Zénobie, une aristocrate hellénisée de Palmyre
Les origines, la naissance, l’enfance et la jeunesse de la palmyrénienne Zénobie demeurent en grande partie inconnues. Mais une inscription bilingue, gravée entre 268 et 270, sur une borne miliaire (grand fût placé le long des routes principales à chaque mille romain) située entre Palmyre et Emèse, mentionne le nom de Septimia Zenobia en grec, tandis que le texte araméen révèle d’autres informations : « pour le salut de Septimia Bathzabbaî, la très illustre reine, mère du roi des rois, fille d’Antiochos. » Cette filiation paternelle est confirmée dans un texte araméen d’une tessère de plomb provenant d’Antioche.
Son père Antiochos porte donc un nom grec qui est employé dans les inscriptions en grec comme en araméen (sans aucune autre mention d’un éventuel nom araméen ou d’un gentilice romain) : il appartient donc à une famille très hellénisée et très cultivée de Palmyre et, de fait, à l’aristocratie.
Même si les origines de Zénobie, dont le nom grec signifie « Vie de Zeus », restent obscures, on peut donc penser qu’elle vient d’un clan assez puissant, dont un des ancêtres se nommait sans doute Zabbaî. Cela explique, bien plus que sa beauté ou ses qualités éventuelles, qu’Odainath (Odénat ou Odeinath selon les graphies), le puissant notable palmyrénien et sénateur de Rome, la choisisse comme épouse au milieu des années 250.
Zénobie, l’épouse d’Odainath
Par son mariage avec Odainath, Zénobie va appartenir à l’Ordre sénatorial, l’élite sociale de l’Empire. Elle épouse, en effet, un homme dont la notoriété et celle de son fils Haîran, né d’un premier mariage, croissent à partir du IIIè siècle après J.-C.
Alors que l’empire romain connaît des difficultés en Orient et que la Syrie souffre des attaques perses, Odainath s’illustre avec son fils Haîran : entre 251 et 257, il cumule les titres honorifiques qui montrent son ascendance sur Palmyre. Il mobilise les troupes romaines et une milice locale pour chasser les Perses. En 259-260, après la défaite de l’empereur romain Valérien près d’Edesse, les deux Palmyréniens pourchassent ces derniers, récupèrent le butin de Shapur Ier (« roi des rois » perse) qui avait pillé la Syrie du Nord, la Cilicie (sud-est de l’Anatolie), la Cappadoce (Anatolie centrale) et s’emparent des concubines du souverain perse, mais ils ne parviennent pas à libérer l’empereur romain qui disparaît à tout jamais. Odainath reprend alors le titre de son adversaire et devient à son tour « roi des rois ».
Après cette élévation, Odainath est assassiné avec son fils en 267. De ce double assassinat, on ne sait rien du lieu, des circonstances, du ou des meurtriers, des causes… et les sources sont contradictoires. C’est ainsi que cette disparition du père et du fils projette sur le devant de la scène Zénobie. Soutenue par l’entourage d’Odainath et par ses troupes, elle assure la succession au nom de leur fils Wahballath.
Cette succession sans heurts laisse penser que Zénobie jouait déjà un rôle auprès de son époux. L’Histoire Auguste mentionne d’ailleurs sa participation à l’expédition contre les Perses en 260 : « C’est grâce à elle qu’Odénath vainquit les Perses, mit Sapor en fuite puis parvint à Ctésiphon » (Trente Tyrans, Zénobie, XXX, 6). De même, l’historien Zosime (Vè-VIè siècles) suggère qu’elle était présente lors des campagnes militaires de son mari. Enfin, le chroniqueur et ecclésiastique Georges le Syncelle soutient que les soldats, après avoir tué l’assassin d’Odainath, « portèrent immédiatement Zénobie au gouvernement de l’Orient » (Corpus Scriptorum Historiae Byzantinae, p.467, 4-14).
Zénobie, la maîtresse de Palmyre
Lorsqu’Odainath meurt, son jeune fils Wahballath, « don d’Allat » (grande déesse particulière honorée à Palmyre dont Athéna est l’équivalent grec) a une dizaine d’années. Zénobie assume ainsi le pouvoir pour lui et veille à ce qu’il ait les mêmes titres que son père. Il reprend donc celui de « roi des rois ». Zénobie est elle-même nommée reine en tant qu’épouse du « roi des rois » et mère du nouveau « roi des rois ». Mais elle n’est en aucun cas et ne sera jamais reine de Palmyre, alors colonie romaine !
Entre 267 et 272, plusieurs documents (des tessères ou des inscriptions comme celle sur une colonne de la grande colonnade de Palmyre) mettent en avant ses titres : « Septimia Zenobia, la clarissime, pieuse reine » en grec ou « illustre et juste reine » en araméen (Jean-Baptiste Yon, Inscriptions grecques et latines de Syrie, Palmyre, XVII, 57). Son appartenance à l’Ordre sénatorial est également soulignée par l’épithète « la très illustre ».
