Une influence perse croissante et décisive sur le monde grec

Notes

  1. Nietzsche, Cinq préfaces à cinq livres qui n’ont pas été écrits. L’État chez les Grecs, in La Philosophie à l’époque tra­gique des Grecs, Folio Essais, Gallimard, 1975, p.186.
  2. Voir Thucydide, VIII, 18, 37, 58.
  3. Il y en a dix. Ils sont, à partir de 501, élus chaque année par l’assemblée populaire, à raison d’un par tribu, du moins avant une modification de la loi qui permet alors de voir une tribu fournir deux stratèges. Il n’y a pas de limite à leur réélection. Ainsi Périclès fut élu à cette charge quinze fois de suite. Chaque stratège a le commandement des hoplites de sa tribu sous la direction suprême du polémarque. À partir de 487 tous les ar­chontes (même le polémarque) sont choisis par tirage au sort. Ce sont donc les stratèges dont la compétence mi­litaire est le critère essentiel de leur élection qui héritèrent du commandement suprême. Ils ont le droit, en temps de guerre, de convoquer le Conseil et le peuple par l’inter­médiaire des prytanes. Ce mot a un sens bien par­ti­cu­lier à Athènes. Il ne désigne pas un simple chef d’armée, mais un personnage qui a droit de juridiction pour toutes les questions se rattachant à l’administration de la guerre (exercice du commandement, recru­tement des troupes, jugement des crimes et délits militaires, contrôle des im­pôts de guerre…). À l’époque de Démosthène les stratègescommandant les opérations militaires sont au nombre de deux (infanterie et cavalerie). Plus tard chez Polybe, Plutarque ou Arrien, ce mot pourra signi­fier le consul ou le préteur.
  4. Cette cité grecque, fondée par des Mégariens au VIIe siècle sur la Propontide, ou mer de Marmara, a une po­sition stra­tégique de première importance qui explique les convoitises dont elle est l’objet : elle commande les deux rives opposées de l’Europe et de l’Asie et permet de tenir les routes commerciales, de garantir la sécurité des convois pour le capital ravitaille­ment en blé. Sous contrôle perse de 512 à 478, elle passe, alternativement, de la domination lacédémonienne à celle des Athéniens. En 405, elle est occupée par une garnison lacédé­mo­nienne, elle retrouve sa liberté en 393, puis entre, en 378, dans la seconde Confédération athénienne. Elle en sort en 364 et déclenche la « guerre des alliés » en 357. Enfin, elle est à nouveau l’alliée d’Athènes lorsqu’elle ré­siste victorieusement à Philippe de Macédoine au siège de 340-339.
  5. Pour le portrait de Cyrus, voir Xénophon, Anabase, I, 9, 1-31.
  6. Note E. Talbot : champ voisin d’une ville de Lydie, qui portait le même nom
  7. Thucydide ne parle pas de ce fameux traité de paix qui aurait été négocié par l’Athénien Callias vers 450. Il n’en reste pas moins que les hostilités cessèrent à cette date.
  8. Voir Hérodote, VIII, 30, 2-6.
  9. Voir Hérodote, IX, 41.
  10. Le rôle d’Alcibiade est révélateur du jeu ambigu des Grecs dans leur relation avec les Perses. Alcibiade, après le dé­sastre de Sicile, passe à l’ennemi à qui il donne de précieux conseils stratégiques et tactiques comme par exemple de menacer Athènes par l’occupation de Décélie en Attique. Il permet aussi aux Spartiates en leur ob­tenant l’or perse de construire une flotte. En 412, il fomente en Ionie une révolte contre les Athéniens avant de devenir suspect aux yeux des Spartiates. Il en­treprend des négociations avec Tissapherne. Ce n’est qu’après de longues et délicates négociations qu’il obtient, en 411, le commandement de la flotte athénienne de Samos. Jusqu’en 406 les opérations qu’il dirige sont des succès. En 407, il est rappelé à Athènes par les démocrates à nouveau au pouvoir. Une alliance avec les Perses et un espoir d’aide économique semblent possibles par son in­termédiaire. Mais la défaite de 406 à Notion met fin à son rôle politique. Ses conseils avant Aïgos-Potamos ne furent pas suivis. Il meurt assassiné en 404.
  11. Voir infra.
  12. Voir infra.
  13. Voir Diodore, Bibliothèque historique, XIII, 70.
  14. Expression empruntée aux Perses signifiant à la fois la résidence du souverain, le lieu du pouvoir et du gouvernement.

