auquel il donna au poids la quantité d'or nécessaire. Au jour fixé, la couronne fut livrée au roi, qui en approuva le travail. On lui trouva le poids de l'or qui avait été donné.
Plus tard, on eut quelque indice que l'ouvrier avait soustrait une partie de l'or, et l'avait remplacée par le même poids en argent mêlé dans la couronne. Hiéron, indigné d'avoir été trompé, et ne pouvant trouver le moyen de convaincre l'ouvrier du vol qu'il avait fait, pria Archimède de penser à cette affaire. Un jour que, tout occupé de cette pensée, Archimède était entré dans une salle de bains, il s'aperçut par hasard qu'à mesure que son corps s'enfonçait dans la baignoire, l'eau passait par-dessus les bords. Cette découverte lui donna l'explication de son problème. Il s'élance immédiatement hors du bain, et, dans sa joie, se précipite vers sa maison, sans songer à s'habiller. Dans sa course rapide, il criait de toutes ses forces qu'il avait trouvé ce qu'il cherchait, disant en grec : Εὕρηκα, Εὕρηκα.
Aussitôt après cette première découverte, il fit faire, dit-on, deux masses de même poids que la couronne, l'une d'or, l'autre d'argent ; ensuite il remplit d'eau jusqu'au bord un grand vase et y plongea la masse d'argent qui, à mesure qu'elle enfonçait, faisait sortir un volume d'eau égal à sa grosseur. Ayant ensuite ôté cette masse, il mesura l'eau qui manquait, et en remit un setier dans le vase pour qu'il fût rempli jusqu'au bord, comme auparavant. Cette expérience lui fit connaître quel poids d'argent répondait à une certaine mesure d'eau.
Il plongea aussi de même la masse d'or dans le vase plein d'eau ; et après l'en avoir retirée et avoir également mesuré l'eau qui en était sortie, il reconnut qu'il n'en manquait pas autant, et que le moins répondait à celui qu'avait le volume de la masse d'or comparé avec le volume de la masse d'argent qui était de même poids. Le vase fut rempli une troisième fois, et la couronne elle-même y ayant été plongée, il trouva qu'elle en avait fait sortir plus d'eau que la masse d'or, qui avait le même poids, n'en avait fait sortir ; et, calculant d'après le volume d'eau que la couronne avait fait sortir de plus que la masse d'or, il découvrit la quantité d'argent qui avait été mêlée à l'or, et fit voir clairement ce que l'ouvrier avait dérobé.
(Traduction de M. Ch.-L. Maufras, collection Panckoucke, Paris, 1847)
2. Plutarque, Œuvres morales, « Qu’il n’est pas même possible de vivre agréablement selon la doctrine d’Épicure », XI
Le bain
Les esclaves d'Archimède étaient obligés de l'arracher à ses démonstrations pour le mettre dans le bain, et pendant qu'il y était, il traçait sur son corps des figures de géométrie avec l'étrille dont on le frottait. Un jour, en entrant dans le bain, l'eau qu'il déplaça lui ayant fait découvrir le problème de la couronne que Hiéron lui avait proposé, saisi d'une sorte d'enthousiasme, il s'élança du bain en criant : Je l'ai trouvé, et il courut dans la ville en répétant plusieurs fois ces mots. Mais avons-nous jamais entendu un homme friand ou lascif s'écrier avec transport : J'ai mangé, J’ai joui. Cependant il y a toujours eu, et il y a encore bien des gens intempérants. Mais nous détestons ceux qui se rappellent avec transport les bons repas qu'ils ont faits, parce qu'ils sont épris du genre de volupté le plus méprisable. Au contraire, nous partageons l'enthousiasme d'Eudoxe, d'Archimède et d'Hipparque, et nous pensons avec Platon, que les mathématiques, quoique négligées par des hommes grossiers et ignorants, font toujours des progrès, à cause du plaisir qu'elles procurent à l'esprit.
(Traduction D. Ricard, Plutarque, Œuvres morales, tome V, Paris Lefèvre, 1844)
3. Plutarque, Vie de Marcellus, XIX
Le levier
Archimède avança un jour au roi Hiéron, dont il était le parent et l'ami, qu'avec une force donnée, on pouvait remuer un fardeau, de quelque poids qu'il fût. Plein de confiance en la force de sa démonstration, il se vanta que, s'il avait une autre terre, il remuerait à son gré celle-ci, en passant dans l'autre. Le roi, étonné de cette assertion, le pria de réduire en pratique son problème, et de lui faire voir une grande masse remuée par une petite force. Archimède ayant fait tirer à terre, avec un grand travail, et à force de bras, une des galères du roi, ordonna qu'on y mît la charge ordinaire, avec autant d'hommes qu'elle en pourrait contenir ; ensuite, s'étant assis à quelque distance, sans employer d'effort, en tirant doucement de la main le bout d'une machine à plusieurs poulies, il ramène à lui la galère, qui glissait aussi légèrement et avec aussi peu d'obstacle que si elle avait fendu les flots. Le roi, émerveillé d'un tel pouvoir de l'art, engagea Archimède à lui faire toutes sortes de machines et de batteries de siège, soit pour l'attaque, soit pour la défense des places. Mais il n'en fit point d'usage, car il passa presque tout son règne sans faire la guerre, et vécut dans une profonde paix. Tous ces préparatifs servirent alors aux Syracusains, à qui ils furent d'un grand secours, et qui, outre les machines, eurent l'artiste qui les avait faites.