Zénobie s’attache, avec son fils, à poursuivre l’œuvre de son époux et à empêcher le retour des ennemis, de leurs pillages et de leurs destructions. Ainsi, une forteresse connue sous le nom d’Halabiyyeh-Zenobia, à deux kilomètres au nord-est de Palmyre, est construite pour sécuriser la vallée de l’Euphrate. L’historien byzantin, Procope de Césarée (VIè siècle), évoque d’ailleurs la « cité construite par Zénobie, l’épouse d’Odenath, à laquelle elle donna son nom (De Aedificiis, Livre II, VIII, 15-IX, 1). En dehors de cette surveillance de l’Euphrate, aucune expédition orientale menée par Zénobie n’est documentée par les sources antiques, signe que les campagnes victorieuses d’Odainath ont écarté durablement la menace perse.
En 270, nombreux sont les succès de Zénobie et de son fils : les provinces syriennes sont sous leur autorité ou leur sont ralliées, l’Arabie romaine est passée sous leur contrôle et l’Égypte a été conquise par les Palmyréniens qui y sont présents de septembre 270 à mai-juin 272.
Zénobie, la marche vers la pourpre
En septembre 270, Aurélien est proclamé empereur par ses troupes en Occident. Forts de leurs succès, Zénobie et son fils cherchent à mettre en avant leur autorité croissante. L’étude des monnaies émises à Antioche et à Alexandrie à la fin de l’année 270 et au début de 271 peut laisser penser que Zénobie cherche à négocier avec Aurélien et qu’elle lui propose un partage du pouvoir. Sur l’avers est alors représenté Aurélien, désigné comme empereur, tandis que Wahballath apparaît au revers, appelé consul, imperator, chef des Romains. Cette association à la tête de l’Empire peut être lue comme un programme politique affiché par Zénobie : à Aurélien reviendrait l’Occident, à Wahballat (et donc à elle) l’Orient.
Il n’existe aucune trace de telles négociations mais la rupture avec Aurélien est manifeste lorsqu’en 271, Wahballath apparaît seul sur les monnaies et que Zénobie prend le titre d’Augusta (« impératrice ») ou Sébastè, le plus souvent, en grec. La proclamation de Wahballath comme Auguste sur les monnaies comme sur les bornes milliaires montre bien que Zénobie et lui ne se révoltent pas contre Rome mais contre l’empereur Aurélien. Zénobie est, en effet, un membre d’une grande famille syrienne et une citoyenne romaine qui se proclame impératrice de Rome.
La réponse d’Aurélien finit par intervenir à la fin de l’année 271 : il quitte Rome et fait marcher ses troupes contre celles de Zénobie.
Zénobie, la chute
Au cours de l’année 272, Zénobie est battue militairement. Aurélien vainc ses troupes à trois reprises : dans le sud de la Turquie actuelle, près d’Antioche et à Émèse (Homs aujourd’hui). Puis il se présente aux portes de Palmyre. Zénobie fuit vers l’est mais elle est rattrapée sur les bords de l’Euphrate. Elle est emmenée en exil à Rome. La plus grande incertitude demeure en ce qui concerne la fin de son existence. Elle a dû figurer au triomphe d’Aurélien en 273. On ne sait pas ce qu’elle est devenue ensuite. La légende dit qu’elle a vécu tranquillement dans une villa, au-dessus de Rome, à Tivoli.
Zénobie et sa postérité
Après la ruine de Palmyre, la légende de Zénobie se développe et le mythe finit par l’emporter sur la réalité… Chez les premiers auteurs de la Renaissance, tels Pétrarque et Boccace, qui mentionnent à nouveau la Palmyrénienne, elle apparaît comme une femme vertueuse, courageuse et virile : elle est le modèle de la « femme forte » dont le succès est immense au XVIIIè siècle.
Parallèlement à cette image se développe une figure « fantaisiste » née de l’imagination des artistes : des pièces de théâtre (Calderón de la Barca, D’Aubignac…), des opéras (Albinoni, Rossini…) et l’unique péplum à son sujet (Guido Brignone) lui prêtent différentes aventures, entre amour et jalousie, sans que sa vertu ne soit entachée…
Depuis le XIXè siècle, elle apparaît à la fois comme une héroïne romantique et une femme du désert, une « Orientale » qui fait rêver.
De nos jours, on fait d’elle une princesse arabe devenue « reine de Palmyre » (ce qu’elle ne fut jamais tout comme il n’y eut jamais de royaume de Palmyre). Certains nationalistes syriens voient en elle la fondatrice d’un premier empire arabe, s’opposant au colonialisme romain. Ainsi disparaît l’image de l’impératrice de Rome qu’elle voulut être…
Ce que nous révèle L’Histoire Auguste :
« Fuit vultu subaquilo, fusci coloris, oculis supra modum vigentibus nigris, spiritus divini, venustatis incredibilis. Tantus candor in dentibus, ut margaritas eam plerique putarent habere, non dentes. […] Severitas, ubi necessitas postulabat, tyrannorum, bonorum principum clementia, ubi pietas requirebat.»
« Elle avait le visage basané, le teint foncé, des yeux noirs d’une exceptionnelle vivacité, un esprit extraordinaire, un charme incroyable. Sa dentition était d’une telle blancheur que beaucoup croyaient que des perles lui tenaient lieu de dents. […] Elle affichait, quand la nécessité l’exigeait, la rigueur propre aux tyrans, mais quand l’équité le demandait, la clémence propre aux bons princes. »
Histoire Auguste, Trente Tyrans, Zénobie, XXX, 15 sq., trad. A. Chastagnol, Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1994.