Considéré à l’apogée unique de son art, le Grec ne peut être défini a priori que comme l’ “homme politique en soi” ; l’histoire, en fait, ne connaît pas deux exemples d’un si terrible déchaînement de l’instinct politique, d’un sacrifice aussi inconditionnel de tous les intérêts au ser­vice de cet instinct de l’État.1

413 - 410 — Le renversement de la politique perse : une alliance avec Sparte pour l’hégémonie en mer Egée

 

Les Perses ont pesé lourd dans les affaires grecques et dans la Guerre du Péloponnèse en particulier. Au début du conflit chacun des deux camps tente d’obtenir l’aide financière des Perses. En vain. Dès 425, les Athéniens, pour neu­traliser les Perses, concluent un traité d’amitié avec Darius II. Mais après le désastre de Sicile, les combinaisons di­ploma­tiques d’Alcibiade, le soutien athénien aux satrapes rebelles de Sardes, en 413, et après la révolte d’Ionie, les choses changent : les Perses choisissent Sparte contre Athènes. Trois traités sont conclus avec les Lacédémoniens, en 412 et 4112. Leur politique d’intervention dans les affaires grecques devient systéma­tique, comme le montre leur attitude après le dé­sastre de Cyzique subi par la flotte lacédé­monienne en 410.

[24] Φαρνάβαζος δὲ παντὶ τῷ τῶν Πελοποννησίων στρατεύματι καὶ τοῖς συμμάχοις παρακελευσάμενος μὴ ἀθυμεῖν ἕνεκα ξύλων, ὡς ὄντων πολλῶν ἐν τῇ βασιλέως, ἕως ἂν τὰ σώματα σῶα ᾖ, ἱμάτιόν τ᾽ ἔδωκεν ἑκάστῳ καὶ ἐφόδιον δυοῖν μηνοῖν, καὶ ὁπλίσας τοὺς ναύτας φύλακας κατέστησε τῆς ἑαυτοῦ παραθαλαττίας γῆς. [25] καὶ συγκαλέσας τούς τε ἀπὸ τῶν πόλεων στρατηγοὺς καὶ τριηράρχους ἐκέλευε ναυπηγεῖσθαι τριήρεις ἐν Ἀντάνδρῳ ὅσας ἕκαστοι ἀπώλεσαν, χρήματά τε διδοὺς καὶ ὕλην ἐκ τῆς Ἴδης κομίζεσθαι φράζων. [26] ναυπηγουμένων δὲ οἱ Συρακόσιοι ἅμα τοῖς Ἀντανδρίοις τοῦ τείχους τι ἐπετέλεσαν, καὶ ἐν τῇ φρουρᾷ ἤρεσαν πάντων μάλιστα. διὰ ταῦτα δὲ εὐεργεσία τε καὶ πολιτεία Συρακοσίοις ἐν Ἀντάνδρῳ ἐστί. Φαρνάβαζος μὲν οὖν ταῦτα διατάξας εὐθὺς εἰς Καλχηδόνα ἐβοήθει.

« [24] Pharnabaze exhorte toute l’armée péloponnésienne et les Syracusains à ne pas se désespérer pour quelques planches : il n’en manque pas dans le pays du Roi ; tout va bien tant que les corps sont saufs ; puis il donne à chacun un habillement et la solde de deux mois. Il arme en outre les matelots et établit des gardes sur son littoral. [25] Ensuite il réunit les stratèges3 des villes et les triérarques, leur ordonne de construire à Antandros autant de trirèmes que chacun en a perdu, leur fournit de l’argent et leur dit de tirer du bois de l’Ida. [26] Pendant que les vaisseaux se construisent, des Syracusains, unis aux habitants d’Antandros, achèvent une partie des murs et sont les mieux tenus des troupes de la garnison. Aussi, à Antandros, le titre de bienfaiteurs et le droit de cité est-il accordé aux Syracusains. Pharnabaze, ayant tout disposé de la sorte, part sur-le-champ au secours de Chalcédoine.