(Traduction D. Ricard, Paris, Au bureau des Éditeurs, 1830)
4. Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, V, 37
La vis sans fin
Les mineurs trouvent quelquefois des fleuves souterrains dont ils diminuent le courant rapide en les détournant dans des fossés inclinés, et la soif inextinguible de l'or les fait venir à bout de leurs entreprises. Ce qu'il y a de plus étonnant, c'est qu'ils épuisent entièrement les eaux au moyen des vis égyptiennes qu'Archimède, de Syracuse, inventa pendant son voyage en Égypte. Ils les élèvent ainsi successivement jusqu'à l'ouverture de la mine, et ayant desséché les galeries, ils y travaillent à leur aise. Cette machine est si ingénieusement construite que, par son moyen, on ferait écouler d'énormes masses d'eau et on tirerait aisément un fleuve entier des profondeurs de la terre à la surface. Mais ce n'est pas seulement en ceci qu'il faut admirer le talent d'Archimède ; on lui doit encore beaucoup d'autres ouvrages plus grands et qui sont célèbres par toute la terre. Nous les décrirons exactement et en détail lorsque nous serons arrivés à l'époque d'Archimède.
(Traduction Ferdinand Hoefer, Paris, Hachette, 1865)
5. Cicéron, Tusculanes, Livre I, 25, 63
La sphère
Faire, comme Archimède, une sphère qui représente le cours de la lune, du soleil, des cinq planètes ; et par un seul mouvement orbiculaire, régler divers mouvements, les uns plus lents, les autres plus vite ; c'est avoir exécuté le plan de ce Dieu, par qui Platon dans le Timée fait construire le monde. Autant que les révolutions célestes sont l'ouvrage d'un Dieu, autant la sphère d'Archimède est l'ouvrage d'un esprit divin.
(Traduction de la Collection des Auteurs latins publiés sous la direction de M. Nisard,
Paris, Dubochet, 1841)
6. Polybe, Histoire universelle, Livre VIII, 6 - 9
Le siège de Syracuse
Cependant Marcellus faisait voile vers l'Achradine avec soixante vaisseaux à cinq rangs de rames, pleins de soldats armés de flèches, de frondes et de javelots, afin de balayer les remparts. Ajoutez à cela huit quinquérèmes, dégarnies de leurs rames les unes à droite, les autres à gauche, attachées deux à deux par leurs flancs découverts, et sur lesquels, au moyen des rames maintenues sur les parois extérieures, on approchait des murs des machines nommées sambuques. Voici quelle en était la disposition : après avoir préparé une échelle d'une largeur de quatre pieds, dont la hauteur égale celle des murailles, et protégé les deux côtés de l'échelle par une balustrade de boucliers élevés, les Romains la placent en travers sur les côtés rapprochés des navires ensemble réunis, de manière à ce qu'elle dépasse de beaucoup les éperons. Au sommet des mâts, sur ces mêmes navires, sont adaptées des poulies garnies de câbles. Dès que le moment de s'en servir approche, on attache la tête de l'échelle à ces câbles et aussitôt les hommes placés sur la poupe dressent toute la machine à l'aide des poulies, tandis que d'autres, postés à la proue, la maintiennent par des arcs-boutants à la hauteur nécessaire. Puis les rameurs de droite et de gauche serrant la terre de leurs vaisseaux, on essaye d'appliquer la machine aux murailles. À l'extrémité de l'échelle est une planche garnie de claies des trois côtés, et sur cette planche quatre hommes combattent contre ceux qui, de leurs remparts, s'opposent à ce qu'on y adapte la sambuque. Cette opération une fois faite, les quatre guerriers postés au-dessus de l'ennemi jettent bas les claies des deux côtés et descendent sur les remparts et sur les tours : leurs camarades les suivent à travers la sambuque fortement assujettie par les cordes aux deux vaisseaux. Cette machine doit son nom à la ressemblance que l'échelle dressée en l'air et le vaisseau qui la porte ont dans leur ensemble avec la sambuque.
Les Romains, ainsi préparés, songèrent à s'approcher des tours. Mais Archimède, qui avait disposé des machines d'une portée extraordinaire à l'aide de puissantes catapultes, et de balistes fortement bandées, allait les frapper au loin et répandait parmi eux la confusion et le désespoir. Aussitôt que les traits dépassaient le but, Archimède, les troublant de nouveau au moyen de machines moins fortes et toujours proportionnées à la distance, arrêtait leur ardeur et les empêchait d'approcher : à ce point que Marcellus, éperdu, fut obligé de choisir la nuit pour faire avancer les galères. Mais quand les Romains se trouvèrent en deçà de la portée des traits, ils virent qu'Archimède avait encore pris ses dispositions contre les soldats combattant du haut des vaisseaux. Il avait, en effet, creusé dans la muraille, à hauteur d'homme, des trous qui à l'extérieur avaient la grandeur d'une palme, et avait placé des archers et arbalétriers derrière ces meurtrières, et, frappant par là les assiégeants, il les réduisait à l'inaction. Non seulement il avait l'avantage d'empêcher ainsi tous les mouvements des ennemis, qu'ils fussent près ou loin des murs, mais encore il leur tuait beaucoup de monde. Enfin, pour tenter de détruire les sambuques, il avait établi sur toute l'étendue des remparts certaines machines qui d'abord n'étaient pas visibles, mais qui, au moment nécessaire, se dressaient de l'intérieur au-dessus des murailles et avançaient de beaucoup au delà du parapet. Quelques-unes de ces machines lançaient des pierres d’un poids de dix talents, d'autres des masses de plomb. Lors donc que les sambuques approchaient, les têtes de ces machines, tournées à l'aide d'un câble autant qu'il était utile, faisaient tomber par une poulie une lourde pierre. Un tel coup ne brisait pas seulement la machine et le vaisseau : ceux même qui le montaient couraient le plus grand péril.
