Les rôles des hommes et des dieux dans la composition des poèmes homériques - 2de Portfolio : L'homme et le divin

Source contemporaine

Ismaïl Kadaré, Le Dossier H., traduit de l'albanais par J. Vrioni, Fayard, 1989

Dans les années 1930, deux chercheurs irlandais, Max Roth et Willy Norton enquêtent sur la composition de l'antique épopée albanaise. Ils pensent qu'en enregistrant les derniers rhapsodes vivants dans le pays, ils pourront percer la mystère de la genèse des épopées homériques. Or, la présence de ces deux étrangers munis d'un appareil technologique déroutant, un magnétophone, éveille la curiosité puis les soupçons. Max Roth et Willy Norton sont rapidement pris pour des espions suivis de près par le gouvernement albanais. 

" C'était une journée sourde, sur-plombée d'un ciel sombre. Tout paraissait gelé, les chants oubliés à jamais. L'homme avait les traits si tirés qu'ils se demandèrent ce qui avait bien pu lui arriver, mais ils n'osèrent l'interroger. Ils n'avaient nul espoir de l'entendre chanter; ils prièrent l'aubergiste de ne point lui rappeler sa promesse, mais Shtiéfen hocha la tête en signe de dénégation: il chanterait sans faute, il avait donné sa parole. Et, effectivement, il tint parole. Sans mot dire, comme s'il s'acquittait d'un devoir, il s'installa sur un siège en bois devant le microphone et se mit à chanter tour à tour les deux ballades. 

Aussitôt après son départ, jusque tard dans la nuit et tout le lendemain encore, ils comparèrent le nouvel enregistrement avec la transcription du premier. Ils s'étaient dit qu'avec cette mine de papier mâché, le rhapsode aurait très sensiblement modifié les paroles. (...) 

Or, à leur vif étonnement, ils purent constater que les deux textes ne présentaient pour ainsi dire aucune différence."

Source antique 

Ἰλιάδος Αʹ

Μῆνιν ἄειδε θεὰ Πηληϊάδεω Ἀχιλῆος
οὐλομένην, ἣ μυρί᾿ Ἀχαιοῖς ἄλγε᾿ ἔθηκε,
πολλὰς δ᾿ ἰφθίμους ψυχὰς Ἄϊδι προΐαψεν
ἡρώων, αὐτοὺς δὲ ἑλώρια τεῦχε κύνεσσιν
οἰωνοῖσί τε πᾶσι· Διὸς δ᾿ ἐτελείετο βουλή,
ἐξ οὗ δὴ τὰ πρῶτα διαστήτην ἐρίσαντε
Ἀτρεΐδης τε ἄναξ ἀνδρῶν καὶ δῖος Ἀχιλλεύς.

Homère, Iliade, chant I, vers 1 à 7

 

Iliade, Chant I

Chante, Déesse, la colère désastreuse d'Achille, fils de Pélée, qui de maux infinis accabla les Achéens, et précipita chez Adès tant de fortes âmes de héros, livrés eux-mêmes en pâture aux chiens et à tous les oiseaux carnassiers. Et le dessein de Zeus s’accomplissait ainsi, depuis qu’une querelle avait divisé le fils d'Atrée, roi des hommes, et le divin Achille.

d'après Leconte de Lisle 1866

Pistes de réflexion

  • Le rôle que Homère attribue à la déesse dans la composition et la récitation du poème.
  • Les recherches scientifiques sur la composition et la mémorisation des grandes épopées.

    Pour aller plus loin

    Ismaïl Kadaré, La Fille d'Agamemnon - Iphigénie à Tirana

    Source contemporaine

    Ismaïl Kadaré, Le Dossier H., traduit de l'albanais par J. Vrioni, Fayard, 1989

    Dans les années 1930, deux chercheurs irlandais, Max Roth et Willy Norton enquêtent sur la composition de l'antique épopée albanaise. Ils pensent qu'en enregistrant les derniers rhapsodes vivants dans le pays, ils pourront percer la mystère de la genèse des épopées homériques. Or, la présence de ces deux étrangers munis d'un appareil technologique déroutant, un magnétophone, éveille la curiosité puis les soupçons. Max Roth et Willy Norton sont rapidement pris pour des espions suivis de près par le gouvernement albanais. 

    " C'était une journée sourde, sur-plombée d'un ciel sombre. Tout paraissait gelé, les chants oubliés à jamais. L'homme avait les traits si tirés qu'ils se demandèrent ce qui avait bien pu lui arriver, mais ils n'osèrent l'interroger. Ils n'avaient nul espoir de l'entendre chanter; ils prièrent l'aubergiste de ne point lui rappeler sa promesse, mais Shtiéfen hocha la tête en signe de dénégation: il chanterait sans faute, il avait donné sa parole. Et, effectivement, il tint parole. Sans mot dire, comme s'il s'acquittait d'un devoir, il s'installa sur un siège en bois devant le microphone et se mit à chanter tour à tour les deux ballades. 

    Aussitôt après son départ, jusque tard dans la nuit et tout le lendemain encore, ils comparèrent le nouvel enregistrement avec la transcription du premier. Ils s'étaient dit qu'avec cette mine de papier mâché, le rhapsode aurait très sensiblement modifié les paroles. (...) 

    Or, à leur vif étonnement, ils purent constater que les deux textes ne présentaient pour ainsi dire aucune différence."

    Bibliographie succincte

    • CARLIER Pierre, Homère, Paris, Fayard, 1999
    • FARNOUX Alexandre, Homère, le prince des poètes, Paris, Gallimard, coll. « Découvertes », 2010
    • SAÏD Suzanne, Homère et l'Odyssée, Paris, Belin, coll. « Sujets », 199
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