Xénophon, Helléniques, I, 1, 24-26, trad. Eugène Talbot, 1859

En 408, Cyrus, le fils de Darius, est chargé d’organiser les actions en faveur des Péloponnésiens. En 407, après le siège et la prise de Byzancepar Athènes, les ambassadeurs lacédémo­niens peuvent an­noncer que Cyrus5 prend, avec les satrapies de Lydie, de Grande Phrygie et de Cappadoce, le commande­ment des forces royales de la région. La politique perse d’aide à Sparte par l’in­termédiaire des satrapes – on pense à Tissapherne notamment – était souvent indécise, changeante. Mais, lorsque Cyrus est séduit par Lysandre qui vient d’être nommé navarque, l’aide perse est augmentée. Cette dernière per­mettra aux Lacé­démoniens de l’emporter finalement sur la cité grecque la plus puissante et la plus riche.

[2] […] Λακεδαιμόνιοι ὧν δέονται πάντων πεπραγότες εἶεν παρὰ βασιλέως, [3] καὶ Κῦρος, ἄρξων πάντων τῶν ἐπὶ θαλάττῃ καὶ συμπολεμήσων Λακεδαιμονίοις, ἐπιστολήν τε ἔφερε τοῖς κάτω πᾶσι τὸ βασίλειον σφράγισμα ἔχουσαν, ἐν ᾗ ἐνῆν καὶ τάδε : Καταπέμπω Κῦρον κάρανον τῶν εἰς Καστωλὸν ἁθροιζομένων. τὸ δὲ κάρανον ἔστι κύριον. [4] ταῦτ᾽ οὖν ἀκούοντες οἱ τῶν Ἀθημαίων πρέσβεις, καὶ ἐπειδὴ Κῦρον εἶδον, ἐβούλοντο μὲν μάλιστα παρὰ βασιλέα ἀναβῆναι, εἰ δὲ μή, οἴκαδε ἀπελθεῖν. [5] Κῦρος δὲ Φαρναβάζῳ εἶπεν ἢ παραδοῦναι τοὺς πρέσβεις ἑαυτῷ ἢ μὴ οἴκαδέ πω ἀποπέμψαι, βουλόμενος τοὺς Ἀθηναίους μὴ εἰδέναι τὰ πραττόμενα.

[2] […] les Lacédémoniens ont obtenu du Roi tout ce qu’ils demandaient. [3] On rencontre également Cyrus, qui avait reçu le commandement de toutes les provinces maritimes, et qui devait soutenir les Lacédémoniens. Il était porteur d’une lettre munie du sceau royal et adressée à tous les habitants des bas pays, avec ces mots : « J’envoie Cyrus en qualité de Caranos des peuples qui s’assemblent dans le Castôlos6. » Caranos veut dire souverain. [4] Les députés athéniens, après avoir appris ces nouvelles et vu Cyrus lui-même, désirent d’autant plus vivement se rendre vers le Roi, ou sinon, retourner dans leur patrie ; [5] mais Cyrus commande à Pharnabaze de lui livrer les députés, ou tout au moins de ne pas les laisser retourner chez eux, ne voulant pas que les Athéniens fussent instruits de ce qui s’était passé.

Xénophon, Helléniques, I, 4, 2-5, trad. Eugène Talbot, 1859

Une stratégie perse qui repose sur l’exploitation des divisions et rivalités grecques

 

Le soutien perse à Lysandre, devenu ami personnel de Cyrus, fait partie d’une stratégie à long terme et relève de leurs inté­rêts politiques supérieurs. Les Perses apparaissent, en effet, comme les grands gagnants de la guerre du Péloponnèse : les victoires grecques des guerres médiques sont effacées. Si l’or perse permet aux Lacédémoniens d’armer une puis­sante flotte, ces derniers doivent reconnaître, en contrepartie, la toute-puissance achéménide sur l’Asie et les côtes d’Ionie. Il leur faut oublier la fameuse paix dite de Callias7. Il s’agit pour les Perses de jouer sur les divisions grecques et de tirer profit de la guerre des cités entre elles.

(On se souvient que, lors des guerres médiques, certaines cités, parce qu’elles faisaient pas­ser leur propre intérêt avant celui de la Grèce ou encore par simple haine de leurs rivales immédiates, choisirent de combattre aux côtés des Perses8 ou de se laisser corrompre par eux. C’est le cas aussi des factions qui, dans leur lutte sans merci pour le pouvoir9, demandent l’appui perse. On comprend alors l’éton­nement de Mardonios et des Spartiates lorsque, après Salamine, les Athéniens, futurs maîtres de la Ligue de Délos, refusèrent les propositions perses.)