D'autres machines, imaginées contre l'ennemi qui, attaquant la place à l'abri de mantelets, était assuré ainsi contre les traits jetés du haut des murs, lançaient des pierres assez pesantes pour forcer les Romains à quitter la proue. En même temps s'abattait une main de fer attachée à un câble, laquelle venait saisir quelque part la proue du vaisseau, et celui qui dirigeait le bec de cette machine comme le gouvernail d'un navire, abaissait l'extrémité opposée de la poutre dans l'intérieur des murs. Lorsque, par cette manœuvre, Archimède avait élevé la proue dans les airs et dressé le vaisseau sur sa poupe, il liait ce bras du levier de manière à le rendre immobile, et une poulie lançait à la fois au loin la main et le câble. Parmi les navires, les uns tombaient sur le flanc, les autres étaient culbutés ; la plupart, dont la proue était précipitée de haut dans les ondes, plongeaient, et la terreur et la mer envahissaient les soldats. Marcellus, singulièrement gêné par les inventions d'Archimède, voyait avec douleur les assiégés repousser ses attaques et lui causer de cruelles pertes. Il plaisantait cependant sur ses malheurs, disant qu'Archimède faisait boire ses vaisseaux et que les sambuques, repoussées comme des misérables à coups de bâton, n'étaient pas admises à cette distribution d'eau. Tel était le siège du côté de la mer.
Appius, jeté dans des embarras non moins grands, renonça à poursuivre ses desseins contre Syracuse. En effet, les soldats étaient encore loin dans la plaine, qu'ils se voyaient frappés par les machines dont les projectiles étaient aussi terribles par le nombre que par la puissance. Hiéron en avait fait les frais ; la main d'Archimède avait exécuté les inventions de son génie. Les Romains approchaient-ils de la ville, les uns étaient incommodés par les traits lancés des meurtrières dont j'ai parlé plus haut, et étaient ainsi tenus à distance ; les autres, qui combattaient sous les mantelets, étaient écrasés par les pierres et les poutres. Les Syracusains faisaient encore beaucoup de mal aux Romains par les mains de fer qui se détachaient des machines que nous avons dites ; elles enlevaient les soldats tout armés et les broyaient contre terre. Appius et Marcellus, retirés dans leur camp, tinrent enfin conseil avec les tribuns et résolurent à l'unanimité de tout risquer, à l'exception d'un assaut, pour s'emparer de Syracuse, et c'est ce qu'ils finirent par faire. Durant huit mois qu'ils demeurèrent sous les murailles de la ville, il n'y a pas d'actions hardies, pas de stratagèmes qu'ils n'osèrent tenter ; mais ils n'eurent plus le cœur d'employer la force ouverte : tant souvent un seul homme, une seule intelligence qui s'applique sérieusement à quelque objet, exerce une influence étonnante, immense ! Ces Romains, qui disposent de tant de forces et par terre et par mer, vont se rendre certainement maîtres de Syracuse si vous en enlevez un seul vieillard ; mais il est là, et ils n'osent plus attaquer Syracuse, par les moyens, du moins, qu'Archimède saurait combattre ! Ils songèrent que les assiégés, qui étaient en grand nombre dans la ville, pourraient surtout être réduits par la famine, et se saisissant avec ardeur de cette espérance, ils interceptèrent par la flotte les convois maritimes, par l'armée les vivres qui venaient du côté de la terre. Désireux, cependant, de ne pas perdre tout à fait le temps qu'ils employaient à assiéger Syracuse, et d'exécuter, dans l'intervalle, en d'autres parties de la Sicile quelque autre coup de main, les généraux partagèrent leurs troupes et le commandement. Appius, avec les deux tiers de l'armée, continua le siège de la ville, et Marcellus, suivi du dernier tiers, alla ravager les terres des peuples qui s'étaient prononcés pour Carthage.
(Traduction de Félix Bouchot, Paris, Charpentier, 1847)
7. Tite-Live, Histoire romaine, Livre XXIV, 34 (en entier)
Archimède : un ingénieur de génie
Le succès n'eût pas manqué à une attaque menée avec tant de vigueur, sans la présence d'un seul homme, que possédait alors Syracuse ; c'était Archimède, homme sans rival dans l'art d'observer les cieux et les astres, mais plus merveilleux encore par son habileté à inventer, à construire des machines de guerre, à l'aide desquelles, par un léger effort, il se jouait des ouvrages que l'ennemi avait tant de peine à faire agir. Les murs s'étendaient sur des collines inégales en hauteur ; le terrain était presque partout fort élevé et d'un abord difficile ; mais il se rencontrait aussi quelques vallées plus basses et dont la surface plane offrait un accès facile. Selon la nature des lieux, Archimède fortifia ce mur par toute espèce d'ouvrages.