Aider donc les Lacédémoniens à acquérir la suprématie en mer Égée est un moyen de saper les fonde­ments de la puissance athénienne et, par là même, de se placer en arbitre en Europe et d’assurer leur propre sécurité en Asie. Le contrôle des cités ioniennes est un des problèmes clés dans les relations entre les Grecs et les Perses. Une remarque de Xénophon, après son récit de la rencontre de Lysandre et de Cyrus, au su­jet des subsides perses destinés à donner aux Lacédémoniens la maîtrise sur mer, le montre bien.

[8] Οἱ δὲ Ἀθηναῖοι ἀκούοντες ταῦτα ἀθύμως μὲν εἶχον, ἔπεμπον δὲ πρὸς τὸν Κῦρον πρέσβεις διὰ Τισσαφέρνους. [9] Ὁ δὲ οὐ προσεδέχετο, δεομένου Τισσαφέρνους καὶ λέγοντος, ἅπερ αὐτὸς ἐποίει πεισθεὶς ὑπ᾽ Ἀλκιβιάδου, σκοπεῖν ὅπως τῶν Ἑλλήνων μηδὲ οἵτινες ἰσχυροὶ ὦσιν, ἀλλὰ πάντες ἀσθενεῖς, αὐτοὶ ἐν αὑτοῖς στασιάζοντες.

[8] Les Athéniens, à cette nouvelle, perdent courage et envoient, par l’entremise de Tissapherne, des députés à Cyrus ; [9] mais il ne les reçoit point, quoique Tissapherne l’en prie et l’engage à travailler, comme il l’avait fait lui-même, sur les conseils d’Alcibiade10, à ce qu’aucun peuple n’acquière de la puissance, mais à ce qu’ils s’affaiblissent tous par leurs dissensions intestines.

Xénophon, Helléniques, I, 5, 8-9, trad. Eugène Talbot, 1859

Polybe, à propos d’Alexandre, rappelle le rôle de l’argent dans le jeu des Perses dans leurs relations avec les cités grecques qu’il s’agissait de corrompre. L’Acarnanien Lykiscos, au temps de l’intervention romaine en Grèce, répond à l’Aitolien Chlainéas qui demande le concours de Sparte contre Philippe V11.

XXXIV. [1] Πάλιν Ἀλεξάνδρῳ διότι μὲν ἀδικεῖσθαι δόξας τὴν Θηβαίων πόλιν ἐκόλασε, τοῦτο πικρῶς ὠνείδισας, [2] ὅτι δὲ τιμωρίαν ἔλαβε παρὰ τῶν Περσῶν ὑπὲρ τῆς εἰς ἅπαντας τοὺς Ἕλληνας ὕβρεως, οὐκ ἐποιήσω μνήμην, [3] οὐδὲ διότι μεγάλων κακῶν κοινῇ πάντας ἡμᾶς ἔλυσε, καταδουλωσάμενος τοὺς βαρβάρους καὶ παρελόμενος αὐτῶν τὰς χορηγίας, αἷς ἐκεῖνοι χρώμενοι κατέφθειραν τοὺς Ἕλληνας, ποτὲ μὲν Ἀθηναίους καὶ τοὺς τούτων προγόνους ἀγωνοθετοῦντες καὶ συμβάλλοντες, ποτὲ δὲ Θηβαίους, καὶ τέλος ὑπήκοον ἐποίησε τὴν Ἀσίαν τοῖς Ἕλλησι.

XXXIV. [1] Vous reprochez amèrement à Alexandre d’avoir puni les Thébains de leur révolte, [2] et vous ne dites rien de la manière dont il a vengé les Grecs des insultes des Perses, des maux extrêmes dont il vous a tous délivrés, après avoir réduit les Barbares en servitude et leur avoir enlevé ces richesses avec lesquelles ils corrompaient les Grecs, tantôt les Athéniens et leurs ancêtres, tantôt les Thébains, les soulevant les uns contre les autres et jugeant des coups : désordre affreux auquel Alexandre a mis fin en soumettant l’Asie à la Grèce.

Polybe, IX, 34, trad. Dom Vincent Thuillier

Un soutien perse indispensable à la politique lacédémonienne

 

406. Les démêlés de Lysandre avec Callicratidas, son successeur, révèlent à nouveau l’importance du soutien perse. Il est en butte aux intrigues des amis de Lysandre. Ces derniers, qui obtiendront le retour de Lysandre à la tête de la flotte, en 40512, mettent de la mauvaise volonté à lui obéir et répandent, sans doute par le moyen de ces hétai­ries oligarchiques dont Lysandre a favorisé l’implantation dans les cités ioniennes13, l’idée que les Lacédémoniens avaient commis une lourde faute en changeant de navarque. Callicratidas, le futur vaincu des Arginuses, prend la pa­role.

[5] « Ἐμοὶ μὲν ἀρκεῖ οἴκοι μένειν, καὶ εἴτε Λύσανδρος εἴτε ἄλλος τις ἐμπειρότερος περὶ τὰ ναυτικὰ βούλεται εἶναι, οὐ κωλύω τὸ κατ᾽ ἐμέ· ἐγὼ δ᾽ ὑπὸ τῆς πόλεως ἐπὶ τὰς ναῦς πεμφθεὶς οὐκ ἔχω τί ἄλλο ποιῶ ἢ τὰ κελευόμενα ὡς ἂν δύνωμαι κράτιστα. Ὑμεῖς δὲ πρὸς ἃ ἐγώ τε φιλοτιμοῦμαι καὶ ἡ πόλις ἡμῶν αἰτιάζεται [ἴστε γὰρ αὐτὰ ὥσπερ καὶ ἐγὤ, συμβουλεύετε τὰ ἄριστα ὑμῖν δοκοῦντα εἶναι περὶ τοῦ ἐμὲ ἐνθάδε μένειν ἢ οἴκαδε ἀποπλεῖν ἐροῦντα τὰ καθεστῶτα ἐνθάδε. » [6] Οὐδενὸς δὲ τολμήσαντος ἄλλο τι εἰπεῖν ἢ τοῖς οἴκοι πείθεσθαι ποιεῖν τε ἐφ᾽ ἃ ἥκει, ἐλθὼν παρὰ Κῦρον ᾔτει μισθὸν τοῖς ναύταις· ὁ δὲ αὐτῷ εἶπε δύο ἡμέρας ἐπισχεῖν. [7] Καλλικρατίδας δὲ ἀχθεσθεὶς τῇ ἀναβολῇ καὶ ταῖς ἐπὶ τὰς θύρας φοιτήσεσιν ὀργισθεὶς καὶ εἰπὼν ἀθλιωτάτους εἶναι τοὺς Ἕλληνας, ὅτι βαρβάρους κολακεύουσιν ἕνεκα ἀργυρίου, φάσκων τε, ἂν σωθῇ οἴκαδε, κατά γε τὸ αὑτοῦ δυνατὸν διαλλάξειν Ἀθηναίους καὶ Λακεδαιμονίους, ἀπέπλευσεν εἰς Μίλητον·

[5] Il m’est indifférent de rester chez moi, et, si Lysandre ou tout autre se prétend plus fort en marine, je n’ai, pour ma part, rien à opposer. Mais, comme j’ai reçu de l’État le commandement de la flotte, je ne puis faire autre chose qu’exécuter de mon mieux les ordres qu’on m’a donnés. Quant à vous, sans perdre de vue l’objet de mon ambition et les griefs qu’on a contre notre patrie, griefs que vous connaissez aussi bien que moi, dites-moi ce qui vous paraît le meilleur, de rester ici ou de m’en retourner chez moi, pour annoncer ce qui se passe à l’armée. » [6] Personne n’osant lui dire autre chose, sinon qu’il devait obéir aux ordres de Sparte et s’acquitter de sa mission, il se rend vers Cyrus et lui demande de l’argent pour payer ses troupes. Cyrus le prie d’attendre deux jours. [7] Callicratidas, piqué de ce renvoi et de ses stations à la Porte14, se fâche et dit que les Grecs sont bien malheureux de courtiser les barbares pour de l’argent ; il ajoute que, s’il rentre jamais dans sa patrie, il fera tout ce qu’il pourra pour réconcilier les Athéniens avec les Lacédémoniens. Cela dit, il part pour Milet.

Xénophon, Helléniques, I, 6, 5-7, trad. Eugène Talbot, 1859.