Marcellus, avec ses quinquérèmes, attaquait le mur de l'Achradine, baigné, comme nous l'avons déjà dit, par la mer. Du haut des autres vaisseaux, les archers, les frondeurs et même les vélites, dont les traits ne peuvent être renvoyés par ceux qui n'en connaissent pas l'usage, ne permettaient à personne, pour ainsi dire, de séjourner impunément sur le mur. Comme il faut de l'espace pour lancer ces traits, ces vaisseaux étaient assez éloignés des murailles. Aux quinquérèmes étaient attachés deux par deux d'autres vaisseaux dont on avait enlevé les rangs de rames de l'intérieur afin de les attacher bord à bord. Ces appareils étaient conduits comme des vaisseaux ordinaires par les rangs de rames de l'extérieur ; ils portaient des tours à plusieurs étages et d'autres machines destinées à battre les murailles.
À ces bâtiments ainsi préparés, Archimède opposa sur les remparts des machines de différentes grandeurs. Sur les vaisseaux qui étaient éloignés, il lançait des pierres d'un poids énorme ; ceux qui étaient plus proches, il les attaquait avec des projectiles plus légers, et par conséquent lancés en plus grand nombre. Enfin, pour que les siens pussent sans être blessés accabler les ennemis de traits, il perça le mur depuis le haut jusqu'en bas d'ouvertures à peu près de la hauteur d'une coudée, et à l'aide de ces ouvertures, tout en restant à couvert eux-mêmes, ils attaquaient l'ennemi à coups de flèches et de scorpions de médiocre grandeur. Si quelques vaisseaux s'approchaient pour être en deçà du jet des machines, un levier, établi au-dessus du mur, lançait sur la proue de ces vaisseaux une main de fer attachée à une forte chaîne. Un énorme contrepoids en plomb ramenait en arrière la main de fer qui, enlevant ainsi la proue, suspendait le vaisseau droit sur la poupe ; puis par une secousse subite le rejetait de telle sorte qu'il paraissait tomber du mur. Le vaisseau, à la grande épouvante des matelots, frappait l'onde avec tant de force que les flots y entraient toujours même quand il retombait droit.
Ainsi fut déjouée l'attaque du côté de la mer, et les Romains réunirent toutes leurs forces pour assiéger la ville par terre. Mais de ce côté encore elle était fortifiée par toute espèce de machines, grâce aux soins, aux dépenses de Hiéron pendant de longues années, grâce surtout à l'art merveilleux d'Archimède. Et ici la nature était venue à son aide, car le roc qui supporte les fondements du mur est, sur une grande étendue, tellement disposé en pente, que non seulement les corps lancés par les machines, mais même ceux qui ne roulaient que par leur propre poids, retombaient avec violence sur l'ennemi. Par la même raison, il était bien difficile de gravir cette côte et d'y assurer sa marche. Marcellus tint un conseil où il fut décidé que, toutes ses tentatives d'attaque étant déjouées, le siège serait suspendu, et la ville seulement bloquée de manière à ce qu'on ne pût y recevoir aucun convoi par terre ni par mer.
(Traduction de la Collection des Auteurs latins publiés sous la direction de M. Nisard,
Paris, Dubochet, 1864)
8. Tite-Live, Histoire romaine, Livre XXV, 30 - 31
La prise de Syracuse, la mort d’Archimède
Au point du jour, Marcellus fait donner à l'Achradine un assaut général, de manière non seulement à attirer de son côté la garnison de cette place, mais à obliger celle de l'île d'abandonner son poste pour repousser le choc impétueux des Romains. Au milieu de ce tumulte, des bâtiments de transport, qu'on tenait tout équipés d'avance, prêts à faire le tour de l'île, y débarquent des hommes armés ; ceux-ci trouvant les postes dégarnis et les portes laissées ouvertes par ceux qui venaient de se porter au secours de l'Achradine, s'emparent, presque sans obstacle, de 1'île, que le désordre et la fuite de ses gardes ont laissée sans défenseurs. Personne n'opposa une résistance moins courageuse que les transfuges, parce qu'ils se défiaient de leurs compagnons mêmes ; ils prirent la fuite au milieu de l'action. Marcellus, à la nouvelle que l'île était prise, qu'un quartier de l'Achradine était en son pouvoir, et que Méricus, avec sa garnison, s'était joint à ses troupes, fit sonner la retraite, afin de prévenir le pillage du trésor royal, qu'on disait plus riche qu'il ne l'était en effet.
L'impétuosité du soldat ainsi arrêtée donna aux transfuges qui étaient dans l'Achradine le temps et les moyens de s'échapper ; et les Syracusains, délivrés enfin de toute crainte, en ouvrirent les portes et envoyèrent à Marcellus des députés qui ne demandèrent que la vie pour eux et pour leurs enfants. Marcellus, après avoir tenu un conseil où furent admis ceux des Syracusains que les troubles avaient forcés de chercher un asile dans le camp romain, répondit que pendant cinquante années Rome avait reçu moins de services de Hiéron qu'elle n'avait, en trois ans, subi d'outrages de la part des tyrans de Syracuse : qu'au reste, la plupart de ces maux étaient retombés sur les coupables, et que ceux qui avaient violé les traités s'étaient punis eux-mêmes plus cruellement que n'eût pu l'exiger le peuple romain. S'il avait, pendant trois ans, tenu Syracuse assiégée, ce n'était pas pour que les Romains eussent une cité esclave, mais pour la délivrer du joug et de l'oppression des chefs des transfuges. Syracuse aurait pu apprendre son devoir dans l'exemple de ceux de ses habitants qui s'étaient réfugiés au milieu de l'armée romaine ; dans celui du chef espagnol Méricus, qui avait livré le poste où il commandait ; enfin dans la résolution tardive, mais forte des Syracusains eux-mêmes. Tous les travaux et tous les dangers qu'une si longue résistance lui avait fait supporter autour des remparts de Syracuse, sur terre et sur mer, n'étaient que faiblement compensés par la prise de cette ville, disait-il encore. Ensuite il envoya son questeur dans l'île pour s'emparer du trésor des rois, et le garantir de toute violence. La ville fut abandonnée au pillage ; mais on eut soin de placer des sauvegardes aux portes de ceux des Syracusains qui avaient passé du côté des Romains. Au milieu de tous les excès que faisaient commettre la fureur, l'avarice et la cruauté, on raconte qu'Archimède, malgré le tumulte d'une ville prise d'assaut et le bruit des soldats qui se dispersaient pour piller, fut trouvé les yeux fixés sur des figures qu'il avait tracées sur le sable, et tué par un soldat qui ne le connaissait pas. Marcellus donna des regrets à cette mort, prit soin de ses funérailles, et fit chercher ses parents, à qui son nom et son souvenir valurent la sûreté et des honneurs. Tels furent les principaux événements de la prise de Syracuse.
(Traduction de la Collection des Auteurs latins publiés sous la direction de M. Nisard,
Paris, Dubochet, 1864)
9. Plutarque, Vie de Marcellus, XVII - XXV
Le siège de Syracuse, la mort d’Archimède
Appius commandait l'armée de terre, et Marcellus, avec soixante galères à cinq rangs de rames, remplies de toutes sortes d'armes et de traits, outre une machine qu'il avait fait dresser sur huit galères liées ensemble, s'approcha des murailles, plein de confiance dans la force de ses batteries, dans la multitude de ses préparatifs, et plus encore dans sa propre réputation.
Mais Archimède ne tenait pas grand compte de toutes ces machines, qui, en effet, n'étaient rien auprès des siennes : non qu'il les donnât pour des inventions d'un grand prix ; il ne les regardait lui-même que comme de simples jeux de géométrie, qu'il n'avait faits que dans des moments de loisir, et la plupart sur les instances du tyran Hiéron, qui ne cessait de l'engager à tourner son art, des choses purement intellectuelles, vers les objets sensibles, et de rendre ses raisonnements en quelque sorte accessibles aux sens et palpables au commun des hommes, en les appliquant par l'expérience à des choses d'usage. […]
Les Romains donc ayant donné l'assaut de deux côtés différents, les Syracusains, consternés, restaient dans le silence, craignant de ne pouvoir résister à de si grands efforts, et à une puissance si redoutable. Mais quand Archimède eut mis ces machines en jeu, elles firent pleuvoir sur l'infanterie romaine une grêle de traits de toute espèce et des pierres d'une grosseur énorme, qui volaient avec tant de roideur et de fracas, que rien n'en pouvait soutenir le choc, et que, renversant tous ceux qui en étaient atteints, elles jetaient le désordre dans tous les rangs. Du côté de la mer, il avait placé sur les murailles d'autres machines qui, abaissant tout à coup sur les galères de grosses antennes en forme de crocs, et cramponnant les vaisseaux, les enlevaient par la force du contrepoids, les laissaient retomber ensuite, et les abîmaient dans les flots; il en accrochait d'autres par la proue avec des mains de fer ou des becs de grue, et, après les avoir dressées sur leur poupe, il les enfonçait dans la mer, ou les amenait vers la terre par le moyen de cordages qui tiraient les uns en sens contraire des autres ; là, après avoir pirouetté quelque temps, elles se brisaient contre les rochers qui s'avançaient de dessous les murailles, et la plupart de ceux qui les montaient périssaient misérablement. On voyait sans cesse des galères, enlevées et suspendues en l'air, tourner avec rapidité, et présenter un spectacle affreux : quand les hommes qui les montaient avaient été dispersés et jetés bien loin, comme des pierres lancées avec des frondes, elles se fracassaient contre les murailles; ou les machines venant à lâcher prise, elles retombaient dans la mer. La machine que Marcellus faisait avancer sur huit galères liées ensemble était appelée sambuque, à cause de sa ressemblance avec l'instrument de musique de ce nom. Elle était encore assez loin des murailles, lorsque Archimède lança contre elle un rocher du poids de dix talents ; ensuite un second, puis, un troisième, qui, la frappant avec un sifflement et un fracas horribles, en détachèrent les appuis, et donnèrent aux vaisseaux de si violentes secousses, qu'ils se séparèrent les uns des autres. Marcellus, ne sachant plus que faire, se retira promptement avec ses galères, et envoya l'ordre aux troupes de terre de faire aussi leur retraite.