Notes

  1. Nietzsche, Cinq préfaces à cinq livres qui n’ont pas été écrits. L’État chez les Grecs, in La Philosophie à l’époque tra­gique des Grecs, Folio Essais, Gallimard, 1975, p.186.
  2. Voir Thucydide, VIII, 18, 37, 58.
  3. Il y en a dix. Ils sont, à partir de 501, élus chaque année par l’assemblée populaire, à raison d’un par tribu, du moins avant une modification de la loi qui permet alors de voir une tribu fournir deux stratèges. Il n’y a pas de limite à leur réélection. Ainsi Périclès fut élu à cette charge quinze fois de suite. Chaque stratège a le commandement des hoplites de sa tribu sous la direction suprême du polémarque. À partir de 487 tous les ar­chontes (même le polémarque) sont choisis par tirage au sort. Ce sont donc les stratèges dont la compétence mi­litaire est le critère essentiel de leur élection qui héritèrent du commandement suprême. Ils ont le droit, en temps de guerre, de convoquer le Conseil et le peuple par l’inter­médiaire des prytanes. Ce mot a un sens bien par­ti­cu­lier à Athènes. Il ne désigne pas un simple chef d’armée, mais un personnage qui a droit de juridiction pour toutes les questions se rattachant à l’administration de la guerre (exercice du commandement, recru­tement des troupes, jugement des crimes et délits militaires, contrôle des im­pôts de guerre…). À l’époque de Démosthène les stratègescommandant les opérations militaires sont au nombre de deux (infanterie et cavalerie). Plus tard chez Polybe, Plutarque ou Arrien, ce mot pourra signi­fier le consul ou le préteur.
  4. Cette cité grecque, fondée par des Mégariens au VIIe siècle sur la Propontide, ou mer de Marmara, a une po­sition stra­tégique de première importance qui explique les convoitises dont elle est l’objet : elle commande les deux rives opposées de l’Europe et de l’Asie et permet de tenir les routes commerciales, de garantir la sécurité des convois pour le capital ravitaille­ment en blé. Sous contrôle perse de 512 à 478, elle passe, alternativement, de la domination lacédémonienne à celle des Athéniens. En 405, elle est occupée par une garnison lacédé­mo­nienne, elle retrouve sa liberté en 393, puis entre, en 378, dans la seconde Confédération athénienne. Elle en sort en 364 et déclenche la « guerre des alliés » en 357. Enfin, elle est à nouveau l’alliée d’Athènes lorsqu’elle ré­siste victorieusement à Philippe de Macédoine au siège de 340-339.
  5. Pour le portrait de Cyrus, voir Xénophon, Anabase, I, 9, 1-31.
  6. Note E. Talbot : champ voisin d’une ville de Lydie, qui portait le même nom
  7. Thucydide ne parle pas de ce fameux traité de paix qui aurait été négocié par l’Athénien Callias vers 450. Il n’en reste pas moins que les hostilités cessèrent à cette date.
  8. Voir Hérodote, VIII, 30, 2-6.
  9. Voir Hérodote, IX, 41.
  10. Le rôle d’Alcibiade est révélateur du jeu ambigu des Grecs dans leur relation avec les Perses. Alcibiade, après le dé­sastre de Sicile, passe à l’ennemi à qui il donne de précieux conseils stratégiques et tactiques comme par exemple de menacer Athènes par l’occupation de Décélie en Attique. Il permet aussi aux Spartiates en leur ob­tenant l’or perse de construire une flotte. En 412, il fomente en Ionie une révolte contre les Athéniens avant de devenir suspect aux yeux des Spartiates. Il en­treprend des négociations avec Tissapherne. Ce n’est qu’après de longues et délicates négociations qu’il obtient, en 411, le commandement de la flotte athénienne de Samos. Jusqu’en 406 les opérations qu’il dirige sont des succès. En 407, il est rappelé à Athènes par les démocrates à nouveau au pouvoir. Une alliance avec les Perses et un espoir d’aide économique semblent possibles par son in­termédiaire. Mais la défaite de 406 à Notion met fin à son rôle politique. Ses conseils avant Aïgos-Potamos ne furent pas suivis. Il meurt assassiné en 404.
  11. Voir infra.
  12. Voir infra.
  13. Voir Diodore, Bibliothèque historique, XIII, 70.
  14. Expression empruntée aux Perses signifiant à la fois la résidence du souverain, le lieu du pouvoir et du gouvernement.
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