Il tint donc conseil, et il fut résolu que le lendemain, avant le jour, on s'approcherait, s'il était possible, des murailles, parce que les machines d'Archimède, ayant beaucoup de portée, lanceraient les traits par-dessus leurs têtes ; et que celles qu'il pourrait employer de près seraient sans effet, le coup n'ayant point de force à si peu de distance. Mais Archimède avait, de longue main, préparé pour cela même des machines qui portaient à toutes les distances, et des traits plus courts qui se succédaient presque sans interruption. Il avait fait aux murailles des trous fort près les uns des autres, où il avait placé des scorpions d'une médiocre portée, que les ennemis ne pouvaient apercevoir, et qui faisaient de fréquentes blessures à ceux qui s'en approchaient.
Arrivés au pied des murailles, où ils se croyaient bien à couvert, ils furent encore assaillis d'une grêle de traits, ou accablés de pierres, qui tombaient à plomb sur leurs têtes; il n'y avait pas un endroit de la muraille d'où l'on ne tirât sur eux. Ils prirent donc le parti de reculer ; mais ils s'étaient à peine éloignés, qu'Archimède fit pleuvoir sur eux, dans leur retraite, une si grande quantité de traits, qu'il leur tua beaucoup de monde et fracassa un grand nombre de leurs vaisseaux, sans qu'ils pussent eux-mêmes faire aucun mal aux ennemis, car Archimède avait dressé la plupart de ses machines à couvert derrière les murailles, et les Romains, accablés de toutes parts, sans voir d'où les coups partaient, semblaient combattre contre les dieux.
Cependant Marcellus, échappé de ce danger, se mit à railler les ingénieurs et les ouvriers qu'il avait dans son camp, de ce qu'Archimède en se jouant plongeait ses vaisseaux dans la mer, comme des coupes à puiser de l'eau, et outrageait honteusement sa sambuque. Il est vrai que les Syracusains n'étaient que comme le corps de ces machines d'Archimède, et que seul il était l'âme qui faisait tout mouvoir et agir. Tous les autres moyens de défense étaient suspendus ; la ville ne se servait que de ceux d'Archimède, soit pour l'attaque, soit pour la défense. Enfin, Marcellus voyant les Romains si effrayés, qu'à la vue seule d'une corde ou d'un pieu de bois qui paraissait sur la muraille, ils tournaient le dos et prenaient la fuite, en criant que c'était quelque nouvelle machine qu'Archimède allait lancer contre eux, cessa toutes les attaques, et changea le siège en blocus.
Au reste, Archimède avait une âme si élevée, un esprit si profond et une si grande richesse de théories géométriques, qu'il ne voulut jamais rien laisser par écrit sur la construction de ces machines qui lui avaient acquis tant de gloire, et lui avaient fait attribuer, non une science humaine, mais une intelligence divine ; regardant la mécanique, et en général tout art qu'on exerce pour le besoin, comme des arts vils et obscurs, il ne se livra qu'aux sciences dont la beauté et la perfection ne sont liées à aucune nécessité, et avec lesquelles toutes les autres ne sauraient entrer en comparaison : dans les premières, la démonstration dispute de prix avec le sujet : l'un donne la grandeur et la beauté, l'autre opère la conviction et donne une force merveilleuse. Dans toute la géométrie, on ne trouverait pas des questions plus difficiles et plus profondes exposées en des termes plus simples, et par des principes plus clairs que celles qu'Archimède a traitées. Les uns attribuent cette clarté à sa facilité naturelle ; d'autres, à l'excès du travail, qui donne un air si facile à ce qui a le plus coûté. On pourrait bien ne pas découvrir de soi-même la démonstration de certains problèmes ; mais, après l'avoir lue dans ses écrits, on se persuade qu'on l'aurait trouvée sans peine : tant le chemin par lequel il mène à la démonstration est facile et court ! Il ne faut donc pas refuser de croire ce qu'on dit de lui : que, sans cesse attiré par la géométrie comme par une sirène domestique, il oubliait de boire et de manger, et négligeait tous les soins de son corps ; traîné souvent par force aux bains et aux étuves, il traçait sur les cendres du foyer des figures géométriques, et sur son corps frotté d'huile il tirait des lignes avec le doigt : tant cette étude le ravissait ! tant il était réellement possédé de la passion des Muses ! Mais, quoiqu'il eût fait plusieurs inventions très belles, il pria, dit-on ses parents et ses amis de ne mettre, après sa mort, sur son tombeau, qu'une sphère inscrite dans un cylindre, et de marquer, dans l'inscription, de quelle quantité, dans ces deux solides, le contenant surpasse le contenu.
Ce fut par ces connaissances profondes en mécanique qu'Archimède se conserva invincible, lui et sa ville, autant qu'il dépendit de lui.
Pendant que Syracuse restait bloquée, Marcellus alla s'emparer de Mégare, une des plus anciennes villes de la Sicile ; il prit ensuite le camp d'Hippocrate près d'Acriles, et étant tombé sur ses troupes pendant qu'elles travaillaient à se retrancher, il tua plus de huit mille hommes. Il parcourut une partie de la Sicile, reprit plusieurs villes sur les Carthaginois, et défit en divers combats tous ceux qui osèrent se mesurer avec lui. Quelque temps après, il fit prisonnier, devant Syracuse, un Spartiate nommé Damippus, qui sortait par mer de cette ville. Les Syracusains, qui désiraient fort de le racheter, en firent la proposition à Marcellus. Il y eut à cette occasion plusieurs entrevues et plusieurs conférences, pendant lesquelles Marcellus observa qu'une des tours, était fort négligemment gardée, et qu'on pourrait y faire entrer secrètement quelques soldats, parce que la muraille de la ville était en cet endroit facile à escalader. Les rendez-vous fréquents qui eurent lieu près de cette tour l'ayant mis à portée d'en juger la hauteur par estimation, il fit préparer des échelles ; et, profitant d'une fête de Diane que les Syracusains célébraient au milieu des festins et des plaisirs, dès le matin il se saisit de la tour sans être aperçu, remplit d'hommes armés les murs des environs, et rompit une des portes de l'Hexapyle. Les Syracusains, réveillés par le bruit, commençaient à se mettre en mouvement avec beaucoup de trouble, lorsque Marcellus fit sonner à la fois toutes les trompettes : ce qui jeta une telle frayeur parmi les habitants, qu'ils prirent tous la fuite, persuadés qu'il n'y avait pas un quartier de la ville qui ne fût au pouvoir de l'ennemi. Mais il leur restait encore l'Achradine, qui en était la plus grande, la plus forte et la plus belle portion : Marcellus n'avait pu s'en rendre maître, parce que ses murailles sont séparées du reste de la ville, qui est divisée en deux parties, dont l'une s'appelle la Ville-Neuve, et l'autre Tyché.
Maître de ces deux quartiers, Marcellus, dès la pointe du jour, descend par l'Hexapyle dans la Ville-Neuve ; là, tous les officiers qui l'entourent le félicitent de son bonheur. Mais quand il eut considéré, de la hauteur où il était, la grandeur et la beauté de cette ville, il ne put retenir ses larmes, et s'attendrit sur son malheur, en pensant au changement affreux qu'allait y causer dans un instant le pillage qu'en feraient ses soldats. Déjà ils demandaient qu'on le leur abandonnât, et aucun des chefs n'eût osé le leur refuser. Plusieurs même voulaient qu'elle fût brûlée, et détruite de fond en comble: mais Marcellus en rejeta bien loin la proposition : il leur accorda seulement, et avec beaucoup de peine, les richesses qu'ils y trouveraient et les esclaves ; il leur défendit expressément de toucher à aucune personne libre, de tuer, d'outrager ou de réduire en captivité aucun des citoyens. Mais, malgré cette modération, Syracuse lui paraissait traitée avec trop de rigueur ; et, au milieu d'un si grand sujet de joie, il laissait voir sa compassion et sa douleur de ce que tant d'opulence et de prospérité allait s'évanouir dans un instant. On prétend que les richesses qu'on y enleva ne furent pas moins considérables que celles qui furent prises dans la suite à Carthage ; car l'autre partie de Syracuse ne tarda pas à être prise par trahison, et livrée aussi au pillage, excepté le trésor des rois, qui fut porté à Rome dans le trésor public.
Mais rien n'affligea tant Marcellus que la mort d'Archimède. Ce philosophe était alors chez lui, appliqué à quelque figure de géométrie ; et comme il donnait à cette méditation tout son esprit et tous ses sens, il n'avait pas entendu le bruit des Romains qui couraient de toutes parts dans la ville, et il ignorait qu'elle fût en leur pouvoir. Tout à coup il se présente à lui un soldat qui lui ordonne de le suivre pour aller trouver Marcellus. Il refuse d'y aller jusqu'à ce qu'il ait achevé la démonstration de son problème. Le Romain, irrité, tire son épée et le tue. D'autres disent qu'un soldat étant allé d'abord à lui, l'épée à la main, pour le tuer, Archimède le pria instamment d'attendre un moment, afin qu'il ne laissât pas son problème imparfait ; et que le soldat, qui se souciait fort peu de sa démonstration, le perça de son épée. Un troisième récit, c'est qu'Archimède étant allé lui-même porter à Marcellus, dans une caisse, des instruments de mathématiques, tels que des cadrans au soleil, des sphères, et des angles avec lesquels on mesure la grandeur du soleil, des soldats qui le rencontrèrent, croyant que c'était de l'or qu'il portait dans cette caisse, le tuèrent pour s'en emparer. Mais ce qui est avoué de tous les historiens, c'est que Marcellus fut très affligé de sa mort, qu'il eut horreur du meurtrier comme d'un sacrilège, et qu'ayant fait chercher les parents d'Archimède, il les traita de la manière la plus honorable.
(Traduction D. Ricard, Paris, Au bureau des Éditeurs, 1830)
10. Cicéron, Contre Verrès, Livre II, 4, 131
La mort d’Archimède
Je ne me lasse point de citer Marcellus : sachez donc que l'arrivée de Verrès a coûté plus de dieux aux Syracusains que la victoire de Marcellus ne leur a coûté de citoyens. On dit même que ce grand général fit chercher Archimède qui joignait le plus beau génie aux connaissances les plus étendues, et qu'il ressentit la plus vive douleur en apprenant qu'il avait été tué.
(Traduction française de P. Guéroult, Paris, Hatier, 1924)
11. Cicéron, Des vrais biens et des vrais maux, Livre V, 19
La mort d’Archimède
Quelle ardeur et quelle application à l'étude n'était pas celle d'Archimède, qui, traçant dés figures sur le sable, ne s'aperçoit pas même que Syracuse est prise ?
(Traduction de la Collection des Auteurs latins publiés sous la direction de M. Nisard,
Paris, Dubochet, 1840)
12. Valère Maxime, Des faits et des paroles mémorables, Livre VIII, chapitre VII, “De l'étude et de l'application au travail”, “Exemples étrangers”
La mort d’Archimède
D'Archimède aussi je pourrais dire qu'il tira profit de son activité, si elle ne lui avait successivement fait accorder et fait ôter la vie. Après la prise de Syracuse, Marcellus avait compris que c'étaient les inventions d'Archimède qui avaient si longtemps et si puissamment fait obstacle à sa victoire. Néanmoins, il fut tellement ravi de l'intelligence supérieure de ce grand homme qu'il donna ordre d'épargner sa vie, espérant presque autant de gloire de la conservation d'Archimède que de la défaite de Syracuse. Mais, tandis qu'Archimède traçait des figures en fixant son attention et ses regards sur le sol, un soldat se précipite dans sa maison pour la piller et, l'épée nue au-dessus de sa tête, lui demande qui il est. Le géomètre, trop occupé de trouver la solution qu'il cherchait, ne peut dire son nom. Mais il couvre la terre de ses mains et dit seulement : “De grâce, ne dérange pas cette poussière !” Et, comme si cette réponse avait marqué du mépris pour l'ordre du vainqueur, on lui trancha la tête et son sang vint brouiller ses figures de géométrie. C'est ainsi que son travail tantôt lui valut la vie sauve, tantôt fut cause de sa mort. (An de Rome 541)
(Traduction de la Collection des Auteurs latins publiés sous la direction de M. Nisard,
Paris, Dubochet, 1850)
13. Pline l’Ancien, Histoire naturelle, Livre VII, XXXVIII, “Géométrie et architecture”
L’hommage de Marcellus, la mort d’Archimède
Marcus Marcellus rendit un grand témoignage à Archimède pour sa science en géométrie et en mécanique, ordonnant, lors de la prise de Syracuse, de n'épargner que lui ; mais l'ignorance d'un soldat rendit vaine l'intention du général.
(Édition d'Émile Littré, Paris, Dubochet, 1848-1850)
14. Cicéron, Tusculanes, Livre V, 23, 64 - 66
Le tombeau d’Archimède
Contentons-nous de la comparer [la vie de Denys, tyran de Syracuse] avec celle d'un homme assez obscur, et compatriote de Denys, mais qui a vécu longtemps après. Je parle d'Archimède, que je veux tout de nouveau tirer de la poussière, l'ayant déjà en quelque manière ressuscité autrefois. Car pendant que j'étais questeur en Sicile, je fus curieux de m'informer de son tombeau à Syracuse, où je trouvai qu'on le connaissait si peu, qu'on disait qu'il n'en restait aucun vestige ; mais je le cherchai avec tant de soin, que je le déterrai enfin sous des ronces et des épines. Je fis cette découverte à la faveur de quelques vers, que je savais avoir été gravés sur son monument, et qui portaient qu'on avait placé au-dessus une sphère et un cylindre. M'étant donc transporté hors de l'une des portes de Syracuse, dans une campagne couverte d'un grand nombre de tombeaux, et regardant de toutes parts avec attention, je découvris sur une petite colonne qui s'élevait par-dessus les buissons, le cylindre et la sphère que je cherchais. Je dis aussitôt aux principaux Syracusains qui m'accompagnaient, que c'était sans doute le monument d'Archimède. En effet, sitôt qu'on eut fait venir des gens pour couper les buissons, et nous faire un passage, nous nous approchâmes de la colonne, et lûmes sur la base l'inscription, dont les vers étaient encore à demi lisibles, le reste ayant été effacé par le temps. Et c'est ainsi qu'une des plus illustres cités de la Grèce, et qui a autrefois produit tant de savants, ignorerait encore où est le tombeau du plus ingénieux de ses citoyens, si un homme de la petite ville d'Arpinum n'était allé le lui apprendre.
Mais revenons à mon sujet. Quel est l'homme qui ait quelque commerce, je ne dis pas avec les Muses, mais avec des hommes tant soit peu doués d'humanité et d'érudition, qui n'aimât mieux être à la place du mathématicien qu'à celle du tyran ? Si vous considérez quelle a été leur vie, Archimède, continuellement appliqué à faire des observations et des recherches utiles, jouissait tranquillement de la satisfaction que donnent d'heureuses découvertes, la plus délicieuse nourriture de l'esprit pendant que Denys, occupé sans cesse de meurtres et de forfaits, passait les jours et les nuits dans d'éternelles alarmes.
(Traduction de la Collection des Auteurs latins publiés sous la direction de M. Nisard,
Paris, Dubochet, 1841)